Commission v Thales developpement and cooperation (Judgment) French Text [2016] EUECJ T-326/13 (12 July 2016)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2016/T32613.html
Cite as: ECLI:EU:T:2016:403, [2016] EUECJ T-326/13, EU:T:2016:403

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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

12 juillet 2016 (*)

« Clause compromissoire – Quatrième et cinquième programmes-cadres pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration – Contrats concernant des projets portant sur la conception et le développement des piles à combustible à méthanol direct – Nullité des contrats pour dol – Remboursement des participations financières de l’Union – Règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 – Prescription – Application des droits français et belge – Droits de la défense – Intérêts »

Dans l’affaire T‑326/13,

Commission européenne, représentée par M. R. Lyal et Mme B. Conte, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocat,

partie requérante,

contre

Thales développement et coopération SAS, établie à Vélizy-Villacoublay (France), représentée par Mes N. Huc-Morel, P. Vanderveeren, L. Defalque, A. Guillerme et J. Fréal-Saison, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant à ce que le Tribunal ordonne à la défenderesse le remboursement intégral des participations financières versées par la Commission à son prédécesseur juridique, majorées des intérêts, dans le cadre du contrat JOE3-CT-97-0063 relevant du quatrième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1994-1998), établi par la décision n° 1110/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 avril 1994 (JO 1994, L 126, p. 1), et dans le cadre du contrat ENK6-CT-2000-00315 relevant du cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002), établi par la décision n° 182/1999/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 décembre 1998 (JO 1999, L 26, p. 1),

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg (rapporteur), juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 19 janvier 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Sur les contrats en cause

 Contrat Nemecel

1        Le 19 novembre 1997, la Commission des Communautés européennes, agissant pour le compte de la Communauté européenne, a conclu avec un consortium constitué de cinq contractants, dont SRTI System, Industrial Process Department (ci-après « SRTI ») était le coordinateur, le contrat JOE3-CT-97-0063 (ci-après le « contrat Nemecel »), portant sur la mise en œuvre d’un projet intitulé « Conception et réalisation d’une nouvelle pile à combustible à méthanol direct à bas coût » (ci-après le « projet Nemecel »). Le contrat Nemecel a été conclu dans le contexte de la décision n° 1110/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 avril 1994, relative au quatrième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1994-1998) (JO 1994, L 126, p. 1).

2        Le projet Nemecel devait initialement se dérouler sur 48 mois à compter de son entrée en vigueur (soit jusqu’au 1er décembre 2001) et a été prolongé de six mois, soit jusqu’au 1er juin 2002, par un avenant n° 4, entré en vigueur le 31 novembre 2001.

3        Le contrat Nemecel comprenait deux annexes formant partie intégrante de celui-ci, la première relative au programme du projet visé par ledit contrat et la seconde relative aux conditions générales de celui-ci (article 11 du contrat Nemecel). En vertu de son article 10, le contrat Nemecel était soumis au droit français. L’article 7 de l’annexe II dudit contrat contenait une clause compromissoire conférant compétence exclusive au Tribunal et, en cas de pourvoi, à la Cour pour connaître des litiges entre la Communauté et ses cocontractants quant à la validité, à l’application et à l’interprétation du contrat.

4        Il ressort des articles 3.1 et 3.2, premier alinéa, du contrat Nemecel et du tableau de la ventilation estimée des coûts éligibles, figurant à la suite des signatures des parties au contrat et auquel cette dernière stipulation renvoyait, que le montant total estimé des coûts éligibles relatifs au projet Nemecel était de 5 009 000 écus, dont 1 380 000 écus étaient prévus pour SRTI, et que la Commission devait contribuer jusqu’à hauteur de 50 % des coûts totaux éligibles ou, le cas échéant, jusqu’à hauteur de 100 % des coûts additionnels, dans la limite d’un plafond de participation qui s’élevait à 2 853 500 écus.

5        À la suite du changement de dénomination sociale du cocontractant SRTI en Société d’Études Techniques et d’Entreprises Générales SA (ci-après « Sodeteg »), la référence à SRTI dans le contrat Nemecel a été remplacée par la référence à Sodeteg en vertu de l’avenant n° 2, conclu le 28 décembre 1999.

6        À la suite du changement de dénomination sociale du cocontractant Sodeteg en Thales Engineering and Consulting SA (ci-après « THEC »), la référence à Sodeteg dans le contrat Nemecel a été remplacée par la référence à THEC en vertu de l’avenant n° 4, mentionné au point 2 ci-dessus.

7        La Commission a versé à SRTI puis à Sodeteg et à THEC, en exécution du contrat Nemecel, la somme totale de 700 335,66 euros, correspondant à 50 % des coûts éligibles déclarés. Le dernier paiement est intervenu le 17 octobre 2003.

 Contrat Dreamcar

8        Le 23 janvier 2001, la Commission, agissant pour le compte de la Communauté, a conclu avec un consortium constitué de cinq contractants, dont Sodeteg était le coordinateur, le contrat ENK6-CT-2000-00315 (ci-après le « contrat Dreamcar »), portant sur la mise en œuvre d’un projet intitulé « Système de pile à combustible à méthanol direct pour des applications automobiles » (ci-après le « projet Dreamcar »). Le contrat Dreamcar a été conclu dans le contexte de la décision n° 182/1999/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 décembre 1998, relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002) (JO 1999, L 26, p. 1).

9        Par un avenant n° l, entré en vigueur le 1er février 2001, la référence à Sodeteg a été remplacée par celle à THEC à la suite du changement de dénomination sociale de Sodeteg.

10      Le projet Dreamcar devait initialement se dérouler sur 42 mois (à savoir jusqu’au 31 juillet 2004) et a été prolongé de six mois, à savoir jusqu’au 31 janvier 2005, par un avenant n° 2, entré en vigueur le 8 juin 2004.

11      Le contrat Dreamcar comprenait deux annexes formant partie intégrante de celui-ci, la première relative à la description des travaux et la seconde relative aux conditions générales dudit contrat (article 8 du contrat Dreamcar). En vertu de son article 5, paragraphe 1, le contrat Dreamcar était soumis au droit belge. L’article 5, paragraphe 2, dudit contrat contenait une clause compromissoire conférant compétence exclusive au Tribunal et, en cas de pourvoi, à la Cour pour connaître des litiges entre la Communauté et ses cocontractants quant à la validité, à l’application et à l’interprétation du contrat.

12      Il ressort de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 3, paragraphe 2, du contrat Dreamcar ainsi que du tableau de la ventilation indicative des coûts éligibles estimés, figurant à la suite des signatures des parties au contrat et auquel ces articles renvoyaient, que le montant total estimé des coûts éligibles relatifs au projet Dreamcar était de 4 989 710 euros, dont 1 627 255 euros étaient prévus pour Sodeteg, et que la Communauté devait financer ces coûts éligibles jusqu’à un montant maximal de 2 899 946 euros.

13      L’article 6, sous d), du contrat Dreamcar stipulait que, dans l’hypothèse où les coûts éligibles du projet seraient inférieurs aux coûts totaux éligibles estimés, la contribution financière de la Communauté devrait être limitée au montant calculé en application des taux de participation financière mentionnés dans le tableau de ventilation indicative des coûts éligibles estimés, figurant à la suite des signatures des parties au contrat.

14      La Commission a payé à Sodeteg puis à THEC, en exécution du contrat Dreamcar, la somme totale de 812 821,43 euros, correspondant à 50 % des coûts éligibles déclarés. Le dernier paiement est intervenu le 8 décembre 2005.

 Contrat Optimet

15      Le contrat dénommé « Optimet » constituait un troisième contrat de recherche, conclu avec le gouvernement français, auquel participaient, en tant que contractant, Sodeteg, puis THEC. Ce contrat a été exécuté entre le mois de novembre 2000 et le mois de novembre 2004. Il avait, en substance, un objet connexe à celui des contrats Nemecel et Dreamcar, à savoir l’optimisation de la conception d’une pile à combustible. Le projet visé par le contrat Optimet était financé à hauteur de 55 % par le gouvernement français.

 Sur les parties

16      Comme cela est exposé ci-dessus, les contrats Nemecel et Dreamcar ont été conclus par la Commission avec des consortia dont le coordinateur était, dans les deux cas, la même société, dénommée SRTI lors de la signature du contrat Nemecel, puis Sodeteg lors de la signature du contrat Dreamcar, puis THEC à partir du mois de février 2001.

17      Cette société était une filiale à 100 % du groupe Thales.

18      Elle a été dissoute le 19 décembre 2008, avec transmission intégrale de son patrimoine à la société Thales développement et coopération SAS (ci-après la « défenderesse »).

19      La défenderesse a donc succédé à la société dénommée SRTI, à Sodeteg, puis à THEC (ci-après le « prédécesseur juridique »).

 Sur l’enquête de l’OLAF

20      À la suite d’informations, reçues en août 2005, relatives à des allégations de fraude concernant le prédécesseur juridique à l’occasion des contrats de recherche financés par la Communauté, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert, le 10 avril 2006, l’enquête OF/2006/0210. Un contrôle sur place a été effectué les 10 et 11 mai 2006 au siège du prédécesseur juridique, des employés de celui-ci ont été auditionnés et des documents ont été saisis. Les documents saisis ont été analysés par un fonctionnaire de la Commission qui était spécialisé dans le domaine des piles à combustible.

21      Les conclusions de l’enquête de l’OLAF ont été consignées dans un rapport du 8 octobre 2008 (ci-après le « rapport de l’OLAF »), auquel a été annexé le rapport rédigé par le fonctionnaire de la Commission mentionné au point 20 ci-dessus (ci-après le « rapport technique »).

22      Selon le rapport de l’OLAF, plusieurs employés du prédécesseur juridique avaient reconnu que celui-ci pratiquait systématiquement la surfacturation des prestations fournies dans le cadre des contrats financés par la Communauté. Le rapport technique constatait en outre que les projets Nemecel, Dreamcar et Optimet s’étaient « chevauchés », des prestations effectuées dans le cadre de l’un des projets étant « recyclées » et, dès lors, facturées indûment dans le cadre des autres.

23      Sur la base de ces éléments, l’OLAF a conclu, dans son rapport, à l’existence d’un cas probable d’escroquerie commise par le prédécesseur juridique au détriment de la Commission et de l’État français et a recommandé à la Commission de procéder au recouvrement de la totalité des participations financières qu’elle avait versées au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar.

 Sur la procédure de recouvrement engagée par la Commission

24      Par deux lettres de pré-information du 12 février 2010, la Commission a annoncé à la défenderesse son intention de recouvrer la totalité des participations financières qu’elle avait versées au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar, à savoir, respectivement, 700 335,66 et 812 821,43 euros, et lui a demandé de soumettre ses observations dans un délai de deux semaines après la réception desdites lettres, faute de quoi elle lui adresserait une note de débit pour chacun des montants susvisés. La Commission a indiqué qu’elle pourrait recouvrer ces montants plus les intérêts soit au moyen d’une compensation, soit par voie d’exécution forcée.

25      Par lettre du 22 février 2010, la défenderesse a demandé à l’OLAF d’avoir accès à son rapport du 8 octobre 2008, ce qui lui a été refusé, par lettre de l’OLAF du 29 mars 2010, sur le fondement de l’article 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

26      Par lettre du 14 avril 2010, la défenderesse a demandé à la Commission de lui communiquer le rapport de l’OLAF afin de pouvoir apprécier le bien-fondé de la procédure de recouvrement engagée par elle et de soumettre ses observations.

27      Par lettre du 5 mai 2010, la Commission a demandé à la défenderesse de ne pas tenir compte des lettres du 12 février 2010, ses services étant en train d’enquêter davantage sur les contrats Nemecel et Dreamcar. La Commission a indiqué que la défenderesse serait informée du résultat de cette enquête supplémentaire et que, jusqu’à l’accomplissement de cette enquête, aucune note de débit ne serait établie.

28      Par deux nouvelles lettres de pré-information du 19 juin 2012, la Commission a annoncé à la défenderesse le recouvrement de la totalité des participations financières qu’elle avait versées au prédécesseur juridique dans le cadre des contrats Nemecel et Dreamcar, soit, respectivement, 700 335,66 et 812 821,43 euros, en présentant de manière sommaire les conclusions de l’enquête de l’OLAF. Ces lettres étaient accompagnées du rapport technique dans sa version originale, c’est‑à‑dire en anglais, et impartissaient à la défenderesse un délai de deux semaines pour présenter ses observations. Il était précisé dans chacune de ces deux lettres que, en l’absence d’observations ou si la Commission n’acceptait pas les observations soumises, cette dernière établirait des notes de débit.

29      Par lettre du 9 juillet 2012, la défenderesse a accusé réception des lettres du 19 juin 2012 et a demandé d’accéder au dossier complet de l’OLAF avant de soumettre ses observations.

30      La Commission a répondu par une lettre du 13 août 2012 dans laquelle elle a indiqué qu’elle envisageait, le cas échéant, de recouvrer le montant dû au moyen d’une action en justice exercée au titre de l’article 272 TFUE. Il incomberait alors à la défenderesse de faire valoir ses demandes et de contester les éléments avancés par la Commission à l’appui du bien-fondé de sa créance. La Commission a, en outre, indiqué que, en l’absence de tout acte administratif susceptible d’affecter les intérêts de la défenderesse, aucun « accès au dossier » n’avait lieu d’être organisé. L’objectif de la lettre du 19 juin 2012 était simplement de demander à la défenderesse de prendre position sur les constatations factuelles dont il était fait état et, le cas échéant, d’expliquer les raisons pour lesquelles elle les considérait comme inexactes du point de vue factuel. Par le biais de la lettre du 13 août 2012, la Commission a accordé à la défenderesse un délai supplémentaire de quatre semaines pour soumettre ses observations sur le contenu des lettres du 19 juin 2012.

31      Par courriel du 11 septembre 2012, la défenderesse, tout en contestant les faits reprochés au prédécesseur juridique, a affirmé ne pas être en mesure de présenter des observations, en raison du fait qu’aucune pièce du dossier ne lui avait été transmise.

32      Le 22 octobre 2012, la Commission a adressé à la défenderesse deux notes de débit concernant, respectivement, le contrat Nemecel et le contrat Dreamcar et a fixé la date limite de paiement au 3 décembre 2012. Il était précisé que, faute d’un paiement à cette date, des intérêts de retard commenceraient à courir.

33      La Commission a adressé des lettres de rappel le 14 décembre 2012, puis le 6 février 2013, comportant également le calcul des intérêts de retard depuis le 4 décembre 2012.

34      Le 21 janvier 2013, une réunion informelle a été organisée entre la défenderesse et la Commission. Au cours de cette réunion, la Commission a, notamment, expliqué la procédure de recouvrement engagée, en précisant qu’elle n’était pas en mesure d’ouvrir des négociations sur ce dossier.

35      Par lettre du 28 mars 2013, la défenderesse a de nouveau contesté les faits qui étaient reprochés au prédécesseur juridique et le principe même du remboursement intégral des participations financières versées par la Commission.

36      Par lettre du 16 mai 2013, la Commission a communiqué à la défenderesse le rapport de l’OLAF ainsi que le rapport technique en version française.

 Procédure et conclusions des parties

37      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juin 2013, la Commission a introduit le présent recours.

38      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, a invité les parties à déposer certains documents et à répondre par écrit à certaines questions. Les parties ont donné suite à ces demandes du Tribunal dans le délai imparti.

39      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 19 janvier 2016.

40      La phase orale de la procédure a été close par décision du président de la première chambre du Tribunal du 2 février 2016, à la suite du dépôt par la Commission, dans le délai imparti, de ses observations sur un document présenté par la défenderesse à l’audience et versé au dossier.

41      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        ordonner à la défenderesse le remboursement de la totalité des participations financières qu’elle a versées au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar, soit, pour le contrat Nemecel, le montant de 700 335,66 euros en principal, assorti des intérêts échus, et, pour le contrat Dreamcar, le montant de 812 821,43 euros en principal, assorti des intérêts échus ;

–        condamner la défenderesse aux dépens.

42      La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, rejeter le recours comme étant irrecevable en raison de la prescription de la demande de remboursement ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant irrecevable parce que « forclos » ;

–        à titre infiniment subsidiaire, ordonner à la Commission de produire une série de documents et rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

43      Par son recours, la Commission demande que le Tribunal ordonne à la défenderesse le remboursement intégral des participations financières qu’elle a versées au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar, sur le fondement, à titre principal, de l’invalidité desdits contrats et, à titre subsidiaire, de la violation, par le prédécesseur juridique, de ces mêmes contrats.

44      Le Tribunal est compétent pour connaître du présent recours, introduit au titre de l’article 272 TFUE, en vertu des clauses compromissoires figurant à l’article 7 de l’annexe II du contrat Nemecel et à l’article 5, paragraphe 2, du contrat Dreamcar, lesquelles lui attribuent compétence pour statuer sur tout litige portant sur la validité, l’exécution ou l’interprétation de ces contrats.

 Sur l’applicabilité de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 et la prescription alléguée des demandes en remboursement de la Commission

45      La défenderesse soutient que les demandes en remboursement des participations financières versées par la Commission au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar sont irrecevables, car prescrites, dans la mesure où la Commission ne les a pas introduites dans le délai prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1). En vertu de cette disposition, les autorités nationales ou de l’Union européenne chargées de recouvrer les sommes indûment perçues disposeraient, pour cela, d’un délai de quatre ans à compter de la date de réalisation de l’irrégularité alléguée.

46      Le délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 aurait commencé à courir, au plus tard, à compter du jour où les irrégularités alléguées auraient pris fin, soit à la date d’achèvement des projets, à savoir le 1er juin 2002 pour le projet Nemecel et le 31 janvier 2005 pour le projet Dreamcar. Dès lors, la Commission aurait dû entreprendre les poursuites visant au recouvrement des sommes perçues avant le 1er juin 2006 pour le contrat Nemecel et avant le 31 janvier 2009 pour le contrat Dreamcar.

47      Aux fins de justifier la thèse relative à l’application, en l’espèce, du règlement n° 2988/95, la défenderesse soutient que le présent litige doit se résoudre dans le respect des règles procédurales de l’Union et que, par voie de conséquence, les règles de prescription prévues par le règlement n° 2988/95 doivent être considérées comme les règles de procédure applicables aux contrats Nemecel et Dreamcar. Cette analyse serait corroborée par le fait, d’une part, que l’acte de contrôle rédigé par les agents de l’OLAF lors du contrôle sur place de mai 2006 précisait que ledit contrôle était réalisé dans le cadre du règlement (Euratom, CE) n° 2185/96 du Conseil, du 11 novembre 1996, relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités (JO 1996, L 292, p. 2), et, d’autre part, que les deux lettres de pré-information du 12 février 2010 se référaient au règlement n° 2185/96 et au règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF (JO 1999, L 136, p. 1). Or, tant le règlement n° 2185/96 que le règlement n° 1073/1999 renverraient au règlement n° 2988/95 pour encadrer les compétences dévolues à la Commission pour la recherche des irrégularités financières pouvant avoir un impact sur les intérêts financiers de l’Union et, ainsi, au délai de prescription de quatre années prévu à l’article 3, paragraphe 1, de ce dernier règlement.

48      La Commission conteste la fin de non-recevoir soulevée par la défenderesse, en soutenant, en substance, que le règlement n° 2988/95 n’est pas applicable dans le cadre du présent contentieux contractuel. Selon la Commission, la prescription des demandes en remboursement des participations financières qu’elle a versées au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar doit être examinée à l’aune du droit français et du droit belge, régissant respectivement ces contrats.

49      L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2988/95 définit le champ d’application dudit règlement dans les termes suivants :

« 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. »

50      Les articles 4 et 5 du règlement n° 2988/95 fournissent des précisions quant au contenu des mesures et des sanctions administratives, respectivement. S’agissant des mesures administratives en particulier et ainsi qu’il ressort de l’article 4 susmentionné, celles-ci ont pour objet le retrait de l’avantage indûment obtenu sans toutefois revêtir le caractère d’une sanction.

51      C’est dans ce contexte que l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95, invoqué par la défenderesse à l’appui de son allégation relative à la prescription, dispose dans sa partie pertinente ce qui suit :

« 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin […] »

52      Ainsi que la Commission le note à juste titre, il ressort des dispositions du règlement n° 2988/95 susmentionnées que celui-ci et les règles de prescription qu’il prévoit s’appliquent aux seules poursuites des irrégularités ayant abouti à l’adoption des mesures et sanctions administratives faisant l’objet dudit règlement (voir, en ce sens, arrêts du 29 janvier 2009, Josef Vosding Schlacht-, Kühl- und Zerlegebetrieb e.a., C‑278/07 à C‑280/07, EU:C:2009:38, point 22 ; du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, point 23, et du 15 avril 2011, IPK International/Commission, T‑297/05, EU:T:2011:185, point 147). Or, l’objet du présent litige ne porte pas sur une telle mesure ou une telle sanction administrative qui aurait été adoptée par la Commission, cette dernière ayant simplement saisi le Tribunal, sur le fondement des clauses compromissoires contenues dans les contrats Nemecel et Dreamcar, afin qu’il statue, en tant que juge du contrat, sur le présent litige de nature contractuelle. Par conséquent, la règle de prescription prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 n’est pas pertinente en l’espèce.

53      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation de la défenderesse selon laquelle le règlement n° 2185/96, constituant la base juridique du contrôle sur place de l’OLAF en mai 2006, et le règlement n° 1073/1999, visé par les deux lettres de pré-information du 12 février 2010, se réfèrent au règlement n° 2988/95 (voir point 47 ci-dessus).

54      En effet, il convient de noter que ni le règlement n° 2185/96 ni le règlement n° 1073/1999 ne constituent des règlements d’application du règlement n° 2988/95 dont les objets seraient limités au champ d’application de ce dernier. Le règlement n° 2185/96 définit son objet, dans son article 1er, comme consistant à établir « les dispositions générales supplémentaires au sens de l’article 10 du règlement […] n° 2988/95, applicables aux contrôles et vérifications administratifs sur place effectués par la Commission ». Le règlement n° 1073/1999, ainsi qu’il ressort de son considérant 9, confie à l’OLAF l’exercice des compétences attribuées à la Commission par le règlement n° 2185/96.

55      Dans la mesure où ni le règlement n° 2185/96 ni le règlement n° 1073/1999 ne constituent des règlements d’application du règlement n° 2988/95, les contrôles de l’OLAF, qui trouvent leur fondement juridique dans les deux premiers règlements, peuvent avoir d’autres finalités que l’adoption des mesures et sanctions administratives prévues dans le règlement n° 2988/95.

56      Cette constatation est corroborée également par le contenu de l’article 2, paragraphe 1, de la décision de la Commission du 28 avril 1999 instituant l’OLAF (JO 1999, L 136, p. 20). En effet, aux termes de cette disposition qui définit les fonctions de l’OLAF, il est prévu ce qui suit :

« L’Office exerce les compétences de la Commission en matière d’enquêtes administratives externes en vue de renforcer la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, ainsi qu’aux fins de la lutte antifraude concernant tout autre fait ou activité d’opérateurs en violation de dispositions communautaires.

[…]

L’Office peut se voir confier des missions d’enquête d’autres domaines, par la Commission ou par les autres institutions, organes ou organismes. »

57      Il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de la décision instituant l’OLAF que celui-ci est doté d’une compétence large couvrant l’ensemble des hypothèses où les intérêts financiers de l’Union sont en jeu, y compris en cas de fraudes relatives à des participations financières de celui-ci. Cette compétence n’est pas limitée aux irrégularités pouvant conduire à l’adoption des mesures et sanctions administratives faisant l’objet du règlement n° 2988/95.

58      Des développements contenus aux points 53 à 57 ci-dessus, il convient de conclure que la référence faite par les règlements n° 2185/96 et n° 1073/1999, qui régissaient l’enquête menée par l’OLAF en l’espèce, au règlement n° 2988/95 ne signifie pas que des mesures ou sanctions administratives ont été adoptées en l’espèce et que ces mesures ou sanctions constituent l’objet du présent litige, qui est, pour rappel, de nature contractuelle. En d’autres termes, le Tribunal n’est pas appelé en l’espèce à statuer sur la légalité d’un quelconque acte administratif. Il s’ensuit que l’argumentation de la défenderesse présentée au point 47 ci-dessus ne démontre pas la pertinence, en l’espèce, de la règle de prescription contenue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95.

59      Sur le fondement des considérations qui précèdent, il convient de rejeter la présente fin de non-recevoir soulevée par la défenderesse.

 Sur la « forclusion »

60      La défenderesse soutient, à titre subsidiaire, en s’appuyant sur des clauses des contrats Nemecel et Dreamcar, que la possibilité pour la Commission d’engager la procédure de recouvrement des participations financières qu’elle avait versées au prédécesseur juridique en exécution de ces contrats était soumise à la condition qu’un audit financier eût été réalisé au préalable. Dans la mesure où, en l’espèce, aucun audit de ce type n’aurait été réalisé, la demande de recouvrement devait être rejetée pour cause de « forclusion ».

61      La Commission, sans contester le fait qu’aucun audit n’a été réalisé dans le cadre des contrats Nemecel et Dreamcar, fait valoir que lesdits contrats ne stipulent pas que la réalisation d’un audit soit une condition préalable au remboursement des participations financières qu’elle a versées au prédécesseur juridique en exécution de ces contrats.

62      L’argumentation de la défenderesse pose la question de savoir si les clauses des contrats Nemecel et Dreamcar exigent la réalisation d’un audit comme condition préalable du remboursement des participations financières versées par la Commission en exécution desdits contrats. Dans la mesure où cette question concerne l’interprétation des contrats Nemecel et Dreamcar et où la Commission se fonde, notamment, sur leur contenu pour obtenir le remboursement desdites participations financières, il convient de constater que cette question concerne, en réalité, le fond du litige et doit, partant, être abordée, le cas échéant, dans le cadre de l’examen de ce dernier.

 Sur la violation des droits de la défense

63      Avant de statuer sur la validité des contrats Nemecel et Dreamcar, il y a lieu d’examiner, à titre liminaire, une série d’arguments, présentés par la défenderesse, relatifs à la violation des droits de la défense qu’elle aurait prétendument subie.

64      En premier lieu, la défenderesse fait valoir que la non-communication, en temps utile, du rapport de l’OLAF et du rapport technique constitue une violation du principe du contradictoire et du droit d’être entendu dont le respect devrait être garanti dans le cadre de la procédure d’audit telle que prévue par les contrats Nemecel et Dreamcar. La défenderesse souligne à cet égard que le rapport de l’OLAF ne lui a été communiqué que quelque temps avant l’introduction du recours et qu’elle n’a pu prendre connaissance du contenu des procès-verbaux des auditions des employés du prédécesseur juridique qu’à l’occasion de l’examen de la requête introductive d’instance. Par ailleurs, le rapport technique ne lui aurait été communiqué qu’en juin 2012 avec les lettres de pré-information.

65      Cette transmission tardive des éléments à charge l’aurait empêché de présenter ses observations conformément à l’article 135, paragraphe 4, du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1). Par ailleurs, l’absence de transmission au prédécesseur juridique de ces éléments à charge au stade de l’enquête administrative serait constitutive d’une violation des droits de la défense, dans la mesure où ce dernier aurait pu, s’il avait disposé de ces éléments en temps utile, organiser sa défense et, ainsi, exercer une influence sur la décision finale de recouvrement prise par la Commission. Dans ce contexte, la défenderesse a ajouté que le caractère contradictoire d’une expertise, telle que le rapport technique, s’imposait lorsque le résultat de celle-ci pouvait avoir une influence sur l’appréciation du fondement de la demande et que la possibilité de contester devant le juge une expertise rendue en dehors de toute procédure contradictoire ne suffisait pas à assurer le respect des droits de la défense.

66      En deuxième lieu, la défenderesse soutient que les procès-verbaux des auditions des employés du prédécesseur juridique lui ont été transmis dans une version tronquée et « anonymisée », ce qui a affecté l’effectivité de sa défense devant le Tribunal. La suppression de l’information relative à la fonction des personnes auditionnées n’aurait pas permis à la défenderesse de connaître leur réelle implication dans les projets litigieux et ainsi d’apprécier la fiabilité de leurs dépositions.

67      En troisième lieu, la défenderesse fait valoir que la présente procédure devant le Tribunal intervient en violation du principe prévu à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et reconnu comme principe général du droit de l’Union, selon lequel toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. En l’espèce, le prédécesseur juridique n’existant plus, la défenderesse ne serait pas en possession de toute la documentation nécessaire pour compléter utilement sa défense au fond.

68      La Commission réfute l’argumentation de la défenderesse.

69      Ainsi que la Commission l’observe à juste titre, l’argumentation de la défenderesse présentée aux points 64 et 65 ci-dessus est fondée sur les deux prémisses suivantes : d’une part, sur l’assimilation entre l’enquête menée par l’OLAF et l’audit financier régi par l’article 24 de l’annexe II du contrat Nemecel et l’article 26 de l’annexe II du contrat Dreamcar ; d’autre part, sur le raisonnement selon lequel la Commission aurait adopté une décision administrative faisant grief à la défenderesse et selon lequel cette décision ferait l’objet du présent litige.

70      Or, ces prémisses sont erronées.

71      S’agissant de la première prémisse, il y a lieu de relever que l’enquête menée par l’OLAF ne peut pas être assimilée aux audits financiers prévus dans les contrats Nemecel et Dreamcar et que, par voie de conséquence, cette enquête n’est pas régie par les stipulations contractuelles encadrant lesdits audits. Plus précisément, cette enquête n’est pas régie par l’article 24 de l’annexe II du contrat Nemecel et par l’article 26 de l’annexe II du contrat Dreamcar, ce dernier prévoyant une procédure contradictoire pour le déroulement d’un audit. Il s’ensuit que la prétendue non-communication, en temps utile, du rapport de l’OLAF et du rapport technique ne constitue pas une violation des contrats susmentionnés, ainsi que l’insinue la défenderesse par le biais de son argumentation présentée au point 64 ci-dessus.

72      S’agissant de la seconde prémisse, il y a lieu de noter, à titre liminaire, que le juge de l’Union a affirmé que le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être assuré, même en l’absence d’une réglementation spécifique (arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 9, et du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission, T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386, point 399).

73      En l’espèce, il ressort certes du dossier et, en particulier, de l’invocation par la Commission de l’article 119, paragraphe 2, du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), que la Commission a, par le biais des lettres de pré-information du 12 février 2010, engagé une procédure administrative de recouvrement des créances à l’égard de la défenderesse. Néanmoins, force est de constater que cette procédure n’a abouti à aucune décision ou sanction administrative faisant grief à la défenderesse et qui serait l’objet du présent litige. La Commission a, en effet, choisi de saisir le Tribunal, sur le fondement de l’article 272 TFUE et en application des clauses compromissoires contenues dans les contrats Nemecel et Dreamcar, afin que celui-ci rende un jugement donnant force exécutoire à ses prétendues créances. L’objet du présent litige n’est pas, dès lors, la légalité d’une quelconque décision adoptée par la Commission et de la procédure administrative qui a mené à cette adoption, mais la résolution d’un litige contractuel né entre deux parties contractantes, laquelle doit être effectuée en tenant compte des droits nationaux applicables aux contrats Nemecel et Dreamcar.

74      Eu égard à cette définition de l’objet du litige, il convient de conclure que l’invocation par la défenderesse de la violation du principe du contradictoire et du droit d’être entendu, et, à titre plus général, de la violation des droits de la défense lors de la procédure administrative menée par la Commission (voir points 64 et 65 ci-dessus), est inopérante dans le cadre du présent litige contractuel (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 10 novembre 1993, Otto, C‑60/92, EU:C:1993:876, points 15 et 16, et du 17 juin 2010, CEVA/Commission, T‑428/07 et T‑455/07, EU:T:2010:240, points 90 à 94). Est également inopérante l’allégation d’une violation par la Commission de l’article 135, paragraphe 4, du règlement n° 966/2012 (voir point 65 ci-dessus).

75      En outre, l’argumentation de la défenderesse présentée aux points 66 et 67 ci-dessus vise, en substance, le respect du principe du contradictoire devant le Tribunal, qui fait également partie des droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2009, Réexamen M/EMEA, C‑197/09 RX‑II, EU:C:2009:804, point 40 et jurisprudence citée).

76      Le principe du contradictoire implique, en règle générale, le droit pour les parties à un procès d’être en mesure de prendre position sur les faits et les documents sur lesquels sera fondée une décision judiciaire ainsi que de discuter les preuves et les observations présentées devant le juge et les moyens de droit relevés d’office par le juge, sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 52 et 55). En effet, pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure (arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 56).

77      Les juridictions de l’Union veillent à faire respecter devant elles et à respecter elles-mêmes le principe du contradictoire (arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 51 et 54).

78      En l’espèce, afin de donner plein effet au principe du contradictoire devant lui, le Tribunal a invité la Commission, par le biais des mesures d’organisation de la procédure, à verser au dossier, d’une part, la version complète des procès-verbaux des auditions des employés du prédécesseur juridique comportant l’identification de leurs identités et fonctions ainsi que, d’autre part, une série de documents relatifs au présent litige dont le versement au dossier avait été sollicité par la défenderesse elle-même, à savoir les rapports d’activité des projets Nemecel et Dreamcar et les présentations effectuées lors des réunions de suivi de ce dernier projet, ainsi que l’ensemble des documents scannés lors du contrôle sur place de l’OLAF de mai 2006, qui avaient servi à l’élaboration du rapport technique. La Commission a satisfait aux demandes du Tribunal. Par ailleurs, ce dernier a donné la possibilité à la défenderesse de soumettre des observations écrites sur ces documents, ce qu’elle a fait.

79      Il s’ensuit que les griefs de la défenderesse présentés aux points 66 et 67 ci-dessus sont dénués de tout fondement et doivent être rejetés.

80      Sur le fondement des développements qui précèdent, il convient de rejeter l’ensemble des griefs de la défenderesse tirés de la violation des droits de la défense.

 Sur l’action de la Commission en ce qu’elle se fonde, à titre principal, sur l’invalidité des contrats Nemecel et Dreamcar

81      La Commission soutient que les contrats Nemecel et Dreamcar sont nuls, ab initio, en vertu de l’article 1116 des codes civils français et belge, relatif au dol, et des articles 1131 et 1133 desdits codes, relatifs à la cause illicite des contrats. L’annulation des contrats par le Tribunal entraînerait l’obligation pour la défenderesse de restituer les participations financières versées par la Commission au prédécesseur juridique en exécution desdits contrats.

82      La défenderesse n’a pas contesté le fait que les dispositions susmentionnées des codes civils français et belge étaient pertinentes aux fins de l’appréciation de la validité des contrats Nemecel et Dreamcar.

83      Il convient d’examiner d’abord la validité des contrats Nemecel et Dreamcar au regard de l’article 1116 des codes civils français et belge, relatif au dol.

 Sur l’invalidité des contrats Nemecel et Dreamcar en raison du dol du prédécesseur juridique

–       Sur la prescription de l’action en nullité pour dol du contrat Nemecel

84      Lors de l’audience, la défenderesse a fait valoir que l’action en nullité du contrat Nemecel, pour dol, introduite par la Commission, était irrecevable car prescrite. La Commission a contesté cette fin de non-recevoir.

85      L’article 1304 du code civil français, dont les parties s’accordent à considérer qu’il constitue la disposition pertinente relative à la prescription d’une action en nullité pour dol, prévoit dans sa partie pertinente ce qui suit :

« Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.

Ce temps ne court […] dans le cas d’erreur ou de dol [que] du jour où ils ont été découverts […] »

86      En l’espèce, la question litigieuse est celle relative au point de départ du délai de cinq ans prévu à l’article 1304 du code civil français. La défenderesse a fait valoir que le prétendu dol avait été découvert par la Commission au plus tard le 15 juillet 2007, date de la conclusion du rapport technique. Par conséquent, l’action en nullité pour dol du contrat Nemecel, introduite par la Commission dans le cadre de son recours devant le Tribunal le 18 juin 2013, serait irrecevable en application du délai de cinq ans susmentionné. La Commission a rétorqué que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à partir de la date d’établissement du rapport de l’OLAF, à savoir le 8 octobre 2008, ce qui signifierait que l’action en nullité pour dol du contrat Nemecel ne serait pas prescrite.

87      En l’espèce, il ressort effectivement du dossier que l’enquête OF/2006/0210 de l’OLAF a été ouverte le 10 avril 2006 et que les conclusions de cette enquête ont été consignées dans le rapport portant la date du 8 octobre 2008. Dans ce rapport, l’OLAF, en se fondant sur les informations fournies par les employés du prédécesseur juridique auditionnés ainsi que sur le rapport technique, complété le 15 mai 2007 selon l’information contenue à la page 7 du rapport de l’OLAF, a conclu à l’existence d’un cas probable d’escroquerie commise par le prédécesseur juridique au détriment de la Commission et a recommandé à cette dernière le recouvrement de la totalité des participations financières qu’elle avait versées à celui-ci en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar.

88      Dans la mesure où le rapport de l’OLAF susmentionné, conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1073/1999, contient les conclusions finales de son enquête ainsi que ses recommandations relatives aux suites à y donner, il y a lieu de conclure que c’est au jour de son établissement, à savoir le 8 octobre 2008, que le prétendu dol a été découvert par la Commission, au sens de l’article 1304 du code civil français. Partant, l’action en nullité pour dol du contrat Nemecel, introduite par la Commission dans le cadre de son recours devant le Tribunal du 18 juin 2013, n’est pas prescrite, cette prescription ayant été acquise le 8 octobre 2013.

89      La thèse de la défenderesse selon laquelle la découverte du dol par la Commission a eu lieu à la date de la conclusion du rapport technique ne saurait être retenue. En effet, ce rapport a été préparé par un fonctionnaire de la Commission, spécialisé dans le domaine des piles à combustible, qui n’est pas comptable. Ce rapport visait à présenter les résultats d’une analyse scientifique et technique des activités de recherche et de développement effectuées dans le cadre des projets Nemecel, Optimet et Dreamcar, afin d’évaluer la réalité des travaux effectués par le prédécesseur juridique dans le cadre desdits projets, et ne constituait pas un rapport d’audit financier. Par ailleurs, ainsi que son titre l’indique, à savoir « Rapport pour l’OLAF de l’enquête technique sur l’abus présumé de fonds communautaires par Thales engineering and consulting (THEC) en relation avec le projet du 5e PC Dreamcar […] », ce rapport concernait davantage le projet Dreamcar. Il s’ensuit que ce rapport ne constituait qu’un élément d’information à la disposition de l’OLAF, axé surtout sur les aspects techniques et scientifiques du déroulement des projets et sur lequel ce dernier a fondé ses conclusions, l’autre élément d’information correspondant aux auditions de certains employés du prédécesseur juridique. Il s’ensuit que la date de conclusion de ce rapport, plus d’un an avant l’établissement du rapport de l’OLAF, ne peut pas être considérée comme la date de la découverte du dol par la Commission, au sens de l’article 1304 du code civil français.

90      Sur le fondement des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que l’action en nullité pour dol du contrat Nemecel, introduite par la Commission, n’est pas prescrite.

–       Sur l’établissement du dol du prédécesseur juridique

91      Aux termes de l’article 1116 des codes civils français et belge, il est prévu ce qui suit :

« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé. »

92      En l’espèce, la Commission, en se fondant notamment sur les déclarations de certains employés du prédécesseur juridique, a invoqué l’existence de manœuvres dolosives de celui-ci consistant, en substance, à avoir surévalué les coûts des projets Nemecel et Dreamcar, dès le stade des propositions soumises, à savoir dans les offres financières, aux fins de contourner l’obligation d’autofinancer lesdits projets qui lui incombait en vertu du cadre juridique et contractuel applicable. Selon la Commission, ces manœuvres dolosives étaient de nature à vicier de manière déterminante son consentement, en ce sens que, si elle en avait été informée, elle n’aurait pas conclu les contrats Nemecel et Dreamcar. Un dol existerait dès lors au sens de l’article 1116 des codes civils français et belge.

93      La défenderesse conteste le fait que les conditions d’application de l’article 1116 des codes civils français et belge soient réunies en l’espèce. Elle soutient que la Commission ne prouve pas, d’une part, l’existence des manœuvres dolosives du prédécesseur juridique et, d’autre part, qu’il serait évident que, sans ces prétendues manœuvres, elle n’aurait pas conclu les contrats Nemecel et Dreamcar. Selon elle, si un dol devait être constaté en l’espèce, quod non, il s’agirait uniquement d’un dol incident qui devrait avoir pour conséquence non pas la nullité desdits contrats, mais uniquement la modification des conditions financières stipulées dans ceux-ci.

94      À l’appui de ses allégations, la Commission invoque les déclarations de certains employés du prédécesseur juridique faites dans le cadre des auditions effectuées par l’OLAF lors du contrôle sur place de mai 2006. Au total, onze employés ont été auditionnés par l’OLAF et les déclarations de trois parmi ceux-ci ont été invoquées par la Commission à l’appui de ses allégations.

95      Le premier des trois employés mentionnés au point 94 ci-dessus, M. D., le cadre qui a rédigé l’offre du consortium formé par le prédécesseur juridique aux fins de la conclusion du contrat Nemecel, a affirmé qu’une marge avait été prévue dans l’offre pour couvrir en partie l’autofinancement, mais qu’il ne connaissait pas l’importance de cette marge. Il a également affirmé qu’il n’avait pas de souvenir d’un principe de surévaluation des coûts au sein de la société et qu’il n’était pas d’accord avec la notion de « facturation fictive ».

96      Le deuxième des trois employés mentionnés au point 94 ci-dessus, M. E., responsable technique des projets Nemecel et Dreamcar, tout en précisant qu’il ne savait pas s’il y avait des manœuvres de surévaluation des offres dans la phase de proposition, a affirmé que la facturation des heures prestées ne reflétait pas toute la réalité et que le prédécesseur juridique facturait à la Commission, dans le cadre des contrats Nemecel et Dreamcar, plus de prestations que celles réellement effectuées. Ses déclarations indiquent ce qui suit :

« À ma connaissance, [le prédécesseur juridique] facturait des prestations excessives pour des personnes qui travaillaient dans le projet. On imputait sur ces projets des heures de personnes qui à ce moment faisaient autre chose. Cette pratique a existé sur plusieurs projets : Dreamcar, Nemecel, Optimet […] 

Cette pratique avait pour objectif de réduire la part financée par [le prédécesseur juridique] dans ces projets.

En pratique : un technicien prestait par exemple 35 heures. Nous réduisions les prestations dans un autre projet, pour les imputer à Dreamcar ou un des deux autres projets subventionnés. La Commission recevait alors une facture de par exemple 50 heures. Les 15 heures étaient “déplacéesˮ au bénéfice d’autres projets d[u prédécesseur juridique]. C’est moi qui effectuais les transferts de prestations entre des projets qui étaient sous ma responsabilité jusqu’en octobre 2001, moment de mon départ vers le Département Technique. »

97      M. E. a également indiqué que c’était M. D., son chef de service, qui lui avait demandé d’initier cette pratique qui n’existait pas avant que le prédécesseur juridique ne soit associé aux programmes de la Commission. C’était donc au début de Nemecel que ce système avait commencé, selon lui. Le successeur de M. D., M. L., avait continué ces pratiques.

98      Le troisième des trois employés mentionnés au point 94 ci-dessus, M. L., chef de service chez le prédécesseur juridique et successeur de M. D., a également affirmé que le prédécesseur juridique avait facturé plus d’heures à la Commission que celles réellement prestées et que ce système de surfacturation existait avant son arrivée chez le prédécesseur juridique en 1999. Ses déclarations font état de ce qui suit :

« [Le prédécesseur juridique] présentait des offres surestimées dans les chiffres, pour ne pas perdre d’argent. Quand le contrat était signé, il fallait le rentabiliser, donc jouer avec les chiffres des prestations. Je pense que [le prédécesseur juridique] n’aurait pas dû faire d’offre, il n’en avait pas les moyens. La structure et l’organisation d[u prédécesseur juridique] n’étaient pas adaptées pour la Recherche et Développement. C’est ce qui à mon [sens] a justifié la mise en place de ce système.

Si [le prédécesseur juridique] s’est intéressé à la pile à combustible, c’est pour rentabiliser ses installations et conserver des emplois, dans le secteur de l’électrolyse. Cet engagement n’avait pas de valeur stratégique pour le groupe, [répondait seulement] à un souci circonstanciel de rentabilité. À l’expiration du projet Dreamcar, [le prédécesseur juridique] n’a plus répondu aux appels d’offres en matière de pile à combustible. Aucun PDG d[u prédécesseur juridique] n’a mis fin à ces pratiques, on a simplement laissé aller les contrats à leur terme. »

99      À la question des enquêteurs sur le fonctionnement du système en pratique, M. L. a répondu comme suit :

« Pour les projets R et D, dans la phase de proposition, [le prédécesseur juridique] estimait ses vraies dépenses, qui n’étaient pas couvertes en totalité par les subventions accordées. Donc, si nous touchions 50 pour couvrir 100 (budget total du projet), nous poussions les factures pour arriver à 100, sans faire de bénéfice substantiel.

Le contrat prévoyait que la Commission finance à 50 %, les autres 50 % étant amenés par [le prédécesseur juridique]. [Le prédécesseur juridique] n’investissait pas ces 50 %, mais les coûts réels d[u prédécesseur juridique] pour le projet n’étaient que de 50 %. L’autofinancement d[u prédécesseur juridique] dans les projets R & D était donc nul.

Il est donc clair que des personnes étaient facturées dans des projets, dans lesquels elles n’intervenaient pas, pour compenser des pertes dans certains de ces projets. »

100    La Commission a soumis également, en tant que preuves, les déclarations de M. J., président-directeur général du prédécesseur juridique entre les mois de mai 2001 et de novembre 2003, faites le 9 février 2006, lors d’une audition par des enquêteurs de l’OLAF dans le cadre d’une autre affaire que celle relative aux projets Nemecel et Dreamcar. M. J. a déclaré que, dans le domaine de la recherche, le coût des projets était systématiquement surévalué. Ses déclarations se lisent comme suit :

« La direction financière du Groupe et par voie de conséquence d[u prédécesseur juridique], donc pas les opérationnels, modifiait toutes les feuilles de temps (time sheets) et imputait dans les projets des coûts (ex des coûts informatiques, et/ou des personnes n’ayant pas travaillé dans le projet) qui provenaient d’autres opérations. Elle modifiait les fiches de gens qui n’avaient jamais travaillé sur les projets comme par exemple dans le projet de recherche des piles à combustibles financé par la CE. Il faut interroger les experts individuellement et leur demander comment ils sont arrivés à leurs résultats. Une telle fraude ne peut être détectée par une analyse sur le seul plan comptable, mais nécessite de vérifier les activités effectives du personnel affecté à ce contrat. »

101    Dans ses observations sur les procès-verbaux des auditions, la défenderesse s’est limitée à affirmer que la majorité desdits procès-verbaux ne permettait pas de confirmer les éléments de fraude. Elle a par ailleurs soutenu que les déclarations des personnes auditionnées alléguant l’existence des pratiques frauduleuses devaient être lues avec circonspection dans la mesure où ces personnes s’étaient avérées, au fil des procédures judiciaires menées en France, peu fiables ou versatiles. La défenderesse s’est particulièrement référée au cas de M. J.

102    Or, ces arguments ne remettent pas en cause la substance des déclarations susmentionnées des trois employés du prédécesseur juridique ainsi que les déclarations de M. J. En effet, s’il est vrai que les huit autres employés du prédécesseur juridique auditionnés lors du contrôle sur place de l’OLAF de mai 2006 n’ont pas confirmé l’existence des pratiques frauduleuses, leurs déclarations ne remettent pas en cause la véracité des déclarations des trois employés et de M. J., qui ont confirmé cette existence. Les huit autres employés auditionnés se sont, en substance, limités à déclarer qu’ils n’avaient pas connaissance de ces pratiques - ce qui peut se justifier par le fait que leurs fonctions n’avaient pas de rapport avec la préparation des offres et la facturation et par le fait qu’ils n’avaient pas une telle place dans la hiérarchie leur permettant d’être au courant de telles pratiques - ou qu’ils ne s’en souvenaient pas. Quant à l’allégation relative à la prétendue non-fiabilité de M. J., à supposer qu’elle soit fondée, elle ne remet pas en cause non plus la véracité des autres déclarations à charge du prédécesseur juridique.

103    Les déclarations mentionnées aux points 95 à 100 ci-dessus laissent apparaître que le prédécesseur juridique a, de manière intentionnelle, surévalué les coûts estimés des projets dans les offres financières qu’il a soumises aux fins de la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar et qu’il a, ensuite, surfacturé les coûts effectivement encourus lors de l’exécution desdits contrats. Ces constatations sont, d’ailleurs, corroborées par les deux éléments ci-après.

104    En premier lieu, la Commission a soumis des éléments de preuve additionnels démontrant les pratiques du prédécesseur juridique consistant à surévaluer les coûts estimés dans ses offres financières et à surfacturer, ensuite, les coûts effectivement encourus lors de l’exécution des contrats Nemecel et Dreamcar et, à titre plus général, à lui présenter une comptabilité ne reflétant pas la réalité des coûts de main-d’œuvre effectivement encourus lors de cette exécution. Ces éléments de preuve additionnels consistent, notamment, en une série de documents qui ont été scannés lors du contrôle sur place de l’OLAF de mai 2006 et qui sont présentés dans le rapport technique.

105    À cet égard et à titre indicatif, il y a lieu de se référer aux trois tableaux scannés portant la référence « 90002IYJ.XML », présentés à la page 60 de la version française du rapport technique et qui paraissent fournir une vision synthétique de la comptabilité du prédécesseur juridique relative à la main-d’œuvre employée dans le cadre des projets Nemecel, Optimet et Dreamcar notamment, pour les années 2000 et 2001. À titre d’exemple, le tableau pour l’année 2001 se présente comme suit :

 

MO dépensée

MO déclarée gestion

MO déclarable

Autres dépenses

Nemecel

71,6

160,0

213,8

51,9

Optimet

65,5

176,4

232,2

51,6

     

Dreamcar

60,8

303,1

389,4

35,6

Pactol

0,0

0,0

0,0

0,0

Total

198,0

639,5

835,4

139,2

kEuros

106    Les données des tableaux mentionnés au point 105 ci-dessus, émanant de la comptabilité du prédécesseur juridique, créent une suspicion quant au fait de savoir si les coûts de main-d’œuvre déclarés à la Commission étaient supérieurs aux coûts de main-d’œuvre réels (désignés sous l’expression « MO dépensée ») et si, à titre plus général, la comptabilité présentée à la Commission ne reflétait pas la réalité des coûts de main-d’œuvre engagés, mais constituait une comptabilité fictive qui enregistrait des coûts surévalués.

107    De manière plus explicite, le tableau scanné portant la référence « 900021EJ.XML », présenté à la page 61 de la version française du rapport technique et concernant la gestion du projet Nemecel, contient les expressions manuscrites « MO Fict » et « Dép. réelle », suggérant, lui aussi, l’existence des dépenses déclarées, mais, en réalité, non engagées et, à titre plus général, l’existence d’une comptabilité fictive.

108    La défenderesse n’a pas expliqué les termes « MO dépensée », « MO déclarée gestion » et « MO déclarable » dans le cadre de sa réponse à une question écrite posée à cet égard par le Tribunal et, dans le cadre de cette même réponse, n’a pas fourni d’explication convaincante concernant le contenu des expressions manuscrites « MO Fict » et « Dép. réelle ».

109    S’agissant du contrat Dreamcar, il y a lieu de se référer également au tableau intitulé « Prix d’offre », annexé par la défenderesse à la duplique. Selon cette dernière, il s’agissait d’un devis préliminaire, établi en francs français (FRF) dans le cadre d’un examen de l’offre pour le contrat Dreamcar, conformément au référentiel de qualité du prédécesseur juridique. Or, ainsi que la Commission l’a observé dans le cadre de sa réponse écrite à une question posée par le Tribunal, le nom du fichier contenant ce devis, à savoir « DREMECAR-devisreel2.XLS », laissait supposer qu’un devis « fictif » avait été établi en vue de préparer l’offre financière qui devait être soumise à la Commission aux fins de la conclusion du contrat Dreamcar. Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a également observé dans le cadre de sa réponse écrite, le coût prévisionnel de la main-d’œuvre qui était reporté dans le devis préliminaire s’élevait, marge incluse, à un montant de 2 685 024 FRF (environ 409 302 euros). Or, le coût éligible estimé de la main-d’œuvre dans le cadre de l’offre financière soumise aux fins de la conclusion du contrat Dreamcar s’élevait, selon les déclarations de la Commission, non contestées par la défenderesse, à un montant de 1 302 630 euros, à savoir le triple du coût prévisionnel de la main-d’œuvre reporté dans le devis préliminaire. Le coût éligible estimé de la main-d’œuvre qui a finalement été retenu lors de la conclusion du contrat Dreamcar et reporté dans le tableau de ventilation indicative des coûts éligibles estimés figurant à la suite des signatures des parties à ce contrat était de 1 042 254 euros, à savoir un montant près de deux fois et demie plus élevé que celui mentionné dans le devis préliminaire. Ces éléments constituent un indice supplémentaire de ce que des coûts de main-d’œuvre fictifs ont été ajoutés dans l’offre financière soumise à la Commission aux fins de la conclusion du contrat Dreamcar.

110    Force est, en outre, de constater que la défenderesse n’a soumis aucun élément probant démontrant la réalité des coûts de main-d’œuvre déclarés à la Commission afin d’écarter les accusations relatives à la surévaluation des coûts estimés mentionnés dans le cadre de l’offre du prédécesseur juridique et à la surfacturation de ses prestations dans le cadre de l’exécution des contrats Nemecel et Dreamcar. Elle n’a pas non plus démontré que le prédécesseur juridique disposait d’un système comptable capable d’imputer précisément les coûts de main-d’œuvre facturés à la Commission à chacun des employés impliqués dans chaque projet. Au contraire, sa description de la pratique comptable du prédécesseur juridique consistant en l’ouverture de deux numéros d’imputation distincts pour les projets bénéficiant d’un financement externe, à savoir un numéro « affaire » et un numéro « étude », corrobore plutôt l’allégation selon laquelle des prestations étaient déclarées à la Commission indépendamment de leur caractère réel.

111    En second lieu, il convient d’observer que les montants des coûts finalement déclarés par le prédécesseur juridique à la Commission dans le cadre des projets Nemecel et Dreamcar, à savoir, respectivement, 1 401 164,57 euros et 1 630 672,01 euros (ainsi qu’il ressort des lettres de pré-information du 19 juin 2012), ont été très proches des montants des coûts estimés lors de la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar, à savoir, respectivement, 1 380 000 écus et 1 627 255 euros. Cela confirme que les montants facturés à la Commission ont pu être le reflet d’une comptabilité fictive.

112    Les éléments développés aux points 95 à 111 ci-dessus démontrent l’existence d’un système de fraude mis en place par le prédécesseur juridique, visant à contourner la règle résultant de l’article 3.2, premier alinéa, du contrat Nemecel et de l’article 3.2 du contrat Dreamcar, lus avec les tableaux de ventilation des coûts éligibles estimés, figurant à la suite des signatures des parties auxdits contrats, selon laquelle la participation financière du prédécesseur juridique aux projets Nemecel et Dreamcar devait correspondre à 50 % des coûts éligibles déclarés. Ce système de fraude visait, en fin de compte, à minimiser, au maximum, la participation financière du prédécesseur juridique aux projets Nemecel et Dreamcar et à amener la Commission à participer financièrement auxdits projets au-delà du pourcentage de 50 % des coûts éligibles qui était stipulé dans les contrats Nemecel et Dreamcar et qui était prévu par la réglementation applicable aux contrats de recherche et de développement technologique relevant des quatrième et cinquième programmes-cadres. En effet, il découle de l’article 1er, sous a), premier tiret, premier sous-tiret, de l’annexe IV de la décision n° 1110/94, relative au quatrième programme-cadre, dont relève le projet Nemecel, et de l’article 3 de l’annexe IV de la décision n° 182/1999, relative au cinquième programme-cadre, dont relève le projet Dreamcar, que le taux de participation financière de la Commission pour ce type de projets ne pouvait excéder 50 % des coûts totaux éligibles.

113    Le système de fraude mis en place par le prédécesseur juridique avait deux composantes.

114    La première composante reposait sur la surévaluation intentionnelle, par le prédécesseur juridique, des offres financières soumises à la Commission aux fins de la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar.

115    S’agissant du contrat Nemecel, cette surévaluation a eu un impact, notamment, sur la détermination du plafond de la participation financière de la Commission au projet Nemecel, stipulé à l’article 3.2, premier alinéa, du contrat Nemecel, à savoir au montant de 2 853 500 écus. En effet, ainsi qu’il ressort du tableau de ventilation estimée des coûts éligibles, figurant à la suite des signatures des parties au contrat Nemecel, ce montant a été calculé sur la base des estimations des coûts éligibles engagés par chacun des cocontractants de la Commission. Ce montant s’est ainsi trouvé être forcément supérieur à celui qu’il aurait dû être si l’offre financière du prédécesseur juridique n’avait pas été surévaluée. Le prédécesseur juridique avait un intérêt évident à ce que le montant dudit plafond soit le plus élevé possible, dans la mesure où il correspondait au montant maximal de la participation financière que la Commission serait autorisée à verser dans le cadre du projet Nemecel.

116    Pour les mêmes raisons, dans le cadre du contrat Dreamcar, cette surévaluation a eu un impact, notamment, sur la détermination du plafond de la participation financière de la Commission au projet Dreamcar, stipulé à l’article 3.2 du contrat Dreamcar, lequel a été fixé à un montant artificiellement élevé de 2 899 946 euros.

117    Dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de l’article 3.1 et de l’article 3.2 du contrat Nemecel ainsi que de l’article 3.1, de l’article 3.2 et de l’article 6, sous d), du contrat Dreamcar, la Commission n’avait pas pris l’engagement, en exécution desdits contrats, de payer une somme d’argent déterminée au prédécesseur juridique, mais s’était seulement engagée envers lui à contribuer, en substance, à hauteur de 50 %, aux coûts éligibles de ses travaux tels qu’ils seraient enregistrés dans les relevés des coûts soumis durant l’exécution de ces contrats et approuvés par elle, la surévaluation intentionnelle par le prédécesseur juridique de ses offres financières ne lui aurait procuré aucun bénéfice si elle n’avait pas été accompagnée d’une surfacturation intentionnelle des coûts éligibles encourus lors de l’exécution des contrats Nemecel et Dreamcar. Cette surfacturation constituait la seconde composante du système de fraude mis en place par le prédécesseur juridique. Ainsi qu’il peut être déduit de la correspondance entre les coûts finalement déclarés par le prédécesseur juridique lors de l’exécution des contrats Nemecel et Dreamcar et les coûts estimés lors de la conclusion desdits contrats (voir point 111 ci-dessus), la surfacturation susmentionnée a permis au prédécesseur juridique de « gonfler » artificiellement les coûts déclarés à la Commission lors de cette exécution, de manière à atteindre les montants des coûts éligibles estimés lors de la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar, montants qui étaient intentionnellement surévalués.

118    Il ressort du système de fraude ainsi mis en place par le prédécesseur juridique que, dès le stade de la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar, celui-ci n’avait aucune intention de cofinancer à hauteur de 50 % les coûts éligibles des projets Nemecel et Dreamcar, comme cela était voulu par la Commission, conformément au cadre juridique applicable à ce type de participation financière. Or, il ne ressort pas du dossier que la Commission aurait été informée de cette circonstance au moment où elle a accepté de conclure lesdits contrats.

119    Il convient de vérifier si le système de fraude mis en place par le prédécesseur juridique et la réticence dolosive manifestée par ce dernier aux fins que cette fraude puisse produire ses effets ont déterminé le consentement de la Commission à conclure les contrats Nemecel et Dreamcar, justifiant ainsi leur annulation en application de l’article 1116 des codes civils français et belge.

120    À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 1er, sous a), premier tiret, premier sous-tiret, de l’annexe IV de la décision° 1110/94, relative au quatrième programme-cadre, dont relève le projet Nemecel, et de l’article 3 de l’annexe IV de la décision n° 182/1999, relative au cinquième programme-cadre, dont relève le projet Dreamcar, le taux de participation financière de la Commission à des projets de recherche et de développement technologique tels que les projets Nemecel et Dreamcar ne devait pas dépasser 50 % des coûts de ces projets. Ce taux maximal de participation a, d’ailleurs, été stipulé à l’article 3.2, premier alinéa, du contrat Nemecel et à l’article 3.2 du contrat Dreamcar, lus avec le tableau de ventilation indicative des coûts éligibles estimés, figurant à la suite des signatures des parties auxdits contrats.

121    Il s’ensuit qu’une participation financière de la Commission aux coûts des projets Nemecel et Dreamcar, supérieure au taux de 50 % susmentionné, était illégale et, partant, ne pouvait être acceptée par la Commission. Par conséquent, la réticence dolosive manifestée par le prédécesseur juridique quant à son intention de ne pas cofinancer, à hauteur de 50 %, les projets Nemecel et Dreamcar et, partant, d’amener la Commission, en violation du cadre juridique applicable, à financer à plus de 50 % lesdits projets a été déterminante afin d’obtenir le consentement de celle-ci à conclure les contrats Nemecel et Dreamcar.

122    Par ailleurs, il importe de noter que le consentement de la Commission à conclure les contrats Nemecel et Dreamcar a été déterminé par la considération selon laquelle le prédécesseur juridique avait estimé de bonne foi les coûts éligibles qu’il allait engager en exécution desdits contrats. Or, cette estimation de bonne foi des coûts éligibles était un élément essentiel des contrats Nemecel et Dreamcar, puisqu’elle avait participé à la définition des obligations financières de la Commission en vertu desdits contrats.

123    Ainsi, s’agissant du contrat Nemecel, ainsi que cela a déjà été relevé, cette estimation avait un impact sur la détermination du plafond de la participation financière de la Commission au projet Nemecel, stipulé à l’article 3.2, premier alinéa, du contrat Nemecel. Elle avait aussi, en toute logique, un impact sur la détermination du montant de l’avance versée par la Commission au prédécesseur juridique et à ses autres cocontractants, lequel était stipulé à l’article 4, premier tiret, du contrat Nemecel et s’élevait à un montant de 713 375 écus.

124    Dans le même sens, s’agissant du contrat Dreamcar, l’estimation par le prédécesseur juridique de ses coûts éligibles avait un impact sur la détermination du plafond de la participation financière de la Commission au projet Dreamcar, stipulé à l’article 3.2 du contrat Dreamcar. Elle avait aussi, en toute logique, un impact sur la détermination du montant de l’avance versée par la Commission au prédécesseur juridique et à ses autres cocontractants, lequel était stipulé à l’article 3, paragraphe 3, deuxième alinéa, du contrat Dreamcar et s’élevait à un montant de 1 159 978 euros.

125    En outre, l’estimation des coûts éligibles par le prédécesseur juridique avait un impact plus global sur les ressources budgétaires que la Commission pouvait affecter aux quatrième et cinquième programmes-cadres, à savoir, respectivement, un montant de 11 046 millions d’écus, selon l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, de la décision n° 1110/94, et un montant de 13 700 millions d’écus, selon l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision n° 182/1999, et, partant, sur la gestion la plus efficace possible desdites ressources, conformément à l’intérêt public de l’Union. Il s’ensuit, comme la Commission l’a souligné à bon droit dans ses écritures, que toute fraude impliquant l’allocation des ressources excessives à certains projets de recherche, tels que les projets Nemecel et Dreamcar, était préjudiciable à la promotion, dans leur ensemble, des actions de l’Union dans le domaine de la recherche.

126    Eu égard aux considérations présentées aux points 120 à 125 ci-dessus, il y a lieu de conclure que les manœuvres dolosives du prédécesseur juridique ont déterminé le consentement de la Commission à conclure les contrats Nemecel et Dreamcar, justifiant ainsi leur annulation pour dol en application de l’article 1116 des codes civils français et belge.

127    Certes, lors de l’audience, la Commission a indiqué, en réponse à une question posée par le Tribunal, que les conditions proposées dans les offres financières jouaient un rôle secondaire dans le cadre de la sélection des projets pouvant bénéficier d’un financement au titre du quatrième programme-cadre, les qualités scientifiques et techniques desdits projets constituant le critère principal de sélection. Selon la Commission, si les conditions financières proposées lui paraissaient être trop onéreuses, elle entrait dans des négociations avec ses cocontractants prospectifs afin de les améliorer. En s’appuyant sur ces indications, la défenderesse a réfuté, lors de l’audience, le fait que les offres financières prétendument surévaluées du prédécesseur juridique aient pu constituer le critère déterminant du consentement de la Commission. Or, ainsi qu’il ressort des développements qui précèdent, force est de constater que les manœuvres dolosives retenues par le Tribunal ne consistaient pas en une simple estimation erronée, faite de bonne foi par le prédécesseur juridique, des coûts éligibles qu’il allait engager en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar. Les manœuvres dolosives retenues par le Tribunal consistaient en la réticence du prédécesseur juridique à cofinancer à hauteur de 50 % les coûts éligibles engagés en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar et en la mise en place, dès le stade de la conclusion desdits contrats, d’un système de fraude ayant pour objectif de contourner cette règle de cofinancement.

128    Dès lors, il y a lieu d’annuler ab initio les contrats Nemecel et Dreamcar en raison du dol commis par le prédécesseur juridique au moment de la conclusion de ces contrats.

129    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les allégations de la défenderesse relatives à la transmission prétendument tardive, par la Commission, du rapport de l’OLAF et du rapport technique et au fait que ledit rapport technique n’a pas été établi de manière contradictoire. Pour rappel, il a déjà été relevé, au point 74 ci-dessus, que l’argumentation de la défenderesse relative à la prétendue violation des droits de la défense lors de la procédure administrative menée par la Commission est inopérante dans le cadre du présent litige, qui est de nature purement contractuelle et non administrative.

130    Il est également opportun de rappeler que, en l’espèce, le Tribunal est appelé à statuer sur une action en nullité de la Commission visant les contrats Nemecel et Dreamcar et que, dans ce contexte, il doit apprécier l’existence du fait juridique qu’est le dol en vertu des droits français et belge. La preuve de l’existence d’un dol, tant en droit français qu’en droit belge, est libre et peut être apportée par tous moyens, en particulier par des témoignages et des présomptions. Ainsi, c’est en tant qu’éléments de preuve de son allégation relative au dol du prédécesseur juridique que la Commission a soumis au Tribunal le rapport de l’OLAF et le rapport technique. Par ailleurs, il n’est pas contestable que le principe du contradictoire a été respecté devant le Tribunal, la défenderesse ayant eu l’opportunité de soumettre des observations, dès le stade du mémoire en défense, tant sur le rapport de l’OLAF que sur le rapport technique, exerçant ainsi, de manière effective, ses droits de la défense dans le cadre de la procédure juridictionnelle (voir aussi les points 75 à 79 ci-dessus). Dans la mesure où le Tribunal est appelé, en l’espèce, à apprécier l’existence d’un dol et où l’objet du présent litige ne porte pas sur la légalité d’un acte administratif et de la procédure qui a mené à son adoption, les arguments de la défenderesse relatifs à la prétendue transmission tardive par la Commission du rapport de l’OLAF et du rapport technique lors de la procédure administrative doivent être rejetés comme inopérants.

131    Il en va de même de l’argument de la défenderesse selon lequel le rapport technique n’aurait pas été établi de manière contradictoire. En effet, outre qu’il suffit, dans le cadre du présent litige, de nature purement contractuelle, que les éléments de preuve produits par la Commission aient été débattus de manière contradictoire devant le Tribunal, il importe de souligner que, en tout état de cause, celui-ci ne se fonde pas sur l’opinion de l’auteur du rapport et que ledit rapport n’est pas qualifié d’« expertise » et traité par le Tribunal en tant que tel au sens de l’article 91 du règlement de procédure, le Tribunal ayant fondé son appréciation sur certains documents contenus dans ledit rapport qui avaient été scannés lors du contrôle sur place de l’OLAF de mai 2006.

132    La défenderesse a également contesté la régularité formelle du contrôle sur place de l’OLAF de mai 2006. À cet égard, elle a soutenu que les mandats des agents de l’OLAF qui avaient effectué ce contrôle n’avaient pas été délivrés par l’autorité compétente. La défenderesse a fait valoir en outre que les agents de l’OLAF n’avaient pas respecté les directives internes de l’OLAF relatives à la procédure qui devait être suivie en cas d’élargissement de la portée de l’enquête.

133    S’agissant du premier grief exposé au point 132 ci-dessus, portant sur l’autorité compétente, au sein de l’OLAF, pour délivrer les mandats, il convient effectivement de noter que, tandis que l’article 6, paragraphe 3, du règlement n° 1073/1999 prévoit que les mandats des agents de l’OLAF qui effectuent une enquête sont délivrés par son directeur, il s’avère que, en l’espèce, ces mandats ont été délivrés par le directeur de la direction B « Enquêtes et Opérations » de l’OLAF. Néanmoins, sans qu’il y ait besoin de rechercher s’il y a eu en l’espèce une délégation valable du pouvoir de délivrer les mandats, octroyée par le directeur de l’OLAF, au sens de l’article 6, paragraphe 3, du règlement n° 1073/1999, au directeur de sa direction B, il convient de rappeler que, tant en droit français qu’en droit belge, la preuve du dol peut être apportée par tout moyen. Il s’ensuit que, en l’espèce, dans le cas où l’enquête de l’OLAF serait entachée d’une irrégularité formelle, celle-ci n’affecterait pas la recevabilité des auditions des employés du prédécesseur juridique. Le présent grief est dès lors inopérant.

134    S’agissant du second grief présenté au point 132 ci-dessus, portant sur les règles à suivre en cas d’élargissement de la portée des enquêtes de l’OLAF, il convient de le rejeter également comme inopérant pour les mêmes raisons que celles exposées au point 133 ci-dessus. En outre, le présent grief doit également être rejeté comme manquant en fait dans la mesure où les enquêteurs de l’OLAF n’ont procédé, en l’espèce, à aucun élargissement de la portée de l’enquête. Il ressort de la comparaison de l’objet du mandat spécial fourni aux enquêteurs par le directeur de la direction B de l’OLAF avec l’objet des lettres du 10 mai 2006, adressées par l’OLAF au prédécesseur juridique et l’informant de la tenue des contrôles sur place, que l’OLAF n’a jamais élargi l’objet de l’enquête portant la référence « OF/2006/0210 » et intitulée « France Metro, contrats de recherche ».

 Sur la remise des parties dans l’état antérieur à la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar à la suite de l’annulation de ces derniers

135    La Commission a fait valoir que, à la suite de l’annulation ab initio des contrats Nemecel et Dreamcar, la défenderesse devrait lui rembourser la totalité des participations financières qu’elle avait versées au prédécesseur juridique en exécution desdits contrats, majorées d’intérêts commençant à courir à partir de la date du versement de celles-ci.

136    Effectivement, il convient de préciser que la nullité des contrats Nemecel et Dreamcar, constatée au point 128 ci-dessus, a un effet rétroactif en ce sens que ces contrats sont censés n’avoir jamais existé. La nullité desdits contrats implique que les parties soient remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant leur conclusion et restituent ce qu’elles ont reçu en exécution de ces contrats.

137    Il s’ensuit que la défenderesse doit, conformément aux conclusions de la Commission, rembourser à celle-ci l’intégralité des participations financières qu’elle a versées au prédécesseur juridique en exécution des contrats Nemecel et Dreamcar, à savoir des montants de, respectivement, 700 335,66 euros et 812 821,43 euros.

138    S’agissant de l’application des intérêts aux montants mentionnés au point 137 ci-dessus, l’article 1378 des codes civils français et belge prévoit ce qui suit :

« S’il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, il est tenu de restituer, tant le capital que les intérêts ou les fruits, du jour du paiement. »

139    En l’espèce, le prédécesseur juridique doit être considéré comme un accipiens de mauvaise foi dans la mesure où, en tant qu’auteur du dol, il était au courant du vice affectant les contrats Nemecel et Dreamcar. Il s’ensuit que la Commission est fondée à réclamer, en l’espèce, l’application d’intérêts légaux commençant à courir à la date du versement au prédécesseur juridique des montants mentionnés au point 137 ci-dessus.

140    S’agissant du montant de 700 335,66 euros, versé en exécution du contrat Nemecel, le dossier démontre qu’il a été versé en cinq tranches correspondant aux sommes, respectivement, de 162 195,79 euros, de 179 201 euros, de 167 612,49 euros, de 136 892,29 euros et de 54 434,09 euros. Les intérêts légaux prévus par la législation française doivent s’appliquer à ces sommes à partir de la date respective de leur versement au prédécesseur juridique, et ce jusqu’à complet paiement de la dette.

141    S’agissant du montant de 812 821,43 euros, versé en exécution du contrat Dreamcar, le dossier démontre qu’il a été versé en quatre tranches correspondant aux sommes respectives de 232 389,04 euros, de 218 734,67 euros, de 237 504,86 euros et de 124 192,86 euros. Les intérêts légaux prévus par la législation belge doivent s’appliquer à ces sommes à partir de la date respective de leur versement, et ce jusqu’à complet paiement de la dette.

142    S’agissant de la remise de la défenderesse dans l’état où le prédécesseur juridique se trouvait avant la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar, dans sa réponse écrite à une question posée par le Tribunal à cet égard, la défenderesse a soutenu que, en cas d’annulation desdits contrats, elle serait en droit de réclamer à la Commission la restitution par équivalent de la valeur économique du travail fourni et des résultats des recherches menées par le prédécesseur juridique en exécution de ces contrats. Il est alors probable, selon la défenderesse, que les conséquences de la remise en état soient nulles, dans la mesure où la Commission pourrait devoir lui restituer un montant identique ou supérieur à celui qu’elle serait elle-même tenue de lui rembourser.

143    Néanmoins, les éléments du dossier ne permettent pas de constater que la Commission, qui agissait pour le compte de la Communauté dans le cadre des contrats Nemecel et Dreamcar, aurait reçu de la part du prédécesseur juridique quelque contrepartie que ce soit en échange des participations financières versées en exécution desdits contrats. En revanche, il ressort du contenu de ceux-ci que ces participations financières ont été versées par la Commission à titre de libéralité et, partant, sans l’attente d’aucune contrepartie. Ainsi, en vertu de l’article 9.1 de l’annexe II du contrat Nemecel et de l’article 8.1 de l’annexe II du contrat Dreamcar, la propriété des connaissances résultant des travaux effectués en exécution de ces contrats appartenait aux cocontractants de la Commission qui avaient effectué ces travaux. Il convient dès lors de conclure qu’aucune restitution de la Commission à la défenderesse à la suite de l’annulation des contrats Nemecel et Dreamcar ne saurait avoir lieu.

 Sur les dépens

144    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

145    Par ailleurs, aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance.

146    En l’espèce, la Commission a obtenu gain de cause et ce résultat devrait, en principe, conduire le Tribunal à condamner la défenderesse aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

147    Néanmoins, le Tribunal considère que la circonstance selon laquelle la Commission a, par lettre du 5 mai 2010, demandé à la défenderesse de ne pas tenir compte des lettres de pré-information du 12 février 2010, en lui expliquant qu’elle allait enquêter davantage sur les contrats Nemecel et Dreamcar, et selon laquelle, plus de deux ans après, à savoir le 19 juin 2012, elle lui a envoyé deux nouvelles lettres de pré-information reprenant les mêmes demandes et les mêmes griefs, en se fondant sur les mêmes éléments à charge que ceux qui étaient à sa disposition lors de l’envoi des lettres de pré-information du 12 février 2010, a été préjudiciable à la défenderesse sur le plan de la sécurité juridique et, en raison de l’allongement de la procédure administrative, a rendu plus difficile et compliquée sa défense lors de la procédure devant le Tribunal. Dans ses écritures, la Commission n’a pas expliqué la raison de ces démarches.

148    Par voie de conséquence et en application de l’article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a lieu de décider que la Commission supportera la moitié des dépens de la défenderesse et que cette dernière supportera les dépens de la Commission et la moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Thales développement et coopération SAS est condamnée à rembourser à la Commission européenne les sommes versées à son prédécesseur juridique en exécution du contrat JOE3-CT-97-0063, relevant du quatrième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1994-1998), établi par la décision n° 1110/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 avril 1994, qui figurent ci-après :

–        la somme de 162 195,79 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi française, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 179 201 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi française, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 167 612,49 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi française, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 136 892,29 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi française, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 54 434,09 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi française, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci.

2)      Thales développement et coopération est condamnée à rembourser à la Commission les sommes versées à son prédécesseur juridique en exécution du contrat ENK6-CT-2000-00315, relevant du cinquième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (1998-2002), établi par la décision n° 182/1999/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 décembre 1998, qui figurent ci-après :

–        la somme de 232 389,04 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi belge, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 218 734,67 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi belge, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 237 504,86 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi belge, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci ;

–        la somme de 124 192,86 euros, augmentée des intérêts légaux prévus par la loi belge, courant de la date de versement de cette somme et jusqu’à complet paiement de celle-ci.

3)      La Commission supportera la moitié des dépens exposés par Thales développement et coopération.

4)      Thales développement et coopération supportera les dépens exposés par la Commission et la moitié de ses propres dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juillet 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Sur les contrats en cause

Contrat Nemecel

Contrat Dreamcar

Contrat Optimet

Sur les parties

Sur l’enquête de l’OLAF

Sur la procédure de recouvrement engagée par la Commission

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur l’applicabilité de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 et la prescription alléguée des demandes en remboursement de la Commission

Sur la « forclusion »

Sur la violation des droits de la défense

Sur l’action de la Commission en ce qu’elle se fonde, à titre principal, sur l’invalidité des contrats Nemecel et Dreamcar

Sur l’invalidité des contrats Nemecel et Dreamcar en raison du dol du prédécesseur juridique

– Sur la prescription de l’action en nullité pour dol du contrat Nemecel

– Sur l’établissement du dol du prédécesseur juridique

Sur la remise des parties dans l’état antérieur à la conclusion des contrats Nemecel et Dreamcar à la suite de l’annulation de ces derniers

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.

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