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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> France v Commission (Judgment) French Text [2016] EUECJ T-56/06 (22 April 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2016/T5606.html Cite as: ECLI:EU:T:2016:228, EU:T:2016:228, [2016] EUECJ T-56/06, [2016] EUECJ T-56/6 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)
22 avril 2016 (*)
« Aides d’État – Directive 92/81/CEE – Droits d’accises sur les huiles minérales – Huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine – Exonération de l’accise – Confiance légitime – Sécurité juridique – Délai raisonnable »
Dans l’affaire T‑56/06 RENV II,
République française, représentée par MM. G. de Bergues, D. Colas et R. Coesme, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. V. Di Bucci, N. Khan, G. Conte, D. Grespan et Mme K. Walkerová, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de l’article 5 de la décision 2006/323/CE de la Commission, du 7 décembre 2005, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie (JO 2006, L 119, p. 12), pour autant que celui-ci impose à la République française de récupérer l’aide d’État incompatible avec le marché commun qu’elle a accordée, entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003, sur le fondement de l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne (France),
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur), MM. E. Buttigieg, S. Gervasoni et L. Madise, juges,
greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 mars 2015,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
L’exonération litigieuse
1 L’alumine (ou oxyde d’aluminium) est une poudre blanche principalement utilisée dans les fonderies pour produire de l’aluminium. Elle est extraite de la bauxite par un procédé de raffinage dont la dernière étape est la calcination. L’alumine calcinée est utilisée à plus de 90 % pour la fusion de l’aluminium. Le reste est soumis à de nouvelles transformations et est utilisé dans des applications chimiques. Il existe deux marchés de produits distincts, à savoir celui de l’alumine métallurgique et celui de l’alumine chimique. Des huiles minérales peuvent être utilisées comme combustible pour la production d’alumine.
2 Il n’y a qu’un seul producteur d’alumine en Irlande, un seul en Italie et un seul en France. Il s’agit, en France, d’Alcan Inc., établie dans la région de Gardanne. Des producteurs d’alumine sont également présents en Allemagne, en Espagne, en Grèce, en Hongrie et au Royaume-Uni.
3 Depuis 1997, la République française exonère de droit d’accise les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne (ci-après l’« exonération litigieuse »). L’exonération litigieuse a été introduite en droit français par l’article 6 de la loi n° 97‑1239, du 29 décembre 1997, portant loi de finances rectificative pour 1997 (JORF du 30 décembre 1997, p. 19101).
4 L’application de l’exonération française dans la région de Gardanne a été autorisée, jusqu’au 31 décembre 1998, par la décision 97/425/CE du Conseil, du 30 juin 1997, autorisant les États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes conformément à la procédure prévue à la directive 92/81/CEE (JO L 182, p. 22). Elle a ensuite été prorogée par le Conseil de l’Union européenne, jusqu’au 31 décembre 1999, par la décision 1999/255/CE, du 30 mars 1999, autorisant certains États membres, conformément à la directive 92/81/CEE, à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales des réductions de taux d’accise ou des exonérations d’accises, et portant modification de la décision 97/425 (JO L 99, p. 26). Elle a de nouveau été prorogée par le Conseil, jusqu’au 31 décembre 2000, par la décision 1999/880/CE, du 17 décembre 1999, autorisant les États membres à appliquer ou à continuer à appliquer à certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques les réductions de taux d’accise ou les exonérations d’accises existantes, conformément à la procédure prévue à la directive 92/81/CEE (JO L 331, p. 73).
5 La décision 2001/224/CE du Conseil, du 12 mars 2001, relative aux taux réduits et aux exonérations de droits d’accise sur certaines huiles minérales utilisées à des fins spécifiques (JO L 84, p. 23), à savoir la dernière concernant l’exonération litigieuse, proroge ladite exonération jusqu’au 31 décembre 2006. Selon son considérant 5, cette décision « ne préjuge pas de l’issue d’éventuelles procédures relatives aux distorsions de fonctionnement du marché unique qui pourraient être intentées notamment en vertu des articles 87 [CE] et 88 [CE] » et « [e]lle ne dispense pas les États membres, conformément à l’article 88 [CE], de l’obligation de notifier à la Commission les aides d’État susceptibles d’être instituées ».
Procédure administrative
6 Par lettre du 2 juin 1998, la Commission des Communautés européennes a demandé des renseignements aux autorités françaises afin de vérifier si l’exonération litigieuse relevait du champ d’application des articles 87 CE et 88 CE. Après avoir demandé une prolongation du délai de réponse le 10 juillet 1998, qui fut accordée le 24 juillet 1998, la République française a répondu par lettre du 7 août 1998.
7 Par lettre du 17 juillet 2000, la Commission a demandé à la République française de lui notifier l’exonération litigieuse. Par lettre du 4 septembre 2000, les autorités françaises ont répondu qu’elles considéraient que l’exonération litigieuse ne constituait pas une aide d’État et n’avait donc pas à être notifiée. La Commission a invité la République française à fournir un complément d’information par lettre du 27 septembre 2000. À la suite d’un rappel de la Commission du 20 novembre 2000, les autorités françaises ont répondu le 8 décembre 2000.
8 Par la décision C (2001) 3295, du 30 octobre 2001, la Commission a ouvert la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard de l’exonération litigieuse (ci-après la « procédure formelle d’examen »). Cette décision a été notifiée à la République française, par lettre du 5 novembre 2001, et a été publiée, le 2 février 2002, au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 30, p. 21).
9 Par lettres des 26 et 28 février et 1er mars 2002, la Commission a reçu les observations respectives d’Aughinish Alumina Ltd, d’Eurallumina SpA, d’Alcan et de l’Association européenne de l’aluminium. Celles-ci ont été communiquées à la République française le 26 mars 2002.
10 Après avoir demandé une prolongation du délai de réponse par lettre du 21 novembre 2001, qui fut accordée le 29 novembre 2001, la République française a présenté ses observations par lettre du 12 février 2002.
Décision alumine I
11 Le 7 décembre 2005, la Commission a adopté la décision 2006/323/CE, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, mise en œuvre respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie (JO 2006, L 119, p. 12, ci-après la « décision alumine I »).
12 La décision alumine I porte sur la période antérieure au 1er janvier 2004, date à laquelle est devenue applicable la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51), abrogeant la directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), ainsi que la directive 92/82/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 19), avec effet au 31 décembre 2003 (considérant 57). Elle étend néanmoins la procédure formelle d’examen à la période postérieure au 31 décembre 2003 (considérant 92).
13 Le dispositif de la décision alumine I énonce notamment :
« Article premier
Les exonérations des droits d’accise sur les huiles minérales lourdes utilisées dans la production d’alumine accordées par la France, l’Irlande et l’Italie jusqu’au 31 décembre 2003 constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE].
Article 2
L’aide accordée entre le 17 juillet 1990 et le 2 février 2002, dans la mesure où elle est incompatible avec le marché commun, n’est pas récupérée parce que cette récupération serait contraire aux principes généraux du droit communautaire.
Article 3
L’aide, visée à l’article premier, accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 est compatible avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, [CE] dans la mesure où les bénéficiaires acquittent un droit d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.
Article 4
L’aide […] accordée entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003 est incompatible avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, [CE] dans la mesure où les bénéficiaires ne se sont pas acquittés d’un droit d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.
Article 5
1. La France, l’Irlande et l’Italie prennent toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide incompatible visée à l’article 4 auprès de ses bénéficiaires.
[…]
5. La France, l’Irlande et l’Italie ordonnent aux bénéficiaires de l’aide incompatible visée à l’article 4, dans les deux mois de la date de notification de la présente décision, de rembourser l’aide illégale majorée des intérêts. »
Procédure et conclusions des parties
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 2006, la République française a introduit le présent recours, enregistré sous la référence T‑56/06.
15 En application de l’article 14 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 et sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer la présente affaire devant une formation de jugement élargie.
16 Par ordonnance du 24 mai 2007, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a, les parties entendues, joint l’affaire T‑56/06 et les affaires T‑50/06, T‑60/06, T‑62/06 et T‑69/06 (ci-après les « affaires alumine I ») aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du 2 mai 1991.
17 Par arrêt du 12 décembre 2007, Irlande e.a./Commission (T‑50/06, T‑56/06, T‑60/06, T‑62/06 et T‑69/06, EU:T:2007:383), le Tribunal a joint les affaires alumine I aux fins de l’arrêt, annulé la décision alumine I et, dans l’affaire T‑62/06, rejeté le recours pour le surplus.
18 Par requête en date du 26 février 2008, la Commission a introduit un pourvoi contre cet arrêt du Tribunal.
19 Par arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a. (C‑89/08 P, Rec, EU:C:2009:742), la Cour a annulé l’arrêt Irlande e.a./Commission, point 17 supra (EU:T:2007:383), en tant que le Tribunal avait annulé la décision alumine I, renvoyé les affaires alumine I devant le Tribunal et réservé les dépens.
20 À la suite de l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 19 supra (EU:C:2009:742), et conformément à l’article 118, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, les affaires alumine I ont été attribuées à la deuxième chambre élargie, par décision du président du Tribunal du 18 décembre 2009.
21 Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, les parties ont déposé leurs mémoires d’observations écrites, respectivement, le 16 février 2010, pour la République française, et le 28 avril 2010, pour la Commission. Dans son mémoire d’observations écrites, la République française a indiqué, au vu de l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 19 supra (EU:C:2009:742), qu’elle renonçait au deuxième moyen du recours, tiré d’une violation de l’obligation de motivation.
22 Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du 1er mars 2010, les affaires alumine I ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt. Par décision du président du Tribunal du 20 septembre 2010, les affaires alumine I ont été réattribuées à la quatrième chambre élargie.
23 Par arrêt du 21 mars 2012, Irlande/Commission (T‑50/06 RENV, T‑56/06 RENV, T‑60/06 RENV, T‑62/06 RENV et T‑69/06 RENV, Rec, EU:T:2012:134), le Tribunal a annulé la décision alumine I, pour autant qu’elle constatait, ou reposait sur le constat, que les exonérations de droits d’accises sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine accordées par la République française, l’Irlande et la République italienne jusqu’au 31 décembre 2003 (ci-après les « exonérations du droit d’accise ») constituaient des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et en tant qu’elle ordonnait à la République française, à l’Irlande et à la République italienne de prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer lesdites exonérations auprès de leurs bénéficiaires dans la mesure où ces derniers ne s’étaient pas acquittés d’un droit d’accise d’au moins 13,01 euros par 1 000 kg d’huile minérale lourde.
24 Par requête en date du 1er juin 2012, la Commission a introduit un pourvoi contre cet arrêt du Tribunal.
25 Par arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a. (C‑272/12 P, Rec, EU:C:2013:812), la Cour a annulé l’arrêt Irlande/Commission, point 23 supra (EU:T:2012:134), renvoyé les affaires alumine I devant le Tribunal et réservé les dépens.
26 À la suite de l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 25 supra (EU:C:2013:812), les affaires alumine I ont été attribuées à la première chambre, par décisions du président du Tribunal des 21 janvier et 10 mars 2014.
27 Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, les parties ont déposé leurs mémoires d’observations écrites, respectivement, le 20 février 2014, pour la République française, et le 8 avril 2014, pour la Commission. Dans son mémoire d’observations écrites, la République française a indiqué, au vu de l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 25 supra (EU:C:2013:812), qu’elle renonçait au premier moyen du recours, tiré de la violation de la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et limitait les conclusions dudit recours à l’annulation de l’article 5 de la décision alumine I, pour autant que celui-ci lui imposait de récupérer l’aide d’État incompatible qu’elle a accordée, entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003, sur le fondement de l’exonération litigieuse (ci-après l’« aide litigieuse »), ainsi qu’à la condamnation de la Commission aux dépens. La Commission en a pris acte dans son mémoire d’observations écrites.
28 Par décision du président du Tribunal du 30 septembre 2014, les affaires alumine I ont été réattribuées à la première chambre élargie, conformément à l’article 118, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991.
29 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale.
30 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 6 mars 2015.
31 La République française conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler l’article 5 de la décision alumine I, pour autant qu’il prévoit la récupération de l’aide litigieuse (ci-après la « décision attaquée ») ;
– condamner la Commission aux dépens.
32 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la République française aux dépens.
En droit
33 À l’appui du présent recours, la République française n’invoque plus qu’un seul moyen, correspondant au troisième moyen du recours, tiré de ce que la Commission a violé les principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique et de respect d’un délai raisonnable, en adoptant la décision litigieuse.
34 En premier lieu, au soutien de son moyen, tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique et de respect d’un délai raisonnable, la République française invoque les considérants 98 et 99 de la décision alumine I, dans lesquels la Commission admet l’existence de circonstances exceptionnelles faisant obstacle, conformément à l’article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), et à une jurisprudence constante, à la récupération de l’aide litigieuse.
35 En deuxième lieu, elle invoque la décision 2001/224, l’autorisant à continuer d’appliquer l’exonération litigieuse jusqu’au 31 décembre 2006, ainsi que l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2003/96, confirmant cette dernière décision, lesquels faisaient obstacle à ce que la Commission considère que la publication au Journal officiel, le 2 février 2002, de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen avait mis fin à la confiance légitime du bénéficiaire de l’aide litigieuse, à savoir d’Alcan, dans la régularité de cette aide.
36 En troisième lieu, la République française se réfère à la confiance légitime d’Alcan dans la régularité de l’aide litigieuse résultant du retard pris par la Commission pour adopter la décision alumine I, laquelle n’est intervenue que le 7 décembre 2005, alors qu’elle avait publié la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et reçu les dernières observations des parties en février 2002 et que les principes de sécurité juridique et du respect d’un délai raisonnable s’opposaient à ce qu’elle retarde indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs en matière d’aides d’État.
37 En quatrième lieu, elle se fonde sur l’impossibilité pour la Commission de justifier ce délai d’examen de près de quatre ans par la complexité particulière du dossier, faute d’avoir précisé en quoi l’appréciation de la compatibilité des exonérations du droit d’accise avec l’article 87 CE et, plus spécifiquement, avec les encadrements communautaires sur les aides d’État pour la protection de l’environnement de 1994 et de 2001 soulevait d’importantes difficultés et au vu de la longue connaissance que la Commission avait déjà des exonérations du droit d’accise.
38 En cinquième lieu, la République française s’appuie sur la jurisprudence qui consacre la possibilité pour le juge de l’Union européenne d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure formelle d’examen de la Commission, et ce même après l’entrée en vigueur du règlement n° 659/1999. Selon elle, il est impossible d’interpréter l’article 15 du règlement n° 659/1999, instaurant un délai de prescription de dix ans pour la récupération d’une aide, comme autorisant la Commission à procéder à l’examen de la compatibilité de l’aide dans ce même délai, sans porter atteinte au délai indicatif d’examen de 18 mois expressément prévu à l’article 15 de ce même règlement.
39 La Commission soutient que le présent moyen n’est pas fondé.
40 À titre liminaire, il importe de rappeler que, conformément à l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, la Commission ne peut exiger la récupération d’une aide d’État lorsque cela irait à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.
41 En l’espèce, la République française estime précisément que la décision attaquée va à l’encontre des principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique et de respect du principe d’un délai raisonnable.
42 À cet égard, il convient, tout d’abord, de rappeler que le principe de protection de la confiance légitime, principe fondamental du droit de l’Union (arrêt du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec, EU:C:1999:498, point 52), permet à tout opérateur économique à l’égard duquel une institution a fait naître des espérances fondées de s’en prévaloir [arrêts du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, Rec, EU:C:1987:121, point 44 ; du 24 mars 2011, ISD Polska e.a./Commission, C‑369/09 P, Rec, EU:C:2011:175, point 123, et du 27 septembre 2012, Producteurs de légumes de France/Commission, T‑328/09, EU:T:2012:498, point 18]. Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption par les institutions d’un acte de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice de ce principe, lorsque cette mesure est adoptée (voir arrêts du 1er février 1978, Lührs, 78/77, Rec, EU:C:1978:20, point 6, et du 25 mars 2009, Alcoa Trasformazioni/Commission, T‑332/06, EU:T:2009:79, point 102). Le droit de se prévaloir de la confiance légitime suppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’institution concernée. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir arrêt Producteurs de légumes de France/Commission, précité, EU:T:2012:498, point 19 et jurisprudence citée).
43 Il convient, ensuite, s’agissant, plus particulièrement, de l’applicabilité du principe de protection de la confiance légitime en matière d’aides d’État, de rappeler qu’un État membre, dont les autorités ont accordé une aide en violation des règles de procédure prévues à l’article 88 CE, peut invoquer la confiance légitime de l’entreprise bénéficiaire pour contester devant le juge de l’Union la validité d’une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l’aide, mais non pour se soustraire à l’obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de son exécution (voir arrêt du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, Rec, EU:C:1997:10, points 48 et 49 et jurisprudence citée). Il ressort, en outre, de la jurisprudence que, compte tenu du rôle fondamental joué par l’obligation de notification pour permettre l’effectivité du contrôle des aides d’État par la Commission, lequel revêt un caractère impératif, les bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de ladite aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 88 CE et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que ladite procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Producteurs de légumes de France/Commission, point 42 supra, EU:T:2012:498, points 20 et 21 et jurisprudence citée), sauf existence de circonstances exceptionnelles (arrêt du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C‑5/89, Rec, EU:C:1990:320, point 16 ; voir, également, arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec, EU:C:2004:240, point 86 et jurisprudence citée ; arrêt du 30 novembre 2009, France/Commission, T‑427/04 et T‑17/05, Rec, EU:T:2009:474, point 263).
44 Il convient, encore, de rappeler que l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite d’une procédure administrative constitue un principe général du droit de l’Union (arrêt du 27 novembre 2003, Regione Siciliana/Commission, T‑190/00, Rec, EU:T:2003:316, point 136). En outre, l’exigence fondamentale de sécurité juridique, qui s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs, conduit le juge à examiner si le déroulement de la procédure administrative révèle l’existence d’une action excessivement tardive de la part de cette institution (arrêts du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec, EU:C:2002:524, points 140 et 141, et du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, Rec, EU:T:2004:4, points 145 à 147).
45 Le retard pris par la Commission pour décider qu’une aide est illégale et qu’elle doit être supprimée et récupérée par un État membre peut, dans certaines circonstances, fonder chez les bénéficiaires de ladite aide une confiance légitime de nature à empêcher la Commission d’enjoindre audit État membre d’ordonner la restitution de cette aide (arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, Rec, EU:C:1987:502, point 17). En présence d’aides d’État non notifiées, un tel retard ne peut, toutefois, être imputé à la Commission qu’à partir du moment où elle a pris connaissance de l’existence des aides incompatibles avec le marché commun (arrêt Italie/Commission, point 43 supra, EU:C:2004:240, point 91).
46 Le seul fait que le règlement n° 659/1999, hors un délai de prescription d’une durée de dix ans (à compter de l’octroi de l’aide) à l’issue duquel la récupération de l’aide ne peut plus être ordonnée, ne prévoie aucun délai, même indicatif, pour l’examen par la Commission d’une aide illégale, conformément à l’article 13, paragraphe 2, dudit règlement disposant que la Commission n’est pas liée par le délai fixé à l’article 7, paragraphe 6, de ce même règlement, ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’Union vérifie si cette institution n’a pas observé un délai raisonnable ou a agi de manière excessivement tardive (voir, en ce sens et par analogie, s’agissant d’un délai indicatif, arrêts du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, Rec, EU:T:2005:219, point 57, et du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a., T‑230/01 à T‑232/01 et T‑267/01 à T‑269/01, EU:T:2009:316, points 338 et 339, et Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑30/01 à T‑32/01 et T‑86/02 à T‑88/02, Rec, EU:T:2009:314, points 259 et 260).
47 Il convient, enfin, de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe de sécurité juridique impose que, lorsque la Commission a créé, en méconnaissance du devoir de diligence qui lui incombe, une situation de caractère équivoque, du fait de l’introduction d’éléments d’incertitude et d’un défaut de clarté dans la règlementation applicable, cumulée à un défaut de réaction prolongé de sa part nonobstant sa connaissance des aides concernées, il lui appartient de clarifier ladite situation avant de pouvoir prétendre entreprendre toute action visant à ordonner la restitution des aides déjà versées (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 1970, Commission/France, 26/69, Rec, EU:C:1970:67, points 28 à 32).
48 C’est à la lumière des règles rappelées aux points 42 à 47 ci-dessus qu’il convient, en l’espèce, d’apprécier les arguments des parties.
49 La République française ne conteste pas n’avoir jamais notifié l’aide litigieuse à la Commission. Cette aide a donc été accordée sans avoir été préalablement notifiée à la Commission, en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE.
50 La République française se prévaut, en l’espèce, de l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient légitimement fondé la confiance d’Alcan dans le caractère régulier de l’exonération litigieuse et, partant, de l’aide litigieuse.
51 Toutefois, la République française n’est pas fondée, en l’espèce, à se prévaloir de l’existence de telles circonstances exceptionnelles, et ce pour les raisons exposées aux points 52 à 86 ci-après.
52 Contrairement à ce que soutient la République française, la publication au Journal officiel de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen a été de nature à mettre fin à la confiance légitime qu’Alcan pouvait avoir dans la régularité de l’exonération litigieuse, compte tenu de la situation de caractère équivoque antérieurement créée par le libellé des décisions d’autorisation du Conseil, adoptées sur proposition de la Commission, y compris celui de la décision 2001/224, qui était en vigueur au cours de la période concernée par la décision attaquée.
53 Aux points 52 et 53 de l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 25 supra (EU:C:2013:812), qui lient le Tribunal, conformément à l’article 61, alinéa 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour a jugé que la circonstance que les décisions d’autorisation du Conseil ont été adoptées sur proposition de la Commission et que celle-ci n’a jamais usé des pouvoirs qu’elle détenait, au titre de l’article 8, paragraphe 5, de la directive 92/81 ou des articles 230 CE et 241 CE, pour obtenir la suppression ou la modification de ces décisions était à prendre en considération en ce qui concerne l’obligation de récupérer l’aide incompatible, au regard des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, ainsi que la Commission l’avait fait dans la décision alumine I en renonçant à ordonner la récupération des aides accordées jusqu’au 2 février 2002, date de publication au Journal officiel des décisions d’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Ce motif a été décisif pour que la Cour constate, au point 54 de l’arrêt Commission/Irlande e.a., point 25 supra (EU:C:2013:812), que les motifs exposés aux points 39 à 44 de ce même arrêt ne pouvaient fonder, en droit, la conclusion du Tribunal selon laquelle la décision alumine I remettait en cause la validité des décisions d’autorisation du Conseil et violait ainsi les principes de sécurité juridique et de présomption de légalité des actes des institutions et la conclusion, qui reposait sur les mêmes motifs, selon laquelle, dans l’affaire T‑62/06 RENV, la Commission avait violé le principe de bonne administration.
54 Au regard des exigences découlant des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, la situation de caractère équivoque créée par le libellé des décisions d’autorisation du Conseil, adoptées sur proposition de la Commission, ne s’opposait qu’à la récupération de l’aide accordée sur le fondement de l’exonération litigieuse jusqu’à la date de la publication au Journal officiel de la décision d’ouverture de la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. En revanche, à compter de ladite publication, Alcan devait savoir que, si l’exonération litigieuse constituait une aide d’État, elle devait être autorisée par la Commission, conformément à l’article 88 CE.
55 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la République française, la publication de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen a bien mis fin à la confiance légitime qu’Alcan pouvait avoir, antérieurement, dans le caractère régulier de l’exonération litigieuse, au vu des décisions d’autorisation du Conseil, adoptées antérieurement sur proposition de la Commission.
56 C’est donc à bon droit que, au considérant 98 de la décision alumine I, la Commission a tenu compte de ce que les circonstances de l’espèce étaient exceptionnelles, car elle avait fait naître et maintenu une certaine ambiguïté en soumettant des propositions au Conseil, et de ce que, dans la mesure où elle ne pouvait établir si, et, le cas échéant, à quel moment les différents bénéficiaires avaient effectivement été informés par les États membres de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, il ne pouvait être exclu que les bénéficiaires aient pu se prévaloir du principe de confiance légitime jusqu’au 2 février 2002, lorsque ses décisions d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard des exonérations du droit d’accise avaient été publiées au Journal officiel, étant observé que, à l’extrême limite, cette publication avait éliminé toute incertitude, liée au libellé des décisions d’autorisation du Conseil, quant au fait que les mesures en cause, si elles constituaient des aides d’État, devaient être autorisées par elle conformément à l’article 88 CE.
57 Le bien-fondé d’une telle solution n’est pas remis en cause par les différents arguments avancés par la République française.
58 D’une part, le fait que l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2003/96, lu en combinaison avec l’article 28, paragraphe 2, de cette même directive, autorisait la République française à continuer d’appliquer l’exonération litigieuse à partir du 1er janvier 2003 est sans pertinence aux fins d’une éventuelle confiance légitime qu’Alcan aurait pu avoir dans le caractère régulier de cette exonération pour la période allant du 3 février 2002 au 31 décembre 2003. En effet, à la date à laquelle l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2003/96 est devenu applicable, à savoir le 1er janvier 2003, Alcan devait être informée de l’existence d’une procédure formelle d’examen en cours, portant sur l’exonération litigieuse, et de ce que, si l’exonération litigieuse constituait une aide d’État, elle devait être autorisée par la Commission, conformément à l’article 88 CE. Cette situation n’a pu être modifiée par l’adoption et l’entrée en vigueur de la directive 2003/96, respectivement les 27 et 31 octobre 2003, dont le considérant 32 indique expressément que cette directive « ne préjuge pas de l’issue d’éventuelles procédures relatives aux aides d’État qui pourraient être intentées en vertu des articles 87 [CE] et 88 [CE] » (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Commission/Irlande e.a., point 25 supra, EU:C:2013:812, point 51). Ainsi, l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2003/96 n’était pas de nature, après la publication de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, à faire renaître dans l’esprit d’Alcan une confiance légitime dans la régularité de l’exonération litigieuse au regard des règles en matière d’aides d’État.
59 D’autre part, le retard pris par la Commission pour adopter la décision alumine I n’est pas une circonstance exceptionnelle de nature à avoir fait renaître, dans l’esprit d’Alcan, une confiance légitime dans la régularité de l’exonération litigieuse, et ce pour l’ensemble des raisons exposées aux points 60 à 86 ci-dessous.
60 En premier lieu, il convient d’examiner si le délai de la procédure formelle d’examen a dépassé, en l’espèce, les limites du raisonnable.
61 À cet égard, dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), invoqué par la République française, la Cour a estimé que le délai de 26 mois pris par la Commission pour adopter sa décision avait dépassé les limites du raisonnable.
62 En outre, en application de l’article 7, paragraphe 6, du règlement n° 659/1999, le délai de référence pour mener à terme une procédure formelle d’examen dans le cadre des aides d’État notifiées est de 18 mois. Ce délai, même s’il n’est pas applicable aux aides illégales, conformément à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 (voir point 46 ci-dessus), fournit un point de référence utile pour apprécier le caractère raisonnable de la durée d’une procédure formelle d’examen portant, comme en l’espèce, sur une mesure non notifiée.
63 En l’espèce, il y a lieu de constater que, le 17 juillet 2000, la Commission a demandé à la République française, à l’Irlande et à la République italienne de notifier les exonérations du droit d’accise au titre des dispositions en matière d’aides d’État. Les réponses, qui n’ont pas eu la qualité d’une notification, lui sont parvenues en septembre, en octobre et en décembre 2000. Elle a ensuite ouvert la procédure formelle d’examen par décision du 30 octobre 2001, notifiée aux États membres concernés le 5 novembre 2001 et publiée au Journal officiel le 2 février 2002. Elle a enfin reçu des commentaires d’Aughinish Alumina (lettres des 26 février et 1er mars 2002), d’Eurallumina (lettres du 28 février 2002), d’Alcan (lettre du 1er mars 2002) et de l’Association européenne de l’aluminium (lettre du 26 février 2002). Ces observations ont été communiquées à l’Irlande, à la République italienne et à la République française le 26 mars 2002.
64 L’Irlande a présenté ses commentaires sur la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen le 8 janvier 2002. La Commission a demandé des renseignements complémentaires à l’Irlande le 18 février 2002, qui a répondu le 26 avril 2002, après avoir demandé une prolongation du délai fixé pour la réponse. Après avoir également demandé une prolongation du délai de réponse le 21 novembre 2001, la République française a commenté la décision d’ouverture le 12 février 2002. La République italienne a présenté ses commentaires le 6 février 2002.
65 La décision alumine I a été adoptée le 7 décembre 2005.
66 Ainsi, il s’est écoulé un peu plus de 49 mois entre l’adoption de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et l’adoption de la décision alumine I.
67 A priori, un tel délai, qui a été presque le double de celui pris en compte dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), et un peu plus du double de celui prévu à l’article 7, paragraphe 6, du règlement n° 659/1999 pour mener à terme une procédure formelle d’examen dans le cadre des aides d’État notifiées, paraît déraisonnable. Conformément à la jurisprudence, il convient néanmoins d’examiner si ce délai ne pouvait pas se justifier au regard des circonstances de l’espèce.
68 En l’espèce, les circonstances invoquées par la Commission ne sont toutefois pas de nature à justifier un délai d’examen de 49 mois.
69 Certes, ce délai prend en compte, d’une part, le délai fourni aux États membres et aux bénéficiaires pour présenter leurs observations et, d’autre part, le fait que les gouvernements français, irlandais et italien ont demandé à la Commission des reports de délais pour présenter leurs observations et leurs réponses dans le cadre de la procédure formelle d’examen. Compte tenu des liens étroits existant, en l’espèce, entre les exonérations du droit d’accise, s’agissant de mesures similaires autorisées, aux termes de procédures menées parallèlement, par la même décision du Conseil, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des actes de procédure intervenus dans les dossiers en cause et, en particulier, de ce que, le 26 avril 2002, l’Irlande a répondu à la dernière demande de renseignements complémentaires adressée par la Commission.
70 Cependant, après cette dernière date, il s’est encore écoulé un peu plus de 43 mois avant que la Commission n’adopte la décision alumine I. Or, un tel délai d’examen des dossiers en cause, à la lumière de l’ensemble des observations fournies par les États concernés et les parties intéressées, n’est pas justifiable dans les circonstances de l’espèce.
71 Premièrement, s’agissant de la difficulté alléguée des dossiers, celle-ci n’est pas établie et, même si tel était le cas, elle ne pourrait justifier un délai d’examen aussi long que celui de l’espèce. En effet, aucun indice ne permet de conclure que la Commission aurait été confrontée à des problèmes juridiques d’une importance particulière, la décision alumine I étant d’ailleurs d’une longueur raisonnable (112 considérants) et ne faisant apparaître, dans ses développements, aucune difficulté manifeste. Ensuite, comme le relève à juste titre la République française, la Commission avait connaissance des exonérations du droit d’accise bien avant l’ouverture de la procédure formelle d’examen, étant donné que les premières demandes d’exonération remontaient à 1992, pour l’Irlande, à 1993, pour la République italienne, et à 1997, pour la République française. C’est d’ailleurs la Commission qui a transmis les propositions successives de décisions d’autorisation des exonérations du droit d’accise au Conseil, après avoir reçu des demandes en ce sens de la part de la République française, de l’Irlande et de la République italienne. Enfin, dans le cadre de ses rapports concernant les aides d’État, la Commission a informé l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de l’existence de l’exonération irlandaise.
72 De plus, la Commission a elle-même indiqué que, depuis 1999, elle considérait les exonérations du droit d’accise comme étant contraires aux règles en matière d’aides d’État. Elle a donc été en mesure, depuis cette date, d’approfondir sa réflexion sur la régularité desdites exonérations au regard des règles en cette matière.
73 Par ailleurs, le fait que la Commission n’ait plus demandé aucun renseignement complémentaire à la République française, à l’Irlande ou à la République italienne au cours des 43 mois qui ont précédé l’adoption de la décision alumine I atteste qu’elle disposait déjà, à cette époque, de tous les éléments nécessaires pour rendre sa décision concernant les exonérations du droit d’accise.
74 Enfin, s’agissant de la prétendue difficulté résultant de l’évolution du régime communautaire de la taxation des huiles minérales, et notamment de l’adoption de la directive 2003/96, la Commission n’est pas fondée à s’en prévaloir, comme le soutient à bon droit la République française. En effet, la décision alumine I porte sur une situation juridique qui n’était pas régie par le nouveau régime de la taxation des huiles minérales issu de la directive 2003/96, lequel n’est entré en application qu’à partir du 1er janvier 2004, mais par le régime de la taxation des huiles minérales antérieurement applicable. Par conséquent, l’évolution de la réglementation communautaire, invoquée par la Commission, était sans incidence en l’espèce. Cela est confirmé par le fait que, dans la décision alumine I, la Commission a ouvert une nouvelle procédure formelle d’examen concernant les exonérations du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne pour la période à compter du 1er janvier 2004, date marquant le début de l’application du nouveau régime de la taxation des huiles minérales issu de la directive 2003/96. En tout état de cause, il convient de souligner que la décision alumine I a été adoptée près de deux ans après l’adoption de la directive 2003/96. Or, la simple nécessité, alléguée par la Commission, de tenir compte, dans la décision alumine I, du nouveau régime de la taxation des huiles minérales issu de la directive 2003/96 ne pouvait suffire à justifier un délai d’examen aussi long que celui de l’espèce.
75 Dans ces conditions, la Commission avait une bonne connaissance du contexte juridique et factuel des exonérations du droit d’accise et ne faisait face à aucune difficulté manifeste concernant leur examen au regard des règles en matière d’aides d’État.
76 Deuxièmement, s’agissant des difficultés d’ordre pratique et linguistique alléguées par la Commission, même à les supposer établies, celles-ci ne peuvent justifier un délai d’examen aussi long que celui de l’espèce. En tout état de cause, la Commission disposait de services lui permettant de faire face aux difficultés linguistiques qu’elle allègue ainsi qu’à l’examen, en parallèle, des exonérations du droit d’accise dans des délais bien plus courts que celui de l’espèce, notamment grâce à une bonne coordination de ses services.
77 Partant, le délai d’examen de l’aide litigieuse est, en l’espèce, déraisonnable.
78 En second lieu, il reste à examiner si, comme le soutient la République française, ce dépassement par la Commission, au cours de la procédure formelle d’examen, du délai raisonnable a pu raisonnablement faire croire à Alcan que les doutes de la Commission ne subsistaient plus et que l’exonération litigieuse ne rencontrait pas d’objection, et si ce dépassement était de nature à empêcher la Commission de demander la récupération de l’aide accordée, entre le 3 février 2002 et le 31 décembre 2003, sur le fondement de celle-ci, comme cela a été jugé dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502, point 16), invoqué par la République française.
79 Dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), la Cour a certes estimé que le délai de 26 mois pris par la Commission pour adopter sa décision avait pu faire naître, dans l’esprit de la partie requérante, bénéficiaire de l’aide, une confiance légitime de nature à empêcher l’institution d’enjoindre aux autorités nationales concernées d’ordonner la restitution de cette aide.
80 Toutefois, s’il convient de veiller au respect des impératifs de la sécurité juridique protégeant des intérêts privés, il importe également de mettre ces impératifs en balance avec les impératifs de la protection des intérêts publics, parmi lesquels se trouve, dans le domaine des aides d’État, celui visant à éviter que le fonctionnement du marché ne soit faussé par des aides d’État nuisibles pour la concurrence, ce qui exige, selon une jurisprudence constante, que des aides illégales soient restituées afin de rétablir la situation antérieure [voir arrêt du 5 août 2003, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, T‑116/01 et T‑118/01, Rec, EU:T:2003:217, points 207 et 208 et jurisprudence citée].
81 La jurisprudence a donc interprété l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), en ce sens que les circonstances concrètes de l’affaire lui ayant donné lieu ont joué un rôle décisif dans l’orientation suivie par la Cour (voir, en ce sens, arrêts Italie/Commission, point 43 supra, EU:C:2004:240, point 90 ; du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec, EU:C:2004:234, point 119 ; Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 46 supra, EU:T:2009:314, point 286, et Diputación Foral de Álava e.a., point 46 supra, EU:T:2009:316, point 344). En particulier, l’aide dont il était question dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), avait été octroyée avant que la Commission n’ouvre la procédure formelle d’examen y relative. En outre, elle avait fait l’objet, quoique après son versement, d’une notification formelle à la Commission. Par ailleurs, elle se rattachait à des coûts supplémentaires liés à des aides autorisées par la Commission et concernait un secteur qui, depuis 1977, avait bénéficié d’aides autorisées par la Commission. Enfin, l’examen de la compatibilité de l’aide n’exigeait pas une recherche approfondie.
82 Or, l’ensemble des circonstances exceptionnelles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), ne se retrouve pas dans la présente affaire. Certes, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), au moment où la Commission est apparemment restée inactive, celle-ci connaissait déjà bien l’exonération litigieuse et avait donc été en mesure de se forger un avis sur la régularité de cette exonération au regard des règles en matière d’aides d’État, de sorte qu’elle ne devait plus effectuer, à cet égard, une recherche approfondie. Cependant, d’autres circonstances essentielles retenues dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), font en l’espèce défaut. En particulier, dans la présente affaire, l’aide litigieuse a été octroyée après l’ouverture, par la Commission, de la procédure formelle d’examen relative à l’exonération litigieuse.
83 Cela différencie fondamentalement le cas d’espèce dans l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502), de celui qui sous-tend le présent recours. Dès lors, la République française ne peut utilement se prévaloir, en l’espèce, de l’arrêt RSV/Commission, point 45 supra (EU:C:1987:502).
84 Par ailleurs, il convient de tenir compte de ce que, au point 52 de l’arrêt du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission (C‑183/02 P et C‑187/02 P, Rec, EU:C:2004:701), la Cour a jugé, s’agissant des circonstances exceptionnelles qui pourraient avoir légitimement fondé une confiance du bénéficiaire d’une aide illégale dans le caractère régulier de celle-ci et, plus précisément, une confiance légitime pouvant résulter de l’inaction de la Commission, que toute inaction apparente de cette institution était dépourvue de signification lorsqu’un régime d’aides ne lui avait pas été notifié. Ainsi, en l’espèce, l’inaction apparente de la Commission pendant 43 mois après la réponse de l’Irlande à la dernière demande de renseignements complémentaires de la Commission (voir point 70 ci-dessus), pour contraire qu’elle soit au principe du respect d’un délai raisonnable, ne revêt toutefois pas de signification particulière du point de vue de l’application des règles en matière d’aides d’État à l’aide litigieuse. Partant, elle ne suffit pas, en l’espèce, à constater l’existence de circonstances exceptionnelles de nature à avoir fait renaître, dans l’esprit d’Alcan, une confiance légitime dans la régularité de l’aide litigieuse au regard des règles en matière d’aides d’État. Il s’ensuit que la seule violation, en l’espèce, du principe du respect d’un délai raisonnable pour l’adoption de la décision alumine I ne faisait pas obstacle à ce que, dans cette décision, la Commission ordonne la récupération de l’aide litigieuse.
85 Ainsi, l’argument tiré du non-respect du délai raisonnable doit être rejeté.
86 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la République française n’a pas démontré, en l’espèce, l’existence de circonstances exceptionnelles de nature à faire raisonnablement croire à Alcan que les doutes de la Commission ne subsistaient plus et que l’exonération litigieuse ne rencontrait pas d’objection, lesquelles auraient fait obstacle à ce que, au considérant 5 de la décision alumine I, la Commission ordonne la récupération de l’aide litigieuse.
87 Il y a donc lieu d’écarter le moyen tiré de ce que la Commission a violé les principes de protection de la confiance légitime, de sécurité juridique et de respect d’un délai raisonnable et, partant, l’ensemble du présent recours, qui n’est plus fondé que sur ce moyen unique.
Sur les dépens
88 Conformément à l’article 219 du règlement de procédure du Tribunal, dans les décisions du Tribunal rendues après annulation et renvoi, celui-ci statue sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant lui et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour. Dans la mesure où, dans les arrêts Commission/Irlande e.a., point 19 supra (EU:C:2009:742), et Commission/Irlande e.a., point 25 supra (EU:C:2013:812), la Cour a réservé les dépens, il appartient au Tribunal de statuer également, dans le présent arrêt, sur les dépens afférents à ces procédures de pourvoi.
89 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, à titre exceptionnel, lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie. En outre, selon l’article 135, paragraphe 2, de ce même règlement, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela paraît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance. Il est notamment permis au Tribunal de condamner aux dépens une institution dont la décision n’a pas été annulée, en raison de l’insuffisance de cette dernière, qui a pu conduire un requérant à introduire un recours (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑387/08, EU:T:2010:377, point 177 et jurisprudence citée).
90 En l’espèce, la République française a succombé en ses conclusions. Toutefois, il ressort du point 77 ci-dessus que la Commission a violé le principe du respect d’un délai raisonnable lors de l’adoption de la décision attaquée, ce qui a pu inciter la République française à introduire le présent recours, en vue de faire constater ladite violation. Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu’il est juste et équitable, s’agissant des affaires T‑56/06, T‑56/06 RENV I et T‑56/06 RENV II, de condamner la République française à supporter ses propres dépens ainsi que les trois quarts des dépens exposés par la Commission et de condamner cette dernière à supporter un quart de ses propres dépens. S’agissant des affaires C‑89/08 P et C‑272/12 P, dans la mesure où cinq parties étaient opposées à la Commission dans chacune d’entre elles, il convient, en application de la clef de répartition retenue dans les affaires T‑56/06, T‑56/06 RENV I et T‑56/06 RENV II, de condamner la République française à supporter ses propres dépens ainsi que les trois vingtièmes, à savoir un cinquième des trois-quarts, des dépens exposés par la Commission et de condamner cette dernière à supporter un cinquième de ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La République française est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que les trois quarts des dépens de la Commission européenne dans les affaires T‑56/06, T‑56/06 RENV I et T‑56/06 RENV II et les trois vingtièmes des dépens exposés par la Commission dans les affaires C‑89/08 P et C‑272/12 P.
3) La Commission est condamnée à supporter un quart de ses propres dépens dans les affaires T‑56/06, T‑56/06 RENV I et T‑56/06 RENV II ainsi qu’un cinquième de ses propres dépens dans les affaires C‑89/08 P et C‑272/12 P.
Kanninen | Pelikánová | Buttigieg |
Gervasoni | Madise |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 avril 2016.
Signatures
* Langue de procédure : le français.
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