FR (not supplied - Order) French Text [2018] EUECJ C-422/18PPU_CO (27 September 2018)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C42218PPU_CO.html
Cite as: ECLI:EU:C:2018:784, EU:C:2018:784, [2018] EUECJ C-422/18PPU_CO

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ORDONNANCE DE LA COUR (première chambre)

27 septembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 46 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 18, article 19, paragraphe 2, et article 47 – Droit à un recours effectif – Décision rejetant une demande de protection internationale – Réglementation nationale prévoyant un deuxième degré de juridiction – Effet suspensif de plein droit limité au recours de première instance »

Dans l’affaire C‑422/18 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), par décision du 9 mai 2018, parvenue à la Cour le 28 juin 2018, dans la procédure

FR

contre

Ministero dell’interno – Commissione Territoriale per il riconoscimento della Protezione Internazionale presso la Prefettura U.T.G. di Milano,

en présence de :

Pubblico Ministero,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général : Mme E. Sharpston,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 9 mai 2018, parvenue à la Cour le 28 juin 2018, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 11 juillet 2018 de la première chambre de faire droit à ladite demande,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des dispositions de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), lues à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FR, ressortissant d’un État tiers, au Ministero dell’interno – Commissione Territoriale per il riconoscimento della Protezione Internazionale presso la Prefettura U.T.G. di Milano (ministère de l’Intérieur – Commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale près la préfecture de Milan, Italie) (ci-après la « commission territoriale ») au sujet du rejet de sa demande de protection internationale.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 12 de la directive 2013/32 énonce :

« (12)      L’objectif principal de la présente directive est de poursuivre la mise au point des normes concernant les procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres en vue d’établir une procédure d’asile commune dans l’Union. »

4        L’article 22, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« La possibilité effective est donnée aux demandeurs de consulter, à leurs frais, un conseil juridique ou un autre conseiller, reconnu en tant que tel ou autorisé à cette fin en vertu du droit national, sur des questions touchant à leur demande de protection internationale, à toutes les étapes de la procédure, y compris à la suite d’une décision négative. »

5        L’article 46 de ladite directive, intitulé « Droit à un recours effectif », prévoit :

« 1.      Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a)      une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris :

i)      les décisions considérant comme infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire ;

[...]

3.      Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)], au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance.

[...]

5.      Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours.

6.      En cas de décision :

a)      considérant une demande comme manifestement infondée conformément à l’article 32, paragraphe 2, ou infondée après examen conformément à l’article 31, paragraphe 8, à l’exception des cas où les décisions sont fondées sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, point h) ;

b)      considérant une demande comme irrecevable en vertu de l’article 33, paragraphe 2, points a), b, ou d) ;

c)      rejetant la réouverture du dossier du demandeur après qu’il a été clos conformément à l’article 28 ; ou

d)      de ne pas procéder à l’examen, ou de ne pas procéder à l’examen complet de la demande en vertu de l’article 39,

une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre et lorsque, dans ces cas, le droit de rester dans l’État membre dans l’attente de l’issue du recours n’est pas prévu par le droit national.

[...] »

 Le droit italien

6        Il ressort de la décision de renvoi que le droit italien prévoit, en matière de protection internationale, que les décisions refusant d’accueillir les demandes de protection internationale sont adoptées à la suite d’un examen des demandes par l’organe administratif compétent en formation collégiale et sont susceptibles de recours juridictionnel.

7        L’article 19 du decreto legislativo n. 150 – Disposizioni complementari al codice di procedura civile in materia di riduzione e semplificazione dei procedimenti civili di cognizione, ai sensi dell’articolo 54 della legge 18 giugno 2009, n. 69. (décret législatif n° 150, portant dispositions complémentaires au code de procédure civile en matière de réduction et de simplification des procédures contentieuses civiles, au sens de l’article 54 de la loi n° 69 du 18 juin 2009), du 1er septembre 2011 (GURI n° 220, du 21 septembre 2011), tel que modifié par le decreto legislativo n. 142 – Attuazione della direttiva 2013/33/UE recante norme relative all’accoglienza dei richiedenti protezione internazionale, nonché della direttiva 2013/32/UE, recante procedure comuni ai fini del riconoscimento e della revoca dello status di protezione internazionale (décret législatif n° 142, portant mise en œuvre de la directive 2013/33/UE établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale ainsi que de la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale), du 18 août 2015 (GURI n° 214, du 15 septembre 2015), prévoyait que les décisions de la commission territoriale étaient susceptibles de recours devant le tribunal de première instance territorialement compétent, dont les décisions juridictionnelles pouvaient elles-mêmes être frappées d’appel. Selon cet article 19, les décisions de la Corte d’appello (cour d’appel, Italie) pouvaient ensuite faire l’objet d’un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie). En outre, la juridiction de renvoi expose que l’introduction d’un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale suspendait, en principe, les effets de cette décision jusqu’à ce que l’arrêt de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) ait été rendu.

8        Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, ce système de recours a été modifié par le decreto-legge n. 13 – Disposizioni urgenti per l’accelerazione dei procedimenti in materia di protezione internazionale, nonche’ per il contrasto dell’immigrazione illegale (décret-loi n° 13, portant dispositions urgentes sur l’accélération des procédures en matière de protection internationale ainsi que sur la lutte contre l’immigration illégale), du 17 février 2017 (GURI n° 40, du 17 février 2017), converti en loi, avec modifications, par la loi n° 46, du 13 avril 2017, qui a, notamment, supprimé le recours devant la Corte d’appello (cour d’appel).

9        La juridiction de renvoi expose qu’il ressort de l’article 35-bis du decreto legislativo n. 25 – Attuazione della direttiva 2005/85/CE recante norme minime per le procedure applicate negli Stati membri ai fini del riconoscimento e della revoca dello status di rifugiato (décret législatif n° 25, portant mise en œuvre de la directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres), du 25 janvier 2008 (GURI n° 40, du 16 février 2008), tel que modifié par ledit décret-loi n° 13, du 17 février2017 (ci-après le « décret législatif n° 25/2008 »), que les décisions de la commission territoriale peuvent désormais faire l’objet d’un recours devant le tribunal de première instance territorialement compétent, sous le contrôle de la juridiction de cassation. L’exercice d’un tel recours en première instance reste assorti du maintien de l’effet suspensif de l’exécution de la décision attaquée. Cet article 35-bis dispose également que l’introduction d’un pourvoi en cassation contre l’ordonnance du Tribunale (tribunal, Italie) qui confirme une décision rejetant une demande de protection internationale ne suspend plus les effets exécutoires de celle-ci. Toutefois, le requérant peut, dans un délai de cinq jours qui court à compter du dépôt du pourvoi en cassation, demander au juge qui a prononcé cette ordonnance la suspension des effets exécutoires de celle-ci. Si le juge saisi estime que les motifs soulevés par le demandeur sont fondés, il peut alors décider d’ordonner la suspension des effets de cette ordonnance et, partant, également celle de l’exécution de la décision administrative qui était attaquée.

10      La juridiction de renvoi expose enfin que le code de procédure civile comporte deux dispositions, à savoir les articles 283 et 373, qui régissent la suspension des décisions de justice immédiatement exécutoires.

11      L’article 283 du code de procédure civile, portant sur la suspension des effets d’un jugement de première instance frappé d’appel, prévoit que le juge d’appel, sur demande d’une partie formulée avec la demande à titre principal ou à titre incident, en présence de motifs sérieux et fondés, notamment, eu égard à l’éventuelle insolvabilité d’une des parties, suspend en tout ou en partie l’efficacité exécutoire ou l’exécution de ce jugement, avec ou sans caution.

12      L’article 373 du code de procédure civile, portant sur la suspension des effets d’une décision juridictionnelle qui fait l’objet d’un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), dispose que le pourvoi en cassation ne suspend pas l’exécution de cette décision. Toutefois, le juge qui a prononcé ladite décision peut, sur demande d’une partie et si l’exécution est susceptible de causer un préjudice grave et irréparable, décider par ordonnance non susceptible de recours que l’exécution de celle-ci sera suspendue ou qu’une caution adéquate sera fournie.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      FR, ressortissant nigérian, est entré sur le territoire italien le 25 décembre 2015. Il a aussitôt introduit une demande d’asile. À l’appui de sa demande, FR a fait valoir qu’il a été contraint de quitter le Nigeria au motif que les autorités nationales avaient découvert qu’il entretenait une relation homosexuelle et qu’il risquait, en application de la réglementation nigériane, d’être arrêté et placé en détention.

14      La commission territoriale a procédé à l’audition de FR le 13 juillet 2017 et, par décision notifiée à celui-ci le 18 août 2017, a rejeté sa demande.

15      Le 15 septembre 2017, FR a introduit un recours contre cette décision devant le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), qui a été rejeté le 5 mars 2018, au motif que FR ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

16      Le 4 avril 2018, FR a, d’une part, introduit un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) contre l’ordonnance du Tribunale di Milano (tribunal de Milan) du 5 mars 2018 et, d’autre part, saisi ce dernier d’une demande de mesures provisoires visant à la suspension de l’exécution de ladite ordonnance. Au soutien de cette dernière demande, FR a fait valoir, en premier lieu, qu’il courrait un danger grave et actuel dans son pays d’origine, en deuxième lieu, que, en cas d’expulsion du territoire italien, il ne pourrait pas participer à la procédure devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) et, en troisième et dernier lieu, que, si la suspension de l’ordonnance attaquée n’était pas prononcée, il risque de faire l’objet d’une décision d’éloignement dès lors que les autorités italiennes ne peuvent pas lui renouveler son permis de séjour.

17      La juridiction de renvoi relève que le droit de l’Union n’impose pas l’existence d’un double degré de juridiction contre les décisions qui rejettent une demande de protection internationale, cette matière relevant de l’autonomie procédurale des États membres sous réserve des principes d’effectivité et d’équivalence. Elle nourrit toutefois des doutes quant à la compatibilité avec le droit de l’Union d’une disposition nationale, telle que l’article 35-bis du décret législatif n° 25/2008 en cause au principal, qui ne prévoit pas d’effet suspensif automatique dans les procédures de pourvoi devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) contre les décisions rendues par une juridiction de première instance. Elle se demande si le système des voies de recours contre les décisions rejetant une demande de protection internationale ne méconnaît pas le droit à un recours effectif et celui à un tribunal impartial ainsi que le respect du principe d’équivalence.

18      La juridiction de renvoi estime que le droit à l’assistance juridique et à la représentation à toutes les étapes de la procédure visé à l’article 22 de la directive 2013/32 ainsi que le droit, prévu à l’article 46, paragraphe 5, de cette directive, pour le demandeur de protection internationale, de rester sur le territoire de l’État membre dans lequel il a déposé sa demande jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice du droit à un recours effectif contre les décisions concernant cette demande, sont reconnus aux demandeurs de protection internationale en vue, notamment, de leur permettre d’exercer les droits de la défense et, ainsi, de contribuer à un examen complet et ex nunc de leurs recours par l’autorité juridictionnelle. Le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) relève cependant que, dès lors que le pourvoi en cassation introduit par FR contre l’ordonnance qui a confirmé la décision rejetant la demande de protection internationale de ce ressortissant n’est pas revêtu d’un effet suspensif automatique, FR peut faire l’objet d’une décision d’éloignement avant l’issue de la procédure de cassation.

19      Par ailleurs, la juridiction de renvoi expose les deux régimes de droit commun en matière de suspension des effets exécutoires d’une décision juridictionnelle. D’une part, l’article 283 du code de procédure civile prévoit que la juridiction d’appel est compétente pour décider, sur le fondement de l’existence de « motifs sérieux et fondés » en ce sens, de la suspension des effets d’un jugement de première instance qui fait l’objet d’un appel. D’autre part, l’article 373 du code de procédure civile prévoit que la juridiction qui a prononcé la décision juridictionnelle qui fait l’objet d’un pourvoi en cassation est compétente pour décider sur le fondement de l’existence non pas de « motifs sérieux et fondés », mais d’un risque de « préjudice grave et irréparable » qui peut découler de l’exécution de cette décision, de la suspension des effets de celle-ci.

20      En matière de protection internationale, l’article 35-bis, paragraphe 13, du décret législatif n° 25/2008 prévoit une règle spécifique selon laquelle la juridiction de première instance qui a prononcé l’ordonnance faisant l’objet d’un pourvoi en cassation est compétente pour décider de la suspension de celle-ci sur le fondement de l’existence non pas d’un risque de « préjudice grave et irréparable » qui peut découler de l’exécution de cette ordonnance, mais de « motifs fondés » du pourvoi en cassation.

21      La juridiction de renvoi relève à ce dernier égard que cette règle spécifique a conduit les juridictions compétentes à examiner les demandes de suspension des effets exécutoires de leurs décisions en procédant à une appréciation sommaire du bien-fondé des moyens du pourvoi en cassation dirigé contre leurs décisions, sans apprécier l’éventuelle existence d’un préjudice grave et irréparable qui serait causé au requérant par l’exécution de ces décisions de rejet de protection internationale.

22      Dans ces circonstances, le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le principe de coopération loyale et les principes d’équivalence et de protection juridictionnelle effective, visés à l’article 4, paragraphe 3, et à l’article 19, paragraphe 1, TUE, ainsi que l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la [Charte], et la directive [2013/32] (en particulier ses articles 22 et 46) doivent-ils être interprétés dans le sens que :

a)      le droit de l’[Union] impose que le recours, lorsque le droit national le prévoit pour les procédures portant sur le rejet d’une demande de reconnaissance de la protection internationale, ait automatiquement un effet suspensif ;

b)      ils s’opposent à une procédure telle que la procédure nationale (article 35-bis, paragraphe 13, du [décret législatif n° 25/2008]) en vertu de laquelle l’autorité juridictionnelle saisie par le demandeur d’asile – dont la demande a été rejetée par l’autorité administrative chargée d’examiner des demandes d’asile et par le tribunal de première instance – a la possibilité de rejeter la demande de suspension de la décision négative, en considération des seuls moyens du recours contre la décision rendue par le même juge appelé à statuer sur la suspension, et non du risque d’un préjudice grave et irréparable ? »

 Sur la procédure d’urgence

23      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

24      À l’appui de cette demande, la juridiction de renvoi fait essentiellement valoir que le requérant au principal est tenu de quitter immédiatement le territoire italien et qu’il peut être éloigné à tout moment de celui-ci vers le Nigeria où il serait exposé à un risque sérieux d’être soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

25      Dans ces circonstances, la juridiction de renvoi souligne que la réponse de la Cour aux questions posées est susceptible d’avoir une influence déterminante sur la question de savoir si le requérant au principal peut rester sur le territoire italien dans l’attente de l’issue du pourvoi qu’il a introduit devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation).

26      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que la présente demande de décision préjudicielle, qui porte notamment sur l’interprétation de la directive 2013/32, soulève des questions qui relèvent des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Par conséquent, elle est susceptible d’être soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 de son règlement de procédure.

27      En second lieu, la possibilité que le requérant au principal soit éloigné vers le Nigeria avant l’issue d’une procédure préjudicielle ordinaire ne peut être exclue dans le cadre de la présente affaire (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 50).

28      Eu égard à ce qui précède, la première chambre de la Cour a décidé, le 11 juillet 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur la question préjudicielle

29      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

30      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le présent renvoi préjudiciel.

31      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, en particulier les dispositions de la directive 2013/32, lues au regard de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une procédure de pourvoi contre un jugement de première instance confirmant une décision de l’autorité administrative compétente qui rejette une demande de protection internationale, sans l’assortir d’un effet suspensif de plein droit, mais qui permet à la juridiction qui a prononcé ce jugement d’ordonner, sur demande de l’intéressé, la suspension de l’exécution de celui-ci, après avoir apprécié le caractère fondé ou non des moyens soulevés dans le pourvoi contre ledit jugement et non l’existence d’un risque de préjudice grave et irréparable causé à ce demandeur du fait de l’exécution de celui-ci.

32      À cet égard, la Cour a déjà jugé que, si les dispositions de la directive 2013/32 imposent aux États membres de prévoir un droit à un recours effectif contre les décisions de rejet d’une demande de protection internationale, aucune de ces dispositions ne prévoit que les États membres accordent aux demandeurs de protection internationale qui ont été déboutés en première instance de leur recours contre la décision rejetant leur demande le droit d’interjeter appel, ni, à plus forte raison, que l’exercice d’un tel droit soit assorti d’un effet suspensif de plein droit [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 23].

33      De telles exigences ne sauraient pas davantage être déduites de l’économie et de la finalité de la directive 2013/32, dont l’objectif consiste, ainsi qu’il ressort de son considérant 12, à poursuivre, principalement, la mise au point des normes concernant les procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres en vue d’établir une procédure d’asile commune dans l’Union. En revanche, il ne ressort nullement des considérants de ladite directive que celle-ci vise à obliger les États membres à instaurer un deuxième degré de juridiction [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 24].

34      Par ailleurs, l’obligation d’effectivité du recours se réfère expressément, ainsi qu’il ressort de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, aux « procédures de recours devant une juridiction de première instance ». Dans la mesure où elle nécessite un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, cette obligation vise uniquement le déroulement de la procédure juridictionnelle de première instance. Partant, ladite obligation ne saurait, eu égard à l’objectif de ladite directive, être interprétée comme obligeant les États membres à instaurer un deuxième degré de juridiction, ni à prévoir un aménagement déterminé du déroulement de celui-ci [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 25].

35      Ainsi, si, comme le confirment les termes « au moins » figurant à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce qu’un État membre prévoie un deuxième degré de juridiction pour l’examen des recours formés contre les décisions de rejet d’une demande de protection internationale, cette directive ne contient aucune règle relative à l’instauration et à l’aménagement d’un tel degré de juridiction. En effet, il ne résulte ni des termes ni de l’économie ou de la finalité de la directive 2013/32 que, lorsqu’un État membre prévoit un deuxième degré de juridiction contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale, la procédure d’appel qu’il institue doit nécessairement conférer un effet suspensif de plein droit au recours formé par le demandeur [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C‑180/17, EU:C:2018:775, point 26].

36      En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 47 de la Charte, lu à la lumière des garanties contenues à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, n’impose l’existence d’un double degré de juridiction. Seule importe, en effet, l’existence d’un recours devant une instance juridictionnelle [arrêts du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 57, et du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C‑180/17, EU:C:2018:775, point 30].

37      Il s’ensuit que la protection conférée par les dispositions de la directive 2013/32, lues à la lumière de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, ainsi que de l’article 47 de la Charte, à un demandeur de protection internationale contre une décision rejetant une demande de protection internationale, se limite à l’existence d’une voie de recours juridictionnelle [voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C‑180/17, EU:C:2018:775, point 33].

38      Dans ces conditions, l’instauration d’un recours en cassation contre les décisions de rejet d’une demande de protection internationale ainsi que la décision de le doter, le cas échéant, d’un effet suspensif de plein droit, relève, en l’absence de règles fixées par le droit de l’Union, de l’autonomie procédurale des États membres, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité [voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 34 et jurisprudence citée].

39      Il en va également ainsi s’agissant de l’instauration d’autres modalités procédurales telles qu’une procédure de mesures provisoires visant à suspendre l’exécution de la décision de rejet d’une demande de protection internationale.

40      À cet égard, il découle d’une jurisprudence constante de la Cour que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les particuliers tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) ni aménagées de manière à rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 35 et jurisprudence citée].

41      Le respect des exigences découlant des principes d’équivalence et d’effectivité doit être analysé en tenant compte de la place des règles concernées dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de ladite procédure et des particularités de ces règles, devant les diverses instances nationales [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 36 et jurisprudence citée].

42      En ce qui concerne le principe d’équivalence, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le respect de celui-ci requiert un traitement égal des recours fondés sur une violation du droit national et de ceux, similaires, fondés sur une violation du droit de l’Union, mais non pas l’équivalence des règles procédurales nationales applicables à des contentieux de nature différente [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 37 et jurisprudence citée].

43      Ainsi, il convient, d’une part, d’identifier les procédures ou les recours comparables et, d’autre part, de déterminer si ceux-ci sont traités d’une manière plus favorable que les recours ayant trait à la sauvegarde des droits que les particuliers tirent du droit de l’Union [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 38 et jurisprudence citée].

44      S’agissant du caractère comparable des recours, il appartient à la juridiction nationale, qui a une connaissance directe des modalités procédurales applicables, de vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 39 et jurisprudence citée].

45      Quant au principe d’effectivité, il y a lieu de considérer que celui-ci ne comporte pas, en l’occurrence, des exigences allant au-delà de celles découlant des droits fondamentaux et, notamment, du droit à une protection juridictionnelle effective, garantis par la Charte. Or, dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 36 du présent arrêt, l’article 47 de la Charte, lu à la lumière des garanties contenues à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, exige uniquement qu’un demandeur de protection internationale qui s’est vu opposer une décision de refus à sa demande de protection internationale puisse faire valoir ses droits de manière effective devant une instance juridictionnelle, le seul fait qu’un degré de juridiction supplémentaire, prévu par le droit national, n’est pas assorti d’un effet suspensif de plein droit, ne permet pas, à lui seul, de conclure à une méconnaissance du principe d’effectivité [arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (effet suspensif de l’appel), C-180/17, EU:C:2018:775, point 43].

46      Le droit de l’Union exigeant uniquement, en matière de protection internationale, l’existence d’une voie de recours juridictionnelle, la circonstance qu’un État membre prévoit, comme dans l’affaire au principal, un recours en cassation dépourvu d’un effet suspensif de plein droit et, en outre, institue, dans le cadre de ce recours , une procédure de mesures provisoires permettant à la juridiction qui a prononcé un jugement en première instance rejetant une demande de protection internationale d’ordonner, sur demande de l’intéressé, la suspension de l’exécution de celui-ci, après avoir apprécié le caractère fondé ou non des moyens soulevés dans le pourvoi contre ledit jugement et non l’existence d’un risque de préjudice grave et irréparable causé à ce demandeur du fait de l’exécution de celui-ci, n’est pas contraire au principe d’effectivité.

47      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que le droit de l’Union, en particulier les dispositions de la directive 2013/32, lues au regard de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une procédure de pourvoi contre un jugement de première instance confirmant une décision de l’autorité administrative compétente qui rejette une demande de protection internationale, sans l’assortir d’un effet suspensif de plein droit, mais qui permet à la juridiction qui a prononcé ce jugement d’ordonner, sur demande de l’intéressé, la suspension de l’exécution de celui-ci, après avoir apprécié le caractère fondé ou non des moyens soulevés dans le pourvoi contre ledit jugement et non l’existence d’un risque de préjudice grave et irréparable causé à ce demandeur du fait de l’exécution de celui-ci.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

Le droit de l’Union, en particulier les dispositions de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lues au regard de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit une procédure de pourvoi contre un jugement de première instance confirmant une décision de l’autorité administrative compétente qui rejette une demande de protection internationale, sans l’assortir d’un effet suspensif de plein droit, mais qui permet à la juridiction qui a prononcé ce jugement d’ordonner, sur demande de l’intéressé, la suspension de l’exécution de celui-ci, après avoir apprécié le caractère fondé ou non des moyens soulevés dans le pourvoi contre ledit jugement et non l’existence d’un risque de préjudice grave et irréparable causé à ce demandeur du fait de l’exécution de celui-ci.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.

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