Spiegel-Verlag Rudolf Augstein and Sauga v ECB (Judgment) French Text [2018] EUECJ T-116/17 (27 September 2018)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/T11617.html
Cite as: EU:T:2018:614, ECLI:EU:T:2018:614, [2018] EUECJ T-116/17

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DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

27 septembre 2018 (*)

« Accès aux documents – Décision 2004/258/CE – Documents concernant la dette publique et le déficit budgétaire d’un État membre – Refus d’accès – Exceptions relatives à la politique économique de l’Union et d’un État membre »

Dans l’affaire T‑116/17,

Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co. KG, établie à Hambourg (Allemagne),

Michael Sauga, demeurant à Berlin (Allemagne),

représentés par Mes A. Koreng et T. Feldmann, avocats,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par M. F. von Lindeiner, et Mme T. Filipova, en qualité d’agents, assistés de Mes D. Sarmiento Ramírez‑Escudero et L. E. Capiel, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation d’une décision du directoire de la BCE communiquée aux requérants par lettre du 15 décembre 2016, rejetant leur demande d’accès à deux documents concernant le déficit et la dette publics de la République hellénique,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Gratsias, président, A. Dittrich (rapporteur) et P. G. Xuereb, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 26 février 2009, la National Bank of Greece, une banque privée grecque, a constitué une société, Titlos plc, qui a émis des titres adossés à des actifs (asset backed securities) dont l’unique actif sous-jacent (underlying asset) consistait dans un produit dérivé financier de gré à gré, à savoir un swap de taux d’intérêt entre la République hellénique et la Trápeza tis Elládos (Banque de Grèce, Grèce) (ci‑après l’« actif Titlos »). Du 3 juin 2009 au 22 juin 2010, l’actif Titlos a été inclus dans la base de données des garanties éligibles (eligible assets database), qui énumère toutes les garanties négociables éligibles aux fins des opérations de prêt de l’Eurosystème. Les titres reposant sur l’actif Titlos ont été, quant à eux, déposés par les banques grecques en tant que garanties éligibles aux fins des opérations de politique monétaire de l’Eurosystème. Les opérations relatives à la création et au placement sur le marché de l’actif Titlos (ci‑après la « transaction Titlos ») sont susceptibles d’avoir permis de réduire artificiellement la dette publique grecque.

2        En février 2010, des collaborateurs de la Banque centrale européenne (BCE) ont été chargés par le directoire de la BCE de l’élaboration de documents internes fournissant des renseignements sur l’utilisation de transactions concernant des produits dérivés financiers dans le cadre de la gestion de la dette publique et pour le financement du déficit de la République hellénique.

3        Par la suite, deux documents ont été rédigés, qui font l’objet du litige en l’espèce (ci-après les « documents litigieux »).

4        Le premier document est intitulé « The impact on government deficit and debt from off-market swaps. The Greek case » (L’incidence des échanges hors marché sur le déficit et la dette publics. Le cas de la Grèce) (SEC/GovC/X/10/88a). Ce document a été élaboré par la direction générale « Statistiques » de la BCE sur la base des informations qui étaient disponibles à la fin du mois de février 2010. En substance, il contient des appréciations de collaborateurs de la BCE concernant, d’une part, le fonctionnement des swaps de gré à gré et, d’autre part, les conséquences que cet instrument financier pouvait avoir sur le déficit public ou sur la dette publique, notamment en ce qui concerne la République hellénique.

5        Le second document porte le titre « The Titlos transaction and possible existence of similar transactions impacting on the euro area government debt or deficit levels » (La transaction Titlos et l’existence éventuelle de transactions analogues affectant les niveaux de déficit et de dette publics de la zone euro) (SEC/GovC/X/10/88b). Ce document, qui a été élaboré par la division « Gestion des risques » de la direction générale « Opérations de marché » de la BCE, contient des opinions de collaborateurs de la BCE concernant notamment la création de Titlos plc, une analyse de la structure financière de la transaction Titlos, ainsi que des suppositions et des appréciations concernant l’existence potentielle de transactions similaires, qui pourraient avoir une influence sur le déficit ou sur les dettes des États de la zone euro, leur pertinence pour le cadre juridique pour la constitution de garanties dans le cadre d’opérations monétaires de l’Eurosystème, des mesures de contrôle du risque qui y sont relatives et leur remaniement potentiel.

6        Les documents litigieux concernent des transactions et des pratiques qui sont directement et indirectement liées à des processus actuels. Par ailleurs, ces documents contiennent des informations sur des options d’action et des méthodes d’analyse de la BCE. Certaines de ces options d’action et méthodes ont été mises en œuvre, d’autres non.

7        Le 2 mars 2010, le directoire de la BCE a discuté de l’utilisation de transactions sur des produits dérivés dans le cadre du financement du déficit et de la gestion de la dette publique en République hellénique et a soumis les documents litigieux au conseil des gouverneurs de la BCE.

8        Le 9 août 2016, les requérants, Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co. KG et M. Michael Sauga, ont demandé à la BCE l’accès aux documents litigieux. La première requérante est une maison d’édition qui publie le magazine hebdomadaire Der Spiegel. Le second requérant est journaliste et rédacteur en chef du bureau de Der Spiegel à Berlin.

9        Par lettre du 27 octobre 2016, le directeur général du secrétariat de la BCE a indiqué aux requérants que l’accès aux documents litigieux ne pouvait leur être accordé, car même une divulgation partielle serait en contradiction avec les exceptions au droit d’accès prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième et septième tirets, de la décision 2004/258/CE de la BCE, du 4 mars 2004, relative à l’accès du public aux documents de la BCE (BCE/2004/3) (JO 2004, L 80, p. 42), telle que modifiée, d’une part, par la décision 2011/342/UE de la BCE, du 9 mai 2011 (BCE/2011/6) (JO 2011, L 158, p. 37), et, d’autre part, par la décision (UE) 2015/529 de la BCE, du 21 janvier 2015 (BCE/2015/1) (JO 2015, L 84, p. 64) (ci‑après la « décision 2004/3»), ainsi que par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la décision 2004/3.

10      Par lettre du 18 novembre 2016, les requérants ont adressé une demande confirmative au directoire de la BCE.

11      Par lettre du 15 décembre 2016 (ci‑après la « décision attaquée »), parvenue aux requérants le 19 décembre 2016 par courrier électronique, le directoire de la BCE a rejeté la demande confirmative. Ce refus était motivé en substance, d’une part, par la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique économique de l’Union européenne ou d’un État membre, en l’espèce, de la République hellénique, ce en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3, ainsi que, d’autre part, par la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la stabilité du système financier dans l’Union ou dans un État membre, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), septième tiret, de la décision 2004/3. En outre, le refus de la BCE était fondé sur des appréciations liées à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la décision 2004/3.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2017, les requérants ont formé le présent recours.

13      Le mémoire en défense a été déposé au greffe du Tribunal le 4 mai 2017.

14      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal respectivement le 28 juin et le 21 août 2017.

15      Par ordonnance du 21 mars 2018, le Tribunal a, sur le fondement de l’article 91, sous c), de l’article 92, paragraphe 1, et de l’article 104 de son règlement de procédure, ordonné à la BCE de produire les documents litigieux et a décidé que ceux-ci ne seraient pas communiqués aux requérants. La BCE a déféré à cette mesure d’instruction dans le délai imparti.

16      Sur proposition du juge rapporteur, et en l’absence de demande des parties à être entendues dans le cadre d’une audience de plaidoiries, le Tribunal (cinquième chambre), s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier de l’affaire, a décidé de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure, conformément à l’article 106, paragraphe 3, de son règlement de procédure.

17      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la BCE aux dépens.

18      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

19      Les arguments développés par les requérants à l’appui du recours peuvent être regroupés en trois moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3 et s’articule en deux branches. Dans le cadre de la première branche du premier moyen, les requérants reprochent en substance à la BCE de ne pas avoir suffisamment motivé la décision attaquée. Par la seconde branche de ce moyen, les requérants invoquent l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation. Le deuxième moyen des requérants est tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), septième tiret, de la décision 2004/3. Les branches de ce moyen concernent également l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation et un défaut de motivation. Enfin, le troisième moyen concerne une prétendue violation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la décision 2004/3, relatif à la protection des délibérations et des consultations préliminaires internes de la BCE.

20      À titre liminaire, s’agissant du cadre juridique applicable au droit d’accès aux documents de la BCE, il convient de relever que l’article 1er, deuxième alinéa, TUE est consacré au principe d’ouverture du processus décisionnel de l’Union. À cet égard, l’article 15, paragraphe 1, TFUE précise que, afin de promouvoir une bonne gouvernance et d’assurer la participation de la société civile, les institutions, les organes et les organismes de l’Union œuvrent dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture. Selon le paragraphe 3, premier alinéa, de cet article, tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statuaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, des organes et des organismes de l’Union, quel que soit leur support, sous réserve des principes et des conditions qui seront fixés conformément à ce paragraphe. En outre, selon le deuxième alinéa de ce paragraphe, les principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixés par voie de règlements par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, statuant conformément à la procédure législative ordinaire. Conformément au troisième alinéa de ce paragraphe, chaque institution, organe ou organisme assure la transparence de ses travaux et élabore dans son règlement intérieur des dispositions particulières concernant l’accès à ses documents, en conformité avec les règlements visés au deuxième alinéa dudit paragraphe. Selon le quatrième alinéa de ce paragraphe, la Cour de justice de l’Union européenne, la BCE et la Banque européenne d’investissement ne sont soumises au présent paragraphe que lorsqu’elles exercent des fonctions administratives (arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE, T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 39). En outre, ces institutions et cet organe décident de manière autonome tant de la possibilité, pour des tiers, d’avoir accès à des documents émanant d’elles que de l’étendue de cette possibilité.

21      La décision 2004/3 vise à autoriser un accès plus large aux documents de la BCE que celui qui pourrait être déduit de l’article 15 TFUE. De plus, elle vise, ainsi que ses considérants 2 et 3 l’indiquent, à autoriser un accès plus large aux documents de la BCE que celui qui existait sous le régime de la décision 1999/284/CE de la BCE, du 3 novembre 1998, concernant l’accès du public aux documents et aux archives de la BCE (BCE/1998/12) (JO 1999, L 110, p. 30), tout en veillant à protéger l’indépendance de la BCE et des banques centrales nationales ainsi que la confidentialité de certaines questions touchant à l’accomplissement des missions de la BCE. L’article 2, paragraphe 1, de la décision 2004/3 donne ainsi à tout citoyen de l’Union et à toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre un droit d’accès aux documents de la BCE, sous réserve des conditions et des limites définies par cette décision (arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE, T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 40).

22      Ce droit est soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêts public ou privé. Plus spécifiquement, et en conformité avec son considérant 4, la décision 2004/3 prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant la BCE à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par les paragraphes 1 et 2 de cet article ou dans le cas où ledit document contiendrait des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de la BCE ou avec les banques centrales nationales. Dès lors que les exceptions au droit d’accès visées à l’article 4 de la décision 2004/3 dérogent au droit d’accès aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE, T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 41).

23      Ainsi, lorsque la BCE décide de refuser l’accès à un document, dont la communication lui a été demandée, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2004/3, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cette disposition qu’elle invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêts du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE, T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635, point 42, et du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 73).

24      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments et les moyens soulevés par les requérants.

25      S’agissant du premier moyen, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3, la BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection de l’intérêt public, en ce qui concerne la politique financière, monétaire ou économique de l’Union ou d’un État membre.

26      Le Tribunal estime opportun d’examiner la seconde branche du premier moyen avant la première branche de ce dernier.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation

27      Par la seconde branche du premier moyen, les requérants font valoir en substance que les considérations de la BCE visant à démontrer qu’une divulgation des documents litigieux présenterait un risque pour l’intérêt protégé par l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3 sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.

28      En premier lieu, de l’avis des requérants, la BCE n’a pas démontré l’existence d’une situation comparable à celle qui était à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE (T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635). La situation étant à l’origine de cette affaire se caractériserait par le fait que, à l’époque, à savoir en octobre 2010, la divulgation des documents en cause avait été refusée au plus fort de la crise financière et à peine huit mois après la rédaction des documents. À cette date, de l’avis des requérants, il n’existait pas encore de données fiables concernant la situation financière de la République hellénique. De plus, Eurostat avait expressément insisté sur le fait qu’il existait des incertitudes à cet égard.

29      À présent, selon les requérants, il se peut, certes, que la crise financière grecque ne soit pas encore « définitivement terminée » et il est, toujours selon les requérants, notoire que le système financier grec ne possède pas la même stabilité que celui d’autres États membres de la zone euro. Néanmoins, « à l’heure actuelle », en ce qui concerne les conditions‑cadres et, notamment, les conditions en matière de financement de l’État grec, il serait loisible de parler d’une situation « nouvelle » et « fondamentalement différente ». En effet, en mars 2011, le Conseil européen aurait adopté la décision 2011/199/UE du 25 mars 2011 modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro (JO 2011, L 91, p. 1). En octobre 2011, les représentants du secteur de la finance se seraient mis d’accord sur une réduction de 50 % de la dette grecque. En février 2012, un deuxième paquet d’aides pour la République hellénique aurait été approuvé. En août 2015, un troisième paquet d’aides pour cet État membre aurait été agréé. De plus, la situation sur les marchés financiers se serait, s’agissant de cet État membre, considérablement améliorée. Ainsi, les primes de risque sur les rares obligations d’État grecques encore en circulation seraient actuellement stables à leur niveau de 2014. La situation des banques grecques se serait, quant à elle, durablement améliorée.

30      Enfin, de l’avis des requérants, la question de savoir si la République hellénique réussira à reprendre pied durablement ne dépendrait en réalité « certainement » pas de ce qui peut être lu dans des « analyses internes » de la BCE « datant de mars 2010 » ou d’une divulgation de celles‑ci, mais uniquement de la volonté réformatrice de ce pays et de la patience de ses créanciers, surtout des créanciers publics internationaux.

31      En deuxième lieu, les requérants, contestent en substance qu’une divulgation des documents litigieux puisse entraîner les conséquences invoquées par la BCE. Les risques pour la politique économique et la stabilité financière de la République hellénique, tels qu’ils sont allégués par la BCE dans la décision attaquée, qui résulteraient d’une éventuelle divulgation des documents litigieux n’existeraient pas en réalité.

32      Premièrement, il est, selon les requérants, évident que la divulgation d’une appréciation interne de la BCE peut avoir des conséquences considérables sur les marchés et il est notoire que les marchés réagissent à toute information émanant d’une institution telle que la BCE. Cependant, la réaction des marchés à la suite de la divulgation d’une information ne serait toutefois pas, de façon générale, synonyme d’une atteinte à l’intérêt public – au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3. Les développements de la BCE à cet égard seraient vagues. En particulier, la BCE n’indiquerait pas de quel type de spéculations il s’agit, ni dans quelle mesure ces spéculations pourraient avoir un effet négatif sur les marchés.

33      Deuxièmement, en l’espèce, il n’y aurait pratiquement que des acteurs étatiques qui seraient encore impliqués. Plus de 80 % de la dette publique grecque seraient à présent détenus par des créanciers publics et ne seraient plus négociés sur le marché. En revanche, au moment de l’éclatement de la crise, 95 % des obligations grecques auraient été détenues par des créanciers privés. Ne serait‑ce que pour cette raison, il n’y a, de l’avis des requérants, pas à craindre que des constats tels que ceux contenus dans les documents litigieux puissent influencer d’une quelconque manière le comportement actuel des opérateurs sur les marchés financiers. En tout état de cause, la BCE aurait la liberté d’assurer elle-même une couverture médiatique favorisant une interprétation correcte du contenu de ces documents.

34      Troisièmement, de l’avis des requérants, à lumière des précisions apportées par la Cour à l’égard des exceptions visées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), telles qu’elles figurent au point 56 de l’arrêt du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission (C‑362/08 P, EU:C:2010:40), il conviendrait d’exiger que la protection de la confidentialité de documents susceptibles de tomber sous le coup d’une exception au droit d’accès aux documents prévue dans la décision 2004/3 soit subordonnée à une « limite chronologique » qui ne dépende pas de la seule appréciation de la BCE.

35      Compte tenu notamment de l’ancienneté des informations en cause en l’espèce, leur divulgation ne serait plus susceptible de porter atteinte à l’intérêt public. Il serait évident pour tout un chacun que, ne serait‑ce que parce qu’ils ont été élaborés il y a six ans, les documents litigieux font état d’une situation passée, laquelle pourrait entretemps être dépassée depuis longtemps. Personne ne pourrait considérer que la BCE continue à l’heure actuelle d’envisager, à tout le moins sans réserves, certaines options examinées et manifestement rejetées il y a six ans. En revanche, les documents litigieux présenteraient un intérêt historique et non actuel. En tout état de cause, il faudrait indiquer que ces documents datent d’il y a bientôt sept ans. La BCE ne serait pas parvenue à expliquer pourquoi le public en général et les acteurs des marchés financiers en particulier ne sont pas en mesure d’opérer une distinction entre des informations actuelles, d’une part, et des informations entre‑temps totalement surannées, d’autre part.

36      La BCE conteste ces arguments. En particulier et en substance, elle conteste l’affirmation des requérants selon laquelle les risques pour la politique économique et la stabilité financière de la République hellénique, tels qu’ils sont allégués dans la décision attaquée, qui découleraient d’une éventuelle divulgation des documents litigieux, n’existent pas en réalité.

37      À titre liminaire, il est constant que les documents litigieux traitent d’aspects liés à la politique économique de l’Union et de la République hellénique. Dès lors, il y a lieu de constater que ces documents sont susceptibles d’entrer dans le champ de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3.

38      Ensuite, s’agissant de la question de savoir s’il convient de conclure à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation entachant l’application cette disposition, il y a lieu de relever d’emblée qu’une erreur peut seulement être qualifiée de manifeste lorsqu’elle est aisément perceptible et peut être détectée à l’évidence (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2013, Canga Fano/Conseil, T‑281/11 P, EU:T:2013:252, point 127).

39      En particulier, selon la jurisprudence, afin d’établir qu’une institution a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation d’un acte, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans cet acte. Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444, point 86 et jurisprudence citée). Par conséquent, le moyen tiré d’une erreur manifeste doit être rejeté si, en dépit des éléments avancés par la partie requérante, l’appréciation mise en cause peut être admise comme étant toujours vraie ou valable (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2017, Blaž Jamnik et Blaž/Parlement, T‑726/15, EU:T:2017:376, point 38 et jurisprudence citée). Il en est particulièrement ainsi lorsque l’acte en cause est entaché d’erreurs qui, fussent-elles prises dans leur ensemble, ne présentent qu’un caractère mineur insusceptible d’avoir déterminé l’institution (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2017, Blaž Jamnik et Blaž/Parlement, T‑726/15, EU:T:2017:376, point 39 et jurisprudence citée). En outre, la limitation du contrôle du juge de l’Union n’affecte pas le devoir de celui-ci de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêt du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444, point 87 et jurisprudence citée).

40      S’agissant de documents concernant des informations – sensibles – ayant trait à des missions qui sont imparties à la BCE aux fins de la définition et de la mise en œuvre de la politique monétaire de l’Union au titre des articles 127 et 282 TFUE, notamment au moyen de son intervention sur les marchés des capitaux, il y a lieu de relever que ces dernières dispositions confèrent à la BCE un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social ainsi que de situations soumises à des évolutions rapides, qui doivent être effectuées dans le contexte de l’Eurosystème, voire de l’Union dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 68).

41      Certes, il résulte de la jurisprudence que, lorsque la partie requérante soutient que l’exception à l’accès aux documents invoquée par l’institution concernée n’était pas applicable aux documents sollicités, il appartient au Tribunal d’apprécier in concreto si l’accès aux documents pouvait être valablement refusé par ladite institution sur le fondement de l’exception invoquée, en particulier en ordonnant la production de ces documents et en les examinant. En l’espèce, comme il a été indiqué au point 15 ci-dessus, le Tribunal a ordonné la production des documents litigieux afin de procéder à cet examen in concreto (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Jurašinović/Conseil, C‑576/12 P, EU:C:2013:777, point 27).

42      Toutefois, le large pouvoir d’appréciation dont la BCE dispose pour accomplir les missions qui lui sont imparties doit également lui être reconnu s’agissant de l’évaluation des risques d’affectation de la politique financière, monétaire ou économique de l’Union ou d’un État membre par la divulgation de documents dont elle est l’auteur qu’il lui appartient d’effectuer pour déterminer si l’intérêt public protégé par l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3 s’oppose à cette divulgation (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 53).

43      En l’espèce, dans la mesure où il se fonde sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3, le refus d’accès aux documents litigieux repose sur deux volets principaux. Le premier volet est destiné à étayer la thèse selon laquelle l’économie de la République hellénique et, en particulier, son secteur bancaire sont vulnérables. Dans le cadre du second volet, la BCE développe un argumentaire selon lequel une éventuelle divulgation des documents litigieux pourrait porter atteinte à l’économie affaiblie de la République hellénique, en particulier au système bancaire fragile de cet État membre, et, par conséquent, à la politique économique de l’Union ou d’un État membre, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3.

44      Plus précisément, dans le cadre du premier volet de ses appréciations concernant l’application de cette disposition, la BCE relève que, depuis mai 2010, le secteur bancaire grec a été restructuré, consolidé et réformé notamment dans le cadre de trois programmes d’ajustement économique. En s’appuyant sur un rapport de la Commission publié sur Internet le 10 juillet 2015 et portant le titre « Greece – request for stability support in the form of an ESM loan, Assessement of : a) the existence of a risk to the financial stability of the euro area ; b) whether the public debt is sustainable ; c) the actual or potential financing needs (in compliance with Art. 13 of ESM Treaty) », la BCE indique que, compte tenu des risques accrus existant à l’égard du financement étatique grec, liés au retrait massif des sommes en dépôt en République hellénique, ainsi qu’à la dégradation du développement macroéconomique dans cet État membre, la situation du secteur bancaire grec a empiré de façon dramatique depuis le début de l’année 2015. Dans ce contexte, le 9 juillet 2015, la République hellénique aurait demandé des aides financières supplémentaires. Le 19 août 2015, un mémorandum d’entente portant sur le troisième programme d’ajustement économique pour la Grèce (2015) aurait été signé par la Commission et la République hellénique. La BCE indique également qu’une évaluation des quatre banques importantes de cet État membre, effectuée par le système de supervision bancaire européen entre août et octobre 2015, avait révélé un manque de fonds propres équivalant à une somme de 14,4 milliards d’euros. La fragilité de l’économie grecque résulterait, selon la BCE, de la dépendance du secteur bancaire grec à la liquidité d’urgence (emergency liquidity assistance, ELA), d’une part, ainsi que de l’existence des contrôles de circulation des capitaux en vigueur à la date à laquelle la décision attaquée a été adoptée, d’autre part. À la page 3 de la décision attaquée, la BCE indique qu’il existe encore des risques d’exécution en ce qui concerne le troisième programme d’ajustement économique pour la Grèce (2015) et ce malgré les quelques progrès que l’économie grecque aurait connus en 2015 et 2016. En faisant référence notamment à un rapport intitulé « Compliance report, The Third Economic Adjustment Programme for Greece, First Review » et publié par le Conseil sur Internet en juin 2016, la BCE relève que de grandes incertitudes entourent les prévisions macroéconomiques concernant cet État membre. En effet, ainsi que le président des réunions mensuelles des ministres des Finances des États membres de la zone euro (Eurogroupe), l’aurait également indiqué dans un document du 5 décembre 2016, consultable sur Internet, les difficultés des banques grecques intervenues dans la première moitié de l’année 2015 n’auraient pas encore été neutralisées. Enfin, tous les acteurs concernés sauraient que, en raison de la dette publique de la Grèce, il existe de forts doutes quant à la viabilité des finances publics de cet État membre. Par ailleurs, le rendement du marché en ce qui concerne les titres de créance grecs serait très volatil.

45      Dans le cadre du second volet, la BCE explique à la page 4 de la décision attaquée que les documents litigieux font référence « a) au cadre de l’Union concernant la réglementation des comptes nationaux et des rapports adressés à Eurostat, ainsi que b) au cadre des garanties de l’Eurosystème pour des opérations monétaires ». Loin de se contenter de ce constat, qui est exprimé en des termes, certes brefs, mais tout à fait compréhensibles, la BCE précise le risque qu’une divulgation des documents litigieux pourrait entraîner pour l’économie grecque, dont la situation est, ainsi qu’il peut déjà être déduit du premier volet de son argumentation, encore fragile. Une divulgation du contenu des documents litigieux « comporterait un risque significatif et aigu de tromper de manière grave le grand public et en particulier les marchés financiers », d’une part, et de nuire à « la confiance du public dans la mise en œuvre effective de la politique économique de l’Union et de la République hellénique », d’autre part. Ainsi qu’il résulte de la lettre de la BCE du 27 octobre 2016, à titre d’exemple concret, la divulgation des documents litigieux pourrait avoir des répercussions négatives sur les progrès atteints dans le cadre du troisième programme du mécanisme européen de stabilité (MES) pour la République hellénique, lequel durera au moins jusqu’à la moitié de l’année 2018.

46      À la lumière de la jurisprudence citée au point 38 ci‑dessus, il y a lieu de relever que ces appréciations ne permettent pas de conclure à l’existence d’une erreur d’appréciation aisément perceptible et qui pourrait être détectée à l’évidence.

47      En outre, force est de constater que, en l’espèce, les requérants n’ont présenté aucun argument ni même aucun élément de preuve susceptible de remettre en cause la plausibilité des appréciations de la BCE visant à étayer le refus d’accès aux documents litigieux, telles qu’elles sont citées aux points 43 à 45 ci‑dessus.

48      En premier lieu, l’argument des requérants selon lequel la BCE n’a pas démontré l’existence d’une situation comparable à celle qui était à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE (T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635), à savoir une situation qui se caractérise par l’existence, au moment de l’adoption de la décision en litige en l’espèce, d’une vulnérabilité accrue de l’économie grecque et, en particulier, de son secteur bancaire, ne saurait convaincre. À cet égard, il convient de relever d’emblée que la situation économique en République hellénique à la date de l’adoption de la décision attaquée ne doit pas être nécessairement comparable à celle qui était à l’origine des faits qui ont conduit audit arrêt. En revanche, il importe à ce sujet de savoir si les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3 sont remplies et donc s’il peut être notamment conclu qu’une divulgation des documents litigieux entraînerait le risque allégué par la BCE dans la décision attaquée.

49      À ce sujet, les requérants se bornent à décrire d’une manière incomplète la situation économique de la République hellénique et de son secteur bancaire au moment de l’adoption de la décision attaquée. Pour l’essentiel, ils avancent que, s’agissant de cet État membre, en vertu des mesures et des programmes mentionnés au point 29 ci‑dessus, la situation sur les marchés financiers se serait considérablement détendue, que la situation des banques grecques se serait durablement améliorée et que, partant, il y aurait lieu de conclure à l’existence d’une situation « nouvelle » et « fondamentalement différente » en ce qui concerne l’économie grecque.

50      Dans la décision attaquée, la BCE a, en substance, examiné tous ces éléments. Cependant, loin de se borner uniquement à vérifier ces derniers, la BCE a pris également le soin d’évaluer des données qui jettent une autre lumière sur la situation économique de la République hellénique. Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 44 ci‑dessus, cette institution a pris en compte un rapport du Conseil intitulé « Compliance report, The Third Economic Adjustment Programme for Greece, First Review » et publié en juin 2016. Il ressort de ce rapport que, à la date de sa publication, de grandes incertitudes entouraient encore les prévisions macroéconomiques concernant cet État membre. La BCE a également pris en compte, dans la décision attaquée, un document, datant du 5 décembre 2016, du président de l’Eurogroupe en fonction à l’époque, Jeroen Dijsselbloem. Il en résultait que les difficultés des banques grecques intervenues dans la première moitié de l’année 2015 n’avaient pas encore été neutralisées en 2016.

51      Les requérants n’ont pas contesté de manière étayée, ni même abordé, les constatations figurant dans ces documents ni, en outre, les conclusions auxquelles les auteurs de ces documents sont parvenus. Au contraire, ainsi qu’il ressort de la requête, ils concèdent que la crise financière grecque, qui était déjà latente depuis des années mais qui était devenue évidente à partir de 2010, n’a, en très grande partie, pas encore été résolue à ce jour. Celavaut, de l’avis même des requérants, malgré le fait – qui est, par ailleurs, notoire – que les représentants du secteur financier se sont, en 2011, mis d’accord sur une réduction de 50 % de la dette grecque et en dépit du fait qu’un troisième paquet d’aides pour la République hellénique a été approuvé en août 2015.

52      En deuxième lieu, les arguments des requérants visant à remettre en cause le fait qu’une divulgation des documents litigieux pourrait avoir les conséquences mentionnées par la BCE dans la décision attaquée sont voués au rejet.

53      Premièrement, ainsi que l’a fait à juste titre valoir la BCE, cette institution n’est pas tenue de fournir de preuve définitive d’une conséquence déterminée sur le marché. En revanche, il est suffisant que les éléments qu’elle invoque puissent étayer la conclusion d’un risque prévisible.

54      Deuxièmement, le fait que 80 % de la dette publique grecque était, à la date de l’adoption de la décision attaquée, détenue par des créanciers publics ne permet pas de conclure qu’une divulgation du contenu des documents litigieux n’aurait pas d’effets négatifs sur le comportement des opérateurs sur les marchés financiers.

55      À la page 3 de la décision attaquée, la BCE a, en substance, réfuté la thèse des requérants selon laquelle des effets négatifs sur les marchés financiers seraient exclus du fait que 80 % de la dette publique grecque étaient détenus par des créanciers publics à la date de l’adoption de la décision attaquée. Ainsi qu’il peut être déduit des explications de la BCE contenues dans le mémoire en défense, un tel effet négatif peut être la volatilité des intérêts sur les marchés. En raison du fait que le nombre des créanciers privés détenant des titres relevant de la dette publique grecque est faible et que le volume de la dette grecque négociée sur les marchés est donc, lui aussi, relativement faible, la volatilité des intérêts de marché est grande. À cet égard, la BCE a précisé que, ainsi qu’il ressortait de sources publiques, accessibles sur Internet, à savoir Reuters, à propos du Statistical Data Warehouse (SDW) de la BCE, après un premier semestre 2016 très volatil, une tendance à la baisse du rendement des obligations d’État d’une durée de deux ans était observée. Cette tendance à la baisse aurait toutefois pris fin au début du mois de novembre 2016 et se serait finalement inversée. Par ailleurs, cette volatilité aurait perduré à la date de l’adoption de la décision attaquée, le 15 décembre 2016. Les requérants n’ont pas contesté ces appréciations en s’appuyant sur des éléments concrets et vérifiables. Or, loin de relever de la catégorie des situations purement hypothétiques, ces faits sont un indicateur des tensions accrues et des incertitudes du marché.

56      Troisièmement, il est vrai que, au point 56 de l’arrêt du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission (C‑362/08 P, EU:C:2010:40), la Cour a rappelé que, en vertu de l’article 4, paragraphe 7, du règlement no 1049/2001, les exceptions visées aux paragraphes 1 à 3 de cet article ne sauraient s’appliquer qu’au cours de la période durant laquelle la protection se justifiait eu égard au contenu du document.

57      Pareille précision se trouve à l’article 4, paragraphe 6, de la décision 2004/3. Selon cette dernière disposition, « [l]es exceptions visées au présent article s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document ».

58      Toutefois, l’article 4, paragraphe 6, première phrase, de la décision 2004/3 ne fait qu’énoncer, en substance, l’obligation, pour la BCE, de limiter le refus d’accès aux documents à la période pour laquelle il peut être conclu qu’il existe un risque pour l’un des intérêts protégés notamment à l’article 4, paragraphe 1, de cette décision. Il ne ressort pas de l’article 4, paragraphe 6, première phrase, de la décision 2004/3 que le seul fait qu’un certain nombre d’années se soient écoulées après l’élaboration d’un document doit, dans tous les cas, avoir une incidence déterminante sur le sort à réserver à une demande d’accès à ce document. En effet, la question pertinente à cet égard est celle de savoir si l’ensemble des conditions prévues à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2004/3 sont réunies.

59      De plus, l’argument des requérants selon lequel, en substance, compte tenu notamment des six années qui se sont écoulées depuis la rédaction des documents litigieux, la divulgation des informations en cause en l’espèce ne serait plus susceptible de porter atteinte à l’intérêt public car personne ne pourrait considérer que la BCE continue à l’heure actuelle d’envisager, à tout le moins sans réserves, certaines options examinées et manifestement rejetées il y a six ans, ce qui démontrerait que les documents litigieux présentent un intérêt historique et non actuel (voir point 35 ci‑dessus), doit être rejeté. Il en va de même de l’argument selon lequel, en substance, l’autorité invoquant la confidentialité d’opérations commerciales terminées depuis longtemps se soumettrait à une charge de la preuve spécifique (voir point 35 ci‑dessus).

60      En effet, d’une part, le laps de temps écoulé n’est que l’un des éléments à prendre en compte, le cas échéant, lors d’une mise en balance avec les intérêts visés à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2004/3. Or, dans la décision attaquée, la BCE a bien pris en compte cet élément.

61      D’autre part, il est vrai que d’éventuels intérêts à maintenir la confidentialité de certains documents peuvent diminuer au fil du temps. Ainsi, le laps de temps écoulé peut dans certains cas effectivement conduire à ce qu’un document ne présente qu’un intérêt historique et non actuel.

62      Toutefois, en l’espèce, ainsi qu’il a été relevé au point 6 ci‑dessus, les documents litigieux concernent des transactions et des pratiques qui sont directement et indirectement liées à des processus actuels. Dans ces conditions, le fait que six années se sont écoulées ne saurait affecter la conclusion selon laquelle l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation des faits dans le cadre de l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret de la décision 2004/3 ne peut pas être constatée.

63      En troisième lieu, l’argument des requérants selon lequel la BCE dispose de la liberté d’assurer elle-même une couverture médiatique favorisant une interprétation correcte du contenu des documents litigieux doit être rejeté. En effet, il résulte du libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3 que, si la BCE constate que la divulgation d’un document porte atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique financière, monétaire ou économique de l’Union ou d’un État membre, elle est tenue de refuser une telle divulgation. Par conséquent, la faculté que la BCE aurait de corriger d’éventuelles interprétations erronées de ce document, s’il était divulgué, est dépourvue d’incidence.

64      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la décision de la BCE de refuser de donner aux requérants accès aux documents litigieux n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

65      Par conséquent, la seconde branche du premier moyen doit être rejetée.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’obligation de motivation

66      Dans le cadre la première branche du premier moyen, en se référant expressément à l’arrêt du 29 novembre 2012, Thesing et Bloomberg Finance/BCE (T‑590/10, non publié, EU:T:2012:635), les requérants soutiennent en substance que la BCE aurait violé son obligation de motivation. Selon eux, la motivation de la décision attaquée se résume à la simple affirmation, sommaire et répétée, selon laquelle la situation économique de la République hellénique est toujours fragile. La BCE se contenterait d’affirmer sommairement qu’une divulgation (totale ou partielle) des documents litigieux présenterait un risque prévisible et non purement hypothétique pour la politique économique de l’Union et de la République hellénique étant donné qu’une divulgation présenterait un risque important et grave de tromper fortement le public en général et les marchés financiers en particulier. Toutefois, la BCE ne préciserait pas en quoi ce prétendu risque est censé consister. En particulier, l’argumentation de la BCE, selon laquelle une divulgation des analyses contenues dans les documents litigieux aurait des répercussions négatives sur les progrès visés dans le cadre du troisième programme du MES pour la République hellénique, ne permettrait pas de déceler les prétendues répercussions négatives ni de savoir dans quelle mesure il est possible de porter atteinte à la politique économique et à la stabilité financière de ce pays. Enfin, cette institution n’expliquerait pas la raison pour laquelle, en 2016, après une modification fondamentale des conditions financières en République hellénique, les analyses contenues dans les documents litigieux pourraient, au bout de six ans, être encore de nature à provoquer des « irritations » parmi les opérateurs de marché et avoir d’éventuelles répercussions négatives sur le comportement actuel ou futur de ceux‑ci en les induisant en erreur.

67      À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 296, paragraphe 2, TFUE, les actes juridiques sont motivés.

68      La motivation d’une décision doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et refléter les considérations de l’institution de l’Union qui a adopté l’acte juridique de manière claire et non équivoque, de sorte que les intéressés puissent comprendre les motifs de la mesure adoptée et que les juridictions de l’Union puissent exercer leur contrôle (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35, et du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 32).

69      Plus précisément, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences requises doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 11 septembre 2003, Autriche/Conseil, C‑445/00, EU:C:2003:445, point 49, et du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 33).

70      En l’espèce, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 40 ci‑dessus, les documents litigieux contiennent des informations ayant trait à des missions qui sont imparties à la BCE aux fins de la définition et de la mise en œuvre de la politique monétaire de l’Union au titre des articles 127 et 282 TFUE. Ces dernières dispositions confèrent à la BCE un large pouvoir d’appréciation.

71      Selon la jurisprudence, dans un contexte caractérisé par le fait qu’une institution dispose d’une large marge d’appréciation, en raison du contrôle limité du juge de l’Union à cet égard, le respect de l’obligation pour l’institution concernée de motiver de façon suffisante ses décisions revêt une importance d’autant plus fondamentale. En effet, c’est seulement ainsi que le juge de l’Union est en mesure de vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Versorgungswerk der Zahnärztekammer Schleswig-Holstein/BCE, T‑376/13, EU:T:2015:361, point 54).

72      En l’espèce, compte tenu des critères jurisprudentiels rappelés aux points 68 à 71 ci‑dessus, il y a lieu de constater que les raisonnements développés par la BCE dans la décision attaquée (voir points 43 à 45 ci‑dessus) satisfont aux exigences de l’obligation de motivation.

73      En effet, les appréciations de la BCE sont claires et non équivoques. En particulier, elles permettent de comprendre de quelle manière l’accès aux documents litigieux pourrait concrètement et effectivement porter atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3. À cet égard, il y a lieu de souligner que le risque « de tromper le grand public et en particulier les marchés financiers », d’une part, et de nuire à « la confiance du public dans la mise en œuvre effective de la politique économique de l’Union et de la République hellénique », d’autre part, peut porter atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la politique économique de l’Union ou d’un État membre, au sens dudit article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret.

74      La motivation de la décision attaquée permet également de comprendre la raison pour laquelle la BCE considère que ce risque est raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Tel est le cas, selon la BCE, car la situation économique de la République hellénique se trouve dans un état fragile et le contenu des documents litigieux concerne des transactions et des pratiques liées à des processus actuels, qui sont, quant à eux, relatifs à cet état fragile.

75      Ces appréciations de la BCE n’ont pas empêché les requérants de connaître la base légale sur laquelle cette institution avait fondé le rejet de leur demande d’accès aux documents litigieux. Elles n’ont pas empêché les requérants de comprendre les motifs étant à l’origine du refus d’accès aux documents. En revanche, ces considérations ont permis aux requérants de contester la décision attaquée en invoquant divers arguments à l’encontre de celle-ci parmi lesquels figure, notamment, celui selon lequel, en substance, la situation économique en République hellénique aurait changé de façon significative depuis 2010. Or, les requérants n’auraient pas été en mesure de faire valoir de tels arguments ni de soulever de tels moyens si la motivation de la décision attaquée avait été insuffisante.

76      Enfin, les appréciations de la BCE citées aux points 43 à 45 ci‑dessus, permettent également au Tribunal de contrôler le bien-fondé des considérations de la BCE.

77      Aucun des arguments avancés par les requérants ne permet de revenir sur la conclusion mentionnée au point 72 ci‑dessus.

78      L’argument selon lequel la BCE aurait seulement indiqué l’existence d’un risque de tromper le public en général et les marchés financiers en particulier, sans toutefois préciser en quoi ce risque consistait, est voué au rejet. Il en va de même pour ce qui est de l’argument des requérants selon lequel, en substance, la motivation de la décision attaquée ne permettrait pas de savoir pourquoi, en 2016, après les progrès accomplis dans le cadre du troisième programme du MES pour la République hellénique, et donc après une modification fondamentale des conditions financières dans cet État membre, une divulgation des documents litigieux pourrait avoir des répercussions négatives sur le comportement actuel ou futur des opérateurs de marché en les induisant en erreur. Le même sort doit être réservé à l’argument selon lequel la BCE n’expliquerait pas la raison pour laquelle, en 2016, les analyses contenues dans ces documents devraient, après six années, être encore de nature à provoquer des « irritations » parmi les opérateurs de marché.

79      À cet égard, il y a lieu de relever que la BCE a répondu aux arguments des requérants présentés dans leur demande confirmative en se fondant sur une analyse, certes succincte, de la situation économique de la République hellénique. Toutefois, l’obligation, pour la BCE, de motiver un refus d’accès à des documents ne revient pas à une obligation de fournir une motivation qui a le niveau de détail d’un avis scientifique. En d’autres termes, la motivation de la décision attaquée ne doit pas posséder l’étendue ni même le caractère détaillé d’une expertise macro-économique. Dès lors, en l’espèce, il y a lieu de constater qu’il n’appartenait pas à la BCE d’expliciter d’une façon encore plus détaillée que celle qui ressort déjà de la décision attaquée tous les éléments permettant de déduire un rapport de causalité entre une éventuelle divulgation des documents litigieux et le risque que celle-ci constituerait pour l’économie grecque, et, en particulier, pour son secteur bancaire. Le simple fait que certains des produits dérivés dont il est question dans les documents litigieux existent encore sur le marché et sont actuellement encore négociés (voir point 6 ci‑dessus) est suffisant pour permettre à quiconque de comprendre qu’une divulgation des documents litigieux pourrait entraîner un grave risque de disfonctionnement des marchés financiers pertinents et serait susceptible de porter atteinte de manière concrète à la protection de l’intérêt public, en ce qui concerne la politique économique de l’Union ou d’un État membre au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, du la décision 2004/3.

80      En conséquence, la première branche du premier moyen doit être rejetée, ainsi que, partant, le premier moyen dans son intégralité.

81      Étant donné que la BCE pouvait, à bon droit, fonder son refus d’accorder l’accès aux documents litigieux sur l’exception au droit d’accès prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de la décision 2004/3, il n’est plus nécessaire d’examiner les deuxième et troisième moyens concernant les exceptions au droit d’accès prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), septième tiret, et à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de ladite décision.

82      Au vu de tout ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son intégralité comme étant non fondé.

 Sur les dépens

83      En vertu de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

84      Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BCE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co. KG et M. Michael Sauga supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Banque centrale européenne (BCE).

Gratsias

Dittrich

Xuereb

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.

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