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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Korwin-Mikke v Parliament (Judgment) French Text [2018] EUECJ T-770/16 (31 May 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/T77016.html Cite as: ECLI:EU:T:2018:320, [2018] EUECJ T-770/16, EU:T:2018:320 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
31 mai 2018 (*)
« Droit institutionnel – Parlement européen – Règlement intérieur du Parlement – Comportement portant atteinte à la dignité du Parlement et au bon déroulement des travaux parlementaires – Sanctions disciplinaires de perte du droit à l’indemnité de séjour et de suspension temporaire de participation à l’ensemble des activités du Parlement – Liberté d’expression – Obligation de motivation – Erreur de droit »
Dans l’affaire T‑770/16,
Janusz Korwin-Mikke, demeurant à Józefów (Pologne), représenté par Mes M. Cherchi et A. Daoût, avocats,
partie requérante,
contre
Parlement européen, représenté par M. S. Alonso de León et Mme S. Seyr, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du président du Parlement du 5 juillet 2016 et de la décision du bureau du Parlement du 1er août 2016, infligeant au requérant la sanction de perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de dix jours et de suspension temporaire de sa participation à l’ensemble des activités du Parlement pour une période de cinq jours consécutifs et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par le requérant du fait desdites décisions,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),
composé de MM. G. Berardis, président, S. Papasavvas (rapporteur), D. Spielmann, Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, juges,
greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 novembre 2017,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le requérant, M. Janusz Korwin-Mikke, est député au Parlement européen.
2 Lors de la séance plénière du Parlement du 7 juin 2016 (ci-après la « séance plénière du 7 juin 2016 »), ayant pour thème « L’état actuel des aspects extérieurs du programme européen sur la migration : pour une nouvelle entente sur la migration », le requérant a déclaré en polonais :
« Le problème ne vient pas du fait que les immigrants nous submergent, mais du fait que ce sont des immigrants inappropriés. Ils ne veulent pas du tout travailler à Bayerische Motorwerke ni chez Aldi. On leur a promis d’importantes allocations et ils veulent recevoir d’importantes allocations. Une fois déjà, [j’ai fait allusion à eux], ce qui m’a coûté 3 000 euros, mais un diplomate congolais a dit que l’Europe était submergée par le cloaque africain. Alors, nous pouvons être fiers du fait que nous avons libéré une partie de l’Afrique de ce cloaque, mais notre devoir est de faire entendre raison à ces gens. Eh bien, rien ne fait entendre raison mieux que la faim. Il faut cesser de leur payer les allocations et tout simplement les forcer à travailler. Et vu que l’exemple, c’est le meilleur enseignant, nous devons leur donner l’exemple et cesser de payer les allocations à nous-mêmes également, car nous démoralisons nos propres gens aussi. »
3 À la suite de ces propos, la vice-présidente du Parlement qui conduisait les débats a invité le requérant à « s’adresser avec respect à l’Assemblée ». Immédiatement après, une députée européenne a soulevé un carton bleu et a demandé au requérant d’apporter des preuves à l’appui de ses affirmations.
4 En réponse à cette interpellation, le requérant a déclaré :
« [...] l’Amérique aussi était exploitée, et elle a un développement excellent. Par contre, je fais juste référence à l’opinion d’un diplomate du Congo – pays qui en sait quelque chose sur l’émigration d’Afrique. Moi je sais une chose : quand on paie les gens pour ne rien faire, on les démoralise. Il faut liquider toutes les allocations. Les gens doivent vivre du travail, pas des allocations. »
5 Le requérant a ultérieurement repris la parole pour préciser la traduction en anglais d’un mot employé lors de son intervention.
6 Le 8 juin 2016, le requérant a été convoqué par le président du Parlement à une audition qui s’est tenue le 14 juin 2016.
7 Par courriel du 9 juin 2016, le requérant a transmis à la vice-présidente du Parlement qui avait conduit les débats en cause un film diffusé sur le site Internet Youtube au cours duquel peuvent être entendus les propos tenus par le diplomate congolais auquel il a fait allusion dans son intervention du 7 juin 2016.
8 Par décision du 5 juillet 2016 (ci-après la « décision du président »), le président du Parlement a infligé au requérant les sanctions de perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée de dix jours et de suspension temporaire de sa participation à l’ensemble des activités du Parlement pour une période de cinq jours consécutifs, sans préjudice de l’exercice du droit de vote en séance plénière.
9 Le 18 juillet 2016, le requérant a introduit un recours interne devant le bureau du Parlement à l’encontre de la décision du président, en demandant l’annulation des sanctions prononcées à son encontre ainsi que des excuses publiques du président du Parlement devant le Parlement pour avoir employé des termes insultants à son égard.
10 Par décision du 1er août 2016 (ci-après la « décision du bureau »), notifiée au requérant le 2 septembre 2016, le bureau du Parlement a maintenu les sanctions infligées au requérant par la décision du président.
Procédure
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 novembre 2016, le requérant a introduit le présent recours.
12 Sur proposition de la sixième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
13 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a invité le Parlement à déposer certains documents et les parties à répondre à certaines questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
14 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 novembre 2017.
Conclusions des parties
15 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision du président ;
– annuler la décision du bureau ;
– ordonner la réparation des préjudices financier et moral causés par les décisions du président et du bureau, évalués à 13 060 euros ;
– condamner le Parlement aux dépens.
16 Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter la demande en annulation de la décision du président comme irrecevable ;
– rejeter la demande en annulation de la décision du bureau comme non fondée ;
– rejeter la demande indemnitaire comme partiellement irrecevable et partiellement non fondée ;
– condamner le requérant aux dépens.
17 Lors de l’audience, le requérant a déclaré renoncer au premier chef de conclusions, en estimant que la décision du président avait été remplacée par la décision du bureau, qui constitue la position finale du Parlement, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.
En droit
Sur les conclusions en annulation
18 À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 166 du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « règlement intérieur »), de la liberté de parole et d’expression et de l’obligation de motivation. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), du principe général d’impartialité et de l’obligation de motivation. Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 6 de la CEDH, des droits de la défense et de l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur. Le quatrième moyen est tiré de la violation des principes de proportionnalité et non bis in idem ainsi que de la violation de l’obligation de motivation.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 166 du règlement intérieur, de la liberté de parole et d’expression et de l’obligation de motivation
19 Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, par le présent moyen, divisé en trois branches, le requérant, invoque, en substance, outre la violation de sa liberté d’expression, la violation de l’article 166 du règlement intérieur, en ce que, d’une part, le Parlement n’aurait pas établi que les conditions requises aux fins de l’application de cette disposition étaient remplies et, d’autre part, ladite décision ne serait pas suffisamment motivée. Cela a, au demeurant, été confirmé lors de l’audience, ce dont il a été pris acte.
20 Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, la troisième branche, puis, conjointement, la première et la deuxième.
– Sur la troisième branche, prise d’une violation de l’obligation de motivation
21 Le requérant soutient que la décision du bureau ne satisfait pas à l’obligation de motivation, dans la mesure où, premièrement, elle ne fait pas état d’éventuelles répercussions dans la presse ou de réactions au niveau politique, deuxièmement, elle ne constate pas que ses propos auraient constitué une incitation à la haine et, troisièmement, elle ne tient pas compte du fait que lesdits propos avaient été initialement tenus par un diplomate congolais. De plus, la motivation de la décision en cause ne permettrait pas de savoir s’il a troublé de manière exceptionnellement grave la séance plénière du 7 juin 2016, ni quels sont les principes définis à l’article 11 du règlement intérieur qui auraient été violés.
22 Le Parlement conteste cette argumentation.
23 Il convient de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 22 mai 2012, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑300/10, EU:T:2012:247, point 180 et jurisprudence citée). En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Cette motivation peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir ordonnance du 12 juillet 2012, Dover/Parlement, C‑278/11 P, non publiée, EU:C:2012:457, point 36 et jurisprudence citée).
24 Par ailleurs, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 22 mai 2012, Internationaler Hilfsfonds/Commission, T‑300/10, EU:T:2012:247, point 181 et jurisprudence citée).
25 En l’espèce, la décision du bureau comprend trois sections. La première (points 1 à 27 de la décision) expose les faits qui ont conduit à l’adoption des sanctions en cause, les déclarations précédentes du requérant ayant déjà fait l’objet de sanctions et la procédure de recours interne engagée par ce dernier contre la décision du président. La deuxième (points 28 à 37 de la décision) vise à établir que le comportement du requérant constitue une violation de l’article 11 du règlement intérieur. Enfin, la troisième (points 38 à 45 de la décision) contient une appréciation juridique de l’article 166 du règlement intérieur.
26 En particulier, aux points 28 à 31 de sa décision, après avoir rappelé, d’une part, le libellé de l’article 11, paragraphes 2 et 3, du règlement intérieur et, d’autre part, la portée du droit à la liberté de parole et d’expression, le bureau du Parlement a relevé que ce droit pouvait être limité s’il violait d’autres droits, « notamment s’il bless[ait] ou insult[ait] d’autres personnes » ou « pour assurer la protection des droits ou de la réputation d’autres personnes ». Ainsi, au point 32 de ladite décision, le bureau du Parlement a indiqué que le principe de liberté de parole garanti à l’ensemble des députés au Parlement n’était pas applicable « au langage insultant, injurieux ou manquant de respect » ou « au comportement portant atteinte à la dignité du Parlement […] et constituant la violation des valeurs et principes fondamentaux de l’Union ».
27 S’agissant du comportement reproché au requérant, les critiques émises par le Parlement dans la décision du bureau portaient sur « le langage […] délibérément offensant et provocant, non seulement à l’encontre des personnes d’origine africaine, mais aussi envers le Parlement entier » (point 33) ; sur « [l]a méthode de citer d’autres personnes […] utilisée délibérément […] avec l’intention de prononcer sa propre opinion » (point 34) ; sur le caractère « assurément insultan[t] envers les destinataires » de l’« idée de forcer par la faim les gens à travailler » portant « atteinte à la dignité du Parlement […] et constitu[ant] la violation des valeurs et principes fondamentaux de l’Union » (point 36) et, enfin, sur le « comportement » du requérant lequel « constitu[ait] la violation de l’art[icle] 11, [paragraphe] 2[,] du [r]èglement [intérieur], car il manquait de respect mutuel, portait atteinte aux valeurs et principes définis dans les actes fondamentaux de l’U[nion] et notamment à la dignité du Parlement » (point 37).
28 Il s’ensuit que, sans préjudice de l’examen de son bien-fondé, qui sera effectué dans le cadre des première et deuxième branches du présent moyen, la décision du bureau comporte une motivation conforme aux exigences de l’article 296 TFUE.
29 Par conséquent, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée.
– Sur les première et deuxième branches, tirées, respectivement, d’une violation de la liberté d’expression et d’une violation de l’article 166 du règlement intérieur
30 Le requérant fait valoir, en substance, que le Parlement n’aurait pas établi que les conditions requises aux fins de l’application de l’article 166 du règlement intérieur étaient remplies et qu’il lui aurait ainsi imposé une sanction disciplinaire en violation de la liberté d’expression accrue dont il bénéficierait en tant que parlementaire, conformément à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »).
31 À cet égard, il soutient, en premier lieu, que la décision du bureau est entachée d’une erreur de droit, en ce qu’elle ne tiendrait pas suffisamment compte du fait que ses propos, prononcés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions parlementaires dans l’enceinte du Parlement, constituaient des éléments de son discours politique.
32 En deuxième lieu, le requérant soutient que la décision du bureau ne démontre pas que ses propos ont effectivement troublé la séance plénière du 7 juin 2016 de manière exceptionnellement grave ou qu’ils ont perturbé les travaux en violation de l’article 11 du règlement intérieur, de sorte à considérer que les conditions de fond visées à l’article 166 dudit règlement étaient effectivement remplies.
33 En troisième lieu, le requérant fait valoir qu’il ressort des motifs de la décision du bureau qu’il a été également sanctionné pour des propos tenus en marge de la séance plénière du 7 juin 2016 ou dans le cadre de l’exercice de ses droits de la défense, lesquels n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 166 du règlement intérieur.
34 Le Parlement fait valoir, tout d’abord, que l’examen de la validité de la décision du bureau doit être opéré uniquement au regard des droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, en particulier au regard de son article 11, qui consacre la liberté d’expression, et son interprétation par le juge de l’Union européenne. La jurisprudence de la Cour EDH invoquée par le requérant ne serait donc pas applicable au cas d’espèce, mais pourrait, tout au plus, servir de source d’inspiration. À supposer même qu’elle le soit, il n’en résulterait pas que sa liberté de parole soit illimitée.
35 Le Parlement souligne, ensuite, que, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 166 et 167 du règlement intérieur, son président et, le cas échéant, le bureau du Parlement disposent d’une certaine marge d’appréciation. Le contrôle du Tribunal devrait, dès lors, se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’un détournement de pouvoir et si les garanties procédurales ont été respectées.
36 Le Parlement prétend, enfin, que, contrairement à l’argumentation du requérant, la décision du bureau n’a pas été adoptée en violation de sa liberté d’expression et est conforme à l’article 11, paragraphes 2 et 3, et à l’article 166 du règlement intérieur. En outre, il estime que l’argumentation du requérant manque en fait, dans la mesure où ladite décision aurait effectivement tenu compte de la circonstance que ses propos avaient été tenus dans le cadre de l’exercice de ses fonctions parlementaires.
37 Il importe de constater, d’emblée, que le Parlement ne saurait contester la pertinence de la CEDH ainsi que de la jurisprudence de la Cour EDH en l’espèce, aux fins de l’examen de la violation de l’article 166 du règlement intérieur.
38 En effet, s’il est exact que la CEDH ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 44, et du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 45) et que, par conséquent, l’examen de la validité d’un acte de droit dérivé de l’Union doit être opéré au regard uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte (arrêt du 15 février 2016, N., C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 46), il convient de rappeler, d’une part, que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et que, d’autre part, il découle de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte que les droits contenus dans celle-ci, correspondant à des droits garantis par la CEDH, ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère la CEDH. Aux termes des explications relatives à cette disposition, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation, le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH, mais aussi, notamment, par la jurisprudence de la Cour EDH (voir arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horațiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 41 et jurisprudence citée). Il ressort, en outre, desdites explications que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans la Charte et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 28 juillet 2016, JZ, C‑294/16 PPU, EU:C:2016:610, point 50). De surcroît, il doit être relevé que cette équivalence entre les libertés garanties par la Charte et celles garanties par la CEDH a été énoncée formellement concernant la liberté d’expression (arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, EU:C:2016:325, point 147).
39 S’agissant, en particulier, de la liberté d’expression, il importe de rappeler qu’elle occupe une place essentielle dans les sociétés démocratiques et qu’elle constitue, à ce titre, un droit fondamental notamment garanti par l’article 11 de la Charte, l’article 10 de la CEDH et l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966 (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 31).
40 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que, sous réserve de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH, la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme étant inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique (Cour EDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, CE:ECHR:1976:1207JUD000549372, § 49).
41 Le droit à la liberté d’expression ne constitue toutefois pas une prérogative absolue et son exercice peut être soumis, sous certaines conditions, à des restrictions.
42 Or, vu l’importance fondamentale de la liberté d’expression, les restrictions à celle-ci doivent s’apprécier strictement, et, ainsi qu’il ressort tant de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH que de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, les ingérences dans la liberté d’expression ne sont permises que si elles répondent à une triple condition. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre la liberté d’expression d’une personne doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation en cause ne doit pas être excessive, ce qui implique, d’une part, qu’elle doit être nécessaire et proportionnée au but recherché et, d’autre part, que la substance de la liberté visée ne doit pas être atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée).
43 Il importe encore de préciser qu’une ingérence ou une restriction à la liberté d’expression ne peut être considérée comme étant « prévue par la loi » que si la norme est énoncée avec suffisamment de précision de manière à être prévisible dans ses effets et à permettre à son destinataire de régler sa conduite (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 février 2004, Maestri c. Italie, CE:ECHR:2004:0217JUD003974898, § 30).
44 Il convient par ailleurs de relever que, dans une démocratie, le Parlement ou les organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique. Une ingérence dans la liberté d’expression exercée dans le cadre de ces organes ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux (Cour EDH, 17 décembre 2002, A. c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2002:1217JUD003537397, § 79).
45 En outre, ainsi que l’a constamment relevé la Cour EDH dans sa jurisprudence, la liberté d’expression des parlementaires revêt une importance particulière. En effet, précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Partant, des ingérences dans la liberté d’expression d’un parlementaire de l’opposition, tel le requérant, commandent au juge de se livrer à un contrôle des plus stricts (Cour EDH, 23 avril 1992, Castells c. Espagne, CE:ECHR:1992:0423JUD001179885, § 42).
46 Il convient ainsi de considérer que la liberté d’expression des parlementaires doit se voir accorder une protection accrue eu égard à l’importance fondamentale que le Parlement joue dans une société démocratique.
47 Cependant, tout en soulignant que tout propos tenu dans l’enceinte parlementaire appelle un haut degré de protection, la Cour EDH a récemment admis, au regard du lien étroit existant entre le caractère véritablement démocratique d’un régime politique et le fonctionnement du Parlement, que l’exercice de la liberté d’expression au sein du Parlement doit parfois s’effacer devant les intérêts légitimes que sont la protection du bon ordre des activités parlementaires et la protection des droits des autres parlementaires (Cour EDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, CE:ECHR:2016:0517JUD004246113, § 138 à 141).
48 Il importe de relever que la Cour EDH, d’une part, a lié la possibilité pour un parlement de sanctionner le comportement d’un de ses membres à la nécessité de veiller au bon ordre des travaux parlementaires et, d’autre part, a reconnu aux parlements une large autonomie pour réglementer la manière, le moment et le lieu choisis par les parlementaires pour leurs interventions (le contrôle exercé par la Cour EDH étant en conséquence restreint), mais, en revanche, une très faible latitude pour encadrer la teneur des propos tenus par les parlementaires (le contrôle exercé par la Cour EDH étant en conséquence plus rigoureux). Dans sa jurisprudence, elle évoque, à cet égard, uniquement « une certaine dose de réglementation […] nécessaire afin de faire échec à des moyens d’expression tels que des appels directs ou indirects à la violence » (Cour EDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, CE:ECHR:2016:0517JUD004246113, § 140).
49 Il s’ensuit que, d’une part, un règlement interne d’un parlement ne pourrait prévoir la possibilité de sanctionner des propos tenus par les parlementaires que dans l’hypothèse où ceux-ci porteraient atteinte au bon fonctionnement du Parlement ou représenteraient un danger sérieux pour la société tel que des appels à la violence ou à la haine raciale.
50 D’autre part, le pouvoir, reconnu aux parlements, d’infliger des sanctions disciplinaires afin d’assurer la bonne conduite de leurs activités ou la protection de certains droits, principes ou libertés fondamentaux devrait se concilier avec la nécessité d’assurer le respect de la liberté d’expression des parlementaires.
51 Partant, il convient de vérifier, en tenant compte de l’importance particulière que revêt la liberté d’expression des parlementaires et des limites strictes dans lesquelles des restrictions peuvent être apportées à cette liberté, conformément aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour EDH dans ce contexte, si, en infligeant la sanction disciplinaire en cause, le Parlement a observé les conditions prévues par l’article 166, paragraphe 1, de son règlement intérieur.
52 En l’espèce, le règlement intérieur, dans sa version en vigueur au moment des faits telle qu’appliquée par le bureau du Parlement, prévoit, au quatrième chapitre de son titre VII intitulé « Mesures en cas de non-respect des règles de conduite applicables aux députés », des mesures d’application immédiate, pouvant être prises par le président de la séance pour rétablir l’ordre (article 165 du règlement intérieur) et des sanctions disciplinaires pouvant être adoptées par le président du Parlement à l’égard d’un député (article 166 du règlement intérieur).
53 En vertu de l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur, qui a été appliqué en l’espèce, le président du Parlement arrête une décision motivée prononçant la sanction appropriée « [d]ans le cas où un député trouble la séance d’une manière exceptionnellement grave ou perturbe les travaux du Parlement en violation des principes définis à l’article 11 […]. ».
54 Or, il convient de souligner que le libellé de l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur diffère selon les versions linguistiques dudit règlement. Ainsi, à la différence de la version en langue française de cette disposition, produite par le Parlement à la demande du Tribunal et citée au point 53 ci-dessus ainsi qu’au point 38 de la décision du bureau, ainsi que, notamment, des versions en langues allemande, italienne, espagnole, néerlandaise et grecque, la version en langue anglaise ne mentionne pas la perturbation « des travaux » ou « de l’activité » du Parlement, mais emploie l’expression « disruption of Parliament ». D’après le Parlement, cette expression ne porterait pas uniquement sur les travaux parlementaires au sein de l’hémicycle, mais désignerait une situation plus large que la séance, englobant également l’impact sur sa réputation ou sa dignité en tant qu’institution.
55 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la nécessité d’une interprétation uniforme d’une disposition exige, en cas de divergence entre les différentes versions linguistiques de celle-ci, que la disposition en cause soit interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2016, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14, EU:C:2016:890, point 84 et jurisprudence citée).
56 Il s’ensuit que la thèse soutenue par le Parlement lors de l’audience selon laquelle il conviendrait de se fonder sur la version anglaise de l’article 166 du règlement intérieur pour interpréter la volonté du législateur et l’ensemble des versions linguistiques ne saurait prospérer.
57 En effet, compte tenu de son contexte et de sa finalité, l’article 166 du règlement intérieur vise le cas d’une atteinte au bon fonctionnement du Parlement ou au bon ordre des travaux parlementaires et tend donc à sanctionner le comportement d’un député participant à la séance ou aux travaux parlementaires qui serait de nature à sérieusement entraver leur déroulement. Une telle interprétation correspond d’ailleurs, ainsi que cela a été rappelé aux points 48 à 50 ci-dessus, à l’objectif généralement poursuivi par un règlement disciplinaire d’un parlement dont la Cour EDH a reconnu le caractère légitime (voir, en ce sens, Cour EDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, CE:ECHR:2016:0517JUD004246113, § 138 à 140).
58 Par ailleurs, il y a lieu de relever que le libellé de l’article 166 du règlement intérieur tend à considérer que deux cas de figure peuvent être sanctionnés, à savoir soit le fait de « troubl[er] la séance d’une manière exceptionnellement grave » soit la « perturb[ation d]es travaux du Parlement en violation des principes définis à l’article 11 […] ».
59 Il importe de constater, à cet égard, qu’il ne ressort ni de la décision du bureau, ni des écritures des parties, que les propos tenus par le requérant devant le Parlement lors de la séance plénière du 7 juin 2016 aient créé un quelconque trouble de ladite séance, au sens de la première alternative visée à l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur. Ladite décision se borne tout au plus à indiquer que, à la suite du discours du requérant, la vice-présidente du Parlement conduisant les débats l’a rappelé à l’ordre, puis qu’une députée a eu recours à la procédure – tout à fait habituelle et non indicative d’un quelconque trouble de la séance – du « carton bleu » pour demander au requérant d’apporter des éléments de preuve au soutien de ses affirmations.
60 De plus, le Parlement a confirmé, dans le cadre de ses réponses écrites aux questions du Tribunal ainsi que lors de l’audience, qu’aucun trouble exceptionnellement grave ou perturbation des travaux ne s’était produit dans son enceinte, lors de la séance plénière du 7 juin 2016 et dans le cadre des débats y afférents, à la suite de l’intervention du requérant. Toutefois, le Parlement a affirmé que le cas du requérant relevait tout de même de la seconde alternative visée par l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur, à savoir « la perturbation des travaux », laquelle aurait été la conséquence directe de la violation des principes visés à l’article 11 dudit règlement, établissant des règles de conduite pour les députés. À cet égard, le Parlement a prétendu que la « perturbation » qui aurait justifié l’imposition des sanctions disciplinaires à l’égard du requérant s’était manifestée hors séance, par le biais d’une atteinte à sa réputation et à sa dignité en tant qu’institution. Le Parlement a, en outre, précisé que la perturbation des travaux visée à l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur n’était pas limitée aux débats ou aux travaux en son sein, mais qu’il convenait de lui attribuer une acception plus large, comprenant le Parlement dans son ensemble, sa dignité, sa réputation et donc son fonctionnement.
61 Cette argumentation ne saurait prospérer.
62 En effet, premièrement, force est de constater que l’affirmation du Parlement, lors de l’audience, selon laquelle la situation du requérant relevait de la seconde alternative visée à l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur, à savoir la perturbation des travaux du Parlement, ne ressort pas de la décision du bureau, laquelle ne fournit pas de précision sur le motif d’infraction spécifique qui a été retenu en l’espèce parmi ceux visés à ladite disposition. Par ailleurs, il est conclu, au point 40 de ladite décision, à une violation des principes définis à l’article 11 dudit règlement et, par là-même, à l’existence d’un trouble exceptionnellement grave de la séance ou des travaux du Parlement. Or, il suffit de rappeler à cet égard que c’est bien l’article 166 du règlement intérieur, et non l’article 11 de celui-ci, qui précise les conditions dans lesquelles une sanction peut être infligée à un député. En effet, l’article 11 de ce règlement comporte des règles de conduite rappelant les principes et les valeurs que doivent observer les députés dans leur comportement, tout en se limitant à préciser que le non-respect desdites règles peut conduire à l’application de mesures, conformément aux articles 165, 166 et 167 dudit règlement. Il s’ensuit que la conclusion tirée au point 40 de la décision du bureau selon laquelle une violation des principes définis à l’article 11 de ce règlement entraînerait ipso facto la constatation d’un « trouble exceptionnellement grave de la séance ou des travaux du Parlement » ne découle nullement de ladite disposition.
63 Deuxièmement, s’agissant de la condition relative à la perturbation des travaux du Parlement, il importe de relever que, bien que l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur renvoie aux principes définis à l’article 11 du même règlement, une interprétation littérale de la première de ces dispositions conduirait à considérer que la violation desdits principes ne constitue pas un motif d’incrimination autonome, mais une condition supplémentaire, nécessaire pour pouvoir sanctionner la perturbation des travaux du Parlement, ce que le Parlement a d’ailleurs confirmé lors de l’audience. Il s’ensuit qu’une violation des principes définis à l’article 11 du règlement intérieur, à la supposer établie, ne peut, à elle seule, être sanctionnée en tant que telle, mais uniquement si elle s’accompagne d’une perturbation des travaux du Parlement, ce que le Parlement a également confirmé lors de l’audience.
64 Troisièmement, contrairement aux affirmations du Parlement lors de l’audience, la perturbation des travaux du Parlement visée à l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur qui se serait concrétisée en dehors de l’hémicycle, du fait des répercussions qu’auraient eu les propos du requérant à l’extérieur du Parlement, ne saurait être comprise comme étant une atteinte à la réputation ou à la dignité de celui-ci en tant qu’institution. D’ailleurs, la décision du bureau ne fournit aucune indication en ce sens et ne contient aucune appréciation relative aux critères qui ont pu amener le bureau du Parlement à constater une prétendue atteinte à la dignité du Parlement. Au surplus, faute d’avoir défini des critères objectifs pour apprécier l’existence d’une telle atteinte et compte tenu du caractère pour le moins vague de la notion de « dignité du Parlement » ou d’atteinte à cette dernière ainsi que de la marge d’appréciation importante dont dispose le Parlement en la matière, une telle interprétation aurait pour effet de restreindre la liberté d’expression des parlementaires de manière arbitraire.
65 De surcroît, il y a lieu de relever que l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement intérieur vise le « comportement » des députés et prévoit que celui-ci doit respecter certaines obligations, à savoir être inspiré par le respect mutuel, reposer sur les valeurs et principes de l’Union, préserver la dignité du Parlement, ne pas compromettre le bon déroulement des travaux ni la tranquillité dans les bâtiments du Parlement. De même, l’article 166, paragraphe 2, dudit règlement vise également le comportement des députés et prévoit que, aux fins de son appréciation, doit être pris en compte le caractère ponctuel, récurrent ou permanent ainsi que le degré de gravité de celui-ci, sur la base de l’annexe XV des lignes directrices annexées audit règlement. En revanche, les propos, les paroles ou les discours ne sont pas mentionnés et ne sont, dès lors, pas susceptibles de faire, en tant que tels, l’objet d’une mesure de sanction.
66 Cette lecture est corroborée par l’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement intérieur, selon lequel « [l]’application du présent article n’entrave en aucune façon la vivacité des débats parlementaires ni la liberté de parole des députés ». De plus, une telle interprétation de l’article 11, paragraphe 2, dudit règlement se trouve renforcée par la récente modification du règlement intérieur du Parlement, entrée en vigueur le 16 janvier 2017, visant à élargir le champ d’application des sanctions disciplinaires. En effet, l’interdiction explicite de tout propos ou comportement diffamatoire, raciste ou xénophobe a été ajoutée au nouvel article 11, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement intérieur. En outre, le paragraphe 3, premier alinéa, de l’article 11 du règlement intérieur, devenu article 11, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement, a également été modifié et prévoit dorénavant que « [l]’application du présent article ne peut autrement réduire la vivacité des débats parlementaires ou limiter la liberté de parole des députés ». Il en découle que, dans la présente affaire, à supposer même que des propos tenus dans le cadre des fonctions parlementaires puissent être assimilés à un comportement et qu’ils aient pu, à ce titre, constituer une violation des principes définis à l’article 11, paragraphe 2, du règlement intérieur, tel qu’applicable à l’époque des faits, ils ne pouvaient faire l’objet d’une sanction en l’absence de trouble exceptionnellement grave ou de perturbation des travaux du Parlement.
67 Au demeurant, la distinction établie au point 1 de l’annexe XV des lignes directrices auxquelles renvoie l’article 166, paragraphe 2, du règlement intérieur (voir point 65 ci-dessus) entre, d’une part, les comportements de nature visuelle pouvant être tolérés dans certaines circonstances, et, d’autre part, « ceux entraînant une perturbation active de quelque activité parlementaire que ce soit », ne permet pas de considérer que des propos tenus en séance parlementaire puissent être inclus dans cette dernière catégorie de comportements et, à ce titre, sanctionnés, en l’absence de constatation de trouble exceptionnellement grave ou de perturbation des travaux du Parlement.
68 Compte tenu de tout ce qui précède, ainsi que de l’importance particulière que revêt la liberté d’expression des parlementaires et des limites strictes dans lesquelles des restrictions peuvent lui être apportées, rappelées aux points 37 à 50 ci-dessus, les articles 11 et 166 du règlement intérieur, dans leur version applicable à la présente affaire, doivent être interprétés comme ne permettant pas de sanctionner un député en raison de propos tenus dans le cadre de ses fonctions parlementaires. À supposer même que de tels propos puissent être assimilés au comportement du député, ceux-ci n’auraient, en tout état de cause, pas pu faire l’objet de sanctions, compte tenu de l’absence de trouble de la séance exceptionnellement grave ou de perturbation des travaux du Parlement, en violation de l’article 11 du règlement intérieur.
69 Dans ces conditions, et en dépit du caractère particulièrement choquant des termes employés par le requérant dans son intervention lors de la séance plénière du 7 juin 2016, le Parlement ne pouvait pas, en l’espèce, lui infliger de sanction disciplinaire sur le fondement de l’article 166, paragraphe 1, de son règlement intérieur. Au demeurant, celui-ci ne saurait utilement faire valoir, comme il l’a fait lors de l’audience, que ce qu’il a sanctionné en réalité était le langage employé par le requérant dans son discours et non le contenu de ce dernier, compte tenu notamment de la formulation des points 34 et 36 de la décision du bureau, qui font référence à « l’intention [du requérant] de prononcer sa propre opinion » ou à l’« idée » exprimée par le requérant.
70 Au surplus, même s’il était considéré que la perturbation des travaux ne se limitait pas stricto sensu au sein de l’hémicycle, compte tenu du fait que la référence à la « séance » à l’article 166, paragraphe 1, du règlement intérieur n’existe qu’au regard de la première alternative visée, à savoir le trouble exceptionnellement grave, une acception aussi large que celle défendue par le Parlement ne saurait prospérer pour les motifs exposés au point 64 ci-dessus.
71 Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être accueilli, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’argumentation du requérant selon laquelle il aurait été sanctionné également pour des propos tenus en marge de la séance plénière du 7 juin 2016 ou dans le cadre de l’exercice de ses droits de la défense.
72 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le deuxième chef de conclusions et d’annuler la décision du bureau, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés à l’appui des conclusions en annulation. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’adoption de la mesure d’organisation de la procédure sollicitée par le requérant, laquelle avait trait au deuxième moyen.
Sur les conclusions indemnitaires
73 À l’appui de ses conclusions indemnitaires, le requérant soutient que l’annulation de la décision du bureau ne lui permettra pas d’obtenir réparation de l’ensemble des préjudices subis. Ainsi, il sollicite, d’une part, la réparation du préjudice financier résultant de la perte du droit à l’indemnité de séjour correspondant à 3 060 euros. D’autre part, il demande la condamnation du Parlement au paiement d’une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la suspension de sa participation aux activités du Parlement ainsi que de l’atteinte à sa réputation et à son honorabilité.
74 Le Parlement soutient que la demande de réparation du préjudice financier est irrecevable. Par ailleurs, il considère que l’annulation de la décision du bureau constituerait une réparation adéquate du préjudice moral du requérant. À titre subsidiaire, il estime qu’une somme de 1 000 euros au maximum serait appropriée.
75 En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de la demande d’indemnisation du préjudice financier résultant de la perte du droit à l’indemnité de séjour, il suffit de relever que le requérant n’explique pas en quoi, même en cas d’annulation de la décision du bureau, la circonstance qu’il a déjà subi la sanction en cause ne lui permettra pas d’obtenir réparation de l’ensemble de son préjudice, d’autant plus qu’il se limite à demander le versement du montant correspondant à l’indemnité qu’il aurait perçue en l’absence de la sanction infligée, à savoir 3 060 euros. Or, compte tenu de l’annulation de la décision du bureau et conformément à l’article 266 TFUE, il incombera au Parlement de prendre les mesures que comporte l’exécution du présent arrêt, ce qui implique de rembourser les sommes correspondant à l’indemnité de séjour dont le versement a été suspendu.
76 Il s’ensuit que la demande d’indemnisation du préjudice financier doit être rejetée.
77 S’agissant, en second lieu, de la demande d’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par le requérant, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même une réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (arrêts du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, EU:C:1987:348, point 22, et du 9 novembre 2004, Montalto/Conseil, T‑116/03, EU:T:2004:325, point 127), à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et non susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir arrêt du 25 juin 2015, EE/Commission, F‑55/14, EU:F:2015:66, point 46 et jurisprudence citée).
78 En l’espèce, rien dans le dossier ne permet de constater que la décision du président et la décision du bureau auraient été adoptées dans des conditions qui auraient causé un préjudice moral au requérant indépendamment de l’acte annulé. Partant, la demande d’indemnisation du préjudice moral doit être rejetée.
Sur les dépens
79 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. En l’espèce, dans la mesure où seule la demande en annulation a été accueillie, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision du bureau du Parlement européen du 1er août 2016 est annulée.
2) La demande en indemnité est rejetée.
3) M. Janusz Korwin-Mikke et le Parlement supporteront chacun leurs propres dépens.
Berardis | Papasavvas | Spielmann |
Csehi | Spineanu-Matei |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 mai 2018.
Le greffier | Le président |
E. Coulon | S. Frimodt Nielsen |
* Langue de procédure : le français.
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