Commission v Belgium (Comptables) (Freedom of establishment - Opinion) French Text [2019] EUECJ C-384/18_O (10 October 2019)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2019/C38418_O.html
Cite as: [2019] EUECJ C-384/18_O, ECLI:EU:C:2019:852, EU:C:2019:852

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 octobre 2019 (1)

Affaire C384/18

Commission européenne

contre

Royaume de Belgique

« Manquement d’État – Directive 2006/123/CE – Article 25 – Restrictions aux activités pluridisciplinaires des comptables »






1.        Par le présent recours en manquement, la Commission demande à la Cour de constater que, premièrement, en interdisant l’exercice conjoint d’activités de comptable, d’une part, et d’activités de courtier, d’agent d’assurance, d’agent immobilier ou de toute activité bancaire ou de services financiers, d’autre part, et, deuxièmement, en permettant aux chambres de l’Institut professionnel des comptables et fiscalistes agrées (ci-après l’« IPCF ») d’interdire l’exercice conjoint d’activités de comptable, d’une part, et de toute activité artisanale, agricole et commerciale, d’autre part, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 25 de la directive 2006/123/CE (2) et de l’article 49 TFUE.

2.        À la suite d’une demande de la Cour, les présentes conclusions se limitent à la question de savoir si la solution retenue par la Cour dans l’arrêt Wouters e.a. (3)est transposable au cas d’espèce.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3.        Les considérants 97 et 101 de la directive 2006/123 énoncent :

« (97)      Il y a lieu de prévoir dans la présente directive des règles garantissant un niveau de qualité élevé pour les services et notamment des exigences en matière d’information et de transparence. Ces règles devraient s’appliquer tant à la fourniture de services transfrontaliers entre États membres qu’aux services fournis dans un État membre par un prestataire établi sur son territoire, sans imposer de contraintes non nécessaires aux PME. Elles ne devraient en aucune manière empêcher les États membres d’appliquer, dans le respect de la présente directive et des autres dispositions du droit communautaire, d’autres exigences ou des exigences supplémentaires en matière de qualité.

[...]

(101)      Il est nécessaire et dans l’intérêt des destinataires, en particulier des consommateurs, de veiller à ce qu’il soit possible aux prestataires d’offrir des services pluridisciplinaires et à ce que les restrictions à cet égard soient limitées à ce qui est nécessaire pour assurer l’impartialité, l’indépendance et l’intégrité des professions réglementées. Ceci ne porte pas atteinte aux restrictions ou interdictions de mener des activités spécifiques qui visent à assurer l’indépendance dans les cas où un État membre charge un prestataire d’une tâche particulière, notamment dans le domaine du développement urbain ; ceci ne devrait pas non plus affecter l’application des règles de concurrence. »

4.        L’article 25 de cette directive dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les prestataires ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes.

Toutefois, les prestataires suivants peuvent être soumis à de telles exigences :

a)      les professions réglementées, dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions ;

b)      les prestataires qui fournissent des services de certification, d’accréditation, de contrôle technique, de tests ou d’essais, dans la mesure où ces exigences sont justifiées pour garantir leur indépendance et leur impartialité.

2.      Lorsque des activités pluridisciplinaires entre les prestataires visés au paragraphe 1, points a) et b), sont autorisées, les États membres veillent à :

a)      prévenir les conflits d’intérêts et les incompatibilités entre certaines activités ;

b)      assurer l’indépendance et l’impartialité qu’exigent certaines activités ;

c)      assurer que les règles de déontologie des différentes activités sont compatibles entre elles, en particulier en matière de secret professionnel.

3.      Dans le rapport prévu à l’article 39, paragraphe 1, les États membres indiquent les prestataires soumis aux exigences visées au paragraphe 1 du présent article, le contenu de ces exigences et les raisons pour lesquelles ils estiment qu’elles sont justifiées. »

 Le droit belge

5.        L’article 21 du code de déontologie de l’IPCF, approuvé par l’arrêté royal du 22 octobre 2013 (ci-après le « code de déontologie IPCF »), était à l’époque ainsi libellé :

« 1.      La profession de comptable IPCF externe est incompatible avec toute activité artisanale, agricole ou commerciale, qu’elle soit exercée directement ou indirectement, individuellement ou en association ou en société, comme indépendant, en tant que gérant, administrateur, dirigeant d’entreprise ou associé actif.

2.      Hormis les activités mentionnées au paragraphe 3, les Chambres peuvent, sur demande préalable et écrite d’un comptable IPCF externe, déroger à cette règle pour autant que l’indépendance et l’impartialité du membre ne soient pas mises en péril et que cette activité soit accessoire. Cette décision est toujours révocable par les chambres.

Le Conseil peut en outre toujours prévoir des dérogations via une directive générale pour certaines activités du secteur artisanal, agricole ou commercial, autres que les cellules mentionnées au paragraphe 3. Le conseil peut également déterminer des directives en vertu desquelles les incompatibilités ne sont temporairement pas d’application en cas de succession. Le comptable IPCF externe, qui tombe sous le couvert des directives fixées par le Conseil, doit en informer la Chambre par écrit.

3.      Les activités professionnelles suivantes sont quant à elles toujours considérées comme mettant en péril l’indépendance et l'impartialité du comptable externe : celles de courtier ou d’agent d’assurance, celles d’agent immobilier sauf l’activité de syndic et toutes les activités bancaires et les activités de services financiers pour lesquelles l’inscription auprès de l’Autorité des Services et Marchés Financiers (FSMA) est requise. »

6.        L’arrêté royal du 22 octobre 2013 a été abrogé par l’arrêté royal du 18 juillet 2017 portant approbation du code de déontologie IPCF (ci‑après le « nouveau code de déontologie IPCF »). Le nouvel article 21 du code de déontologie IPCF prévoit :

« 1.      Sous réserve des activités visées au paragraphe 2, l’exercice d’activités pluridisciplinaires, en tant que personne physique ou en tant que personne morale, est autorisé par les Chambres, sur demande écrite d’un comptable IPCF externe, pour autant que l’indépendance et l’impartialité du membre ne soient pas mises en péril.

2.      Les activités professionnelles suivantes, qu’elles soient exercées en tant que personne physique ou en tant que personne morale, sont toujours considérées comme mettant en péril l’indépendance et l’impartialité du comptable IPCF externe: celle de courtier ou d’agent d’assurances, celle d’agent immobilier, sauf l’activité de syndic, ainsi que toutes les activités bancaires et toutes les activités de services financiers pour lesquelles l’inscription auprès de [la FSMA] est requise. »

7.        L’article 458 du code pénal du 8 juin 1867, dans sa version en vigueur à l’époque des faits (4), prévoit :

« Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice ou devant une commission d’enquête parlementaire et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de cent euros à cinq cents euros. »

 Les antécédents du litige

 La procédure précontentieuse

8.        Le 17 mars 2015, la Commission a ouvert la procédure EU Pilot 7402/15/GROW en demandant au Royaume de Belgique de lui fournir des informations relatives à l’interdiction, pour les comptables agréés, de combiner leurs activités de comptable avec certaines autres activités, et de préciser les motifs pour lesquels des activités du secteur artisanal, agricole ou commercial pouvaient être considérées comme incompatibles avec la profession de comptable.

9.        Cet État membre a répondu aux questions de la Commission par lettre du 29 mai 2015.

10.      N’étant pas satisfaite de la réponse, la Commission a envoyé audit État membre, le 11 décembre 2015, une lettre de mise en demeure par laquelle elle soutenait que l’article 21 du code de déontologie IPCF n’était pas conforme avec l’article 25 de la directive 2006/123 et l’article 49 TFUE.

11.      Par lettres du 12 avril et du 6 juillet 2016, le Royaume de Belgique a contesté l’infraction reprochée en expliquant les raisons pour lesquelles il considérait que la réglementation nationale était conforme au droit de l’Union.

12.      Le 18 novembre 2016, la Commission a adressé un avis motivé à cet État membre, qui y a répondu le 12 janvier 2017. N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a décidé, le 13 juillet 2017, d’introduire un recours en manquement. Le 4 août 2017, le Royaume de Belgique a notifié à la Commission le nouveau code de déontologie IPCF, qu’il considérait conforme au droit de l’Union.

 La procédure devant la Cour

13.      Ne partageant pas l’avis de cet État membre, la Commission a introduit le présent recours en manquement. La requête de la Commission a été déposée le 8 juin 2018.

14.      Le Royaume de Belgique et la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 23 mai 2019.

 Analyse

 Argumentation des parties

 La Commission

15.      La Commission fait valoir que l’objectif de l’article 25 de la directive 2006/123 est d’assurer que les États membres n’empêchent pas l’exercice des services pluridisciplinaires. Elle souligne que, jusqu’à sa modification, l’article 21, paragraphe 1, du code de déontologie IPCF interdisait l’exercice conjoint des activités de comptable IPCF avec, d’une part, toute activité artisanale, agricole ou commerciale et, d’autre part, des activités de courtier ou d’agent d’assurance, d’agent immobilier ou toute activité bancaire ou de services financiers.

16.      La Commission considère qu’il existe des mesures moins restrictives que celles prévues à l’article 21 paragraphe 1, du code de déontologie IPCF, de sorte que celui-ci viole tant l’article 25 de la directive 2006/123 que l’article 49 TFUE.

17.      En ce qui concerne la modification de l’article 21 du code de déontologie IPCF, la Commission rappelle que celle-ci est intervenue après la date impartie pour la réponse à l’avis motivé et qu’elle n’a, en tout état de cause, n’a pas mis fin à l’infraction reprochée. À cet égard, l’article 21, paragraphe 2, du nouveau code de déontologie IPCF serait identique à l’article 21, paragraphe 3, de l’ancienne version. L’article 25, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123 soumettrait à évaluation les exigences qui restreignent l’exercice des professions réglementées, de sorte que ces exigences ne seraient admises que dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect des règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession et de la nécessité de garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions. Or, selon la Commission, l’interdiction totale d’exercer conjointement des activités de comptable, d’une part, et des activités de courtier, d’agent d’assurances, d’agent immobilier ou de toute activité bancaire ou de services financiers, d’autre part, va, de par sa nature même, au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le respect des règles de déontologie de la profession de comptable.

18.      La Commission considère que l’interdiction totale n’est pas une mesure nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés dans la mesure où il existe des mesures moins restrictives, telles que des procédures internes, capables de prévenir des conflits d’intérêts en matière de transfert de l’information et de garantir une application correcte des règles relatives au secret professionnel.

19.      La Commission fait valoir que le Royaume de Belgique s’appuie à tort sur l’arrêt Wouters e.a. (5) dans la mesure où, eu égard aux circonstances de cette affaire, la solution retenue par la Cour dans cet arrêt n’est pas transposable au cas d’espèce.

20.      Elle considère que, en tout état de cause, une interdiction absolue n’est pas proportionnée à l’objectif recherché. En outre, les raisons invoquées par cet État membre, à savoir le souci d’éviter les charges administratives qu’entraînerait la mise en place de mesures et de procédures internes afin de sauvegarder l’indépendance et l’impartialité du comptable ainsi que la prétendue insuffisance du contrôle ex post, ne sauraient être admises.

21.      En ce qui concerne l’article 21, paragraphes 1 et 2, du code de déontologie IPCF, qui énonce l’incompatibilité de la profession de comptable avec toute activité artisanale, agricole et commerciale, sauf dans le cas où les chambres professionnelles approuvent une telle activité, la Commission fait valoir que cette disposition relève du champ d’application de l’article 25 de la directive 2006/123. L’interdiction prévue à l’article 21, paragraphe 1, dudit code ne disparaîtrait pas du fait que, conformément à l’article 21, paragraphe 2, de ce même code, les chambres professionnelles peuvent, de manière discrétionnaire, déroger à cette interdiction.

22.      S’agissant de l’article 21 du nouveau code de déontologie IPCF, introduit le 18 juillet 2018, la Commission soutient que la procédure d’autorisation des activités pluridisciplinaires par les chambres professionnelles est toujours maintenue dans cette nouvelle version.

23.      En ce qui concerne la nécessité et la proportionnalité de la restriction figurant à l’article 21 du nouveau code de déontologie IPCF, la Commission soutient qu’il ne ressort pas avec évidence de cette disposition que l’exercice conjoint de toute activité artisanale, agricole et commerciale ou, selon la nouvelle formulation, « de toute autre activité » est susceptible d’engendrer des conflits d’intérêts et désavantage toujours les clients, les autres prestataires de services et la société dans son ensemble. Même dans l’hypothèse où tel serait le cas, les restrictions en cause ne sauraient être admises pour les mêmes raisons que celles invoquées en ce qui concerne les restrictions aux activités pluridisciplinaires des comptables, d’une part, et de courtier ou d’agent d’assurances, d’agent immobilier et à toute activité bancaire et de services financiers, d’autre part.

24.      La Commission affirme que le Royaume de Belgique n’a pas démontré que des mesures moins restrictives que l’interdiction prévue à l’article 21 ne seraient pas aussi efficaces pour atteindre les objectifs énoncés.

25.      Si la Commission admet que les comptables en Belgique interviennent de manière accrue en ce qui concerne une catégorie d’entreprises, elle soutient toutefois que leur mission n’a pas changé, de sorte que les comptables n’auraient acquis ni les fonctions des auditeurs ni le droit de représenter les clients devant les autorités fiscales.

 Le Royaume de Belgique

26.      Le Royaume de Belgique fait valoir, d’une part, que l’article 25 de la directive 2006/123 n’empêche pas les États membres, sous certaines conditions, d’interdire l’exercice conjoint de certaines professions réglementées. Cet État membre rappelle, d’autre part, que l’article 25 relève du chapitre V de cette directive, qui porte sur la « Qualité de services » et vise, principalement, la protection des consommateurs. Ainsi, les restrictions aux activités pluridisciplinaires devraient être limitées à ce qui est nécessaire pour assurer l’impartialité, l’indépendance et l’intégrité des professions réglementées.

27.      Selon cet État membre, les interdictions prévues à l’article 21, paragraphe 2, du nouveau code de déontologie IPCF (qui correspond à l’ancien article 21, paragraphe 3, du code de déontologie IPCF) sont nécessaires pour garantir l’indépendance et l’impartialité des comptables IPCF ainsi que pour assurer le respect d’un strict secret professionnel. Cette indépendance se traduirait en une obligation d’agir exclusivement pour le compte du client et un cumul des différentes activités pourrait conduire un comptable à tenir compte de considérations autres que celles qui sont exclusivement liées à l’intérêt de son client. Cela serait particulièrement important compte tenu du fait que les agents immobiliers, les courtiers d’assurance et les agents en bourse sont rémunérés sur la base d’une commission, dont le montant peut s’avérer plus élevé que les honoraires perçus pour l’activité de comptable, de sorte qu’un conflit d’intérêts pourrait naître.

28.      En outre, l’exercice conjoint de l’activité du comptable IPCF qui est soumis à l’obligation du respect du secret professionnel, dont la violation aboutit à des sanctions pénales, et des autres professions qui ne sont pas soumises à une telle obligation mettrait en péril la capacité d’un comptable d’assurer le respect de ladite obligation.

29.      Le Royaume de Belgique réfute l’argument de la Commission selon lequel le fait que l’obligation du respect du secret professionnel est limitée signifierait que l’interdiction en cause ne serait pas nécessaire. Il ressortirait de l’arrêt Wouters e.a. (6) qu’il suffit qu’il existe une « certaine incompatibilité » entre les obligations des professions d’avocat, d’une part, et d’experts-comptables, d’autre part, pour justifier l’interdiction de collaboration entre ces deux professions.

30.      S’agissant de la proportionnalité de la restriction en cause, cet État membre soutient que l’article 25, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/123 ne prévoit aucune interdiction qui devrait être considérée par sa nature même comme non justifiée. En outre, la restriction prévue à l’article 21 du code de déontologie IPCF serait proportionnée dans la mesure où elle n’introduirait pas une interdiction de portée générale et absolue de toutes les activités pluridisciplinaires, mais concernerait uniquement des activités strictement identifiées. Des mesures alternatives ne seraient pas aussi efficaces pour préserver l’indépendance de la profession de comptable IPCF et l’obligation du respect du secret professionnel lui incombant.

31.      En ce qui concerne l’incompatibilité de la profession du comptable avec toute activité artisanale, agricole et commerciale, le Royaume de Belgique fait valoir que l’article 21 du code de déontologie IPCF prévoyait la possibilité de déroger à cette interdiction par voie d’une autorisation octroyée par les chambres professionnelles, pourvu que deux conditions soient remplies, à savoir, d’une part, que l’activité parallèle du comptable revête un caractère accessoire et, d’autre part, que l’indépendance et l’impartialité du comptable ne soient pas compromises. En pratique, l’autorisation aurait toujours été livrée.

32.      Cet État membre soutient que l’article 21 du nouveau code de déontologie IPCF prévoit que l’exercice conjoint de la profession de comptable avec d’autres activités, définies largement, est toujours autorisé sur simple demande écrite adressée aux chambres professionnelles, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du comptable. Partant, cette disposition introduirait le système dans lequel l’autorisation est toujours donnée et peut être refusée exceptionnellement, si la condition de l’indépendance, qui serait désormais la seule condition devant être remplie, n’était pas respectée.

33.      Le Royaume de Belgique considère que, dans la mesure où l’article 25 de la directive 2006/123 permet même l’interdiction des activités pluridisciplinaires si celle-ci est proportionnée et justifiée eu égard à l’objectif de préservation de l’indépendance et de l’impartialité, la procédure d’autorisation, qui a pour seul objectif de vérifier si l’indépendance et l’impartialité des comptables seront préservées, ne viole pas les exigences de cet article.

34.      Cet État membre conteste, en outre, le rejet par la Commission de son argument selon lequel des mesures alternatives ne seront pas aussi efficaces qu’une interdiction. En effet, cet argument ressortirait des conclusions présentées dans l’affaire Wouters e.a. (7) et dans lesquelles l’avocat général Léger a examiné si l’objectif de protection de l’indépendance des avocats peut, en pratique, être atteint de manière similaire mais par le biais de mesures moins contraignantes qu’une interdiction totale et a conclu que des mesures alternatives posent des problèmes pratiques.

35.      Selon le Royaume de Belgique, la Commission propose des mesures alternatives théoriques sans toutefois démontrer leur capacité à atteindre l’objectif poursuivi. En démontrant que les mesures suggérées par la Commission ne seraient pas efficaces dans un marché comme le marché belge des comptables IPCF, peu concentré et caractérisé par la présence de microsociétés, cet État membre considère en revanche avoir prouvé tant les difficultés pratiques de mise en œuvre des mesures alternatives que leur inefficacité.

36.      S’agissant de l’article 21, paragraphe 1, du nouveau code de déontologie IPCF, ledit État membre fait valoir que la nouvelle formulation n’a pas pour conséquence d’aggraver le manquement reproché. Tant l’article 21 que le préambule du nouveau code de déontologie IPCF indiqueraient clairement que la règle générale est l’autorisation, sauf en cas d’atteinte à l’indépendance et à l’impartialité, ce qu’il appartient aux chambres professionnelles de démontrer. Ce même État membre souligne que les critères de rejet sont non discriminatoires, connus à l’avance et limités à ceux prévus à l’article 25 de la directive 2006/123.

 Appréciation

37.      À la demande de la Cour, je concentrerai mon analyse sur la question de l’applicabilité de la jurisprudence issue de l’arrêt Wouters e.a. (8) au cas d’espèce. Par conséquent, je me focaliserai sur la question de l’interdiction d’exercice conjoint.

 En général – Sur l’article 25 de la directive 2006/123

38.      Quelques brèves remarques générales sur l’interprétation de l’article 25 de la directive 2006/123 me semblent nécessaires.

39.      L’article 25 de la directive 2006/123 prescrit un examen en trois étapes. Premièrement, les États membres veillent à ce que les prestataires (9) ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes (10). Deuxièmement, les professions réglementées (11) peuvent toutefois être soumis à de telles exigences, dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions (12). Troisièmement, lorsque de telles activités pluridisciplinaires sont autorisées, les États membres veillent à prévenir des conflits d’intérêts et les incompatibilités entre certaines activités, à assurer l’indépendance et l’impartialité qu’exigent certaines activités et à assurer que les règles de déontologie des différentes activités sont compatibles entre elles, en particulier en matière de secret professionnel.

40.      L’article 25 de la directive 2006/123 vise à éliminer les entraves aux activités multidisciplinaires des prestataires de services. Le législateur estime qu’il est nécessaire et dans l’intérêt des destinataires, en particulier des consommateurs, de veiller à ce qu’il soit possible aux prestataires d’offrir des services pluridisciplinaires (13). Il s’ensuit selon moi que, conformément à la finalité générale de cette directive d’éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires et à la libre circulation de services (14), l’obligation pour les États membres est indépendante de l’existence d’une entrave concrète à une liberté fondamentale (15).

41.      Le rapport entre la règle et l’exception, sous-tendant toute la directive 2006/123 ainsi que, plus fondamentalement, le marché intérieur dans son ensemble s’applique également ici : la liberté fondamentale, qui est l’expression de l’intérêt de l’Union, constitue la règle, tandis que la possibilité pour un État membre de poser des limites à cette règle constitue l’exception. Il s’ensuit que cette exception est d’interprétation stricte, contrairement à la règle qui est d’interprétation large. De surcroît, l’exception doit se conformer aux autres principes du droit de l’Union, dont notamment le principe de proportionnalité.

42.      Ainsi, dans le cadre de l’article 25 de la directive 2006/123, il convient d’appliquer, en ce qui concerne la dérogation à la règle, le même raisonnement quant à la charge de la preuve, celle-ci incombant à l’État membre. Cela découle également des termes « dans la mesure où » de l’article 25, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/123. À cet égard, il convient de rejeter la prémisse de l’argument du Royaume de Belgique, avancé notamment dans sa défense, selon laquelle l’objectif de l’article 25 de la directive 2006/123 serait d’encadrer la liberté des États membres de prévoir une interdiction d’exercer des activités multidisciplinaires. En effet, ainsi que le souligne la Commission à juste titre, l’objectif de cette disposition est au contraire de veiller à ce que les prestataires de service ne soient pas soumis à des exigences qui limitent, entre autres, l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes.

 En particulier – Sur l’interdiction d’exercice conjoint

43.      Ainsi qu’il ressort de la présentation du cadre juridique, la réglementation en cause, à savoir le code de déontologie IPCF, approuvé par arrêté royal du 22 octobre 2013, a été abrogée et remplacée par le code de déontologie IPCF, approuvé par arrêté royal du 18 juillet 2017.

44.      L’article 21, paragraphe 2, du nouveau code de déontologie IPCF est en substance identique à l’article 21, paragraphe 3, de l’ancien code de déontologie IPCF (16).

45.      Ces dispositions contiennent une interdiction absolue d’exercer conjointement des activités de comptable et des activités de courtier ou agent d’assurances, d’agent immobilier et toute activité bancaire et de services financiers. Il s’agit d’une restriction imposée aux activités pluridisciplinaires qui limite la gamme des services disponibles et qui gêne l’établissement de nouveaux modèles commerciaux.

46.      Une telle interdiction relève du champ d’application de l’article 25, paragraphe 1, de la directive 2006/123.

47.      Étant donné que les comptables IPCF exercent une profession réglementée, le Royaume de Belgique peut invoquer l’article 25, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/123. Se pose alors la question de savoir si l’interdiction en cause est, premièrement, justifiée pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession et, deuxièmement, nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions. Ces deux conditions doivent être remplies de manière cumulative.

48.      J’estime que le Royaume de Belgique n’a pas prouvé le caractère nécessaire de la mesure litigieuse.

49.      Cet État membre invoque l’arrêt Wouters e.a. (17) afin de démontrer la nécessité de l’interdiction en cause.

50.      Je ne suis cependant pas convaincu par l’argumentation du Royaume de Belgique, étant donné que la situation des comptables en Belgique est en l’espèce sensiblement différente de celle des avocats aux Pays-Bas en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt.

51.      Parmi les nombreuses questions abordées dans l’arrêt Wouters e.a. (18), arrêt qui a sans doute inspiré le législateur de l’Union dans la rédaction de l’article 25 de la directive 2006/123, figurait celle de la compatibilité avec le droit de l’Union (19) d’une règlementation nationale interdisant des collaborations intégrées entre avocats et experts-comptables.

52.      Dans ce contexte, la Cour a tout d’abord constaté que, selon les conceptions en vigueur dans la réglementation nationale (20), l’avocat se trouve dans une situation d’indépendance vis-à-vis des pouvoir publics, des autres opérateurs et des tiers, dont il convient qu’il ne subisse jamais l’influence. L’avocat doit offrir, à cet égard, la garantie que toutes les initiatives qu’il prend dans un dossier le sont en considération de l’intérêt exclusif du client (21). La Cour a également constaté que la profession d’expert-comptable n’est, en revanche, pas soumise en général, et plus particulièrement dans le cas national d’espèce, à des exigences déontologiques comparables.

53.      Renvoyant aux conclusions de l’avocat général Léger dans cette affaire (22), la Cour a ensuite souligné qu’il peut exister une certaine incompatibilité entre l’activité de « conseil », exercée par l’avocat, et celle de « contrôle », exercée par l’expert-comptable. En effet, en l’occurrence, l’expert-comptable exerçait une mission de certification de comptes, ce qui implique qu’il procédait à un examen et à un contrôle objectif de la comptabilité de ses clients, de manière à pouvoir communiquer aux tiers intéressés son opinion personnelle quant à la fiabilité de ces données comptables. Il n’était donc pas soumis à un secret professionnel comparable à celui auquel est soumis un avocat (23).

54.      Dans ces circonstances, la Cour a jugé que les effets restrictifs de la concurrence n’allaient pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exercice correct de la profession d’avocat (24).

55.      Je ne vois pas en quoi l’arrêt Wouters e.a. (25) pourrait être utile à la solution du présent litige, et ce pour les raisons suivantes.

56.      Dans cet arrêt, la Cour ne s’est pas prononcée sur les obligations professionnelles des experts-comptables dans le cadre de l’exercice d’activités pluridisciplinaires avec d’autres professions telles que celles en cause.

57.      En revanche, la Cour s’est prononcée sur la profession d’expert-comptable dans le cadre d’une distinction entre la profession d’avocat et celle d’expert-comptable, dans le but d’évaluer les conséquences pour la structure du marché en matière de conseil juridique et la justification de l’interdiction pour un avocat d’une pratique conjointe avec un expert-comptable.

58.      Loin de formuler des observations générales sur les notions d’indépendance et d’impartialité dans le cadre des professions réglementées, l’examen de la Cour dans cette affaire était circonscrit à la situation spécifique des avocats et des experts-comptables aux Pays Bas.

59.      En d’autres termes, même si l’on devait considérer que la situation d’un avocat et celle d’un expert-comptable, comme dans l’arrêt Wouters e.a. (26), tombaient dans le champ d’application de l’article 25 de la directive 2006/123, cela ne signifierait pas pour autant que toutes les situations relevant de cette disposition devraient conduire au même résultat que celui auquel est parvenue la Cour dans cet arrêt. Je note à cet égard que ledit arrêt ne figure qu’à titre qu’exemple dans le manuel relatif à la mise en œuvre de la directive « services » de la Commission (27).

60.      L’argument du Royaume de Belgique revient à assimiler la situation des comptables à celle des avocats en ce qui concerne leur indépendance et leur impartialité. Or, la profession de comptable est sensiblement différente de celle d’avocat et cet argument ne saurait dès lors prospérer.

61.      En effet, l’indépendance d’un avocat est primordiale dans le cadre de son activité d’assistance et de représentation en justice. Ainsi que l’a souligné l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire Wouters e.a. (28), « l’avocat garantit dans un État de droit l’effectivité du principe de l’accès des justiciables au droit et aux instances juridictionnelles ».  Les exigences d’indépendance, de respect du secret professionnel et de la nécessité d’éviter les conflits d’intérêt visent précisément à faciliter cette tâche.

62.      En revanche, ainsi que le souligne la Commission à juste titre, un comptable IPCF n’exerce pas des fonctions de représentation de ses clients devant l’autorité publique. La mission d’un comptable vise à la cohérence et à la vraisemblance des comptes. Dans ce contexte, il peut proposer à l’entité conseillée des réponses techniques aux contraintes économiques ainsi qu’élaborer des déclarations fiscales sociales et des documents techniques.

63.      Dans ces circonstances, la solution retenue par la Cour dans l’arrêt Wouters e.a. (29) ne saurait être invoquée pour justifier une interdiction absolue pour un comptable d’exercer une activité pluridisciplinaire, et ce afin de garantir son indépendance et son impartialité.

64.      Par conséquent, j’estime que l’article 21 du code de déontologie IPCF n’est pas nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de la profession de comptable.

 Conclusion

65.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de ne pas transposer le raisonnement qu’elle a suivi dans son arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98) afin de déterminer si le Royaume de Belgique, en interdisant l’exercice conjoint d’activités de comptable, d’une part, et d’activités de courtier, d’agent d’assurance, d’agent immobilier ou de toute activité bancaire ou de services financiers, d’autre part, a manqué ou non aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 25 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).


3      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


4      La modification dudit article, entrée en vigueur le 3 août 2017, a augmenté les sanctions de sorte que la violation de l’obligation de garder le secret professionnel est désormais sanctionnée par une peine d’emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de cent euros à mille euros ou d’une de ces peines seulement.


5      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


6      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98, point 104).


7      C‑309/99, EU:C:2001:390.


8      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


9      Le terme « prestataire » est défini à l’article 4, point 2, de la directive 2006/123 comme « toute personne physique ressortissante d’un État membre, ou toute personne morale visée à l’article 54 TFUE et établie dans un État membre, qui offre ou fournit un service ».


10      Voir article 25, paragraphe 1, de la directive 2006/123.


11      Pour ce qui est de la définition d’une « profession réglementée », l’article 4, point 11, de la directive 2006/123 renvoie à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22), en vertu duquel constitue une profession réglementée une « activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée constitue notamment une modalité d’exercice ».


12      Voir article 25, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/123.


13      Voir considérant 101 de la directive 2006/123.


14      Voir article 1er, paragraphe 1, et considérant 5 de la directive 2006/123.


15      Voir également, en ce sens, Schlachter, M./Ohler, Chr., Europäische Dienstleistungsrichtlinie, Handkommentar, Nomos, Baden-Baden, 2008, article 25, point 1.


16      Mon analyse vaut donc pour les deux versions du code de déontologie.


17      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


18      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


19      Le fait que la Cour ait abordé la compatibilité de la réglementation nationale sous l’angle du droit de la concurrence (article 101 TFUE) est sans incidence dans le cadre de la présente affaire.


20      Néerlandaise en l’occurrence.


21      Voir arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98, point 102).


22      Voir conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2001:390, points 185 et 186).


23      Voir arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98, point 104).


24      Voir arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98, point 109).


25      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


26      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).


27      Voir point 8.4.1 de ce manuel.


28      Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2001:390, point 175).


29      Arrêt du 19 février 2002 (C‑309/99, EU:C:2002:98).

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