Foreningen Skydda Skogen (Judgment) French Text [2021] EUECJ C-473/19 (04 March 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/C47319.html
Cite as: [2021] EUECJ C-473/19, EU:C:2021:166, ECLI:EU:C:2021:166, [2021] Env LR 31

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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

4 mars 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Article 12, paragraphe 1 – Directive 2009/147/CE – Conservation des oiseaux sauvages – Article 5 – Sylviculture – Interdictions visant à garantir la conservation des espèces protégées – Projet de coupe forestière définitive – Site abritant des espèces protégées »

Dans les affaires jointes C‑473/19 et C‑474/19,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Vänersborgs tingsrätt, mark- och miljödomstolen (tribunal de première instance de Vänersborg, tribunal des affaires immobilières et environnementales, Suède), par décisions des 12 et 13 juin 2019, parvenues à la Cour le 18 juin 2019, dans les procédures

Föreningen Skydda Skogen (C‑473/19)

Naturskyddsföreningen i Härryda,

Göteborgs Ornitologiska Förening (C‑474/19)

contre

Länsstyrelsen i Västra Götalands län,

B.A.B. (C‑473/19),

U.T.B. (C‑474/19),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. A. Kumin, T. von Danwitz et P. G. Xuereb, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour la Föreningen Skydda Skogen, par Mme E. Götmark,

–        pour la Naturskyddsföreningen i Härryda, par M. J. Hort,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. K. Simonsson et C. Hermes ainsi que par Mme E. Ljung Rasmussen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 10 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »), et de l’article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant la Föreningen Skydda Skogen (association « Protégez la forêt »), la Naturskyddsföreningen i Härryda (association pour la protection de la nature de Härryda) et la Göteborgs Ornitologiska Förening (société ornithologique de Göteborg) au Länsstyrelsen i Västra Götalands län (préfecture du département de Västra Götaland, Suède), à B.A.B. et à U.T.B. au sujet d’une décision de la préfecture du département de Västra Götaland de ne pas agir à l’encontre d’une déclaration d’abattage concernant une zone forestière située dans la commune de Härryda (Suède).

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

 La directive « habitats »

3        Les troisième, quatrième et sixième considérants de la directive « habitats » sont libellés comme suit :

« considérant que le but principal de la présente directive étant de favoriser le maintien de la biodiversité, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales, elle contribue à l’objectif général, d’un développement durable ; que le maintien de cette biodiversité peut, dans certains cas, requérir le maintien, voire l’encouragement, d’activités humaines ;

considérant que, sur le territoire européen des États membres, les habitats naturels ne cessent de se dégrader et qu’un nombre croissant d’espèces sauvages sont gravement menacées ; que, étant donné que les habitats et espèces menacés font partie du patrimoine naturel de la Communauté et que les menaces pesant sur ceux-ci sont souvent de nature transfrontalière, il est nécessaire de prendre des mesures au niveau communautaire en vue de les conserver ;

[...]

considérant que, en vue d’assurer le rétablissement ou le maintien des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire dans un état de conservation favorable, il y a lieu de désigner des zones spéciales de conservation afin de réaliser un réseau écologique européen cohérent suivant un calendrier défini ».

4        Aux termes de l’article 1er, sous i) et m), de cette directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

i)      état de conservation d’une espèce : l’effet de l’ensemble des influences qui, agissant sur l’espèce, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de ses populations sur le territoire visé à l’article 2 ;

“L’état de conservation” sera considéré comme “favorable”, lorsque :

les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient

et

l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible

et

il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme ;

[...]

m)      spécimen : tout animal ou plante, vivant ou mort, des espèces figurant à l’annexe IV et à l’annexe V, toute partie ou tout produit obtenu à partir de ceux-ci ainsi que toute autre marchandise dans le cas où il ressort du document justificatif, de l’emballage ou d’une étiquette ou de toutes autres circonstances qu’il s’agit de parties ou de produits d’animaux ou de plantes de ces espèces ».

5        L’article 2 de ladite directive prévoit :

« 1.      La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2.      Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3.      Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

6        L’article 12, paragraphe 1, de la même directive se lit comme suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a)      toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

b)      la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;

c)      la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ;

d)      la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

7        L’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » dispose :

« À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) :

a)      dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

b)      pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c)      dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;

d)      à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;

e)      pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l’annexe IV. »

8        L’annexe IV, sous a), de la directive « habitats » mentionne, notamment, la Rana arvalis, communément appelée grenouille des champs, comme une espèce animale d’intérêt communautaire qui doit être strictement protégée.

 La directive « oiseaux »

9        Les considérants 3 à 5 de la directive « oiseaux » se lisent comme suit :

« (3)      Sur le territoire européen des États membres, un grand nombre d’espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage subissent une régression de leur population, très rapide dans certains cas, et cette régression constitue un danger sérieux pour la conservation du milieu naturel, notamment à cause des menaces qu’elle fait peser sur les équilibres biologiques.

(4)      Les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres sont en grande partie des espèces migratrices. De telles espèces constituent un patrimoine commun et la protection efficace des oiseaux est un problème d’environnement typiquement transfrontalier qui implique des responsabilités communes.

(5)      La conservation des espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres est nécessaire à la réalisation des objectifs de la Communauté dans les domaines de l’amélioration des conditions de vie et du développement durable. »

10      L’article 1er de cette directive dispose :

« 1.      La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation.

2.      La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. »

11      L’article 2 de ladite directive énonce :

« Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. »

12      L’article 3 de la même directive prévoit :

« 1.      Compte tenu des exigences mentionnées à l’article 2, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d’habitats pour toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er.

2.      La préservation, le maintien et le rétablissement des biotopes et des habitats comportent en premier lieu les mesures suivantes :

a)      création de zones de protection ;

b)      entretien et aménagement conformes aux impératifs écologiques des habitats se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur des zones de protection ;

c)      rétablissement des biotopes détruits ;

d)      création de biotopes. »

13      Aux termes de l’article 4 de la directive « oiseaux » :

« 1.      Les espèces mentionnées à l’annexe I font l’objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution.

[...]

Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de la présente directive.

[...]

4.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »

14      L’article 5 de cette directive dispose :

« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :

a)      de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ;

b)      de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;

c)      de ramasser leurs œufs dans la nature et de les détenir, même vides ;

d)      de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ;

[...] »

15      L’article 9, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après :

a)      –      dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,

–        dans l’intérêt de la sécurité aérienne,

–        pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,

–        pour la protection de la flore et de la faune ;

b)      pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage se rapportant à ces actions ;

c)      pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités. »

16      L’article 14 de la directive « oiseaux » est libellé comme suit :

« Les États membres peuvent prendre des mesures de protection plus strictes que celles prévues par la présente directive. »

 Le droit suédois

17      L’article 4, premier alinéa, de l’artskyddsförordningen (2007:845) [décret sur la protection des espèces (2007:845), ci-après le « décret sur la protection des espèces »], qui a été adopté sur le fondement de l’article 1er du chapitre 8 du miljöbalken, lag (1998:808) [loi instituant un code de l’environnement (1998:808)] aux fins de la transposition en droit suédois de l’article 5 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1), dont les termes ont été repris à l’article 5 de la directive « oiseaux », qui a abrogé et remplacé la directive 79/409, et de l’article 12 de la directive « habitats », dispose :

« Sont interdits en ce qui concerne les oiseaux sauvages, ainsi que les espèces animales sauvages marquées du signe “N” ou “n” dans l’annexe 1 du présent décret :

1.      la capture ou mise à mort intentionnelle d’animaux ;

2.      la perturbation intentionnelle d’animaux, notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration de ceux-ci ;

3.      la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature, et

4.      la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des sites de repos des animaux.

Les interdictions s’appliquent à tous les stades de la vie des animaux.

[...] »

18      L’article 4, premier alinéa, points 1 à 3, de ce décret transpose ainsi les actes intentionnels interdits à l’article 5, sous a) à d), de la directive « oiseaux » et à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats ». L’article 4, premier alinéa, point 4, dudit décret transpose, quant à lui, l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ».

19      L’annexe 1 du décret sur la protection des espèces comprend la liste de toutes les espèces énumérées aux annexes I à III de la directive « oiseaux » ainsi qu’aux annexes II, IV et V de la directive « habitats ».

20      Il ressort de l’article 30 du skogsvårdslagen (1979:429) [loi sur la gestion des forêts (1979:429)] que le gouvernement ou l’autorité administrative désignée par celui-ci peut émettre des instructions sur la prise en compte du milieu naturel, notamment, qui s’impose dans le cadre de la gestion des forêts.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

21      Une déclaration d’abattage concernant une zone forestière située dans la commune de Härryda a été déposée auprès du Skogsstyrelsen (direction nationale des forêts, Suède). Cette déclaration vise une coupe définitive, ce qui suppose l’enlèvement de la quasi-totalité des arbres.

22      La direction nationale des forêts a rendu un avis sur les mesures de précaution recommandées dans ce cas particulier et a estimé que, pour autant que son avis soit suivi, l’activité décrite dans cette déclaration n’est contraire à aucune des interdictions prévues par le décret sur la protection des espèces.

23      Ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, la zone forestière visée par la déclaration en cause est l’habitat naturel d’espèces protégées par le décret sur la protection des espèces. Or, l’activité d’exploitation forestière envisagée dans cette zone aura pour conséquence que des spécimens de ces espèces protégées seront perturbés ou tués. En outre, les œufs desdites espèces se trouvant dans ladite zone seront détruits.

24      Les 22 décembre 2016 et 17 janvier 2018, les requérantes au principal ont alors demandé à la préfecture du département de Västra Götaland, responsable du contrôle de la protection des espèces dans ce département, d’agir à l’encontre de la déclaration d’abattage et de l’avis de la direction nationale des forêts. Elles estiment que l’abattage envisagé est contraire aux interdictions prévues par le décret sur la protection des espèces et ont demandé, notamment, que ladite préfecture exerce sa mission de contrôle de l’application de ce décret.

25      La préfecture du département de Västra Götaland a décidé qu’il ne s’imposait pas d’examiner la nécessité d’une exemption d’application du décret sur la protection des espèces, ce qui suppose que l’activité envisagée, pour autant qu’elle tienne compte des mesures de précaution recommandées dans l’avis de la direction nationale des forêts, tel que mentionné au point 22 du présent arrêt, n’est contraire à aucune desdites interdictions. Les requérantes au principal ont alors introduit un recours devant la juridiction de renvoi contre cette décision de la préfecture du département de Västra Götaland de ne pas adopter de mesures de contrôle.

26      La juridiction de renvoi précise, d’une part, que l’article 4 du décret sur la protection des espèces met en œuvre aussi bien l’article 5 de la directive « oiseaux » que l’article 12 de la directive « habitats » de sorte que ce décret ne fait pas, en ce qui concerne la portée des interdictions, de différence entre les espèces relevant de l’une ou de l’autre de ces directives et que l’interdiction de la détérioration ou de la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos prévue par la directive « habitats » s’étend ainsi également, en vertu du droit national, aux oiseaux. Selon elle, cette transposition ne suscite aucune controverse étant donné que la directive « oiseaux » est une directive d’harmonisation minimale adoptée sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE.

27      D’autre part, la juridiction de renvoi ajoute que les affaires sur lesquelles elle est amenée à statuer concernent l’impact de l’activité sylvicole en cause au principal sur un certain nombre d’espèces d’oiseaux relevant de la directive « oiseaux » dont plusieurs sont visées par l’annexe I de cette directive, ainsi que sur l’espèce Rana arvalis, communément appelée grenouille des champs, visée par l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats », laquelle bénéficie de la protection stricte prévue par cette directive et se trouve dans la zone d’abattage en cause. À cet égard, elle relève que ces espèces se servent très probablement de la zone concernée en tant que sites de reproduction. Or, ces derniers seront détruits ou dégradés par l’abattage envisagé.

28      Ladite juridiction estime ainsi que l’interprétation de certaines notions des directives « oiseaux » et « habitats » lui est nécessaire pour pouvoir trancher les questions soulevées devant elle et pour vérifier, dans ce contexte, la compatibilité avec celles-ci de la jurisprudence nationale qui requiert que, lorsqu’une activité poursuit un objectif autre que celui visé par les interdictions figurant auxdites directives, cette activité doit faire naître un risque d’incidence négative sur l’état de conservation des espèces concernées pour que ces interdictions s’y appliquent.

29      Dans ces conditions, le Vänersborgs tingsrätt, mark- och miljödomstolen (tribunal de première instance de Vänersborg, tribunal des affaires immobilières et environnementales, Suède) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont rédigées dans des termes identiques dans chacune des affaires C‑473/19 et C‑474/19 :

« 1)      L’article 5 de la directive [“oiseaux”] doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut une pratique nationale impliquant que l’interdiction ne concerne que les espèces qui sont énumérées à l’annexe I de cette directive, ou qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme ?

2)      Les notions de “mise à mort/perturbation/destruction intentionnelle” utilisées à l’article 5, sous a) à d), de la directive “oiseaux” et à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive [“habitats”] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une pratique nationale impliquant que, lorsque l’objet d’une certaine activité est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d’espèces (par exemple, activités d’exploitation forestière ou d’occupation des sols), l’activité doit, pour que l’interdiction opère, faire naître un risque d’incidence négative sur l’état de conservation des espèces ?

Les première et deuxième questions sont notamment fondées sur les considérations suivantes :

–        le fait que l’article 5 de la directive “oiseaux” concerne la protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci,

–        la manière dont la directive “habitats” définit la notion de “spécimen” à son article 1er, sous m),

–        le fait que la question de l’état de conservation d’une espèce ne semble se poser qu’au niveau de la possibilité de dérogation prévue, respectivement, à l’article 16 de la directive “habitats” (les dérogations étant subordonnées à la condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et qu’elles ne nuisent pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle) et à l’article 9 de la directive “oiseaux” (les dérogations ne pouvant pas être incompatibles avec cette directive, dont l’article 2 impose aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir la population de toutes les espèces visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles).

3)      Si la deuxième question, en l’un quelconque de ses aspects, appelle comme réponse que la mise en œuvre de l’interdiction suppose l’appréciation de dommages à un niveau autre que celui des individus, l’appréciation doit-elle être effectuée à l’une des échelles suivantes ou à l’un des niveaux suivants :

a)      une certaine partie de la population, géographiquement circonscrite dans les limites, par exemple, du département, de l’État membre ou de l’Union européenne,

b)      la population locale concernée (isolée biologiquement d’autres populations de la même espèce),

c)      la métapopulation concernée, ou

d)      toute la population de l’espèce dans la région biogéographique concernée de l’aire de répartition de celle–ci ?

4)      La notion de “détérioration/destruction” des sites de reproduction des animaux, telle qu’utilisée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive “habitats”, doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique nationale impliquant que, dans l’hypothèse où la permanence de la fonctionnalité écologique [...] dans l’habitat naturel de l’espèce concernée dans une zone particulière est, malgré les précautions prises, perdue par détérioration, destruction ou dégradation, que ce soit directement ou indirectement, par l’effet de l’activité en question considérée isolément ou cumulativement avec d’autres, l’interdiction n’opère qu’à partir du moment où l’état de conservation de l’espèce concernée risque de se dégrader à l’un quelconque des niveaux visés à la troisième question ?

5)      Si la quatrième question, en l’un quelconque de ses aspects, appelle une réponse négative, c’est–à–dire que la mise en œuvre de l’interdiction suppose l’appréciation de dommages à un niveau autre que l’habitat naturel dans la zone particulière, l’appréciation doit-elle être effectuée à l’une des échelles suivantes ou à l’un des niveaux suivants :

a)      une certaine partie de la population, géographiquement circonscrite dans les limites, par exemple, du département, de l’État membre ou de l’Union européenne,

b)      la population locale concernée (isolée biologiquement d’autres populations de la même espèce),

c)      la métapopulation concernée, ou

d)      toute la population de l’espèce dans la région biogéographique concernée de l’aire de répartition de celle–ci ?

Les deuxième et quatrième questions [...] incluent la question de savoir si la protection stricte prévue par les directives [“oiseaux” et “habitats”] cesse de s’imposer en ce qui concerne les espèces pour lesquelles l’objectif de la directive [“habitats”] (état de conservation favorable) a été atteint. »

30      Par décision du président de la Cour du 22 juillet 2019, les affaires C‑473/19 et C‑474/19 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

31      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 5 de la directive « oiseaux » doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle les interdictions prévues à cette disposition ne concernent que les espèces qui sont énumérées à l’annexe I de cette directive, celles qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme.

32      Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 23 et jurisprudence citée].

33      Il convient de relever, en premier lieu, que, selon les termes mêmes de l’article 5 de la directive « oiseaux », sans préjudice des articles 7 et 9 de celle-ci, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de cette directive et comportant notamment les interdictions exposées audit article 5.

34      Or, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive « oiseaux » concerne « la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable ».

35      L’article 5 de la directive « oiseaux » exige ainsi que les États membres adoptent un cadre législatif complet et efficace, par la mise en œuvre, à l’instar de ce que prévoit l’article 12 de la directive « habitats », de mesures concrètes et spécifiques de protection qui doivent permettre d’assurer le respect effectif des interdictions mentionnées à l’article 5 de la directive « oiseaux » visant, en substance, à protéger les espèces, les sites de reproduction et les aires de repos des oiseaux relevant de cette directive [voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 252].

36      Il ressort donc des termes clairs et non équivoques de l’article 5 de la directive « oiseaux » que l’application des interdictions visées dans cette disposition n’est nullement réservée aux espèces qui sont énumérées à l’annexe I de cette directive, ou qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme.

37      Il y a lieu de relever, en second lieu, que ni le contexte dans lequel s’inscrit l’article 5 de la directive « oiseaux », ni l’objet et la finalité de cette directive ne permettent de limiter son champ d’application aux trois catégories d’espèces d’oiseaux ainsi mentionnées par la juridiction de renvoi dans sa première question.

38      Il importe, à cet égard, de rappeler que, aux termes de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé. En outre, elle est notamment fondée sur les principes de précaution et d’action préventive ainsi que sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement.

39      Ainsi que cela ressort des considérants 3 à 5 de la directive « oiseaux », un grand nombre d’espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres subissent une régression de leur population qui constitue un danger sérieux pour la conservation du milieu naturel. Partant, la conservation de telles espèces d’oiseaux, qui sont en grande partie des espèces migratrices et qui constituent ainsi un patrimoine commun, est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Union en termes de développement durable et d’amélioration des conditions de vie.

40      La Cour a également déjà rappelé que la directive « oiseaux », dont le champ d’application comprend toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est d’application, prévoit, à son article 2, que les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes ces espèces d’oiseaux à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1996, Royal Society for the Protection of Birds, C‑44/95, EU:C:1996:297, point 3).

41      En outre, l’article 3 de la directive « oiseaux » impose aux États membres des obligations présentant un caractère général, consistant à assurer une diversité et une superficie suffisantes d’habitats concernant, tout comme l’article 5 de cette directive, toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de ladite directive, à savoir toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable.

42      La détermination de ce champ d’application est liée à l’importance d’une protection complète et efficace des oiseaux sauvages à l’intérieur de toute l’Union, quel que soit leur lieu de séjour ou espace de passage et ainsi indépendamment des législations nationales qui détermineraient la protection des oiseaux sauvages en fonction de la notion de patrimoine national (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 1988, Commission/France, 252/85, EU:C:1988:202, point 15).

43      L’article 4 de la directive « oiseaux » contient, quant à lui, un régime de protection spécifiquement ciblé et renforcé qui comporte des obligations particulières à l’égard notamment des espèces d’oiseaux énumérées à l’annexe I de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1996, Royal Society for the Protection of Birds, C‑44/95, EU:C:1996:297, points 19 et 23), consistant à prendre des mesures de conservation spéciale concernant leur habitat afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. Les États membres classent notamment en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation des espèces mentionnées à l’annexe I de cette directive dans la zone géographique maritime et terrestre d’application de ladite directive.

44      En revanche, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 44 de ses conclusions, il est indifférent, aux fins de l’article 5 de la directive « oiseaux », que les espèces d’oiseaux concernées relèvent de l’annexe I de cette directive, qu’elles soient menacées à quelque niveau que ce soit ou que leur population soit en déclin à long terme.

45      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 5 de la directive « oiseaux » doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle les interdictions prévues à cette disposition ne concernent que les espèces qui sont énumérées à l’annexe I de cette directive, celles qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme.

 Sur la deuxième question

46      À titre liminaire, il convient de relever qu’il découle des demandes de décision préjudicielle que le décret sur la protection des espèces ne fait pas, en ce qui concerne la portée des interdictions intentionnelles, de capture ou de mise à mort et de perturbation des espèces animales ainsi que de destruction ou de ramassage des œufs, qui figurent à son article 4, de différence entre les espèces relevant de la directive « habitats » et celles relevant de la directive « oiseaux ». La juridiction de renvoi souligne, en particulier, que l’article 4, premier alinéa, points 1 à 3, de ce décret transpose les actes intentionnels ainsi interdits à l’article 5, sous a) à d), de la directive « oiseaux » et à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats ».

47      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 14 de la directive « oiseaux », les États membres peuvent prendre des mesures de protection plus strictes que celles prévues par cette directive (arrêt du 21 juillet 2011, Azienda Agro-Zootecnica Franchini et Eolica di Altamura, C‑2/10, EU:C:2011:502, point 49).

48      Partant, et dans la mesure où la juridiction de renvoi constate qu’il résulte du décret sur la protection des espèces que les interdictions prévues à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » s’étendent aux oiseaux, il convient de limiter l’examen de la deuxième question à l’interprétation de cette disposition.

49      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que, d’une part, il s’oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l’objet d’une activité humaine, telle qu’une activité d’exploitation forestière ou d’occupation des sols, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d’espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s’appliquent qu’en cas de risque d’incidence négative sur l’état de conservation des espèces concernées et, d’autre part, la protection offerte par ladite disposition cesse de s’appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable.

50      Il importe, tout d’abord, de rappeler que l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant la capture ou la mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces, la perturbation intentionnelle de celles-ci et la destruction ou le ramassage intentionnels de leurs œufs.

51      La Cour a jugé que, pour que la condition relative au caractère intentionnel figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats » soit remplie, il doit être établi que l’auteur de l’acte a voulu la capture ou la mise à mort d’un spécimen d’une espèce animale protégée ou, à tout le moins, a accepté la possibilité d’une telle capture ou mise à mort (arrêt du 18 mai 2006, Commission/Espagne, C‑221/04, EU:C:2006:329, point 71). La même constatation s’applique aux interdictions figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous b) et c), de cette directive.

52      En particulier, la Cour a qualifié de perturbation intentionnelle, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats », des faits tels que la circulation de vélomoteurs sur une plage en dépit des avertissements relatifs à la présence de nids de tortues marines protégées et la présence de pédalos et de petits bateaux dans la zone maritime des plages concernées, et a jugé qu’un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous b), de cette directive dans le cas où il ne prend pas toutes les mesures concrètes nécessaires pour éviter la perturbation intentionnelle de l’espèce animale concernée pendant la période de reproduction (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2006, Commission/Espagne, C‑221/04, EU:C:2006:329, point 70 et jurisprudence citée).

53      Partant, les interdictions figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » sont susceptibles de s’appliquer à une activité, telle qu’une activité d’exploitation forestière ou d’occupation des sols, dont l’objet est manifestement autre que la capture ou la mise à mort, la perturbation d’espèces animales ou la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs.

54      S’agissant de la pertinence de l’état de conservation d’une espèce animale dans le cadre de l’article 12, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive « habitats », il y a lieu de relever que la nécessité d’effectuer un examen de la situation au niveau des individus de l’espèce concernée découle du libellé même de cette disposition, qui impose aux États membres d’interdire certains actes affectant des « spécimens » ou des « œufs » des espèces animales.

55      Or, force est de constater que la définition de la notion d’« état de conservation d’une espèce », contenue à l’article 1er, sous i), de cette directive, se réfère expressément à « l’importance de[s] populations [d’une espèce] » et non pas à la situation particulière d’un individu ou d’un spécimen de ladite espèce, de sorte que cet état de conservation est déterminé ou évalué notamment au regard des populations des espèces concernées.

56      Par ailleurs, s’agissant de l’article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive « habitats » qui comporte l’interdiction de la perturbation intentionnelle des espèces, notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration, il convient de relever que, en ce qu’elle vise à mettre l’accent sur l’importance accrue de ladite interdiction au cours des périodes pendant lesquelles les spécimens sont spécialement vulnérables, notamment d’un point de vue de leur capacité ou de leur succès de reproduction et dont la méconnaissance est ainsi particulièrement susceptible d’affecter négativement l’état de conservation de l’espèce concernée, cette disposition, selon son libellé même, n’exclut pas pour autant que les activités n’entraînant pas un tel risque puissent, selon le cas, en relever.

57      Il s’ensuit que la mise en œuvre du régime de protection prescrit à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » n’est pas subordonnée à la condition qu’une activité donnée risque d’avoir une incidence négative sur l’état de conservation de l’espèce animale concernée.

58      S’agissant, ensuite, du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, il y a lieu de constater que l’examen de l’incidence d’une activité sur l’état de conservation de l’espèce animale concernée est, en revanche, pertinent dans le cadre des dérogations adoptées au titre de l’article 16 de la directive « habitats ».

59      C’est, en effet, dans le cadre de l’examen de ces dérogations qu’il est procédé à une appréciation tant de l’incidence de l’activité en cause sur l’état de conservation des populations des espèces concernées que de la nécessité de cette activité ainsi que des solutions alternatives permettant de réaliser l’objectif invoqué à l’appui de la dérogation sollicitée.

60      Or, subordonner l’applicabilité des interdictions visées à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » au risque d’une incidence négative de l’activité en cause sur l’état de conservation de l’espèce concernée serait susceptible d’aboutir à un contournement de l’examen prévu au titre de l’article 16 de cette directive et aurait, ainsi, pour effet de priver cet article, ainsi que les dispositions dérogatoires et les conditions restrictives qui en découlent, de leur effet utile. Une telle interprétation ne saurait être considérée comme conforme aux principes de précaution et d’action préventive rappelés au point 38 du présent arrêt ainsi qu’au niveau accru de protection des spécimens des espèces animales et des œufs visé à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de ladite directive.

61      Ainsi, tant le libellé que le contexte de cette disposition excluent de subordonner l’applicabilité des interdictions visées à ladite disposition à une activité, telle qu’une activité d’exploitation forestière ou d’occupation des sols, au risque d’une incidence négative sur l’état de conservation de l’espèce animale concernée, cette interprétation étant également corroborée par les objectifs de la directive « habitats ».

62      À cet égard, il ressort du troisième considérant de ladite directive que, l’objectif principal de celle-ci étant de favoriser le maintien de la biodiversité, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales, elle contribue à l’objectif général d’un développement durable.

63      Dans ce contexte, le sixième considérant de la directive « habitats » précise que, en vue d’assurer le rétablissement ou le maintien des habitats naturels et des espèces d’intérêt communautaire dans un état de conservation favorable, il y a lieu de désigner des zones spéciales de conservation afin de réaliser un réseau écologique européen cohérent suivant un calendrier défini.

64      Il importe, par ailleurs, de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive « habitats », celle-ci a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres. En outre, aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, les mesures prises à cette fin visent à « assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire ».

65      Il résulte dès lors aussi desdits objectifs que, dans la mesure où la directive « habitats » vise également le « maintien » d’un état de conservation favorable, il convient de considérer que les espèces qui ont atteint un tel état de conservation doivent être protégées contre toute détérioration de cet état.

66      Partant, il y a lieu de constater que l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne saurait être interprété en ce sens que la protection que cette disposition prévoit cesse de s’appliquer aux espèces qui ont atteint un état de conservation favorable.

67      Aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de cette directive, il incombe dès lors à la juridiction de renvoi d’examiner, en particulier, si les espèces animales couvertes par ladite directive, telles que mentionnées dans les demandes de décision préjudicielle, sont présentes dans la zone d’abattage en cause au principal.

68      À cet égard, il y a lieu de relever que l’espèce Rana arvalis, communément appelée grenouille des champs, a, ainsi que le précise la juridiction de renvoi, probablement son habitat naturel dans la zone visée par la déclaration d’abattage en cause au principal. Cette espèce figure au nombre des espèces animales protégées par la directive « habitats » qui font l’objet d’une protection stricte au titre de l’article 12 de cette directive.

69      Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que, dans la zone en cause au principal, à tout le moins des espèces Tetrao urogallus, communément appelée grand tetras, Pernis apivorus, communément appelée bondrée apivore, et Accipiter gentilis, communément appelée autour des palombes, qui figurent toutes à l’annexe I de la directive « oiseaux » et qui constituent ainsi des espèces d’oiseaux les plus menacées, y ont leurs habitats naturels.

70      Il appartiendra également à la juridiction de renvoi d’examiner si les conditions dans lesquelles doit être effectué l’abattage en cause au principal relèvent de pratiques de gestion forestière préventives et durables compatibles avec les exigences de conservation découlant de la directive « habitats ».

71      Cette juridiction relève notamment qu’il lui incombera de déterminer dans quelle mesure les précautions recommandées par la direction nationale des forêts peuvent contribuer à réduire le risque de dommages à un niveau tel que l’activité en cause au principal ne tombe plus sous le coup des interdictions prévues à l’article 4 du décret sur la protection des espèces et si des mesures de précaution supplémentaires sont requises pour éviter l’application de ces interdictions.

72      Il ressort, à cet égard, du dossier dont dispose la Cour qu’aucun plan sylvicole volontaire n’a été évalué par la direction nationale des forêts dans le cadre du traitement de la déclaration d’abattage en cause au principal. En outre, l’administration nationale n’aurait pas vérifié si cet abattage peut être exécuté dans le plein respect des interdictions prévues par le décret sur la protection des espèces.

73      Par ailleurs, l’avis de la direction nationale des forêts ne serait pas contraignant pour le propriétaire foncier et aucune sanction pénale ne serait prévue en cas de non-respect des considérations prescrites par cet avis. Selon les requérantes au principal, cet avis ne comporterait, de toute manière, pas d’éléments quant au point de savoir si les espèces protégées vivent dans la zone visée par la coupe, alors qu’elles avaient attiré l’attention de ladite direction sur leur présence dans ladite zone. S’agissant de la déclaration d’abattage en cause au principal, celle-ci n’indiquerait pas la période de l’année au cours de laquelle cet abattage sera effectué.

74      L’association « Protégez la forêt » précise, en outre, que, si la zone forestière en cause au principal fait l’objet d’un abattage en conformité avec l’avis émis par la direction nationale des forêts, le milieu forestier disparaîtra, ce qui entraînera également la disparition d’une partie des habitats naturels des espèces protégées qui y sont présentes et menacera ainsi leur survie sur le long terme.

75      Dans ces conditions, il convient de rappeler que le respect de l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » impose aux États membres non seulement l’adoption d’un cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, un tel système de protection stricte suppose l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif. Ce système de protection stricte doit donc permettre d’éviter effectivement les atteintes aux espèces animales protégées telles qu’énoncées à cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Alianța pentru combaterea abuzurilor, C‑88/19, EU:C:2020:458, point 23 et jurisprudence citée).

76      Il importe, en effet, aux fins de la réalisation des objectifs de la directive « habitats », que les autorités compétentes soient en mesure d’anticiper les activités qui seraient dommageables aux espèces protégées par cette directive, peu importe à cet égard que l’objet de l’activité en cause consiste ou non en la mise à mort ou en la perturbation de ces espèces.

77      Il reviendra, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier si les activités d’exploitation forestière telles que celles en cause au principal sont fondées sur une approche préventive tenant compte des besoins de conservation des espèces concernées et si elles sont planifiées et exécutées de manière à ne pas enfreindre les interdictions découlant de l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats », tout en prenant en considération, ainsi que cela ressort de l’article 2, paragraphe 3, de cette directive, les exigences économiques, sociales, culturelles, régionales et locales.

78      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que, d’une part, il s’oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l’objet d’une activité humaine, telle qu’une activité d’exploitation forestière ou d’occupation des sols, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d’espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s’appliquent qu’en cas de risque d’incidence négative sur l’état de conservation des espèces concernées et, d’autre part, la protection offerte par ladite disposition ne cesse pas de s’appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable.

 Sur la quatrième question

79      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale selon laquelle, dans l’hypothèse où la permanence de la fonctionnalité écologique dans l’habitat naturel de l’espèce concernée dans une zone particulière est, malgré les précautions prises, perdue par détérioration, destruction ou dégradation, que ce soit directement ou indirectement, par l’effet de l’activité en cause considérée isolément ou cumulativement avec d’autres, l’interdiction prévue à cette disposition n’opère qu’à partir du moment où l’état de conservation de l’espèce concernée risque de se dégrader.

80      Cette question procède de la double prémisse exposée par ladite juridiction, qu’il lui incombera de confirmer, selon laquelle, d’une part, les espèces d’oiseaux protégées et la grenouille des champs se servent de la zone déclarée en tant que sites de reproduction qui seront détruits ou dégradés par l’abattage en cause au principal et, d’autre part, la permanence de la fonctionnalité écologique dans l’habitat naturel des espèces concernées sera, à la suite de cet abattage, perdue.

81      Pour répondre à ladite question, il convient ainsi d’emblée de rappeler que, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », la protection stricte prévue à cette disposition vise une interdiction de « la détérioration ou [de] la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos ».

82      C’est au regard de ce système de protection stricte que la Cour a déjà jugé que les actes visés à ladite disposition sont non pas seulement les actes intentionnels, mais également ceux qui ne le sont pas. En ne limitant pas l’interdiction énoncée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » à des actes intentionnels, contrairement à ce qui est prévu pour les actes visés à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de ladite directive, le législateur de l’Union a démontré sa volonté de conférer aux sites de reproduction ou aux aires de repos une protection accrue contre les actes causant leur détérioration ou leur destruction [arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 27 et jurisprudence citée].

83      En outre, la Cour a souligné que la protection stricte prévue à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » s’applique indépendamment du nombre de spécimens de l’espèce concernée présents dans la zone concernée [arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 237].

84      Partant, il y a lieu de considérer que, dès lors que la mise en œuvre du régime de protection prescrit à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de cette directive n’est pas subordonnée au nombre de spécimens de l’espèce concernée, elle ne peut l’être, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 53 et 55 de ses conclusions, au risque d’une incidence négative sur l’état de conservation de cette espèce.

85      Il convient d’ajouter que les considérations énoncées aux points 58 à 77 du présent arrêt s’appliquent par analogie à l’égard des interdictions prévues à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ».

86      Il découle de ce qui précède qu’il convient de répondre à la quatrième question que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale selon laquelle, dans l’hypothèse où la permanence de la fonctionnalité écologique dans l’habitat naturel de l’espèce concernée dans une zone particulière est, malgré les précautions prises, perdue par détérioration, destruction ou dégradation, que ce soit directement ou indirectement, par l’effet de l’activité en cause considérée isolément ou cumulativement avec d’autres, l’interdiction prévue à cette disposition n’opère qu’à partir du moment où l’état de conservation de l’espèce concernée risque de se dégrader.

 Sur les troisième et cinquième questions

87      Compte tenu des réponses apportées aux deuxième et quatrième questions, il n’y a pas lieu de répondre aux troisième et cinquième questions.

 Sur les dépens

88      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle les interdictions prévues à cette disposition ne concernent que les espèces qui sont énumérées à l’annexe I de cette directive, celles qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme.

2)      L’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, doit être interprété en ce sens que, d’une part, il s’oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l’objet d’une activité humaine, telle qu’une activité d’exploitation forestière ou d’occupation des sols, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d’espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s’appliquent qu’en cas de risque d’incidence négative sur l’état de conservation des espèces concernées et, d’autre part, la protection offerte par ladite disposition ne cesse pas de s’appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable.

3)      L’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale selon laquelle, dans l’hypothèse où la permanence de la fonctionnalité écologique dans l’habitat naturel de l’espèce concernée dans une zone particulière est, malgré les précautions prises, perdue par détérioration, destruction ou dégradation, que ce soit directement ou indirectement, par l’effet de l’activité en cause considérée isolément ou cumulativement avec d’autres, l’interdiction prévue à cette disposition n’opère qu’à partir du moment où l’état de conservation de l’espèce concernée risque de se dégrader.

Signatures


*      Langue de procédure : le suédois.

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