Spetsializirana prokuratura (Vices de forme de l'acte d'accusation) (Order) French Text [2021] EUECJ C-769/19_CO (14 January 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/C76919_CO.html
Cite as: ECLI:EU:C:2021:28, [2021] EUECJ C-769/19_CO, EU:C:2021:28

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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

14 janvier 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2012/13/UE – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Article 6 – Droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits – Article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne –– Traitement d’une affaire dans un délai raisonnable – Législation nationale prévoyant la clôture de la procédure judiciaire en cas de vices de forme de l’acte d’accusation constatés par le juge – Renvoi de l’affaire devant le procureur aux fins de l’établissement d’un nouvel acte d’accusation – Admissibilité »

Dans l’affaire C‑769/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), par décision du 7 octobre 2019, parvenue à la Cour le 21 octobre 2019, dans la procédure pénale contre

UC

et

TD,

en présence de :

Spetsializirana prokuratura,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. Lycourgos (rapporteur) et I. Jarukaitis juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1), de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du principe de primauté du droit de l’Union et du droit au respect de la dignité humaine.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre UC et TD pour, respectivement, avoir dirigé un groupe criminel organisé et y avoir participé.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de l’article 1er de la directive 2012/13 :

« La présente directive définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux. [...] »

4        L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

5        L’article 6 de ladite directive, intitulé « Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

[...]

3.      Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation.

4.      Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient rapidement informés de tout changement dans les informations fournies en vertu du présent article, lorsque cela est nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure. »

 Le droit bulgare

6        Selon le droit bulgare, la procédure pénale est constituée de la phase préliminaire et de la phase juridictionnelle. Conformément aux dispositions combinées de l’article 247, paragraphe 1, point 1, de l’article 246 et de l’article 242, paragraphe 1, du Nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale), la phase juridictionnelle est introduite par le dépôt du réquisitoire dans lequel sont exposées en détail l’accusation en fait et l’accusation en droit.

7        Conformément à l’article 247 bis, paragraphe 2, point 1, du code de procédure pénale, une audience préliminaire est fixée dans les deux mois à compter du dépôt du réquisitoire. Cette audience préliminaire a notamment pour objet d’apprécier la légalité du réquisitoire. Après l’expiration du délai de recours ou la confirmation de la décision par la juridiction supérieure, cette appréciation devient définitive.

8        Selon l’article 247 ter du code de procédure pénale, une copie du réquisitoire est notifiée à toutes les parties, qui peuvent déposer leurs observations dans un délai de 7 jours à compter de cette notification. Conformément aux dispositions combinées de l’article 271, paragraphes 1, 2 et 10, de l’article 248 et de l’article 247 ter, paragraphes 3 et 4, de ce code, l’audience préliminaire est reportée à une date ultérieure et, au plus tard, dans un délai de trois mois, si aucune des parties concernées n’a été trouvée ou si le délai de 7 jours pour le dépôt des observations n’est pas encore écoulé.

9        L’article 248 dudit code prévoit :

« (1)      Les questions suivantes sont évoquées lors de l’audience préliminaire :

[...]

3.      au cours de la procédure préliminaire, une violation des formes substantielles régularisable et ayant entraîné une restriction des droits procéduraux de la personne poursuivie, de la victime ou de ses ayants droit a-t-elle été commise ?

[...] »

10      L’article 249 du même code dispose :

« [...]

(2)      Lorsque le juge clôture la procédure juridictionnelle sur le fondement de l’article 248, paragraphe 1, point 3, il renvoie l’affaire au procureur en indiquant, par voie d’ordonnance, les violations des formes commises. Dans ces cas, le procureur remédie aux violations des formes conformément à l’article 242 et un nouveau délai commence à courir à compter de la réception de l’affaire. 

[...]

(4)      La violation des formes commise lors de la procédure préliminaire est substantielle et régularisable, lorsqu’il est porté atteinte au droit de :

1.      la personne poursuivie d’être informée de l’infraction qui lui est reprochée.

[...] »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      UC et TD sont pénalement poursuivis en Bulgarie, pour, respectivement, avoir dirigé un groupe criminel organisé aux fins de trafic d’êtres humains, en l’occurrence de prostituées, dans le but de s’enrichir, et pour avoir participé à ce groupe. UC fait également l’objet de poursuites pénales pour avoir, en exécution de la décision dudit groupe, recruté trois femmes en vue de la prostitution et pour avoir été en possession de stupéfiants.

12      Le réquisitoire introductif d’instance a été déposé le 18 avril 2019 et l’affaire a été inscrite à l’audience préliminaire du 27 septembre 2019. Après avoir entendu les parties au principal, le juge a estimé, lors de cette audience, que le réquisitoire était entaché de plusieurs vices, à savoir un manque de clarté, des lacunes et des contradictions.

13      Le procureur compétent du parquet spécialisé a indiqué être disposé à remédier immédiatement auxdits vices, en apportant les précisions nécessaires lors de l’audience préliminaire. La juridiction de renvoi estime que, si ledit procureur apporte ces précisions, le réquisitoire devrait dès lors être considéré comme conforme à la législation bulgare sur le plan formel et le juge pourrait ainsi prendre les actes de procédure subséquents. Toutefois, elle indique que cette législation ne permet pas au procureur, lors de l’audience préliminaire, de remédier aux vices qui entachent le réquisitoire. Ladite législation exigerait la clôture de la procédure juridictionnelle et le renvoi de l’affaire devant le procureur qui dresserait un nouveau réquisitoire, avant de le soumettre à nouveau au juge, lequel l’examinerait lors d’une nouvelle audience préliminaire.

14      Des retards s’élevant habituellement à plusieurs mois résulteraient de ce régime national de régularisation de vices affectant le réquisitoire, alors que, dans la majorité des cas, il serait possible de régulariser ces vices rapidement. En l’occurrence, dans le cadre de la procédure au principal, l’étape procédurale relative à l’audience préliminaire aurait ainsi pris plus de cinq mois de retard.

15      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au point de savoir si le régime national de régularisation desdits vices est conforme aux exigences de l’article 6 de la directive 2012/13 ainsi qu’au droit des personnes poursuivies à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable.

16      Cette juridiction relève que la présente demande préjudicielle est présentée sur la base d’arguments qui ont été exposés dans l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), et qui la conduisent à considérer que le droit national n’est pas conforme au droit de l’Union dans la mesure où il prévoit un régime de régularisation des vices du réquisitoire dépourvu d’effectivité.

17      À cet égard, certaines considérations figurant dans cet arrêt permettraient éventuellement d’admettre que la Cour considère également comme légale une autre manière de remédier à ces vices, à savoir en donnant au procureur la possibilité de rectifier ces vices dès leur constatation par le juge, au cours de l’audience préliminaire.

18      Or, si, à la suite de la communication de l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), la législation nationale a été modifiée, en ce sens que, désormais, la juridiction nationale est tenue d’ouvrir la phase juridictionnelle de la procédure et de constater, au cours de l’audience préliminaire, toutes les irrégularités éventuelles du réquisitoire dans leur intégralité, en tenant compte des objections de la défense à cet égard, cette législation ne permettrait pas de mettre en œuvre la seconde possibilité prévue par la Cour au point 67 du même arrêt, à savoir, que le juge « remédie [...] lui-même à ces irrégularités ».

19      À cet égard, la demande de décision préjudicielle porterait sur la manière dont il convient de corriger les vices contenus dans le réquisitoire.

20      En particulier, la juridiction de renvoi s’interroge, premièrement, sur le point de savoir si l’exigence relative à la communication « rapide » d’informations sur l’accusation, prévue à l’article 6, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive 2012/13, est respectée dans une situation où la législation nationale retarde artificiellement la régularisation des vices affectant les informations sur l’accusation qui ont été communiquées.

21      Deuxièmement, contrairement à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13, effectuée par la Cour au point 99 de l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), selon laquelle rien ne s’oppose à ce que les vices entachant l’accusation soient régularisés lors de l’audience préliminaire, la législation nationale empêcherait une telle possibilité en retenant une interprétation plus stricte et littérale du droit aux informations sur l’accusation.

22      Troisièmement, quant à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, la juridiction de renvoi se demande s’il existe un motif raisonnable permettant de justifier le retard obligatoire de plusieurs mois, prévu par la législation nationale, pour la régularisation des vices entachant le réquisitoire, alors même que ces vices pourraient être rapidement régularisés dès l’audience préliminaire.

23      Quatrièmement, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la non-prise en considération, au niveau national, de l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), du fait que la législation nationale exclut la possibilité de préciser l’accusation au cours de l’audience préliminaire, n’est pas contraire au principe de primauté du droit de l’Union.

24      Cinquièmement, cette juridiction s’interroge sur la conformité de la législation nationale au droit au respect de la dignité humaine, au sens des articles 1er et 31 de la Charte. En effet, d’une part, s’agissant de l’article 1er de la Charte, le renvoi de l’affaire au procureur aux fins d’établir un nouveau réquisitoire aurait pour conséquence directe de devoir citer une nouvelle fois à comparaître les personnes poursuivies ou les victimes, ce qui impliquerait un risque accru d’atteinte à la vie privée de ces dernières, dans la mesure où des tiers auront connaissance de cette procédure. D’autre part, s’agissant de l’article 31 de la Charte, en ne prévoyant pas de procédure permettant de remédier rapidement aux vices de procédure entachant le réquisitoire, alors que l’accusation et la défense l’appellent de leurs vœux et que le juge considère que cette solution est opportune, la législation nationale créerait un sentiment d’impuissance professionnelle, ce qui porterait atteinte à la dignité professionnelle des magistrats.

25      Dans ces conditions, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une loi nationale est-elle conforme à l’article 6 de la directive [2012/13], au principe du délai raisonnable de jugement visé à l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte], au principe de la primauté du droit de l’Union, ainsi qu’au principe du respect de la dignité lorsque, dans l’hypothèse d’un réquisitoire introductif d’instance entaché de vices en ce que son contenu manque de clarté, est incomplet ou contradictoire, cette loi ne permet en aucun cas au procureur de remédier à ces vices en les régularisant à l’audience préliminaire au cours de laquelle ils ont été constatés et impose chaque fois au juge de clôturer la procédure juridictionnelle et de renvoyer l’affaire au procureur aux fins de l’établissement d’un nouveau réquisitoire, alors que cette façon de procéder occasionne un retard significatif de la procédure pénale et qu’il est possible de remédier à ces vices dès l’audience ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la compétence de la Cour

26      Dans leurs observations, les gouvernements tchèque et polonais soutiennent que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la présente demande de décision préjudicielle dès lors que cette dernière n’entrerait pas dans le champ d’application de la directive 2012/13 en ce que la question posée par la juridiction de renvoi, portant sur la manière dont il convient de corriger les vices de forme contenus dans le réquisitoire introductif d’instance, relève de la compétence des États membres.

27      Il y a lieu de rappeler que l’article 1er de la directive 2012/13 prévoit que celle-ci définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux.

28      Quant au champ d’application de cette directive, son article 2 indique que celle-ci s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel.

29      Or, en l’occurrence, d’une part, il résulte de la demande de décision préjudicielle que la question posée porte sur le droit des personnes poursuivies d’être informées de l’accusation portée contre elles, dès lors qu’elle vise, en substance, le point de savoir si les règles du code de procédure pénale en cause au principal, qui exigent le renvoi de l’affaire au procureur en présence d’irrégularités dans le réquisitoire introductif d’instance, sont susceptibles de porter atteinte ou d’empêcher l’exercice des droits procéduraux consacrés à l’article 6 de la directive 2012/13.

30      En particulier, il ressort de cette demande que la règle prévue à l’article 249, paragraphe 2, du code de procédure pénale, lu en combinaison avec l’article 248, paragraphe 1, point 3, de ce code, qui vise à remédier aux vices de forme ayant entraîné une restriction des droits procéduraux de la personne poursuivie et, en particulier, au droit de celle-ci de savoir quelle infraction lui est reprochée, a pour but, en substance, de permettre à cette personne d’être informée de façon claire et suffisamment détaillée de l’acte pénalement sanctionné qu’elle est accusée d’avoir commis, ainsi que de recevoir des informations détaillées sur l’accusation pesant contre elle, y compris la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, au sens de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2012/13.

31      D’autre part, s’agissant précisément des mêmes règles du code de procédure pénale que celles en cause au principal, la Cour a déjà constaté que la clôture de la phase juridictionnelle de la procédure pénale, due aux irrégularités contenues dans le réquisitoire, n’entraîne pas la clôture de cette procédure dans son ensemble, dès lors que l’affaire est, en vertu de ces règles, renvoyée au procureur aux fins de l’établissement d’un nouveau réquisitoire (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, point 54).

32      Il s’ensuit que la directive 2012/13 est applicable aux éléments procéduraux du litige au principal qui sont à l’origine de la présente demande de décision préjudicielle.

33      Il se déduit d’une telle conclusion que la Charte est également applicable à la situation en cause au principal. En effet, dès lors que la règle nationale en cause au principal met en œuvre, ainsi que cela ressort du point 30 de la présente ordonnance, les dispositions de l’article 6 de la directive 2012/13, il y a lieu de considérer qu’elle met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

34      Il s’ensuit que la Cour est compétente pour répondre à la question posée.

 Sur le fond

35      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

36      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

37      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6 de la directive 2012/13, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ainsi que le principe de primauté du droit de l’Union et le droit au respect de la dignité humaine doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui, dans l’hypothèse d’un réquisitoire introductif d’instance entaché de vices en ce que son contenu manque de clarté, est incomplet ou contradictoire, ne permet en aucun cas au procureur de remédier à ces vices en les régularisant à l’audience préliminaire au cours de laquelle ils ont été constatés et impose au juge de clôturer la procédure juridictionnelle et de renvoyer l’affaire au procureur aux fins de l’établissement d’un nouveau réquisitoire, occasionnant ainsi un retard significatif dans l’avancement de la procédure pénale.

38      Il y a lieu, à titre liminaire, de préciser que, même si, dans sa question, la juridiction de renvoi se réfère de manière générale à l’article 6 de la directive 2012/13, sont pertinentes, aux fins de la réponse à cette question, tant les dispositions figurant aux paragraphes 1 et 3 de cet article, qui sont expressément visées dans les motifs de la décision de renvoi, que celles du paragraphe 4 de ce même article.

39      En effet, d’une part, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2012/13 concerne la règle selon laquelle les suspects ou les personnes poursuivies sont informés, rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense, de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. En outre, en vertu du paragraphe 3 de cet article, des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, sont communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation.

40      D’autre part, dès lors que, selon la juridiction de renvoi, le réquisitoire introductif d’instance comporte des vices de forme qui doivent être corrigés, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2012/13 exige que les personnes poursuivies soient rapidement informées de tout changement dans les informations fournies en vertu de cet article, lorsque cela est nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure.

41      La juridiction de renvoi expose que la présente demande de décision préjudicielle est justifiée par certains motifs issus de l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), qui la conduisent à considérer que la législation nationale en cause au principal n’est pas conforme au droit de l’Union, dans la mesure où elle prévoit un régime de régularisation des vices de forme du réquisitoire dépourvu d’effectivité.

42      Or, il convient de relever que l’arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a. (C‑704/18, EU:C:2020:92), qui a précisé la portée de l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), fournit, en substance, les éléments d’analyse nécessaires permettant à la Cour de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.

43      S’agissant, en premier lieu, de la réponse à la question posée au regard de l’article 6, paragraphes 1, 3 et 4, de la directive 2012/13, il convient, premièrement, de relever que l’article 6 de cette directive définit, dans les dispositions qu’il comporte, des règles relatives au droit d’être informé de l’accusation portée contre soi (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2015, Covaci, C‑216/14, EU:C:2015:686 point 56, et du 13 juin 2019, Moro, C‑646/17, EU:C:2019:489, point 43), qui visent à garantir le caractère équitable de la procédure et à permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

44      Deuxièmement, dans l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), la Cour a précisé que le bénéfice des droits procéduraux consacrés à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13 doit être assuré, en principe, au plus tard avant que le juge pénal ne commence à examiner l’accusation au fond et que les débats ne s’ouvrent devant lui. En revanche, le droit de l’Union tel qu’interprété par ce dernier arrêt ne précise pas l’autorité nationale chargée de s’assurer que les personnes poursuivies bénéficient des droits en cause ni la procédure qu’il convient de suivre à cet effet (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, points 39 et 40).

45      Troisièmement, en ce qui concerne les modalités de cette procédure, s’il est vrai qu’il appartient au juge national d’assurer un juste équilibre entre, d’une part, le respect des droits de la défense et, d’autre part, la nécessité de garantir l’effectivité des poursuites ainsi que celle de veiller à ce que la procédure se déroule dans un délai raisonnable, une obligation similaire pèse aussi, nécessairement, sur le ministère public, durant la phase préliminaire de la procédure pénale (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, points 41 et 42).

46      Ainsi, l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), ne s’oppose pas à ce que le droit des personnes poursuivies d’être informées de l’accusation soit assuré soit par le procureur à la suite du renvoi de l’affaire à la phase préliminaire de la procédure pénale, soit par la juridiction de renvoi lorsque l’affaire sera portée en jugement (arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, point 44).

47      Quant à la règle du code de procédure pénale en cause au principal, à savoir l’article 249, paragraphe 2, de ce code, la Cour a relevé que l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), ne prescrit pas de modalités concrètes de mise en œuvre de l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13 effectuée dans cet arrêt. Plus particulièrement, l’ouverture de la phase juridictionnelle de la procédure par la juridiction concernée afin de remédier elle-même aux irrégularités n’étant que l’une des possibilités parmi d’autres envisagées par la Cour dans ledit arrêt, l’établissement de ces modalités relève de l’autonomie procédurale des États membres, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, points 48 et 49).

48      En l’occurrence, s’agissant du principe d’équivalence, qui exige que les règles nationales ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne, il ne ressort nullement de la demande de décision préjudicielle que la règle du code de procédure pénale en cause au principal méconnaîtrait ce principe (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, points 49 et 51).

49      Quant au principe d’effectivité, qui exige que les modalités procédurales nationales ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen, C‑411/17, EU:C:2019:622, point 171 ainsi que jurisprudence citée), il convient de relever que, dans une situation où la procédure pénale dans son ensemble n’a pas été clôturée, rien ne permet de considérer que le renvoi de l’affaire au principal au procureur soit susceptible de porter atteinte ou d’empêcher l’exercice des droits procéduraux consacrés à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13 et de porter ainsi atteinte à l’effet utile de cette disposition, pour autant que le procureur, dans le cadre de la phase préliminaire de la procédure pénale, veille à ce que cette disposition soit appliquée (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, points 54 et 55).

50      À cet égard, il importe de souligner que, en toute hypothèse, quel que soit le moment auquel les informations visées à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13 sont fournies, la personne poursuivie et son avocat doivent notamment, dans le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes, se voir accorder un délai suffisant pour prendre connaissance de ces informations et être mis en mesure de préparer efficacement la défense, présenter leurs éventuelles observations et, le cas échéant, formuler toute demande, notamment d’instruction, qu’ils seraient en droit d’introduire en vertu du droit national (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2018, Kolev e.a., C‑612/15, EU:C:2018:392, point 96, ainsi que du 13 juin 2019, Moro, C‑646/17, EU:C:2019:489, point 53).

51      Quatrièmement, il y a lieu de relever que l’interprétation et les constatations effectuées par la Cour concernant l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/13, et rappelées aux points 44 à 50 de la présente ordonnance, sont pleinement transposables à l’article 6, paragraphes 1 et 4, de cette directive. En effet, tout d’abord, l’ensemble de ces dispositions partage le même objectif général, rappelé au point 43 de la présente ordonnance. Ensuite, l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, de ladite directive, effectuée par la Cour dans l’arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a. (C‑704/18, EU:C:2020:92), s’insère dans le contexte de la même règle procédurale nationale que celle visée dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle. Enfin, les dispositions de l’article 6, paragraphes 1 et 4, de la directive 2012/13 ne présentent aucune particularité qui justifie de les différencier, en l’occurrence, de celles de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive.

52      S’agissant, en deuxième lieu, des exigences découlant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui consacre le droit des personnes poursuivies à être jugées dans un délai raisonnable, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été relevé au point 45 de la présente ordonnance, que, dans le cadre des règles du code de procédure pénale, mettant en œuvre les dispositions de l’article 6 de la directive 2012/13, il incombe au procureur, à l’instar du juge national, de veiller, durant la phase préliminaire de la procédure pénale, à ce que la procédure se déroule dans un délai raisonnable.

53      À cet égard, le caractère raisonnable de la durée de la procédure ne saurait être fixé par référence à une limite maximale précise, déterminée de façon abstraite, mais doit être apprécié au cas par cas en fonction des circonstances propres à chaque affaire, telles que l’enjeu et la complexité du litige ou encore le comportement des autorités compétentes et des parties, le nombre de personnes poursuivies ainsi que la durée et la gravité des faits qui sont reprochés à ces personnes, la complexité du litige ou une conduite dilatoire de la défense pouvant être retenue pour justifier un délai de prime abord trop long (arrêt du 12 février 2020, Kolev e.a., C‑704/18, EU:C:2020:92, point 43).

54      En l’occurrence, il y a lieu de constater que les règles du code de procédure pénale en cause au principal, qui exigent la clôture de la procédure juridictionnelle et le renvoi du réquisitoire introductif d’instance au procureur, ne semblent pas de nature à violer le droit de la personne poursuivie à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, ces règles ne rendant pas, en elles-mêmes, inévitable le dépassement d’un délai raisonnable.

55      Il importe, en outre, de préciser que la question de savoir si la durée totale de la procédure pénale en cause au principal respecte le droit de la personne poursuivie à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable constitue une question de droit national qui ne saurait être examinée sur la base de l’article 47 de la Charte. En effet, une telle question ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, dès lors que cette procédure pénale vise des prévenus ayant dirigé un groupe criminel organisé aux fins de trafic d’êtres humains et ayant participé à ce groupe, et concerne, par conséquent, des infractions pénales qui ne présentent aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union.

56      S’agissant, en troisième lieu, des doutes exprimés par la juridiction de renvoi quant au respect du principe de primauté du droit de l’Union, il suffit de constater qu’il ne ressort aucunement de l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392), qu’il est exigé que le réquisitoire introductif d’instance soit précisé ou corrigé au cours de l’audience préliminaire. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 47 de la présente ordonnance, l’ouverture de la phase juridictionnelle de la procédure par la juridiction concernée afin de remédier elle-même aux irrégularités n’est que l’une des possibilités parmi d’autres envisagées par la Cour dans l’arrêt du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392). Dès lors, le fait que, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, la législation nationale exclut cette possibilité ne saurait être perçu comme une absence de prise en considération, au niveau national, de cet arrêt.

57      En quatrième lieu, en ce qui concerne le respect de la dignité humaine des personnes poursuivies ainsi que de la dignité professionnelle des magistrats dans leurs conditions de travail, reconnues, respectivement, à l’article 1er et à l’article 31, paragraphe 1, de la Charte, il suffit de constater que les motifs figurant dans la décision de renvoi ne sont pas de nature à démontrer une atteinte à ces droits, au sens de ces dispositions.

58      En effet, la juridiction de renvoi se limite à évoquer, d’une part, l’éventuelle existence d’un risque accru d’atteinte à la vie privée des personnes poursuivies du fait que le renvoi de l’affaire au procureur impliquera des nouvelles citations de ces personnes, ce qui aurait pour conséquence que des tiers auront connaissance des procédures engagées contre lesdites personnes, et, d’autre part, le sentiment d’impuissance professionnelle des magistrats que produirait l’impossibilité de permettre de remédier rapidement aux vices de procédure entachant le réquisitoire, alors que l’accusation et la défense l’appellent de leurs vœux et que le juge considère que cette solution est opportune. De telles affirmations, qui, au demeurant, ne sont complétées par aucune autre explication, ne sauraient être suffisantes pour permettre d’établir une atteinte à l’article 1er et à l’article 31, paragraphe 1, de la Charte.

59      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphes 1, 3 et 4, de la directive 2012/13, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ainsi que le principe de primauté du droit de l’Union et le droit au respect de la dignité humaine doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui, dans l’hypothèse d’un réquisitoire introductif d’instance entaché de vices en ce que son contenu manque de clarté, est incomplet ou contradictoire, ne permet en aucun cas au procureur de remédier à ces vices en les régularisant à l’audience préliminaire au cours de laquelle ils ont été constatés et impose au juge de clôturer la procédure juridictionnelle ainsi que de renvoyer l’affaire au procureur aux fins de l’établissement d’un nouveau réquisitoire.

 Sur les dépens

60      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne :

L’article 6, paragraphes 1, 3 et 4, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que le principe de primauté du droit de l’Union et le droit au respect de la dignité humaine doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui, dans l’hypothèse d’un réquisitoire introductif d’instance entaché de vices en ce que son contenu manque de clarté, est incomplet ou contradictoire, ne permet en aucun cas au procureur de remédier à ces vices en les régularisant à l’audience préliminaire au cours de laquelle ils ont été constatés et impose au juge de clôturer la procédure juridictionnelle ainsi que de renvoyer l’affaire au procureur aux fins de l’établissement d’un nouveau réquisitoire.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.

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