France v ECHA (REACH - Judgment) French Text [2021] EUECJ T-127/20 (15 September 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/T12720.html
Cite as: ECLI:EU:T:2021:572, [2021] EUECJ T-127/20, EU:T:2021:572

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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

15 septembre 2021 (*)

« REACH – Évaluation des substances – Chlorure d’aluminium – Chlorure d’aluminium basique – Sulfate d’aluminium – Décisions de l’ECHA demandant des informations supplémentaires – Article 46, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1907/2006 – Recours formé devant la chambre de recours – Pluralité des motifs fondant la décision de la chambre de recours – Motifs de nature à justifier la décision – Caractère inopérant des moyens dirigés contre les autres motifs »

Dans l’affaire T‑127/20,

République française, représentée par MM. T. Stehelin, W. Zemamta et Mme A.-L. Desjonquères, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. D. Klebs, Mmes S. Heimerl et S. Costanzo, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä, MM. M. Goodacre et W. Broere, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Kemira Oyj, établie à Helsinki (Finlande),

Grace Silica GmbH, établie à Düren (Allemagne),

représentées par Mes J.-P. Montfort et T. Delille, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la chambre de recours de l’ECHA du 17 décembre 2019 annulant trois décisions de l’ECHA du 21 décembre 2017 demandant aux déclarants concernés la réalisation de nouveaux tests dans le cadre de l’évaluation du chlorure d’aluminium, du chlorure d’aluminium basique et du sulfate d’aluminium (affaires jointes A-003-2018, A-004-2018 et A-005-2018),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise (rapporteur) et P. Nihoul, juges,

greffier : M. E. Coulon,

Rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        En 2013, le sulfate d’aluminium a été inscrit dans le plan d’action continu communautaire pour évaluation au sens de l’article 44 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3, ci-après le « règlement REACH »), en raison d’inquiétudes relatives notamment à ses propriétés cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques. En 2014, le chlorure d’aluminium et le chlorure d’aluminium basique ont également été inscrits dans le plan d’action communautaire pour évaluation pour les mêmes motifs que le sulfate d’aluminium.

2        En application de l’article 45 du règlement REACH, l’autorité compétente de la République française, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), a été désignée pour procéder à l’évaluation des trois substances mentionnées ci-dessus.

3        Le 11 mars 2016, conformément à l’article 46, paragraphe 1, du règlement REACH, l’Anses a soumis à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) trois projets de décision prévoyant des demandes d’informations supplémentaires sur chacune des substances évaluées.

4        Le 21 décembre 2017, l’organe de première instance de l’ECHA a adopté les trois décisions SEV-231-208-1-1, SEV-215-477-2-1 et SEV-233-135-0-1 sur l’évaluation du chlorure d’aluminium, du chlorure d’aluminium basique et du sulfate d’aluminium (ci-après les « décisions initiales »), sur la base de l’article 51, paragraphe 6, du règlement REACH.

5        Par ces trois décisions, l’ECHA a demandé aux déclarants concernés la réalisation de deux tests combinés référencés OCDE [TG] 474 et OCDE [TG] 489 : un test in vivo du micronoyau surérythrocytes de mammifères et un test des comètes in vivo en condition alcaline sur cellules de mammifères, ainsi que des analyses spécifiques complémentaires relatives à une atteinte oxydative de l’ADN sur différents tissus. L’ECHA a souhaité, par ces deux tests, clarifier une préoccupation tenant à la génotoxicité des substances en cause, à savoir les agents ou processus qui modifient la structure, le contenu informationnel ou la séparation de l’ADN, et notamment ceux qui endommagent l’ADN en interférant avec le processus normal de réplication ou qui altèrent sa réplication de façon non physiologique (temporaire). Les résultats des essais de génotoxicité servent généralement d’indicateurs pour les effets mutagènes, à savoir les effets liés aux agents qui augmentent la fréquence des mutations dans des populations de cellules ou d’organismes.

6        Le 16 mars 2018, les sociétés BASF SE (Allemagne) et Kemira Oyj (Finlande), déclarants principaux concernés ayant enregistré les trois substances évaluées auprès de l’ECHA, ont formé un recours contre chacune des trois décisions de l’ECHA, devant la chambre de recours, en application de l’article 51, paragraphe 8, du règlement REACH, applicable mutatis mutandis en vertu de l’article 52, paragraphe 2, dudit règlement, ainsi que de l’article 91, paragraphe 1, de ce règlement.

7        Le 17 décembre 2019, la chambre de recours de l’ECHA a rendu sa décision dans les affaires A-003-2018, A-004-2018 et A-005-2018 (ci-après la « décision attaquée »), lesquelles avaient été jointes aux fins de l’instance. Par la décision attaquée, la chambre de recours a annulé les trois décisions initiales dans la mesure où elles requéraient les tests mentionnés au point 5 ci-dessus et renvoyé l’affaire à l’autorité compétente de l’ECHA. La chambre de recours a conclu, aux points 137 à 140 de la décision attaquée, que :

–        premièrement, l’ECHA n’avait pas identifié de façon suffisamment claire et cohérente la ou les substances sur lesquelles portaient les risques relatifs à la génotoxicité ;

–        deuxièmement, l’ECHA n’avait pas établi, sur la base de toutes les preuves disponibles, qu’il existait un risque potentiel qui nécessitait une demande d’informations ;

–        troisièmement, l’ECHA avait commis une erreur en considérant que, si la référence croisée proposée par les intervenantes était acceptée, les résultats de l’étude Lillford (2010) ne seraient pas pertinents pour l’évaluation de la génotoxicité des trois substances ;

–        quatrièmement, l’ECHA n’avait pas identifié comment les informations demandées pourraient mener à des mesures de gestion des risques améliorées.

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 février 2020, la requérante a introduit le présent recours.

9        Le 25 mai 2020, l’ECHA a déposé le mémoire en défense.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 juillet 2020, la République fédérale d’Allemagne a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la requérante.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le même jour, Kemira Oyj et Grace Silica GmbH ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de l’ECHA.

12      Par décision du 25 août 2020, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la République fédérale d’Allemagne.

13      La requérante et l’ECHA ont déposé respectivement une réplique et une duplique le 28 août 2020 et le 9 octobre 2020.

14      Par ordonnance du 14 octobre 2020, France/ECHA (T‑127/20, non publiée), le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis l’intervention de Kemira et de Grace Silica. Dans cette ordonnance, les dépens liés à l’intervention ont été réservés.

15      La République fédérale d’Allemagne, d’une part, et Kemira et Grace Silica, d’autre part, ont déposé leurs mémoires en intervention respectivement le 9 novembre 2020 et le 24 novembre 2020. L’ECHA a présenté des observations sur les mémoires en intervention le 21 décembre 2020 et la requérante des observations sur les mémoires en intervention le 24 décembre 2020.

16      La République française, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’ECHA aux dépens.

17      L’ECHA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation, « à titre principal comme inopérant », et « à titre subsidiaire comme non fondé » ;

–        condamner la République française à supporter les dépens.

18      Kemira et Grace Silica concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation, « à titre principal comme inopérant, et à titre subsidiaire comme non fondé » ;

–        décider que les coûts de l’intervention sont supportés par la République française.

 En droit

 Arguments des parties

19      Dans la présente affaire, la République française soulève deux moyens. Dans un premier moyen, elle soutient que « la chambre de recours a commis une erreur en jugeant que l’ECHA aurait dû tenir compte de l’étude Schönholzer (1997), alors même que cette étude ne lui avait pas été communiquée au cours de la procédure d’évaluation ». La République française conteste, en particulier, les points 123 et 124 de la décision attaquée (section 2.2) dans lesquels la chambre de recours a estimé que l’ECHA avait commis une erreur d’appréciation en considérant qu’elle ne pouvait pas tenir compte, dans son appréciation de la pertinence de l’étude Lillford (2010) pour l’évaluation du caractère génotoxique des trois substances évaluées, des conclusions de l’étude Schönholzer.

20      Dans un second moyen, la République française soutient que la chambre de recours a commis une erreur en se fondant, dans la décision attaquée, sur une interprétation erronée de la jurisprudence selon laquelle, pour démontrer qu’une demande d’informations supplémentaires sur une substance est nécessaire, l’ECHA doit notamment démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les informations demandées permettent de prendre des mesures de gestion des risques améliorées.

21      L’ECHA, soutenue par les intervenantes, soutient, à titre principal, que ces moyens du recours devraient être rejetés comme inopérants, dans la mesure où ils ne sauraient aboutir au résultat recherché par la République française, à savoir l’annulation de la décision attaquée.

22      L’ECHA rappelle que les quatre motifs retenus par la chambre de recours pour annuler les trois décisions de l’ECHA, tels qu’ils ressortent du point 7 ci-dessus, ont trait :

–        premièrement, à l’ « identification de la préoccupation » pour la santé et pour l’environnement (première partie de la décision attaquée) ;

–        deuxièmement, à la démonstration de l’existence d’un « risque potentiel » concernant « les études disponibles sur les trois substances » (deuxième partie de la décision attaquée, section 2.1) ;

–        troisièmement, à la « référence croisée entre l’hydroxyde d’aluminium (AH) et les trois substances » (deuxième partie de la décision attaquée) et à son rejet par l’ECHA (section 2.2, sous-sections 2.2.1 et 2.2.2) ;

–        quatrièmement, à la démonstration par l’ECHA qu’il existe une possibilité réaliste que la demande d’information permette de prendre des « mesures de gestion des risques améliorées » (troisième partie de la décision attaquée).

23      Or, selon l’ECHA, les deux moyens de droit avancés par la République française se bornent à contester, d’une part, les conclusions de la section 2.2 de la décision attaquée, à savoir la lecture croisée entre l’hydroxyde d’aluminium (AH) et les trois substances, mais en partie seulement étant donné que la République française ne conteste qu’un aspect de la motivation de cette section (la section 2.2.2 liée à la pertinence de l’étude Lillford) et, d’autre part, les conclusions formulées dans la troisième partie de la décision attaquée sur les mesures de gestion des risques améliorées.

24      Ainsi, la République française ne contesterait pas le reste des conclusions de la chambre de recours, à savoir, d’une part, celles opérées dans la première partie de la décision attaquée selon lesquelles « il existe un manque de précision, et à certains égards de cohérence, dans les trois décisions [de l’ECHA] concernant la ou les substances pour lesquelles il existe une préoccupation quant à la génotoxicité » (points 90 à 99) » et, d’autre part, celles posées dans la deuxième partie de la décision, à la section 2.1, selon lesquelles les trois décisions contiennent des manquements en ce qui concerne l’appréciation de la fiabilité des études disponibles sur les trois substances de telle sorte que le recours de la République française, à supposer qu’il soit fondé, serait en tout état de cause inapte à entraîner l’annulation de la décision attaquée.

25      L’ECHA fait observer que la chambre de recours aurait pu annuler les trois décisions sur le fondement d’un seul des deux motifs mentionnés au point 24 ci-dessus, étant donné que chacun des manquements impliquait, à lui seul, que son organe de première instance ne pouvait pas légitimement imposer la demande d’informations en cause dans le cadre de l’évaluation des substances.

26      La République française conteste ces arguments. Elle rappelle, d’une part, que, conformément à l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638, point 276), pour démontrer qu’une demande d’informations supplémentaires est nécessaire, il incombe à l’ECHA d’établir, tout d’abord, que la substance en cause présente un risque potentiel pour la santé humaine et l’environnement, ensuite, qu’il est nécessaire de clarifier ce risque et, enfin, qu’il existe une possibilité réaliste que les informations demandées permettent de prendre des mesures de gestion des risques améliorées.

27      Or, les moyens soulevés par le gouvernement français dans la requête viseraient bien à contester l’appréciation portée par la chambre de recours sur l’ensemble de ces trois critères. En effet, en premier lieu, en démontrant que la chambre de recours a commis une erreur en jugeant que l’ECHA aurait dû tenir compte de l’étude Schönholzer (1997), le premier moyen de la requête permettrait d’établir que la chambre de recours ne démontre pas en quoi les deux premiers critères de nécessité posés par l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), n’ont pas été valablement remplis dans les décisions initiales. En second lieu, en démontrant que la chambre de recours a commis une erreur en se fondant sur une interprétation erronée de la jurisprudence du Tribunal qui prévoit que, pour démontrer qu’une demande d’informations supplémentaires sur une substance est nécessaire, l’ECHA doit notamment démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les informations demandées permettent de prendre des mesures de gestion des risques améliorées, le second moyen de la requête permettrait d’établir que la chambre de recours ne démontre pas en quoi le troisième critère jurisprudentiel de nécessité n’a pas été valablement rempli dans les décisions initiales. Ainsi, tous les critères posés par l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), seraient couverts par le présent recours.

28      La République française affirme, d’autre part, que les autres considérations de la décision attaquée, présentées par l’ECHA dans le mémoire en défense comme étant incontestées, ne sont aucunement suffisantes pour justifier, à elles seules, le dispositif d’annulation. Ainsi, la considération tirée de la première partie de la décision attaquée ne permettrait pas de conclure que les trois substances objet de l’évaluation ne présentent pas de préoccupations relatives à la génotoxicité et ne permettrait aucunement d’établir que les deux premiers critères de nécessité posés par la jurisprudence ne sont pas remplis. Au contraire, la chambre de recours reconnaîtrait, au point 90 de la décision attaquée, que les trois décisions qu’elle a annulées, concernant les trois substances en cause, avaient clairement identifié la génotoxicité comme étant la préoccupation à clarifier pour chacune de ces trois substances.

29      Par ailleurs, les sections 2.1 et 2.2 seraient manifestement interdépendantes de sorte que, contrairement à ce qu’indique l’ECHA, la conclusion opérée par la chambre de recours à la section 2.1 de la décision attaquée n’aurait pas été suffisante pour annuler les trois décisions attaquées. En effet, la section 2.1 de la décision attaquée s’inscrirait dans le cadre de la section 2 de ladite décision au terme de laquelle l’ECHA n’aurait pas démontré, sur la base de l’ensemble des preuves disponibles, qu’il existait un risque potentiel.

30      La République fédérale d’Allemagne soutient la République française. Elle affirme qu’il ressort clairement de la requête, pour peu qu’elle soit analysée raisonnablement, que le recours en annulation porte sur l’ensemble de la décision de la chambre de recours. Elle ajoute que, dans les affaires citées par l’ECHA à l’appui de son constat d’inopérance des moyens, la décision conservait le même effet quand bien même quelques-uns de ses motifs auraient disparu. Or, « il en [irait] peut être différemment de la décision attaquée », car, en vertu de la jurisprudence du Tribunal, cette décision serait en tout état de cause apte, en ses quatre motifs, à lier le comité des États membres en cas de rejet. Elle précise que la République française, en tant qu’État membre, a de manière privilégiée qualité pour agir.

31      Kemira et Grace Silica soutiennent l’ECHA. Elles réitèrent que, le recours de la République française étant fondé sur des moyens qui, même s’ils étaient retenus, ne sauraient entraîner l’annulation de la décision attaquée, celui-ci doit être rejeté comme inopérant.

 Appréciation du Tribunal

32      Il convient de relever tout d’abord que, dans la mesure où certains des motifs dont une décision fait état sont, à eux seuls, de nature à justifier celle-ci à suffisance de droit, les erreurs qui pourraient entacher d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif. Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante qu’un moyen qui, même s’il était fondé, serait inapte à entraîner l’annulation que poursuit la partie requérante est inopérant (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T‑209/01, EU:T:2005:455, point 48 ; voir également, par analogie, arrêt du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, EU:C:2001:408, points 26 à 29 et jurisprudence citée, et ordonnance du 11 février 2015, Orange/Commission, C‑621/13 P, non publiée, EU:C:2015:114, point 45 et jurisprudence citée).

33      En outre, dès lors que le dispositif d’une décision repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou une autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse parce qu’elle n’aurait pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution (arrêt du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T‑209/01, EU:T:2005:455, point 49, et ordonnance du 26 février 2013, Castiglioni/Commission, T‑591/10, non publiée, EU:T:2013:94, point 44).

34      Il convient de rappeler également à cet égard que, dans la mesure où un pilier du raisonnement suffisant à fonder le dispositif d’un acte n’est pas remis en cause par une partie requérante dans son recours en annulation, il y a lieu de considérer ce pilier ainsi que, partant, l’acte qui repose sur celui-ci comme licite et établi à son égard (arrêt du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T‑209/01, EU:T:2005:455, point 50).

35      Il ressort, par ailleurs, des dispositions de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal que la requête introductive d’instance doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués. Le Tribunal peut examiner d’office la violation des formes substantielles et, notamment, des garanties procédurales conférées par l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 13 décembre 1999, SGA/Commission, T‑189/95, T‑39/96 et T‑123/96, EU:T:1999:317, point 43). Certains moyens peuvent, voire doivent, être relevés d’office, tel un défaut ou une insuffisance de motivation de la décision en cause, qui relève des formes substantielles. Toutefois, à l’exception en particulier de la question relative à l’autorité absolue de la chose jugée [arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 45], un moyen portant sur la légalité au fond d’une décision, qui relève de la violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, au sens de l’article 263 TFUE, ne peut être examiné par le juge de l’Union que s’il est invoqué par la partie requérante (arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a., C‑272/12 P, EU:C:2013:812, point 28). En conséquence, il n’appartient pas au juge de l’Union de compléter la requête en soulevant, d’office, des moyens tendant à remettre en cause la légalité de motifs non contestés.

36      En l’espèce, il y a lieu, dans un premier temps, de vérifier si le premier manquement identifié dans la décision attaquée s’agissant de l’application, par la chambre de recours, de l’article 46 du règlement REACH est, conformément à la jurisprudence visée au point 32 ci-dessus, à lui seul, de nature à justifier à suffisance de droit l’annulation des trois décisions de l’ECHA, ce que la République française conteste en affirmant, en substance, que ce motif d’annulation ne se rattache pas aux trois critères jurisprudentiels de nécessité posés par l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638) (voir le point 27 ci-dessus), et, dans un second temps, d’opérer le même examen pour la section 2.1 de la décision attaquée dont, selon l’ECHA, la République française ne remet également pas en cause les conclusions.

–       Sur le premier manquement identifié dans la décision attaquée, tiré de l’absence d’identification suffisamment claire et cohérente de la ou les substances sur lesquelles portaient les risques relatifs à la génotoxicité

37      Ainsi qu’il ressort du considérant 66 du règlement REACH, lorsqu’il existe des préoccupations concernant des risques potentiels pour la santé humaine et l’environnement causés par une substance et qu’il n’est pas possible de les réfuter ou de les confirmer sur la base des informations disponibles, une décision au titre de l’évaluation de cette substance peut être adoptée en vue de demander des informations supplémentaires permettant de clarifier ce risque (arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA, T‑125/17, EU:T:2019:638, points 271 et 272).

38      L’article 46, paragraphe 1, du règlement REACH indique, à cet égard, que, « [s]i l’autorité compétente estime que des informations supplémentaires sont nécessaires, y compris éventuellement des informations non exigées par les annexes VII à X, elle établit un projet de décision, dûment motivé, faisant obligation au(x) déclarant(s) de communiquer les informations supplémentaires et fixant un délai pour leur communication. Tout projet de décision est préparé dans les douze mois suivant la publication du plan d’action continu communautaire sur le site Internet de l’Agence pour les substances à évaluer cette année-là. Cette décision est prise conformément à la procédure prévue aux articles 50 et 52 ».

39      Le critère pertinent relatif au principe de proportionnalité est le résultat de la mise en balance des différents objectifs poursuivis par le règlement REACH et de la mise en œuvre du principe de précaution. En application de ce critère, pour justifier une demande de réaliser un essai, l’ECHA doit non seulement démontrer l’existence d’un risque potentiel pour la santé humaine ou l’environnement et la nécessité de clarifier ce risque, mais également établir qu’il existe une possibilité réaliste que l’information demandée permette de prendre des mesures de gestion des risques améliorées (arrêt du 20 septembre 2019, Allemagne/ECHA, T‑7 55 /17, EU:T:2019:647, point 287 ; voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA, T‑125/17, EU:T:2019:638, point 276).

40      En l’espèce, pour examiner si les informations supplémentaires demandées par les décisions initiales étaient nécessaires, la chambre de recours a rappelé, au point 84 de la décision attaquée, les critères mentionnés au point 39 ci-dessus tels qu’ils ressortent du point 276 de l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638). Elle a constaté, dans la première partie de la décision attaquée (points 90 à 98), qu’il y avait un manque de précision et, dans une certaine mesure, de cohérence quant à l’identification de la substance ou des substances concernées par la préoccupation tenant à la génotoxicité à l’origine de la demande d’informations supplémentaires, constat qu’elle a réitéré dans la partie conclusive de la décision attaquée (point 137).

41      Or, comme le précise la République française au point 80 de la requête, aux termes de l’article 47, paragraphe 1, première phrase, du règlement REACH, l’évaluation d’une substance se fonde sur toutes les informations pertinentes communiquées sur « cette substance particulière ».

42      Dans ce contexte, la chambre de recours a considéré que l’ECHA ne pouvait pas procéder à une demande d’informations supplémentaires au sens de l’article 46 du règlement REACH sans avoir, au préalable, identifié précisément la ou les substances pour lesquelles il existait un risque potentiel pour la santé et pour l’environnement et pour lesquelles des mesures de gestion des risques améliorées étaient nécessaires.

43      Il y a lieu de rappeler, en effet, que l’examen dont est chargé l’ECHA dans le cadre du règlement REACH porte nécessairement sur « une substance ». L’ECHA n’est pas habilitée à demander des informations supplémentaires, au sens de l’article 46 du règlement REACH, pour une substance dont il n’aurait pas été établi qu’elle présente, aux termes de la première condition de l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), des « risques potentiels » pour la santé et pour l’environnement, pas plus qu’elle ne peut « clarifier ce[s] risque[s] », au sens de la deuxième condition prévue par l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), et « démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les informations demandées permettent de prendre des mesures de gestion des risques améliorées » au sens de la troisième condition dudit arrêt, sans que la ou les substances objet de la demande d’informations aient au préalable été précisément identifiées.

44      À cet égard, la chambre de recours a rappelé, au point 125 de la décision attaquée, reprenant la constatation formulée eu égard au premier manquement, au point 93 de ladite décision, que l’ECHA avait constaté, dans le cadre de l’examen des mesures de gestion des risques améliorées, que « plus d’informations [étaient] requises pour déterminer la classification appropriée des sels d’aluminium », s’abstenant, en cela d’identifier précisément la ou les « substances » pour lesquelles de telles mesures de gestion des risques améliorées justifiaient la demande d’informations supplémentaires (voir les points 90 et 91 de la décision attaquée). L’obligation de l’ECHA de justifier un besoin de clarification des risques et la possibilité de prendre des mesures de gestion des risques améliorées implique nécessairement d’identifier avec précision les substances en cause, dans la mesure où un risque ne peut être ni précisé ni faire l’objet de mesures de gestion améliorées si la substance dont découle ce risque n’est pas clairement identifiée.

45      Dès lors, comme l’affirme à juste titre l’ECHA, l’identification précise de la ou des substances visées par une demande d’informations supplémentaires formulée sur la base de l’article 46 du règlement REACH, loin de constituer une « nouvelle condition » par rapport à celles posées par l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), constitue au contraire, un préalable indispensable à l’application de celles-ci.

46      C’est, en effet, pour chaque substance ou, le cas échéant, pour les substances prises dans leur ensemble qu’il convient d’examiner l’existence de risques potentiels pour la santé et l’environnement et les mesures de gestion des risques améliorées qui s’y rapportent. Une ambigüité ne saurait exister, dans le cadre d’une évaluation commune de substances menée par l’ECHA, sur l’identité de la ou des substances ayant justifié la demande d’informations supplémentaires.

47      Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments de la République française.

48      En premier lieu, sans même qu’il y ait lieu d’examiner si cet argument est un argument nouveau, au sens de l’article 84 du règlement de procédure, il y a lieu de constater que c’est à tort que la République française affirme, dans la réplique, que, « dans tous les cas de figure, la chambre de recours admet, en l’espèce, qu’il existe, a minima, une préoccupation relative à la génotoxicité qui concerne effectivement les trois substances en cause » et qu’elle en déduit que « les considérations de la section 1 de la décision attaquée, eu égard à leur portée incertaine, ne permettent pas de conclure que les trois substances en cause ne présentent pas une préoccupation avérée relative à la génotoxicité et ne peuvent, ce faisant, suffire à justifier le dispositif d’annulation ».

49      En effet, la chambre de recours a conclu, au point 137 de la décision attaquée, en renvoyant à ses constatations dans la première partie de la décision attaquée (points 90 à 98 de la décision attaquée), qu’il « exist[ait] un manque de clarté et, à certains égards, de cohérence, dans les trois décisions contestées, en ce qui concerne la substance ou les substances pour lesquelles il existe une préoccupation en termes de génotoxicité », de sorte qu’elle n’a conclu en aucune manière à un risque de génotoxicité qui concernerait les trois substances en cause.

50      En second lieu, c’est à tort que la République française fait valoir que, dès lors que la préoccupation en matière de génotoxicité, qui caractérise un danger potentiel et participe de la démonstration de l’existence d’un risque potentiel, serait admise, le principe de précaution tel qu’il serait consacré par l’article 1er, paragraphe 3, du règlement REACH commanderait, en l’espèce, que le prétendu manque de précision et de cohérence ne puisse pas constituer l’unique obstacle à une demande d’informations supplémentaires s’agissant de substances suscitant une préoccupation en matière de génotoxicité.

51      À cet égard, il convient de relever que le principe de précaution joue un rôle primordial dans le secteur de l’environnement et de la santé (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, BASF Agro e.a./Commission, T‑584/13, EU:T:2018:279, point 168).

52      Toutefois, ce principe requiert, en vue de sa mise en œuvre dans le domaine couvert par la réglementation pertinente, que soient identifiés, d’une part, la substance susceptible de présenter un risque et, d’autre part, le risque potentiel qu’elle est de nature à engendrer, dès lors que, sans ces précisions sur le risque potentiel en cause, il est impossible de déterminer à l’égard de quoi devrait s’imposer une attitude de précaution.

53      Or, la chambre de recours a conclu, en l’espèce, que l’ECHA n’a pas identifié de façon suffisamment claire et cohérente la ou les substances concernées par le prétendu risque de génotoxicité, ni établi l’existence d’un tel risque potentiel sur la base du point 276 de l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), s’agissant des substances visées par la demande d’enregistrement, de sorte que l’argument tiré du principe de précaution est dénué de fondement.

54      Il résulte de tout ce qui précède que, même si l’appréciation de la chambre de recours était erronée en ce qui concerne les deux derniers manquements identifiés aux points 139 et 140 de la décision attaquée et rappelés au point 7 ci-dessus, cela serait sans incidence sur la validité de l’appréciation de la chambre de recours relative au premier manquement identifié au point 137 de la décision attaquée, lequel suffit, à lui seul, à justifier l’annulation des trois décisions de l’ECHA.

55      Par ailleurs, contrairement à ce que suggère le gouvernement allemand au point 30 ci-dessus, les exigences tenant au caractère opérant des moyens revêtent une portée générale et s’appliquent dans le cadre du règlement REACH de la même façon que dans les autres domaines du contentieux devant le juge de l’Union. Du reste, s’agissant de la préoccupation du gouvernement allemand selon laquelle, en cas de rejet du recours, les constatations de la décision attaquée s’agissant des deux derniers motifs de la décision attaquée pourraient lier le comité des États membres chargé d’adopter une décision au titre de l’évaluation de la substance, il convient de constater qu’un motif figurant dans un acte administratif comme la décision attaquée ne revêt pas la même portée qu’un motif validé par le juge et frappé, de ce fait même, de l’autorité de la chose jugée, ce qui n’est, d’ailleurs, pas le cas en l’espèce des deux derniers motifs, dans la mesure où la légalité de ces motifs n’est pas tranchée, sur le fond, par le présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 123 et jurisprudence citée).

56      La qualité de requérant privilégié de la République française est, enfin, sans incidence sur le caractère opérant de ses moyens. En effet, le fait que, en vertu de l’article 263 TFUE, en tant que requérants privilégiés, les États membres n’aient pas à démontrer un intérêt à agir pour former un recours en annulation devant les juridictions de l’Union, est sans incidence, à l’égard des moyens soulevés par ces requérants, sur la condition issue de la jurisprudence constante énoncée au point 32 ci-dessus de soulever des moyens aptes, par leur nature même, à entraîner l’annulation recherchée. Il y a lieu d’observer, à cet égard, que l’article 263 TFUE ne confère pas au juge de l’Union compétence pour statuer à titre déclaratoire (voir arrêt du 30 juin 2016, CW/Conseil, T‑224/14, non publié, EU:T:2016:375, point 219 et jurisprudence citée).

57      Ensuite, contrairement à ce que semble suggérer le gouvernement allemand, le Tribunal ne serait pas en mesure d’annuler partiellement la décision attaquée s’il accueillait les deux moyens soulevés, dans la mesure où, en particulier, la validité du constat du premier manquement est de nature à exclure la réunion des conditions nécessaires pour l’adoption d’une demande d’informations au sens de l’article 46 du règlement REACH, l’ identification claire et cohérente des substances à l’origine du risque potentiel étant, en effet, comme cela ressort des points 43 à 45 ci-dessus, un préalable indispensable à l’application des conditions posées par l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638), pour toute demande d’informations supplémentaires. 

58      Dans ces conditions, le recours, lequel ne conteste pas les constatations de la chambre de recours tirées de l’absence d’identification suffisamment claire et cohérente de la ou des substances susceptibles de présenter un risque pour la santé et pour l’environnement, ne saurait prospérer.

59      Toutefois, il y a lieu d’examiner, à titre surabondant, l’argument de l’ECHA selon lequel le deuxième motif, lequel ne serait pas contesté non plus par la République française, suffirait également à justifier la décision attaquée.

–       Sur le deuxième manquement identifié par la décision attaquée, tiré du caractère insuffisant des preuves disponibles pour justifier l’existence d’un risque potentiel

60      Le deuxième manquement identifié par la chambre de recours est mentionné dans la deuxième partie de la décision attaquée, intitulée « Risque potentiel » (points 100 à 124), ainsi que dans sa partie conclusive (point 138). Dans cette deuxième partie, la chambre de recours a observé que l’identification de la préoccupation de génotoxicité comportait un certain nombre de manquements dans l’appréciation de l’existence d’un risque potentiel. La chambre de recours a constaté à cet égard, d’une part (section 2.1 de la décision attaquée), que les études sur les trois substances produites par les déclarants pour écarter l’existence d’un risque potentiel étaient plus fiables que celles sur lesquelles l’ECHA s’était appuyée pour parvenir à sa conclusion sur la nécessité de recueillir des informations supplémentaires et, d’autre part (section 2.2), que c’était à tort que l’ECHA avait rejeté la référence croisée mentionnée au point 22 ci-dessus à partir de l’hydroxyde d’aluminium (AH) vers les trois substances proposée par les intervenantes (sous-section 2.2.1) et qu’elle avait conclu que, même si cette référence croisée était possible, les résultats de l’étude sur l’hydroxyde d’aluminium (AH) invoqués par les déclarants [Lillford (2010)] ne pouvaient pas être pertinents pour l’évaluation de la génotoxicité des trois substances en cause (sous-section 2.2.2).

61      Comme cela ressort du point 60 ci-dessus, dans le cadre du deuxième manquement constaté dans la décision attaquée, la chambre de recours s’est fondée sur deux motifs pour constater que l’ECHA n’avait pas démontré l’existence d’un risque potentiel, le premier, tiré du caractère insuffisamment probant des études sur lesquelles l’ECHA s’est appuyée pour conclure audit risque (section 2.1 de la décision attaquée), et, le second, tiré du fait que les considérations sur lesquelles l’ECHA s’est fondée pour rejeter la référence croisée proposée par les intervenantes étaient erronées (section 2.2).

62      Or, il y a lieu de constater que la République française n’a pas contesté les conclusions de la chambre de recours énoncées à la section 2.1 de la décision attaquée, selon lesquelles l’ECHA n’avait pas démontré l’existence d’un risque potentiel sur la base des études disponibles. Pourtant, comme cela ressort de l’arrêt du 20 septembre 2019, BASF Grenzach/ECHA (T‑125/17, EU:T:2019:638, point 276), si aucun risque potentiel n’est identifié sur la base des études disponibles, l’ECHA ne peut, sans violer l’article 46 du règlement REACH et le principe de proportionnalité (voir le point 39 ci-dessus), exiger des informations supplémentaires pour procéder à l’enregistrement desdites substances.

63      À cet égard, la question de savoir si c’est à tort ou non que l’ECHA a refusé de prendre en compte la proposition de référence croisée effectuée par les intervenantes, laquelle est traitée dans la section 2.2 de la décision attaquée, est sans incidence sur la validité de la conclusion de la chambre de recours posée à la section 2.1 de la décision attaquée, au terme de laquelle l’ECHA n’a pas été en mesure de démontrer que les études disponibles permettaient de conclure à un risque potentiel et, partant, à justifier la demande d’informations supplémentaires.

64      En effet, comme cela ressort de l’article 47 du règlement REACH (voir le point 41 ci-dessus), l’évaluation d’une substance se fonde, en principe, sur toutes les informations pertinentes communiquées « sur cette substance particulière » et, au premier chef, sur les études scientifiques qui y sont relatives. La possibilité de prendre en compte une proposition de référence croisée avec d’autres substances n’est qu’une faculté, dans l’hypothèse où les informations sur la substance ne seraient pas suffisamment concluantes pour écarter l’existence d’un risque pour la santé et l’environnement.

65      Or, en l’espèce, comme cela ressort de leurs recours contre les trois décisions de l’ECHA, les intervenantes ont proposé la référence croisée en cause « dans l’hypothèse où la chambre de recours considérerait qu’il subsiste des doutes sur le point de savoir si l’information disponible sur les trois substances était suffisante pour lever la préoccupation alléguée », hypothèse que la chambre de recours a écartée, puisqu’elle a considéré que l’ECHA ne démontrait pas, à suffisance de droit, l’existence de risques potentiels pour les substances en cause sur la base des études disponibles.

66      Il s’ensuit que, selon l’un des motifs non contestés de cette partie de la décision attaquée, l’existence d’un risque potentiel causé par les substances en cause n’est pas avérée sur la base des études disponibles, indépendamment du fait de savoir si l’ECHA pouvait ou non rejeter la proposition de référence croisée des intervenantes effectuée à titre subsidiaire.

67      Le motif tiré de l’insuffisance des études disponibles pour conclure à l’existence d’un risque potentiel (section 2.1 de la décision attaquée) est donc distinct et indépendant du motif tiré du caractère erroné des justifications avancées par l’ECHA pour écarter la référence croisée proposée par les intervenantes (section 2.2 de la décision attaquée).

68      À cet égard, la référence à l’étude Schönholzer, telle qu’elle est critiquée par la République française, est effectuée dans un contexte très spécifique à la fin de la section 2.2 de la décision attaquée, à savoir l’évaluation de la pertinence de l’étude Lillford (2010), et ce en réponse à une appréciation subsidiaire de l’ECHA qui soutenait que, « même si la référence croisée de l’AH vers les trois substances avait été possible, cela n’aurait pas modifié les résultats [de l’évaluation des substances] ». Or, même si la chambre de recours avait rejeté les arguments des déclarants quant à la validité de leur proposition de référence croisée et accueilli l’argumentation de l’ECHA, cela n’aurait pas modifié la conclusion à la section 2.1 de la décision attaquée selon laquelle l’ECHA n’a pas démontré le danger potentiel lié à la génotoxicité à partir des études disponibles. Les trois décisions de l’ECHA auraient tout de même été annulées, parce que, comme cela ressort du point 103 de la décision attaquée, « indépendamment de la ou des substances préoccupantes [...] l’Agence n’a pas démontré que sa conclusion selon laquelle la demande d’informations [annulée] est nécessaire repose sur l’ensemble des éléments de preuve disponibles », à savoir les études scientifiques censées justifier l’existence d’un risque potentiel. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la proposition de référence croisée n’a été invoquée par les déclarants, en l’espèce, que pour réfuter un éventuel constat de la chambre de recours de risque potentiel posé par les substances, constat que celle-ci n’a finalement pas posé.

69      Partant, même dans l’hypothèse où la décision attaquée serait erronée en droit, dans la mesure où elle fait grief à l’ECHA de ne pas avoir pris en compte l’étude Schönholzer, cela serait sans incidence sur la validité du motif tiré de l’absence de démonstration, par l’ECHA, d’un risque potentiel, sur la base des études disponibles.

70      Dans ces conditions, les deux moyens soulevés par la République française doivent être déclarés inopérants, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause les deux motifs de la décision attaquée relatifs, respectivement, à l’absence d’identification suffisamment claire et cohérente des substances faisant l’objet de la demande d’informations supplémentaires et à l’absence d’études scientifiques fiables dans le dossier faisant état d’un risque potentiel causé par les substances et justifiant la demande d’informations supplémentaires formulée par l’ECHA.

71      Pour les raisons qui précèdent, il convient de rejeter le recours dans son intégralité sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des deux moyens soulevés à son soutien, lesquels doivent être considérés comme inopérants dans la mesure où, même à supposer que ceux-ci soient fondés, ils ne sauraient conduire à l’annulation de la décision attaquée, étant donné qu’ils sont dirigés contre certains motifs seulement de cette décision et ne remettent pas en cause les autres motifs sur lesquels la chambre de recours s’est fondée et qui suffisent à eux seuls à fonder la décision attaquée.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

73      La République française ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’ECHA, conformément aux conclusions de cette dernière, ainsi qu’aux dépens exposés par Kemira et Grace Silica, conformément aux conclusions de ces dernières.

74      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Partant, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République française supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), Kemira Oyj et Grace Silica GmbH.

3)      La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Gervasoni

Madise

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.

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