Alliance francaise de Bruxelles-Europe and Others v Commission (Order) French Text [2021] EUECJ T-285/21_CO (27 July 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/T28521_CO.html
Cite as: [2021] EUECJ T-285/21_CO

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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 juillet 2021 (*)

« Référé – Marchés publics de services – Prestation de services de formation linguistique – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑285/21 R,

Alliance française de BruxellesEurope, établie à Bruxelles (Belgique), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentées par Me E. van Nuffel d’Heynsbroeck, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Araujo Arce et Mme M. Ilkova, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant, d’une part, au sursis à l’exécution de la décision de la Commission du 19 avril 2021 d’attribuer le lot no 4 (Formations linguistiques en français) du marché portant sur les contrats‑cadres relatifs à la formation linguistique pour les institutions, les organes et les agences de l’Union européenne (HR/2020/OP/0014) en premier rang au groupement CLL Centre de Langues – Allingua et en second rang au groupement Alliance Europe Multilingue constitué par les requérantes et, d’autre part, à l’octroi de toute autre mesure provisoire que le Tribunal jugera appropriée,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusion des parties

1        Le 20 novembre 2020, par un avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2020/S, 227‑555209), la Commission européenne a lancé l’appel d’offres HR/2020/OP/0014, selon la procédure ouverte, intitulé « Contrats‑cadres relatifs à la formation linguistique pour les institutions, les organes et les agences de l’Union européenne ». Le marché était divisé en huit lots, dont le lot no 4, intitulé « Formations linguistiques en français ».

2        Le 15 janvier 2021, la première requérante, Alliance Française de Bruxelles‑Europe, et la sixième requérante, Prolingua International Language Centre SA Luxembourg, ainsi que les autres requérantes dont les noms figurent en annexe, qui composent le groupement dénommé Alliance Europe Multilingue (AEM), ont déposé une offre pour le lot no 4. Le cahier des charges pour l’appel d’offres litigieux indique notamment que, pour attribuer le marché, le pouvoir adjudicateur se fonde sur l’offre économiquement la plus avantageuse, en fonction des critères d’attribution « prix » (pondéré à 30 %) et « qualité » (faisant l’objet de sous‑pondérations spécifiques et pondéré globalement à 70 %). De plus, il prévoit que les offres doivent être soumises au moyen de l’application eSubmission.

3        Le 19 janvier 2021, le précédent contrat‑cadre portant sur les formations linguistiques pour le personnel des institutions, organes et agences de l’Union européenne à Bruxelles et à Luxembourg (HR/R3/PR/2014/083) – Lot 4 – Formations linguistiques en français, conclu avec le consortium « Alliance Europe Multilingue », qui était constitué par plusieurs des requérantes et d’autres opérateurs, est arrivé à échéance. Le dernier contrat spécifique sous l’empire de ce contrat‑cadre a été signé le 18 décembre 2020 et est arrivé à échéance le 30 juin 2021.

4        Le 10 mars 2021, le rapport d’évaluation des offres a été établi conformément à l’article 168, paragraphe 4, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci‑après le « règlement financier »). Les contractants proposés pour le lot no 4 étaient le groupement CLL Centres de langues – Allingua (ci‑après le « groupement CLL »), en tant que premier contractant dans la cascade, et le groupement AEM, en tant que second contractant dans la cascade.

5        Le 19 avril 2021, la Commission a adopté la décision d’attribution suivant les recommandations du comité d’évaluation.

6        Le même jour, la Commission a envoyé aux requérantes une lettre de notification les informant des résultats de la procédure. Cette lettre les informait notamment que leur offre pour le lot no 4 avait été retenue pour l’attribution d’un contrat‑cadre et qu’elle était classée en seconde position avec un score qualitatif de 85/100 et un score total de 89,50/100 (ci‑après la « décision attaquée »). Y étaient également précisés, en annexe 1, les motifs de l’appréciation de leur offre au regard des critères de qualité énoncés dans le cahier des charges.

7        Les 19 et 20 avril 2021, les requérantes ont envoyé à la Commission une demande d’informations complémentaires pour avoir des renseignements sur l’offre classée en première position ainsi que des précisions sur la notation de certains sous‑critères de qualité de leur offre.

8        Le 26 avril 2021, la Commission a informé les requérantes de l’identité du soumissionnaire classé en première position dans la cascade ainsi que du score qualitatif et du score total de l’offre de celui-ci à l’issue de l’évaluation. Elle a également fourni des précisions sur l’évaluation de l’offre des requérantes au regard de certains sous‑critères de qualité.

9        Le 29 avril 2021, les requérantes se sont plaintes notamment du fait que, selon elles, la réponse de la Commission était insuffisante au regard de l’article 170, paragraphe 3, sous a), du règlement financier, en ce qu’elle ne permettait pas de comprendre en quoi l’offre du groupement CLL se distinguait qualitativement de celle du groupement AEM. Dans cette plainte, elles ont demandé à la Commission un complément d’information sur l’appréciation des offres afin de comprendre les caractéristiques et les avantages de l’offre du groupement CLL justifiant son classement en première position pour l’attribution du contrat‑cadre relatif au lot no 4 du marché.

10      Le 10 mai 2021, la Commission a fourni aux requérantes des informations complémentaires sur l’évaluation de l’offre du groupement CLL. Dans ce courrier, elle s’est engagée à respecter un nouveau délai d’attente de dix jours civils à compter du jour qui suivait la date d’envoi de cette réponse.

11      Le 14 mai 2021, les requérantes, considérant que les motifs relatifs à l’appréciation de l’offre du groupement CLL qui leur ont été communiqués par la Commission ne permettaient toujours pas de comprendre quelles caractéristiques et avantages de l’offre de ce groupement justifiaient son meilleur classement, ont demandé davantage d’informations sur l’appréciation des offres.

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 mai 2021, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

13      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée ;

–        ordonner toute autre mesure nécessaire ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      Le 25 mai 2021, la Commission a fourni des informations additionnelles aux requérantes sur l’appréciation des offres. Dans ce courrier, elle a encore précisé que le délai d’attente applicable, prévu à l’article 175 du règlement financier, avait commencé à courir au moment où les requérantes avaient reçu la grille d’évaluation de l’offre du groupement CLL, communiquée le 10 mai 2021.

15      Par une mesure d’organisation de la procédure du 26 mai 2021, le président du Tribunal a posé à la Commission des questions pour réponse écrite.

16      Le 31 mai 2021, la Commission a répondu aux questions posées par le président du Tribunal.

17      Le 7 juin 2021, la Commission a signé le contrat‑cadre avec le groupement CLL.

18      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 9 juin 2021, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter comme non fondée la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée ;

–        réserver les dépens.

19      Le 9 juin 2021, sur le fondement de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, les requérantes ont déposé des moyens nouveaux. La Commission a déposé ses observations sur ces moyens nouveaux le 24 juin 2021.

20      Le 18 juin 2021, les requérantes ont déposé leurs observations sur les observations de la Commission, auxquelles cette dernière a répondu le 5 juillet 2021.

 En droit

21      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

22      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

23      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

24      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

25      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

26      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

27      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27).

28      Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

29      S’agissant, toutefois, du contentieux relatif à la passation des marchés publics, il convient de tenir compte des particularités de ce contentieux aux fins de l’appréciation de l’urgence.

30      En effet, il ressort de la jurisprudence que, compte tenu des impératifs découlant de la protection effective qui doit être garantie en matière de marchés publics, lorsque le soumissionnaire évincé parvient à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il ne saurait être exigé de sa part qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable, sous peine qu’il soit porté une atteinte excessive et injustifiée à la protection juridictionnelle effective dont il bénéficie au titre de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 41].

31      Toutefois, cet assouplissement des conditions applicables pour apprécier l’existence de l’urgence, justifié par le droit à un recours juridictionnel effectif, ne s’applique que pendant la phase précontractuelle, pour autant que le délai d’attente résultant de l’article 175 du règlement financier soit respecté. Dès lors que le pouvoir adjudicateur a conclu le contrat avec l’adjudicataire après que ce délai s’est écoulé et avant l’introduction de la demande en référé, l’assouplissement susmentionné ne se justifie plus [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risks & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 42].

32      En l’espèce, la décision attaquée, qui a été communiquée aux requérantes par voie électronique le 19 avril 2021, indiquait que le délai d’attente de dix jours débuterait le 20 avril 2021. Cependant, à la suite des demandes d’informations complémentaires des requérantes, la Commission a déclaré, dans son courrier du 10 mai 2021, que la signature du contrat ne pourrait intervenir qu’au bout d’un nouveau délai d’attente de dix jours à compter du jour qui suivait la date d’envoi de ce courrier. Le délai d’attente a donc débuté le 11 mai 2021 et a pris fin le 20 mai 2021 à minuit, avant l’introduction de la demande en référé le 21 mai 2021. Ainsi, cette demande a été introduite après le délai d’attente.

33      Dans ces conditions, conformément à ce qui a été constaté au point 31 ci‑dessus, l’assouplissement de la condition relative à l’urgence ne s’applique plus.

34      Il importe, toutefois, de relever que le délai d’attente ne peut mettre les intéressés en mesure de contester en justice l’attribution d’un marché avant que le contrat ne soit conclu que si ces intéressés disposent d’éléments suffisants pour déterminer l’existence d’une éventuelle illégalité de la décision d’attribution [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risks & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 47].

35      Eu égard aux exigences du principe de sécurité juridique, cette exception à l’application purement mécanique du délai d’attente doit, cependant, être réservée à des cas de figure exceptionnels dans lesquels le soumissionnaire évincé n’avait aucune raison de considérer que la décision d’attribution du marché était entachée d’illégalité avant la conclusion du contrat avec l’adjudicataire [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risks & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 49].

36      Il convient donc d’examiner si les requérantes ont disposé d’informations suffisantes pour faire usage du délai d’attente aux fins d’introduire une demande de mesures provisoires avant la conclusion du contrat entre la Commission et le groupement CLL, le 7 juin 2021 [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risks & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 50].

37      En l’espèce, les requérantes soutiennent que, au moment où elles ont introduit la demande en référé, elles n’étaient pas en mesure d’identifier une violation du droit de l’Union autre que la motivation insuffisante de la décision attaquée. Selon elles, les informations communiquées par la Commission le 10 mai 2021 sur l’évaluation de l’offre du groupement CLL ne permettaient pas de comprendre quelles caractéristiques et avantages de l’offre de ce groupement avaient justifié son meilleur classement dans certains sous‑critères de qualité où les écarts entre les deux offres étaient importants. Elles soutiennent que ce n’est que le 25 mai 2021, lorsque la Commission leur a fourni des informations additionnelles sur l’appréciation des offres, que celle‑ci aurait expliqué la méthode appliquée pour évaluer les offres et que cette justification aurait permis « de comprendre la dégradation de la valeur intrinsèque de [leur offre] ». Par conséquent, le délai d’attente de dix jours n’ayant pas pu commencer à courir le 11 mai 2021 mais uniquement le 26 mai 2021, la demande en référé, introduite le 21 mai 2021, aurait été introduite dans le délai d’attente.

38      Toutefois, à cet égard, force est de constater que les requérantes ne sauraient valablement faire valoir que, avant le courrier de la Commission du 25 mai 2021, elles n’avaient aucune raison de considérer que la décision attaquée était entachée d’illégalité.

39      En effet, il ressort du dossier que, en date du 19 avril 2021, la Commission a communiqué aux requérantes, en annexe 1 à la décision attaquée, les motifs de l’appréciation de leur offre au regard des critères de qualité énoncés dans le cahier des charges. En outre, le 26 avril 2021, la Commission a fourni aux requérantes des précisions additionnelles sur l’évaluation de leur offre au regard de certains sous‑critères de qualité. De plus, le 10 mai 2021, la Commission a envoyé aux requérantes la grille d’évaluation établie pour l’offre du groupement CLL.

40      Les éléments de fond que les requérantes invoquent pour établir le fumus boni juris dans leur demande en référé se recoupent par ailleurs dans une large mesure avec ceux déjà invoqués dans leurs lettres du 29 avril et 14 mai 2021. En effet, les requérantes soutiennent par le premier moyen, un défaut de motivation de la décision attaquée en raison d’une absence de corrélation entre les appréciations largement positives de leur offre au regard de certains sous‑critères de qualité et la cote attribuée. Quant au deuxième moyen, elles invoquent une violation du principe de l’exercice effectif du pouvoir d’appréciation, en ce que la Commission n’a pas tenu compte des éléments complémentaires à leur offre intégrés par un lien hypertexte et accessibles matériellement sur une autre plateforme qu’eSubmission. S’agissant du troisième moyen invoqué à titre subsidiaire, elles se prévalent d’une incohérence entre l’appréciation des qualités de leur offre et la cote attribuée.

41      Ainsi, il convient de constater que, après avoir reçu le 10 mai 2021 la grille d’évaluation établie pour l’offre du groupement CLL, les requérantes disposaient, dès ce jour, d’éléments suffisants pour introduire une demande en référé.

42      Ce constat ne saurait être infirmé par l’argument des requérantes selon lequel seules les informations additionnelles fournies le 25 mai 2021 leur auraient donné l’explication de la méthode appliquée pour évaluer les offres et ainsi « de comprendre la dégradation de la valeur intrinsèque de l’offre des requérantes ». En effet, il convient de relever que rien n’aurait empêché les requérantes, jusqu’à l’expiration du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté du délai de distance fixé à l’article 60 du règlement de procédure, d’élargir la portée de leur recours et de leur demande en référé en fonction des informations additionnelles obtenues de la part de la Commission. Au demeurant, les requérantes auraient même été autorisées, en vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, à produire des moyens nouveaux en cours d’instance, dès lors que ces moyens se fondaient sur des éléments de droit et de fait révélés pendant la procédure devant le Tribunal (voir, en ce sens, ordonnance du 30 mai 2017, Enrico Colombo et Corinti Giacomo/Commission, T‑690/16 R, non publiée, EU:T:2017:370, point 45).

43      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que les requérantes disposaient, dès le 10 mai 2021, d’éléments suffisants pour introduire une demande en référé et que l’allégation selon laquelle seules les informations additionnelles fournies le 25 mai 2021 contenaient l’explication de la méthode appliquée pour évaluer les offres et auraient permis « de comprendre la dégradation de la valeur intrinsèque de l’offre des requérantes », n’est pas de nature à démontrer qu’elles étaient privées de « toute possibilité » d’introduire une telle demande dans le délai d’attente [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risks & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 55], de sorte que l’assouplissement de la condition relative à l’urgence en matière de marchés publics ne saurait être appliqué en l’espèce.

44      Partant, il convient d’analyser si les requérantes ont établi à suffisance de droit que l’exécution de la décision attaquée engendrerait pour elles un préjudice grave et irréparable au sens de la jurisprudence rappelée au point 28 ci‑dessus.

45      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave du préjudice, les requérantes allèguent que, globalement, la perte de marché représente, en termes financiers, une perte significative. En particulier, selon elles, la perte de marché des membres du groupement AEM qui doivent exécuter l’essentiel des prestations représente une perte de chiffre d’affaires d’un peu plus de 13 % par rapport au chiffre d’affaires cumulé réalisé en 2019. La perte de la première requérante, qui doit réaliser la plus grande partie de la prestation, serait considérable et excéderait plus d’un tiers (34,99 %) de ses revenus, rapportée à son chiffre d’affaires moyen sur les quatre dernières années. Pour ce qui concerne la sixième requérante, les requérantes font valoir que la perte serait de plus d’un cinquième (22,65 %) de ses revenus, rapportée sur son chiffre d’affaires annuel moyen sur les années 2017 à 2020.

46      De l’avis de la Commission, en revanche, les requérantes ne sont pas parvenues à établir que la condition relative à l’urgence était remplie.

47      À cet égard, il y a lieu de relever que la nature du préjudice allégué est d’ordre purement financier.

48      Or, s’agissant de la gravité du préjudice financier invoqué, il est de jurisprudence bien établie que la mesure provisoire sollicitée ne se justifie que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, la partie qui la sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale. À cet égard, il est de jurisprudence constante que l’analyse de la gravité d’un tel préjudice doit s’effectuer au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 21 janvier 2019, Agrochem-Maks/Commission, T‑574/18 R, EU:T:2019:25, points 33 et 34 et jurisprudence citée).

49      Pour pouvoir apprécier si ces conditions sont remplies, le juge des référés doit, selon une jurisprudence bien établie, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 10 juillet 2018, Synergy Hellas/Commission, T‑244/18 R, non publiée, EU:T:2018:422, point 27 et jurisprudence citée). Par ailleurs, l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure prévoit expressément qu’une demande en référé doit contenir toutes les preuves et offres de preuve disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

50      De plus, selon la jurisprudence, la partie qui sollicite les mesures provisoires ne peut invoquer que des préjudices qu’elle subit personnellement (voir ordonnance du 17 mai 2018, Transtec/Commission, T‑228/18 R, non publiée, EU:T:2018:281, point 39 et jurisprudence citée). Ainsi, la question de l’urgence est une question spécifique qui doit être examinée séparément pour chaque partie requérante (voir ordonnance du 21 septembre 2015, Consorzio Vivaisti viticoli pugliesi et Negro Daniele/Commission, T‑436/15 R, non publiée, EU:T:2015:665, point 16 et jurisprudence citée).

51      En l’espèce, il y a lieu de constater, en premier lieu, que les requérantes s’abstiennent de fournir une image fidèle et globale de la situation financière personnelle de chacune d’elles sauf pour les première et sixième d’entre elles. En effet, dans leur demande en référé, elles se bornent à affirmer que, pour elles, globalement, la perte de marché représente en termes financiers une perte significative et, en particulier, pour les membres du groupement AEM qui vont exécuter l’essentiel des prestations, la perte de marché représente une perte de chiffre d’affaires d’un peu plus de 13 % par rapport au chiffre d’affaires cumulé réalisé en 2019.

52      Par conséquent, le juge des référés n’est pas en mesure d’apprécier si le préjudice allégué peut effectivement être considéré comme grave pour chaque partie requérante à titre individuel à l’exception des première et sixième requérantes.

53      En deuxième lieu, s’agissant du préjudice allégué pour les première et sixième requérantes, les requérantes ne font pas valoir que celles-ci se trouvent dans une situation susceptible de mettre en péril leur existence même. Toutefois, elles indiquent que, en ce qui concerne la première requérante, la perte sera considérable et excédera de plus du tiers son chiffre d’affaires et, pour ce qui concerne la sixième requérante, la perte représenterait plus d’un cinquième de ses revenus.

54      Au regard de ces données, il y a lieu de constater que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 48 ci‑dessus, la perte de chiffre d’affaires alléguée n’apparaît pas être de nature à mettre en péril l’existence même de ces requérantes.

55      De plus, d’une part, il convient d’observer, à cet égard, à l’instar de la Commission, que ces données ne tiennent pas compte du fait que, si les requérantes signent le contrat‑cadre pour le lot no 4 en tant que second contractant dans la cascade, il n’est pas exclu qu’elles soient appelées à exécuter une partie des prestations, conformément au point 1.6 du cahier des charges.

56      D’autre part, il convient de souligner que, selon une jurisprudence constante, les conséquences financières négatives, pour le soumissionnaire évincé, qui découleraient du rejet de son offre font, en principe, partie du risque commercial habituel auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face. Ainsi, le seul fait que le rejet d’une offre puisse avoir des conséquences financières négatives, même graves, pour le soumissionnaire évincé ne saurait donc justifier, en soi, les mesures provisoires demandées par ce dernier (voir ordonnance du 29 septembre 2017, Amplexor Luxembourg/Commission, T‑211/17 R, non publiée, EU:T:2017:683, point 38 et jurisprudence citée).

57      Cette jurisprudence, visant le cas de figure d’un soumissionnaire évincé, s’applique, à plus forte raison, au cas d’espèce, les requérantes n’étant pas le soumissionnaire évincé, mais l’une des attributaires, dont l’offre a été classée au second rang, et étant ainsi dans une position, à condition d’avoir conclu le contrat‑cadre, où elles peuvent se voir être appelées, au cours de l’exécution du marché, à effectuer des services faisant l’objet du marché (voir, en ce sens, ordonnance du 29 septembre 2017, Amplexor Luxembourg/Commission, T‑211/17 R, non publiée, EU:T:2017:683, point 39).

58      Par conséquent, force est de constater que l’argumentation présentée par les requérantes ne permet pas de considérer le préjudice allégué pour les première et sixième requérantes comme étant grave.

59      Qui plus est, les requérantes ne se prononcent pas sur le caractère irréparable du préjudice financier allégué. Ainsi, elles n’exposent pas ce qui empêcherait celles-ci, en cas d’annulation de la décision attaquée, d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE, la seule possibilité de former un tel recours étant suffisante pour attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du 21 septembre 2015, Eden Green Vivai Piante di Verdesca Giuseppe e.a./Commission, T‑437/15 R, non publiée, EU:T:2015:666, point 19 et jurisprudence citée).

60      Au vu de ce qui précède, le juge des référés ne peut que constater que les requérantes ne sont pas parvenues à établir que, à défaut d’octroi d’un sursis à l’exécution de la décision attaquée, elles subiraient un préjudice grave et irréparable. La condition relative à l’urgence n’est donc pas satisfaite.

61      En troisième et dernier lieu, il y a lieu de rejeter comme étant irrecevable le chef de conclusions par lequel les requérantes demandent l’octroi de toute mesure autre estimée nécessaire, conformément à la jurisprudence constante selon laquelle demander au juge des référés d’adopter toute autre mesure provisoire, sans préciser en quoi ces mesures pourraient consister, revient à lui demander de formuler lui‑même les conclusions qu’il est censé apprécier par la suite (voir ordonnance du 15 juillet 2019, 3V Sigma/ECHA, T‑176/19 R, non publiée, EU:T:2019:547, point 37 et jurisprudence citée).

62      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut, pour les requérantes, d’établir l’urgence, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

63      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 27 juillet 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.

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