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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> SC Cridar Cons (Judgment) French Text [2022] EUECJ C-582/20 (24 February 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C58220.html Cite as: [2022] EUECJ C-582/20, EU:C:2022:114, ECLI:EU:C:2022:114 |
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ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
24 février 2022 (*)
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 167 et 168 – Droit à déduction – Refus – Fraude fiscale – Administration des preuves – Sursis à statuer sur une réclamation administrative visant un avis d’imposition refusant un droit à déduction, dans l’attente de l’issue d’une procédure pénale – Autonomie procédurale des États membres – Principe de neutralité fiscale – Droit à une bonne administration – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »
Dans l’affaire C‑582/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décision du 23 juillet 2020, parvenue à la Cour le 5 novembre 2020, dans la procédure
SC Cridar Cons SRL
contre
Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Cluj,
Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Cluj-Napoca,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur), M. Ilešič, D. Gratsias et Z. Csehi, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour SC Cridar Cons SRL, par Mes C. F. Costaş, S. I. Puţ et A. Tomuţa, avocați,
– pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane, R. I. Haţieganu et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et A. Armenia, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA ») et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SC Cridar Cons SRL (ci-après « Cridar ») à l’ AdministraţiaJudeţeană a FinanţelorPublice Cluj (administration départementale des finances publiques de Cluj, Roumanie) (ci-après l’« AJFP Cluj ») et à la DirecţiaGeneralăRegională a FinanţelorPublice Cluj-Napoca (direction générale régionale des finances publiques de Cluj-Napoca, Roumanie) (ci-après la « DGRFP Cluj-Napoca ») au sujet d’une décision de surseoir à statuer sur une réclamation administrative visant un avis d’imposition refusant un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), jusqu’à la clôture d’une affaire pénale.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 167 de la directive TVA prévoit :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
4 L’article 168 de cette directive précise :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
[...] »
Le droit roumain
Le code de procédure fiscale
5 La Legea nr. 207/2015 privind Codul de procedură fiscală (loi no 207/2015 portant code de procédure fiscale), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de procédure fiscale »), prévoit, à son article 118, paragraphe 3, que « [l]e contrôle fiscal est effectué une seule fois pour chaque type de créance fiscale et pour chaque période imposable ».
6 L’article 128 du code de procédure fiscale, intitulé « Nouveau contrôle fiscal », dispose, à son paragraphe 1 :
« Par dérogation à l’article 118, paragraphe 3, le chef de l’autorité de contrôle fiscal peut décider de contrôler à nouveau certains types d’obligations fiscales pour une période imposable donnée à la suite de l’apparition de données supplémentaires dont cette autorité n’avait pas connaissance à la date du contrôle fiscal et qui ont une incidence sur les résultats de ce dernier. »
7 Aux termes de l’article 131 de ce code, intitulé « Résultat du contrôle fiscal » :
« 1) Le résultat du contrôle fiscal est consigné par écrit, dans un rapport de contrôle fiscal, qui décrit les constatations de l’autorité de contrôle fiscal du point de vue factuel et juridique ainsi que les conséquences fiscales de ces constatations.
[...]
4) Le rapport de contrôle fiscal constitue le fondement de l’émission :
a) de l’avis d’imposition, pour des écarts à la hausse ou à la baisse par rapport aux obligations fiscales principales afférentes aux écarts de base d’imposition ;
[...] »
8 L’article 132 dudit code, intitulé « Saisine des autorités chargées des poursuites pénales », énonce, à son paragraphe 1 :
« L’autorité de contrôle fiscal est tenue de saisir les organes judiciaires compétents au sujet des constatations qui ont été effectuées lors du contrôle fiscal et qui pourraient réunir des éléments constitutifs d’une infraction, dans les conditions prévues par la loi pénale. »
9 L’article 268 du même code, intitulé « Possibilité d’introduire une réclamation », précise, à son paragraphe 1 :
« Une réclamation peut être formée, conformément au présent titre, contre un titre de créance ainsi que contre tout autre acte administratif fiscal. La réclamation étant une voie de recours gracieuse, elle ne prive pas la personne qui s’estime lésée par un acte administratif fiscal du droit à un recours contentieux. »
10 L’article 277 du code de procédure fiscale, intitulé « Sursis à statuer dans la procédure de réclamation par voie administrative », se lit comme suit :
« 1) L’organe chargé du traitement de la réclamation peut surseoir à statuer, par décision motivée, lorsque :
a) l’organe ayant effectué l’activité de contrôle a saisi les organes compétents relativement à l’existence d’indices de commission d’une infraction concernant les moyens de preuve pour l’établissement de la base d’imposition, infraction dont la constatation aurait une influence décisive sur la solution qui sera donnée dans le cadre de la procédure administrative ;
[...]
4) La décision définitive de la juridiction pénale statuant sur l’action civile est opposable aux organes chargés du traitement des réclamations en ce qui concerne les sommes pour lesquelles l’État s’est constitué partie civile. »
11 Aux termes de l’article 278 de ce code, intitulé « Sursis à l’exécution de l’acte administratif fiscal » :
« 1) L’introduction d’une réclamation administrative n’entraîne pas le sursis à l’exécution de l’acte administratif fiscal.
2) Les dispositions du présent article ne portent pas atteinte au droit du plaignant de demander le sursis à l’exécution de l’acte administratif fiscal en vertu de la [Legea contenciosului administrativ nr. 554/2004 (loi no 554/2004 sur le contentieux administratif)] [...]
[...] »
12 L’article 281 dudit code, intitulé « Communication de la décision et voie de recours », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Le plaignant ou les personnes intervenant dans la procédure de réclamation peuvent attaquer les décisions statuant sur une réclamation ainsi que les actes administratifs fiscaux auxquels ces décisions font référence devant la juridiction administrative compétente [...] »
13 L’article 350 du même code, intitulé « Collaboration avec les autorités chargées des poursuites pénales », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2) Dans les cas dûment justifiés, l’[Agenţiei Naţionale de Administrare Fiscală (ANAF) (agence nationale de l’administration fiscale, Roumanie)] peut être chargée de procéder à des contrôles fiscaux, conformément aux objectifs fixés, après l’ouverture des poursuites pénales et sur avis du procureur.
3) Le résultat des contrôles prévus aux paragraphes 1 et 2 est consigné dans des procès-verbaux, qui constituent des moyens de preuve. Les procès-verbaux ne constituent pas un titre de créance fiscale au sens du présent code. »
14 Par l’arrêt no 72 du 29 janvier 2019, la Curtea Constituţională (Cour constitutionnelle, Roumanie) a constaté l’inconstitutionnalité de l’expression « qui constituent des moyens de preuve » figurant à cet article 350, paragraphe 3.
La loi sur le contentieux administratif
15 La loi no 554/2004 sur le contentieux administratif, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur le contentieux administratif »), contient un article 2, paragraphe 1, qui énonce les définitions suivantes :
« Aux fins de la présente loi, on entend par :
[...]
ş) “dommage imminent” : le préjudice matériel futur et prévisible ou, le cas échéant, la perturbation prévisible grave du fonctionnement d’une autorité publique ou d’un service public ;
t) “cas dûment justifiés” : les circonstances de fait et de droit de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte administratif ;
[...] ».
16 L’article 14 de la loi sur le contentieux administratif, intitulé « Sursis à l’exécution de l’acte », dispose, à son paragraphe 1 :
« Dans les cas dûment justifiés et pour prévenir un dommage imminent, après la saisine [...] de l’autorité publique qui a émis l’acte ou de l’autorité hiérarchique supérieure, la personne lésée peut demander au tribunal compétent d’ordonner le sursis à l’exécution de l’acte administratif unilatéral jusqu’à ce que le juge du fond statue. Si la personne lésée n’introduit pas son recours en annulation de l’acte dans un délai de 60 jours, le sursis à l’exécution prend fin de plein droit et sans aucune formalité. »
17 L’article 15 de cette loi, intitulé « Demande de sursis par le recours au principal », prévoit :
« 1) Le sursis à l’exécution de l’acte administratif unilatéral peut être demandé par le requérant, pour les motifs prévus à l’article 14, et par requête adressée au tribunal compétent pour l’annulation totale ou partielle de l’acte attaqué. Dans ce cas, le tribunal peut ordonner le sursis à l’exécution de l’acte administratif attaqué jusqu’à ce que l’affaire soit jugée de manière définitive et irrévocable. La demande de sursis à exécution peut être introduite en même temps que le recours au principal ou dans un recours distinct, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur le recours.
[...]
4) S’il est fait droit au recours sur le fond, la mesure de sursis à exécution, ordonnée conformément à l’article 14, est prolongée de plein droit jusqu’à ce que l’affaire soit jugée de manière définitive et irrévocable, même si le requérant n’a pas demandé le sursis à l’exécution de l’acte administratif au titre du paragraphe 1. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Cridar, société active dans le domaine de la construction de routes et d’autoroutes, a fait l’objet d’un contrôle fiscal relatif à la TVA portant sur la période allant du 1er janvier 2011 au 30 avril 2014. Lors de celui-ci, l’Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Bistriţa-Năsăud (administration départementale des finances publiques de Bistriţa-Năsăud, Roumanie) lui a reconnu un droit à déduction de la TVA pour les opérations inscrites dans sa comptabilité.
19 Au début de l’année 2015, le Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Cluj (parquet près la cour d’appel de Cluj, Roumanie) (ci-après le « parquet ») a instruit le dossier pénal no 363/P/2015, dans lequel des accusations de fraude fiscale ont été formulées à l’égard de plusieurs personnes, dont le gérant de Cridar. À une date non précisée au cours de l’année 2016, le parquet a demandé à la DGRFP Cluj-Napoca de procéder à un nouveau contrôle fiscal de Cridar, au motif qu’il aurait existé des preuves que, pendant la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015, cette société avait effectué des acquisitions fictives auprès de plusieurs autres sociétés. La DGRFP Cluj-Napoca a chargé l’AJFP Cluj de procéder à ce nouveau contrôle. Il s’est déroulé du 4 au 17 octobre 2016 et n’a porté que sur la période ayant fait l’objet du contrôle fiscal mentionné au point précédent.
20 Dans son rapport de contrôle fiscal du 3 novembre 2016 et son avis d’imposition du même jour, l’AJFP Cluj a, contrairement à la position adoptée en 2014, refusé de reconnaître à Cridar le droit à déduction de la TVA pour toutes les opérations d’acquisition effectuées par cette société auprès de cinq sociétés mentionnées par le parquet (ci-après les « acquisitions en cause ») et a imposé à Cridar des obligations fiscales supplémentaires à hauteur de 2 103 272 lei roumains (RON) (environ 425 000 euros), au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Conformément à l’article 128 du code de procédure fiscale, l’AJFP Cluj a également révoqué l’avis d’imposition de l’année 2014 et est revenue sur l’ensemble des résultats du contrôle fiscal antérieur en matière de TVA. Ce nouvel avis d’imposition reposait sur une série d’irrégularités constatées en amont, au niveau de cinq fournisseurs de Cridar ou des fournisseurs de ceux-ci, au vu desquelles l’AJFP Cluj a conclu qu’il existait un soupçon raisonnable qu’une situation artificielle ait été créée afin que Cridar augmente fictivement ses dépenses et déduise les montants de TVA correspondants, sans qu’il existe d’opérations économiques réelles.
21 Dès l’émission de ces actes, les autorités fiscales ont saisi le parquet du dossier d’instruction concernant ces faits de fraude fiscale relative aux opérations contrôlées. Des poursuites pénales portant sur ces faits avaient par ailleurs déjà été engagées et faisaient l’objet du dossier d’instruction no 363/P/2015.
22 Le 11 novembre 2016, Cridar a saisi la DGRFP Cluj-Napoca d’une réclamation contre l’avis d’imposition du 3 novembre 2016 et, sur le fondement de l’article 14 de la loi sur le contentieux administratif, a introduit une demande de sursis à l’exécution de cet avis, laquelle a été accueillie par la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj, Roumanie) par un jugement prononcé en 2016, qui a ordonné le sursis à l’exécution de l’avis d’imposition jusqu’à ce que le juge du fond statue. Ce jugement est devenu définitif.
23 Par une décision du 16 mars 2017 statuant sur la réclamation visée au point précédent, la DGRFP Cluj-Napoca a rejeté les griefs d’ordre procédural qui avaient été présentés par Cridar, mais a ordonné le sursis à statuer sur le fond de la réclamation fiscale en vertu de l’article 277, paragraphe 1, sous a), du code de procédure fiscale, en relevant que l’organe chargé du traitement de la réclamation ne peut pas se prononcer sur le fond de l’affaire avant qu’une décision ne mette fin au volet pénal et ne confirme ou n’infirme les soupçons des organes de contrôle concernant la réalité des acquisitions en cause.
24 Par un recours introduit le 29 juin 2017, Cridar a demandé à la Curtea de Apel Cluj (cour d’appel de Cluj), à titre principal, d’annuler cette décision du 16 mars 2017 pour des motifs procéduraux et, à titre subsidiaire, d’annuler ladite décision et de condamner la DGRFP Cluj-Napoca à se prononcer sur le fond de sa réclamation. Cridar a, en outre, demandé qu’il soit sursis à l’exécution de l’avis d’imposition jusqu’à ce que l’affaire soit définitivement jugée au pénal, en application de l’article 15 de la loi sur le contentieux administratif.
25 Par arrêt du 29 septembre 2017, cette juridiction a rejeté ce recours. Elle a notamment considéré que la DGRFP Cluj-Napoca dispose d’un droit d’appréciation de l’opportunité de surseoir à statuer sur la réclamation fiscale, afin d’éviter que des décisions contradictoires ne soient rendues concernant la même situation juridique. Elle en a déduit qu’était légale la décision de cette autorité de surseoir à statuer sur la réclamation fiscale jusqu’à ce qu’il soit déterminé, au pénal, si les acquisitions en cause sont réelles. Ladite juridiction a également rejeté la demande de sursis à l’exécution de l’avis d’imposition jusqu’à ce qu’il soit statué définitivement au pénal, les motifs d’illégalité invoqués ne créant pas une apparence d’illégalité de l’acte et l’imminence d’un dommage n’étant pas établie. À cet égard, elle a relevé que la décision, visée au point 22 du présent arrêt, accueillant la demande de sursis à exécution présentée sur le fondement de l’article 14 de la loi sur le contentieux administratif n’a pas force de chose jugée pour trancher une demande similaire fondée sur l’article 15 de cette loi, en raison de la différence concernant les effets dans le temps des deux procédures en cause.
26 Le 11 octobre 2017, Cridar s’est pourvue en cassation contre cet arrêt devant l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), la juridiction de renvoi. Dans le cadre de ce pourvoi, cette société soutient notamment que, dans la décision du 16 mars 2017 statuant sur sa réclamation fiscale, la DGRFP Cluj-Napoca a relevé, contrairement à ce qui avait été constaté dans le cadre du second contrôle fiscal, que seuls des indices de ce que les acquisitions en cause auraient pu être fictives avaient été trouvés et que la question du caractère fictif ou non de celles-ci ne serait tranchée que lors du règlement définitif de l’affaire pénale. Elle fait valoir que, du fait de ces interprétations contradictoires concernant les preuves administrées, leur valeur juridique ainsi que l’autorité susceptible d’établir le caractère fictif ou réel d’opérations, le contribuable est captif et n’a aucune possibilité d’exercer son droit à déduction. Ainsi, la législation nationale semblerait avoir posé une condition supplémentaire à la reconnaissance du droit à déduction de la TVA, à savoir la confirmation, au pénal, de la réalité des opérations concernées, qui ne ressortirait ni des dispositions du droit de l’Union applicables ni de la jurisprudence de la Cour.
27 La juridiction de renvoi précise que, dès lors que le litige dont elle est saisie ne porte pas sur la légalité au fond de l’avis d’imposition du 3 novembre 2016, elle ne peut pas déterminer si les éléments mentionnés dans celui-ci sont suffisants, au regard de la jurisprudence de la Cour, pour fonder un refus du droit à déduction de la TVA.
28 Cette juridiction observe, en outre, que Cridar ne peut pas, pour le moment, obtenir de solution judiciaire sur le fond de sa réclamation, étant donné que, conformément à la jurisprudence nationale, la contestation en justice d’un avis d’imposition n’est possible, au vu de l’article 281 du code de procédure fiscale, que si la décision statuant sur le fond de la réclamation est attaquée en même temps que cet avis. Or, en l’occurrence, l’autorité fiscale auteur de la décision du 16 mars 2017 a uniquement sursis à statuer. Ladite juridiction ajoute que, selon l’article 278, paragraphe 1, de ce code, l’introduction d’une réclamation administrative n’entraîne pas de sursis à l’exécution de l’acte administratif fiscal, et ce même pour la période pendant laquelle il est sursis à statuer sur la réclamation dont cet acte fait l’objet. Par ailleurs, elle constate qu’un avis d’imposition a toujours pour effet de transférer la charge fiscale sur l’assujetti.
29 Au vu de ces éléments, la juridiction de renvoi se demande si est de nature à enfreindre le principe de neutralité fiscale consacré dans la directive TVA le fait que, dans un premier temps, l’autorité fiscale émet un avis d’imposition qui produit des effets immédiats en refusant le droit à déduction de la TVA alors qu’elle ne dispose pas, à ce moment-là, de l’ensemble des éléments objectifs relatifs à l’implication de l’assujetti dans une fraude à la TVA et que, dans un second temps, il est sursis à statuer sur la réclamation introduite contre cet avis jusqu’à ce que des éclaircissements concernant les faits soient apportés dans le cadre d’une instruction pénale qui vise à déterminer l’implication de l’assujetti dans ladite fraude. Elle se demande également si une telle manière de procéder est compatible avec le droit à un procès équitable garanti par l’article 47 de la Charte, dès lors que l’avis d’imposition conserve son caractère exécutoire pendant le sursis à statuer sur la réclamation dont il fait l’objet, sans que l’assujetti ait la possibilité de contester ledit avis devant un juge, une telle possibilité étant subordonnée à l’adoption d’une décision statuant sur le fond de la réclamation. Elle estime que l’analyse pourrait différer selon que l’assujetti bénéficie ou non d’un sursis à l’exécution des actes contestés dans les conditions prévues aux articles 14 et 15 de la loi sur le contentieux administratif, de nature à écarter provisoirement les effets du refus du droit à déduction de la TVA.
30 Dans ces conditions, l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La [directive TVA] et l’article 47 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui autorise les autorités fiscales, après qu’elles ont émis un avis d’imposition par lequel elles refusent de reconnaître le droit à déduction de la TVA payée en amont, à surseoir à statuer sur la réclamation administrative [introduite contre cet avis] jusqu’à la clôture de l’affaire pénale susceptible de fournir des éléments objectifs supplémentaires relatifs à l’implication de l’assujetti dans la fraude fiscale en cause ?
2) La réponse de la [Cour] à la question précédente pourrait-elle être différente si, pendant le sursis à statuer sur la réclamation administrative, l’assujetti bénéficiait de mesures provisoires susceptibles de suspendre les effets du refus du droit à déduction de la TVA ? »
Sur les questions préjudicielles
31 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA et l’article 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui autorise les autorités fiscales nationales à surseoir à statuer sur une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant à un assujetti le bénéfice du droit à déduction de la TVA payée en amont en raison de l’implication de cet assujetti dans une fraude fiscale, jusqu’à la clôture d’une procédure pénale susceptible de fournir des éléments objectifs supplémentaires relatifs à cette implication, et si est pertinent à cet égard le fait que, pendant ce sursis à statuer, cet assujetti puisse obtenir un sursis à l’exécution de cet avis.
32 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis ou les services reçus en amont et utilisés pour les besoins de leurs opérations taxées constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union. Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité dès lors que les exigences ou les conditions tant matérielles que formelles auxquelles ce droit est subordonné sont respectées par les assujettis souhaitant l’exercer (arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 33 et jurisprudence citée, ainsi que du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 31).
33 Cela étant, la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA et la Cour a itérativement jugé que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union. Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 34 et jurisprudence citée, ainsi que du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 45).
34 Tel est le cas lorsqu’une fraude à la TVA est commise par l’assujetti lui-même, mais également lorsque l’assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une telle fraude. Le bénéfice du droit à déduction ne saurait ainsi être refusé à un assujetti qu’à la condition qu’il soit établi, au vu d’éléments objectifs, que cet assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été livrés ou fournis, soit a lui-même commis la fraude soit savait ou aurait dû savoir que, par l’acquisition de ces biens ou de ces services, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne de ces livraisons ou de ces prestations (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 46).
35 Le refus du droit à déduction étant une exception à l’application du principe fondamental que constitue ce droit, il incombe aux autorités fiscales d’établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l’assujetti a lui-même commis une fraude à la TVA ou savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une telle fraude (arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 50).
36 Le droit de l’Union ne prévoyant pas de règles relatives aux modalités de l’administration des preuves en matière de fraude à la TVA, ces éléments objectifs doivent être établis par l’administration fiscale conformément aux règles prévues par le droit national. Cependant, ces règles ne doivent pas porter atteinte à l’efficacité du droit de l’Union et doivent respecter les droits garantis par ce droit, spécialement par la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 45].
37 C’est ainsi, et sous ces conditions, que la Cour, dans l’arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C‑419/14, EU:C:2015:832), a jugé, au point 68 de celui-ci, que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale puisse, dans le cadre d’une procédure administrative, afin de constater l’existence d’une pratique abusive en matière de TVA, utiliser des preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale nationale parallèle non encore clôturée concernant l’assujetti, sous réserve du respect des droits garantis par le droit de l’Union, spécialement par la Charte. De même, elle a jugé, au point 38 de l’arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary (C‑189/18, EU:C:2019:861), en substance, que, sous cette même réserve, l’administration fiscale nationale, afin de constater l’existence d’une fraude à la TVA, doit pouvoir s’appuyer sur des preuves obtenues dans le cadre de procédures pénales non clôturées ne concernant pas l’assujetti ou recueillies au cours de procédures administratives connexes auxquelles l’assujetti n’était pas partie.
38 Le droit de l’Union ne saurait, par conséquent, en principe et sous réserve du respect des droits garantis par ce droit, spécialement par la Charte, pas davantage s’opposer à ce que les autorités fiscales puissent, dans le cadre de l’examen d’une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition constatant un refus du droit à déduction de la TVA, surseoir à statuer sur cette réclamation en vue d’obtenir des éléments objectifs supplémentaires établissant l’implication de l’assujetti dans la fraude fiscale fondant ce refus du droit à déduction. En effet, dès lors que, sous cette réserve, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale fasse usage de preuves obtenues dans le cadre d’une procédure pénale afin de constater, dans le cadre d’une procédure administrative, l’existence d’une fraude ou d’une pratique abusive en matière de TVA, il ne saurait, en principe et sous cette même réserve, pas davantage s’opposer à ce qu’une telle procédure administrative soit suspendue, y compris au stade de l’examen de la réclamation dirigée contre l’avis d’imposition refusant le droit à déduction de la TVA, notamment afin d’éviter que ne soient adoptées des décisions contradictoires susceptibles de porter atteinte à la sécurité juridique ou, comme dans l’affaire au principal, afin de permettre le recueil éventuel de preuves supplémentaires dont il pourrait ensuite être fait usage aux fins de l’examen de cette réclamation.
39 Cependant, dès lors que, dans une telle situation, un avis d’imposition refusant à l’assujetti le droit à déduction de la TVA a déjà été émis, et compte tenu du fait que ce droit constitue un principe fondamental du système commun de la TVA, il importe de rappeler que les principes régissant l’application, par les États membres, du régime commun de la TVA, en particulier ceux de neutralité fiscale et de sécurité juridique, s’opposent à ce que, en présence de simples soupçons non étayés de l’administration fiscale nationale quant à la réalisation effective des opérations économiques ayant donné lieu à l’émission d’une facture fiscale, l’assujetti destinataire de cette facture se voit refuser le droit à déduction de la TVA s’il n’est pas en mesure de fournir, outre ladite facture, d’autres éléments de preuve de la réalité des opérations économiques réalisées [voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2015, PPUH Stehcemp, C‑277/14, EU:C:2015:719, point 50, ainsi que du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, points 44 et 49]. Le bénéfice du droit à déduction ne saurait pas davantage être refusé sur le fondement de suppositions (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 52 et jurisprudence citée).
40 En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique expressément, dans sa première question, que le sursis à statuer en cause au principal a été ordonné au motif que l’affaire pénale dans l’attente de la clôture de laquelle ce sursis a été ordonné est susceptible de fournir des éléments objectifs « supplémentaires » relatifs à l’implication de l’assujetti dans la fraude fiscale fondant le refus du droit à déduction constaté dans ledit avis d’imposition.
41 Or, dès lors que les questions posées sont fondées sur cette prémisse factuelle, qu’il appartient néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier, et que la Cour ne saurait remettre celle-ci en cause compte tenu de la nette séparation des fonctions entre celle-ci et les juridictions nationales dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 2014, Traum, C‑492/13, EU:C:2014:2267, point 19, ainsi que du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros, C‑449/20, EU:C:2021:721, point 13 et jurisprudence citée), il convient, afin de fournir une réponse complète à la juridiction de renvoi, de tenir cette prémisse pour acquise et de poursuivre l’analyse.
42 Dans ces circonstances, considérant que sont en cause au principal non seulement les modalités d’administration des preuves par les autorités fiscales nationales, mais également une décision de surseoir à statuer sur une réclamation administrative, il convient, en deuxième lieu, eu égard à l’autonomie dont disposent les États membres quant à l’organisation de leurs procédures administratives, de rappeler que, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les modalités procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les contribuables tirent du droit de l’Union relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Ispas, C‑298/16, EU:C:2017:843, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).
43 En l’occurrence, en ce qui concerne le principe d’équivalence, rien dans le dossier soumis à la Cour ne fait apparaître que l’article 277, paragraphe 1, sous a), du code de procédure fiscale, en vertu duquel a été ordonné le sursis à statuer en cause au principal, serait spécifique aux contrôles des obligations en matière de TVA, de sorte que, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, une violation de ce principe peut être exclue (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2017, Ispas, C‑298/16, EU:C:2017:843, point 30).
44 Quant au principe d’effectivité, rien n’indique non plus qu’un sursis à statuer sur une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant un droit à déduction de la TVA rendrait par lui-même impossible ou excessivement difficile, au niveau administratif, l’exercice par les justiciables des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union.
45 Il convient néanmoins, en troisième lieu, eu égard aux considérations exposées au point 38 du présent arrêt, de rappeler, d’une part, que les exigences découlant du droit à une bonne administration, lequel reflète un principe général du droit de l’Union et, notamment, le droit de toute personne de voir ses affaires traitées impartialement et dans un délai raisonnable, trouvent à s’appliquer dans le cadre d’une procédure de contrôle fiscal par laquelle un État membre met en œuvre le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 2020, Agrobet CZ, C‑446/18, EU:C:2020:369, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée, et du 21 octobre 2021, CHEP Equipment Pooling, C‑396/20, EU:C:2021:867, point 48).
46 Or, dès lors qu’un litige tel que celui au principal concerne, in fine, l’exercice, par l’administration fiscale, de ses pouvoirs de contrôle afin de se conformer à l’obligation pour les États membres, découlant de l’application du droit de l’Union, de prendre toutes les mesures législatives et administratives propres à garantir la perception de l’intégralité de la TVA due sur son territoire et à lutter contre la fraude, la procédure d’examen de la réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant un droit à déduction de la TVA constitue une mise en œuvre, par l’État membre concerné, du droit de l’Union, de sorte que cette procédure doit se dérouler dans le respect du droit à une bonne administration (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 2017, Ispas, C‑298/16, EU:C:2017:843, point 27 et jurisprudence citée),
47 Partant, il est également nécessaire, pour que le droit de l’Union ne s’oppose pas à un sursis à statuer sur une réclamation administrative, tel que celui en cause au principal, qu’un tel sursis ne porte pas atteinte au droit à une bonne administration et, en particulier, qu’il n’ait pas pour effet de retarder l’issue de cette procédure de réclamation administrative au-delà d’un délai raisonnable.
48 D’autre part, il y a lieu de constater que les droits fondamentaux garantis par la Charte ont également vocation à s’appliquer à un litige tel que celui au principal, le sursis à statuer contesté devant la juridiction de renvoi s’inscrivant dans le cadre d’une procédure administrative refusant à un assujetti le droit à déduction de la TVA payée en amont en raison de son implication dans une fraude fiscale en violation des principes régissant le système commun de la TVA établi par le législateur de l’Union et constituant, par suite, une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, par analogie, arrêt du 16 octobre 2019, Glencore Agriculture Hungary, C‑189/18, EU:C:2019:861, point 59 et jurisprudence citée).
49 À cet égard, il convient de relever que la juridiction de renvoi s’interroge à propos de l’interprétation de l’article 47 de la Charte, selon lequel toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans les conditions prévues à cet article, au motif que, aussi longtemps que dure ce sursis, Cridar est dans l’impossibilité d’exercer un recours juridictionnel contre l’avis d’imposition lui refusant le droit à déduction de la TVA, le droit national applicable subordonnant la possibilité d’introduire un tel recours à l’adoption d’une décision statuant sur le fond de la réclamation.
50 Or, la Cour a, certes, déjà jugé que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à cette disposition est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, le droit d’accès aux tribunaux (arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horaţiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 42 ainsi que jurisprudence citée). Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le droit d’accès à un tribunal n’est pas un droit absolu et que, ainsi, il peut comporter des restrictions proportionnées qui poursuivent un but légitime et ne portent pas atteinte à ce droit dans sa substance même (arrêt du 30 juin 2016, Toma et Biroul Executorului Judecătoresc Horaţiu-Vasile Cruduleci, C‑205/15, EU:C:2016:499, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
51 En l’occurrence, il suffit de relever que, si, aussi longtemps que dure ce sursis, Cridar se trouve effectivement privée de la possibilité d’introduire un recours juridictionnel contre un avis d’imposition lui refusant un droit à déduction de la TVA, il résulte néanmoins des considérations exposées au point 38 du présent arrêt qu’un tel sursis poursuit un but légitime et de celles exposées aux points 45 à 47 du présent arrêt que Cridar ne saurait être privée de cette possibilité au-delà d’un délai raisonnable. De plus, il ressort du dossier dont dispose la Cour qu’il n’est pas contesté au principal que cette société sera en mesure d’introduire un recours juridictionnel contre la décision qui statuera sur le fond de sa réclamation. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré qu’un tel sursis à statuer sur une réclamation administrative entrave de manière disproportionnée, pour un assujetti tel que Cridar, le droit d’accès aux tribunaux, tel qu’il est garanti par l’article 47 de la Charte.
52 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de légalité de la décision nationale en cause (arrêt du 24 novembre 2020, Minister van Buitenlandse Zaken, C‑225/19 et C‑226/19, EU:C:2020:951, point 43 ainsi que jurisprudence citée).
53 Il est, par conséquent, également nécessaire, pour qu’un sursis à statuer sur une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant un droit à déduction de la TVA soit ordonné dans le respect de l’article 47 de la Charte, que la décision ordonnant ce sursis soit motivée en fait comme en droit, afin non seulement de permettre à l’assujetti de connaître les motifs pour lesquels il est considéré que ledit sursis est nécessaire pour pouvoir statuer utilement sur sa réclamation et de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles, mais également afin de permettre au juge saisi d’un recours contre cette décision de surseoir à statuer d’être pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de celle-ci.
54 Au demeurant, l’obligation pour l’administration, lorsqu’elle met en œuvre le droit de l’Union, de motiver ses décisions résulte déjà du droit à une bonne administration (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2020, Minister van Buitenlandse Zaken, C‑225/19 et C‑226/19, EU:C:2020:951, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
55 En quatrième lieu, dès lors qu’il ne saurait être exclu que, finalement, il s’avère que le droit à déduction a été refusé à l’assujetti en violation du droit de l’Union, il importe encore de rappeler que le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues dans un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union telles qu’elles ont été interprétées par la Cour. Les États membres sont donc tenus, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union. La demande de remboursement de la TVA indûment versée relève du droit à la répétition de l’indu, qui, selon une jurisprudence constante, tend à remédier aux conséquences de l’incompatibilité de la taxe avec le droit de l’Union en neutralisant la charge économique qu’elle a fait indûment peser sur l’opérateur qui l’a, en définitive, effectivement supportée (arrêts du 14 juin 2017, Compass Contract Services, C‑38/16, EU:C:2017:454, points 29 et 30 ainsi que jurisprudence citée, et du 2 juillet 2020, Terracult, C‑835/18, EU:C:2020:520, point 24).
56 Dans ce contexte, il convient de souligner que le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, EU:C:1985:74, point 19, ainsi que du 11 novembre 2021, Ferimet, C‑281/20, EU:C:2021:910, point 30 et jurisprudence citée).
57 À cet égard, la Cour a déjà précisé que, si les États membres disposent d’une liberté certaine dans l’établissement des modalités de remboursement de l’excédent de TVA, ces modalités ne peuvent pas porter atteinte au principe de la neutralité fiscale en faisant supporter à l’assujetti, en tout ou en partie, le poids de cette taxe. En particulier, ces modalités doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent de TVA, cela impliquant que le remboursement soit effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente, et que, en tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne doit faire courir aucun risque financier à l’assujetti (arrêts du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary, C‑254/16, EU:C:2017:522, point 20 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 mai 2021, technoRent International e.a., C‑844/19, EU:C:2021:378, points 37 et 38).
58 Lorsque le remboursement à l’assujetti de l’excédent de TVA intervient au-delà d’un délai raisonnable, le principe de neutralité du système fiscal de la TVA exige aussi que les pertes financières ainsi générées, au préjudice de l’assujetti, par l’indisponibilité des sommes d’argent en cause soient compensées par le paiement d’intérêts de retard (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 2017, Glencore Agriculture Hungary, C‑254/16, EU:C:2017:522, point 22 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 mai 2021, technoRent International e.a., C‑844/19, EU:C:2021:378, point 40 et jurisprudence citée).
59 Ces considérations sont également applicables, par analogie, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans la mesure où un refus illégitime du droit à déduction de la TVA payée en amont, constaté par un avis d’imposition immédiatement exécutoire, a également pour effet d’immobiliser, au préjudice de l’assujetti, la somme d’argent correspondant au montant de TVA dont la déduction a, par hypothèse, été refusée en violation du droit de l’Union.
60 Il s’ensuit qu’il est également nécessaire, pour qu’un sursis à statuer sur une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant un droit à déduction de la TVA, tel que celui en cause au principal, soit ordonné dans le respect du droit de l’Union, que la réglementation nationale applicable prévoie, s’il s’avère finalement que ce refus a été opposé en violation du droit de l’Union, que l’assujetti puisse obtenir le remboursement de la somme d’argent considérée dans un délai raisonnable ainsi que, le cas échéant, des intérêts de retard.
61 En cinquième et dernier lieu, il convient de relever que, pour autant que les conditions découlant des considérations qui précèdent soient respectées, il n’est pas exigé que, pendant la période du sursis à statuer sur sa réclamation, l’assujetti bénéficie dans tous les cas d’un sursis à l’exécution de l’avis d’imposition qui fait l’objet de cette réclamation. Il suffit que la réglementation nationale applicable prévoie la possibilité d’accorder un tel sursis, en tant que mesure provisoire, en cas de doute sérieux quant à la légalité de l’avis d’imposition, lorsque l’octroi d’un tel sursis à exécution est nécessaire pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de l’assujetti.
62 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que la directive TVA et l’article 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui autorise les autorités fiscales nationales à surseoir à statuer sur une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant à un assujetti le bénéfice du droit à déduction de la TVA payée en amont en raison de l’implication de cet assujetti dans une fraude fiscale, en vue d’obtenir des éléments objectifs supplémentaires relatifs à cette implication, à condition, premièrement, qu’un tel sursis n’ait pas pour effet de retarder l’issue de cette procédure de réclamation administrative au-delà d’un délai raisonnable, deuxièmement, que la décision ordonnant ce sursis soit motivée en droit comme en fait et puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et, troisièmement, que, s’il s’avère finalement que le droit à déduction a été refusé en violation du droit de l’Union, cet assujetti puisse obtenir le remboursement de la somme correspondante dans un délai raisonnable ainsi que, le cas échéant, des intérêts de retard sur celle-ci. Dans ces conditions, il n’est pas exigé que, pendant ce sursis à statuer, ledit assujetti bénéficie d’un sursis à l’exécution de cet avis, sauf, en cas de doute sérieux quant à la légalité dudit avis, si l’octroi d’un sursis à l’exécution du même avis est nécessaire pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de l’assujetti.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui autorise les autorités fiscales nationales à surseoir à statuer sur une réclamation administrative dirigée contre un avis d’imposition refusant à un assujetti le bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont en raison de l’implication de cet assujetti dans une fraude fiscale, en vue d’obtenir des éléments objectifs supplémentaires relatifs à cette implication, à condition, premièrement, qu’un tel sursis n’ait pas pour effet de retarder l’issue de cette procédure de réclamation administrative au-delà d’un délai raisonnable, deuxièmement, que la décision ordonnant ce sursis soit motivée en droit comme en fait et puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et, troisièmement, que, s’il s’avère finalement que le droit à déduction a été refusé en violation du droit de l’Union, cet assujetti puisse obtenir le remboursement de la somme correspondante dans un délai raisonnable ainsi que, le cas échéant, des intérêts de retard sur celle-ci. Dans ces conditions, il n’est pas exigé que, pendant ce sursis à statuer, ledit assujetti bénéficie d’un sursis à l’exécution de cet avis, sauf, en cas de doute sérieux quant à la légalité dudit avis, si l’octroi d’un sursis à l’exécution du même avis est nécessaire pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de l’assujetti.
Signatures
* Langue de procédure : le roumain.
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