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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Lemken v EUIPO (Nuance de bleu ciel) (EU trade mark - Judgment) French Text [2022] EUECJ T-621/21 (26 October 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/T62121.html Cite as: EU:T:2022:676, ECLI:EU:T:2022:676, [2022] EUECJ T-621/21 |
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)
26 octobre 2022 (*)
« Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne consistant en une nuance de bleu ciel – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 – Absence de caractère distinctif acquis par l’usage – Article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 »
Dans l’affaire T‑621/21,
Lemken GmbH & Co. KG, établie à Alpen (Allemagne), représentée par Mes I. Kuschel et W. von der Osten-Sacken, avocats,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. T. Klee et E. Markakis, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur) et R. Norkus, juges,
greffier : M. T. Henze, greffier adjoint,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 7 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Lemken GmbH & Co. KG, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 15 juillet 2021 (affaire R 2037/2020‑1) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 19 juillet 2019, la requérante a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO, en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).
3 La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe de couleur suivant :
4 Dans le formulaire de demande d’enregistrement, le signe demandé a été décrit comme étant une marque de couleur avec la précision suivante : « RAL:5015 ».
5 Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent, après la limitation intervenue au cours de la procédure devant l’EUIPO, de la classe 7 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour cette classe, à la description suivante : « Machines agricoles et instruments agricoles entraînés mécaniquement ou mobiles, en particulier pour le traitement des sols, l’ensemencement, la fertilisation, la protection des végétaux, l’entretien des stocks et/ou l’élimination des mauvaises herbes et des animaux nuisibles ; combinaisons, pièces et/ou accessoires pour les produits précités compris dans la classe 7 ; machines agricoles autonomes, mobiles ou autopropulsées, notamment pour le traitement des sols, l’ensemencement, la fertilisation, la protection des végétaux, l’entretien des stocks et/ou l’élimination des mauvaises herbes ».
6 La demande a donné lieu à des objections. La requérante a maintenu sa demande d’enregistrement.
7 Par décision du 1er septembre 2020, l’examinateur de l’EUIPO a rejeté la demande de marque sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, considérant que la marque de couleur demandée était dépourvue de caractère distinctif. En outre, ladite marque n’aurait pas acquis de caractère distinctif par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.
8 Le 22 octobre 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de l’examinateur.
9 Par la décision attaquée, la première chambre de recours a rejeté le recours. Tout d’abord, elle a constaté que le public pertinent était composé d’agriculteurs ayant un degré d’attention relativement élevé. Ensuite, s’agissant de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, la chambre de recours a considéré que la marque de couleur demandée devait être considérée comme une finition esthétique ou décorative qui n’était pas inhabituelle sur le marché et ne servait pas d’indication d’origine commerciale. La couleur « bleu ciel » serait une couleur simple et courante, nullement choquante ou surprenante. La chambre de recours a donc considéré que la marque de couleur demandée devait être refusée à l’enregistrement, en raison du motif de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Enfin, s’agissant de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas prouvé le caractère distinctif acquis par l’usage dans chaque État membre de l’Union.
Conclusions des parties
10 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner l’EUIPO aux dépens.
11 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
12 La requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, le deuxième, de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 et, le troisième, de la violation de l’obligation de motivation.
13 Il convient d’examiner, en premier lieu, le troisième moyen fondé sur l’absence de motivation de la décision attaquée.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation
14 La requérante fait grief à la chambre de recours de ne pas avoir suffisamment motivé la décision attaquée. Les documents auraient été examinés « dans leur ensemble » sans que leur pertinence n’ait été examinée avec la rigueur requise. La motivation serait très brève et superficielle.
15 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
16 Aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation a la même portée que celle découlant de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, lequel exige que la motivation fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, sans qu’il soit nécessaire que cette motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. La question de savoir si la motivation d’un acte satisfait auxdites exigences doit cependant être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 65 et jurisprudence citée).
17 En outre, l’obligation de motivation n’impose pas aux chambres de recours qu’elles fournissent un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements que les parties ont articulés devant elles. Il suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision. Par ailleurs, la motivation peut être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles la décision de la chambre de recours a été adoptée et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle [voir arrêt du 24 mars 2021, Kfz-Gewerbe/EUIPO – The Blink Fish (Représentation d’un poisson), T‑354/20, non publié, EU:T:2021:156, point 21 et jurisprudence citée].
18 En l’espèce, la chambre de recours a expliqué, d’une part, aux points 20 à 36 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles la marque de couleur demandée n’avait pas de caractère distinctif intrinsèque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. D’autre part, après avoir rappelé la jurisprudence applicable, la chambre de recours a exposé, catégorie de preuve par catégorie de preuve, du point 44 au point 49 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles les éléments de preuve apportés par la requérante n’étaient pas de nature à prouver un caractère distinctif acquis par l’usage de la marque de couleur demandée au titre de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, en particulier en raison de l’absence d’éléments de preuve pour l’ensemble du territoire de l’Union. Par ailleurs, la décision attaquée entérine la décision de l’examinateur dans son ensemble, de sorte que cette dernière, ainsi que sa motivation, font partie du contexte dans lequel la décision attaquée a été adoptée, contexte connu par les parties et permettant au juge de l’Union d’exercer pleinement son contrôle de légalité quant au bien-fondé de l’appréciation de la chambre de recours [voir arrêt du 14 décembre 2011, Völkl/OHMI – Marker Völkl (VÖLKL), T‑504/09, EU:T:2011:739, point 93 et jurisprudence citée]. Ainsi, la décision attaquée est suffisamment motivée dans son ensemble, de sorte que la requérante a pu comprendre les justifications de la mesure prise à son égard et que le Tribunal est en mesure d’exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 17 ci-dessus.
19 Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001
20 Le premier moyen comporte quatre branches, tirées, la première, de la prise en compte insuffisante des pratiques agricoles, la deuxième, de la prise en compte insuffisante des critères établis par les arrêts de la Cour du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, EU:C:2003:244), et du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI (C‑447/02 P, EU:C:2004:649), la troisième, de l’appréciation inexacte de la nuance de couleur en cause en tant que couleur simple et courante et, la quatrième, de l’inclusion incorrecte d’éléments décoratifs et publicitaires.
21 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.
22 Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).
23 Le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 35 et jurisprudence citée).
24 Pour constituer une marque de l’Union au sens de l’article 4 du règlement 2017/1001, des couleurs ou des combinaisons de couleurs doivent remplir trois conditions. Premièrement, elles doivent constituer un signe. Deuxièmement, ce signe doit être susceptible d’une représentation graphique. Troisièmement, ledit signe doit être propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C‑104/01, EU:C:2003:244, point 23).
25 Les couleurs sont normalement une simple propriété des choses. Même dans le domaine spécifique du commerce, les couleurs et les combinaisons de couleurs sont utilisées généralement pour leur pouvoir attractif ou décoratif, sans véhiculer une signification quelconque. Il ne saurait toutefois être exclu que les couleurs ou les combinaisons de couleurs soient susceptibles, en ce qui concerne un produit ou un service, de constituer un signe au sens de l’article 4 du règlement 2017/1001 [voir arrêt du 9 septembre 2020, Glaxo Group/EUIPO (Nuance de couleur pourpre), T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 32 et jurisprudence citée].
26 Conformément à l’article 3, paragraphe 3, sous f), i), du règlement d’exécution (UE) 2018/626 de la Commission, du 5 mars 2018, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1431 (JO 2018, L 104, p. 37), lorsqu’une marque consiste exclusivement en une couleur unique sans contours, elle est représentée par la soumission d’une reproduction de la couleur et d’une indication de cette couleur par référence à un code de couleurs généralement reconnu (arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 34).
27 Quant à la question de savoir si, au sens de l’article 4 du règlement 2017/1001, les couleurs ou combinaisons de couleurs sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, il faut apprécier si ces couleurs ou ces combinaisons de couleurs sont de nature ou non à transmettre des informations précises, notamment quant à l’origine d’un produit ou d’un service (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 35 et jurisprudence citée).
28 À cet égard, il convient de rappeler que, si les couleurs sont propres à susciter certaines associations d’idées et à générer des sentiments, en revanche, de par leur nature, elles sont peu de nature à véhiculer des informations précises. Elles le sont d’autant moins qu’elles sont habituellement et largement utilisées dans la publicité et dans la commercialisation des produits et des services pour leur pouvoir attractif, en dehors de tout message précis (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 36 et jurisprudence citée).
29 La notion d’intérêt général sous-jacente à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 se confond, à l’évidence, avec la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 48).
30 Ainsi, les couleurs et leurs combinaisons abstraites ne peuvent se voir reconnaître un caractère distinctif intrinsèque que dans des circonstances exceptionnelles, étant donné qu’elles se confondent avec l’aspect des produits désignés et qu’elles ne sont pas, en principe, utilisées comme moyens d’identification d’origine commerciale (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 39 et jurisprudence citée).
31 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’analyser le premier moyen.
Sur la première branche du premier moyen, tirée de la prise en compte insuffisante des pratiques agricoles
32 La requérante soutient que la chambre de recours n’a pas pris suffisamment en compte les usages dans le domaine des instruments et des machines agricoles. En effet, comme l’attesterait la déclaration de l’association européenne des fabricants de machines agricoles (ci-après la « CEMA »), il serait d’usage pour les personnes intéressées par des instruments et des machines agricoles de rattacher ces produits à une entreprise sur la base de leur couleur. La requérante présente également trois exemples de marques de couleur ou de combinaison de couleurs enregistrées par l’EUIPO pour illustrer cette pratique.
33 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
34 À titre liminaire, il convient de relever qu’il ne saurait être reproché à la chambre de recours d’avoir omis de tenir compte des arguments de la requérante relatifs aux usages dans le domaine des instruments et des machines agricoles en cause lors de son appréciation du caractère distinctif intrinsèque de la marque de couleur demandée.
35 En effet, il ressort de la décision attaquée que, au point 6, la chambre de recours a évoqué l’argumentation de la requérante relative aux usages dans le domaine des instruments et des machines agricoles, telle qu’illustrée par la déclaration de la CEMA et des exemples d’enregistrements par l’EUIPO de marques de couleur ou de combinaison de couleurs. La chambre de recours a également indiqué, au point 31 de la décision attaquée, que son appréciation ne portait pas sur la question de savoir si les couleurs éventuellement utilisées par les concurrents étaient distinctives et fait observer que les documents produits à cet égard montraient des produits de concurrents dans d’autres couleurs. Elle a également rappelé, au point 34 de la décision attaquée, que l’hypothèse selon laquelle le public pertinent pouvait percevoir la marque de couleur demandée comme une indication de l’origine était, d’après les documents produits par la requérante, une conséquence de cet usage et non une conséquence des qualités intrinsèques de ladite marque ou des produits qui sont censés être ainsi désignés.
36 Ces appréciations ne sont pas remises en cause par la requérante.
37 Ensuite, premièrement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il ressortirait de la déclaration de la CEMA qu’il était d’usage, pour les fabricants d’instruments et de machines agricoles, d’utiliser des couleurs spécifiques pour leurs produits, force est de constater, comme le relève à juste titre l’EUIPO, que cette déclaration ne fournit aucune indication précise sur la façon dont le public pertinent perçoit, en l’espèce, la couleur « bleu ciel », en ce qui concerne les produits de la requérante. Ladite déclaration ne fait, en effet, qu’exposer un usage et constater que la requérante peint ses produits d’une certaine couleur sans se prononcer sur l’association qui serait faite par le public pertinent à propos de cette couleur et de ces produits. Lors de l’audience, la requérante n’a d’ailleurs pas été en mesure d’indiquer dans quelle mesure l’existence d’un tel lien pouvait être déduite de la déclaration de la CEMA.
38 Deuxièmement, s’agissant des trois exemples de marques de couleur ou de combinaison de couleurs enregistrées par l’EUIPO dans le domaine des instruments et des machines agricoles, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante, la légalité des décisions de la chambre de recours, lesquelles relèvent de l’exercice d’une compétence liée et non d’un pouvoir discrétionnaire, doit être appréciée uniquement sur le fondement du règlement 2017/1001, tel qu’interprété par le juge de l’Union, et non sur la base d’une pratique décisionnelle antérieure de l’EUIPO, laquelle ne saurait, en tout état de cause, le lier [voir arrêt du 16 octobre 2014, Larrañaga Otaño/OHMI (GRAPHENE), T‑458/13, EU:T:2014:891, point 35 et jurisprudence citée].
39 En outre, si, eu égard aux principes d’égalité de traitement et de bonne administration, l’EUIPO doit prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens, l’application de ces principes doit toutefois être conciliée avec le respect du principe de légalité, de telle sorte qu’il ne saurait y avoir d’égalité dans l’illégalité et que la personne qui demande l’enregistrement d’un signe en tant que marque ne saurait invoquer à son profit une illégalité éventuelle commise en sa faveur ou au bénéfice d’autrui afin d’obtenir une décision identique. Au demeurant, pour des raisons de sécurité juridique et, précisément, de bonne administration, l’examen de toute demande d’enregistrement doit être strict et complet, afin d’éviter que des marques ne soient enregistrées de manière indue, et un tel examen doit ainsi avoir lieu dans chaque cas concret, car l’enregistrement d’un signe en tant que marque dépend de critères spécifiques, applicables dans le cadre des circonstances factuelles du cas d’espèce et destinés à vérifier si le signe en cause ne relève pas d’un motif de refus (voir arrêt du 16 octobre 2014, GRAPHENE, T‑458/13, EU:T:2014:891, points 35 et 36 et jurisprudence citée).
40 En l’espèce, compte tenu des circonstances factuelles du cas d’espèce, il ne peut être considéré que la chambre de recours avait à déduire des enregistrements par l’EUIPO d’autres marques de couleur ou de combinaison de couleurs, évoqués par la requérante, que le public pertinent percevrait la couleur « bleu ciel » en tant que marque indiquant, intrinsèquement, l’origine des produits concernés.
41 En effet, des différences peuvent être constatées dans les cadres factuel et légal des enregistrements de ces marques de couleur. Comme cela a été indiqué par la chambre de recours dans la décision attaquée, il ressort des exemples présentés par la requérante qu’ils concernent des marques de couleur ou de combinaison de couleurs, à savoir le vert, le jaune ou une combinaison du vert et du jaune, différentes de la marque de couleur demandée.
42 Tout d’abord, la marque no 5298989 de couleur jaune a, certes, été enregistrée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, mais elle ne concernait qu’un nombre très limité de produits, à savoir les « accessoires pour trayeuses, à savoir flexibles de traite et à lait longs et courts ». Ensuite, en ce qui concerne la marque no 63289 de couleur verte et jaune, il a été dit par l’EUIPO, lors de l’audience, qu’elle se distinguait de la marque de couleur demandée par le positionnement particulier de ces deux couleurs. De plus, il ressort de l’arrêt rendu par le Tribunal sur cette même marque de combinaison de couleurs que la chambre de recours avait considéré que la marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 et non qu’elle possédait un caractère distinctif intrinsèque [arrêt du 28 octobre 2009, BCS/OHMI – Deere (Combinaison des couleurs verte et jaune), T‑137/08, EU:T:2009:417, point 62]. Enfin, la marque no 11849791 a été enregistrée, comme cela a été confirmé par l’EUIPO lors de l’audience, grâce à la preuve, apportée par le demandeur de marque, d’un caractère distinctif acquis par l’usage. Cet exemple d’enregistrement de marque de couleur n’est donc d’aucune pertinence dans le cadre de l’analyse du premier moyen.
43 Il ressort de ce qui précède que la chambre de recours n’a pas négligé les usages du domaine des instruments et des machines agricoles, mais a plutôt considéré, à bon droit, que ces derniers n’étaient pas déterminants pour établir, en l’espèce, le caractère distinctif intrinsèque de la marque de couleur demandée.
44 Il y a donc lieu d’écarter la première branche du premier moyen comme non fondée.
Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de la prise en compte insuffisante des critères établis par les arrêts du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, EU:C:2003:244), et du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI (C‑447/02 P, EU:C:2004:649)
45 La requérante fait valoir que la Cour a admis, dans les arrêts du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, EU:C:2003:244), et du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI (C‑447/02 P, EU:C:2004:649), que l’existence d’un caractère distinctif intrinsèque pour une marque de couleur pouvait se concevoir, notamment lorsque le nombre de produits ou de services pour lesquels la marque est demandée est très limité et que le marché pertinent est très spécifique. Or, en l’espèce, la liste des produits concernés ne serait pas large et le marché pertinent serait très spécifique et ne comporterait qu’un nombre limité de fabricants. L’existence d’un caractère distinctif intrinsèque serait donc « concevable ».
46 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
47 Ainsi que le relève la requérante, dans les arrêts du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, EU:C:2003:244, point 66), et du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI (C‑447/02 P, EU:C:2004:649, point 79), la Cour a considéré que, dans le cas d’une couleur en elle-même, l’existence d’un caractère distinctif avant tout usage ne pourrait se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles, et notamment lorsque le nombre des produits ou des services pour lesquels la marque est demandée est très limité et que le marché pertinent est très spécifique.
48 En l’espèce, tout d’abord, s’agissant de la liste des produits concernés, force est de constater que celle-ci couvre plusieurs types d’instruments et de machines agricoles, dont les fonctions sont différentes, comme l’élimination des mauvaises herbes ou l’ensemencement des sols, ainsi que des combinaisons, des pièces et des accessoires pour l’utilisation de ces instruments et machines. Dans ces circonstances, il ne saurait être considéré que le nombre de produits concernés est « très limité » au sens de la jurisprudence précitée.
49 Ensuite, en ce qui concerne les caractéristiques du marché, il y a lieu de relever, comme cela a été exposé par la chambre de recours au point 23 de la décision attaquée, que le marché pertinent se caractérise par le fait qu’il n’y a pas beaucoup de fournisseurs d’instruments et de machines agricoles, que les agriculteurs sont relativement attentifs et que les produits sont relativement onéreux. De telles caractéristiques ne caractérisent toutefois pas un marché « très spécifique » au sens de la jurisprudence précitée. En effet, si, comme le reconnaît l’EUIPO, le marché pertinent n’est certes pas un marché de masse, comportant des produits à destination du grand public, il présente toutefois des caractéristiques proches de tout autre marché de produits relativement onéreux à destination d’un public spécialisé.
50 En tout état de cause, comme la chambre de recours l’a indiqué, en substance, au point 30 de la décision attaquée, il ne ressort pas des arrêts du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, EU:C:2003:244), et du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI (C‑447/02 P, EU:C:2004:649), que, du simple fait que le nombre de produits concernés est très limité et que le marché pertinent est très spécifique, les circonstances seraient à ce point exceptionnelles qu’il devrait être présumé que la marque de couleur en cause possède un caractère distinctif intrinsèque. En effet, instaurer une telle présomption irait à l’encontre de l’intérêt général sous-tendant l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, évoqué au point 29 ci-dessus, visant à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs. Une analyse au regard des circonstances, quand bien même celles-ci seraient exceptionnelles, reste requise de la part de la chambre de recours.
51 En conséquence, il ne peut être reproché à la chambre de recours d’avoir insuffisamment pris en compte la jurisprudence précitée.
52 Il y a donc lieu d’écarter la deuxième branche du premier moyen comme non fondée.
Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de l’appréciation inexacte de la nuance de couleur en cause en tant que couleur simple et courante
53 La requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle la marque demandée est constituée d’une couleur simple et courante, nullement choquante ou surprenante. Elle estime que seul le domaine des instruments et des machines agricoles serait pertinent pour apprécier la nuance de couleur en cause, qui se démarquerait fortement des couleurs des concurrents. Or, dans ce domaine, la couleur « bleu ciel » serait d’une luminosité élevée, ne serait pas courante et attirerait le regard en raison du contraste créé avec l’environnement qui entoure les produits concernés.
54 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
55 Il y a lieu de rappeler que, après avoir indiqué qu’il existe un intérêt général à maintenir la disponibilité des couleurs pour les concurrents étant donné que les couleurs effectivement disponibles et pouvant être distinguées par le consommateur sont peu nombreuses, de telle sorte qu’un enregistrement trop important de marques de couleur pourrait épuiser la palette des couleurs disponibles, la chambre de recours a indiqué au point 27 de la décision attaquée que, en l’espèce, « la couleur demandée, “bleu ciel” RAL[:]5015, [était] une couleur simple et courante et nullement “choquante” ou surprenante ».
56 L’argumentation en sens contraire présentée à cet égard par la requérante ne convainc pas.
57 En effet, ainsi que le fait valoir l’EUIPO, la marque de couleur demandée est une simple variante du bleu primaire. Elle correspond au bleu du ciel.
58 En outre, il ressort de différents documents produits au cours de la procédure devant la chambre de recours, dont notamment d’affirmations faites à ce propos par la requérante, que d’autres fournisseurs du domaine agricole utilisent des nuances de bleu.
59 Or, ainsi que le relève la chambre de recours aux points 33 et 35 de la décision attaquée, la marque de couleur demandée ne diffère pas si nettement des couleurs bleues qui ont été mentionnées par l’examinateur (voir, notamment, les exemples cités au point 3 de la décision attaquée). Contrairement à ce qu’affirme la requérante, de telles couleurs, dont notamment la couleur « bleu ciel », ne sont donc pas inhabituelles.
60 C’est donc à bon droit que la chambre de recours a considéré dans la décision attaquée que la couleur « bleu ciel » était simple et courante et nullement choquante ou surprenante dans le domaine des instruments et des machines agricoles.
61 Au vu de ces éléments, la requérante n’est pas fondée à prétendre que la couleur « bleu ciel » de la marque demandée se démarque fortement des couleurs des concurrents pour ce qui est de l’appréciation du caractère distinctif intrinsèque de celle-ci.
62 Il y a donc lieu d’écarter la troisième branche du premier moyen comme non fondée.
Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée de l’inclusion incorrecte, par la chambre de recours, d’éléments décoratifs et publicitaires dans son appréciation du caractère distinctif de la marque de couleur demandée
63 La requérante rappelle qu’au point 33 de la décision attaquée la chambre de recours a pris note du fait que, « dans la pratique, les machines agricoles [étaient] habituellement dotées d’éléments décoratifs et publicitaires qui peuvent différer selon la composition ». Selon la requérante, cette affirmation est erronée étant donné que les machines agricoles ne seraient généralement pas pourvues de tels éléments. De plus, celles-ci étant souvent vues à distance, seule leur couleur resterait en mémoire et contrasterait avec l’environnement pour ce qui concerne la marque de couleur demandée. En outre, ladite marque ne contiendrait pas le moindre élément décoratif ou publicitaire. Il ne s’agirait que d’une nuance de la couleur « bleu ciel ». Ce serait donc à tort que la chambre de recours a tenu compte d’éventuels éléments décoratifs et publicitaires dans l’appréciation du caractère distinctif intrinsèque de la marque de couleur demandée.
64 Lors de l’audience, l’EUIPO a fait valoir que cet argument n’était pas pertinent dans la mesure où la chambre de recours avait fondé, en partie, son analyse sur sa constatation selon laquelle la couleur « bleu ciel » était simple, n’était pas inhabituelle sur le marché, et n’était donc pas indicative de l’origine du produit.
65 Force est de constater que l’argumentation de la requérante repose sur une lecture partielle de la décision attaquée.
66 Certes, la chambre de recours a rappelé la pratique suivant laquelle les instruments et les machines agricoles étaient habituellement dotées d’éléments décoratifs ou publicitaires. Toutefois, elle n’en a tiré aucune conséquence. En effet, au point 33 de la décision attaquée, pour les besoins de son appréciation, la chambre de recours a relevé que « [l]a marque de couleur [demandée] ne cont[enait] aucun élément caractéristique, ni aucun caractère marquant ou accrocheur, permettant de la percevoir autrement que dans une couleur bleu ciel simple ».
67 La chambre de recours a donc apprécié la marque de couleur demandée dans le sens souhaité par la requérante, à savoir en tant que nuance de couleur « bleu ciel », sans tenir compte d’éventuels éléments décoratifs ou publicitaires comme le prétend la requérante.
68 Il est donc sans intérêt de se prononcer sur la question de savoir si les instruments et les machines agricoles sont habituellement dotés d’éléments décoratifs ou publicitaires.
69 Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter la quatrième branche du premier moyen comme non fondée et, par voie de conséquence, de rejeter le premier moyen dans son ensemble.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001
70 Ce moyen s’articule autour de quatre branches, tirées, la première, de la prise en compte insuffisante des preuves directes, la deuxième, de l’appréciation insuffisante des preuves indirectes, la troisième, de l’exigence incorrecte de l’usage de la marque de couleur demandée en tant que telle et, la quatrième, de l’absence d’examen de tous les éléments.
71 Il convient, aux fins de l’analyse du deuxième moyen, de regrouper les trois premières branches, dans la mesure où celles-ci critiquent l’appréciation des éléments de preuve produits au titre de la procédure devant l’EUIPO.
72 Lors de la procédure devant l’EUIPO, la requérante a fourni des éléments de preuve afin de prouver l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, repris aux points 4 et 6 de la décision attaquée, parmi lesquels deux rapports d’enquête sur le caractère distinctif acquis par l’usage en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et en Hongrie. Elle a également produit une déclaration de la CEMA du 30 mars 2020, selon laquelle il est d’usage pour les entreprises d’instruments et de machines agricoles d’utiliser des couleurs spécifiques pour leurs produits. Ladite déclaration mentionne également les parts de marché de la requérante et celles de certains de ses concurrents pour la période 2014-2019 dans 26 pays européens (tous les États membres de l’Union à l’époque, sauf Malte et Chypre). Des échantillons de matériel marketing et promotionnel, montrant les produits de la requérante sur lesquels la marque de couleur demandée est apposée, ont également été produits par la requérante.
Sur l’appréciation des éléments de preuve de l’acquisition, par l’usage, d’un caractère distinctif de la marque de couleur demandée
73 Premièrement, la requérante soutient que la chambre de recours n’a pas suffisamment pris en considération les rapports d’enquête pour l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et la Hongrie, lesquels montreraient qu’un nombre élevé de personnes sondées attribuent la couleur « bleu ciel » demandée à ses produits. La chambre de recours aurait également dû mieux tenir compte de la déclaration de la CEMA, dont il ressortirait que la requérante utilise la couleur « bleu ciel » demandée pour peindre les produits concernés.
74 Deuxièmement, la chambre de recours n’aurait pas intégré dans son appréciation les parts de marché, pour l’année 2019 et pour la période 2014-2019, dans 26 pays européens (tous les États membres de l’Union à l’époque, sauf Malte et Chypre). Ces données auraient une valeur probante importante en raison de leur auteur, l’Association de l’industrie du génie mécanique, la VDMA (Verband Deutscher Maschinen- und Anlagenbau eV), organisme indépendant agissant sur demande de la CEMA. Ces parts de marché n’auraient pas nécessairement besoin d’être élevées pour constituer une preuve pertinente. La requérante aurait également fourni les dépenses de ses filiales pour le poste « marketing/ publicité et participation aux salons » pour 14 pays européens, ainsi que des exemples d’annonces, de 2017 à 2019, dans 26 pays européens (tous les États membres de l’Union à l’époque, sauf Allemagne et Malte), qui n’auraient pas été pris en compte de manière adéquate.
75 Troisièmement, la chambre de recours serait allée trop loin quand elle a indiqué, au point 47 de la décision attaquée, que « la couleur demandée était utilisée exclusivement en lien avec [une marque figurative de la requérante] » et qu’il y avait donc lieu de présenter des preuves relatives à l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage en ce qui concerne la marque de couleur demandée en tant que telle. En effet, la jurisprudence admettrait que l’acquisition du caractère distinctif d’une marque peut résulter de son usage en tant que partie d’une autre marque enregistrée, ce qui serait pertinent pour les marques de couleur qui ne sont habituellement pas utilisées de manière isolée. En outre, de nombreux documents ne concerneraient que la marque de couleur demandée en tant que telle.
76 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
77 Il résulte de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 que l’absence de caractère distinctif intrinsèque d’un signe ne peut faire obstacle à son enregistrement comme marque de l’Union européenne lorsqu’il est prouvé qu’il a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait (arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 77).
78 Il convient de rappeler que le caractère distinctif d’une marque, qu’il soit intrinsèque ou acquis par l’usage, signifie que cette marque est de nature à identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée. Il doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 78).
79 La fonction essentielle de la marque est donc celle de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance. En effet, pour que la marque puisse jouer son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir, elle doit constituer la garantie que tous les produits ou services qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 79 et jurisprudence citée).
80 Ensuite, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, la marque de l’Union européenne a un caractère unitaire, ce qui implique qu’elle produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union. Il résulte du caractère unitaire de la marque de l’Union européenne que, pour être admis à l’enregistrement, un signe doit posséder un caractère distinctif dans l’ensemble de l’Union. C’est ainsi que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, lu en combinaison avec le paragraphe 2 du même article, une marque doit être refusée à l’enregistrement si elle est dépourvue de caractère distinctif dans une partie de l’Union. Il a été jugé que la partie de l’Union visée à l’article 7, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 peut être constituée, le cas échéant, d’un seul État membre (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 80 et jurisprudence citée).
81 L’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qui permet l’enregistrement des signes qui ont acquis un caractère distinctif par l’usage, doit être lu à la lumière de cette exigence. Ainsi, il résulte du caractère unitaire de la marque de l’Union que, pour être admis à l’enregistrement, un signe doit posséder un caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, dans l’ensemble de l’Union (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 81 et jurisprudence citée).
82 À cet égard, s’il ne saurait être exigé que la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage d’une marque soit apportée pour chaque État membre concerné pris individuellement, une telle preuve peut être apportée de façon globale pour tous les États membres concernés ou bien de façon séparée pour différents États membres ou groupes d’États membres. Par conséquent, dans l’hypothèse où les éléments de preuve présentés ne couvraient pas une partie de l’Union, même non substantielle ou ne consistant qu’en un seul État membre, il ne saurait être conclu à l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage de la marque dans l’ensemble de l’Union (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 86 et jurisprudence citée).
83 S’agissant de la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, il résulte de l’économie de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 qu’il incombe à la partie qui entend se prévaloir de cette disposition de démontrer que la marque dont l’enregistrement est demandé a acquis un caractère distinctif par l’usage (arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 67).
84 L’appréciation du caractère distinctif de la marque faisant l’objet d’une demande d’enregistrement peut s’effectuer en prenant en considération des éléments tels que les parts de marché détenues par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles (arrêts du 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, C‑108/97 et C‑109/97, EU:C:1999:230, points 49 et 51, et du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C‑25/05 P, EU:C:2006:422, point 75).
85 Il ressort également de la jurisprudence que certains éléments sont considérés comme jouissant d’une force probante plus importante que d’autres. En particulier, les chiffres de ventes et le matériel publicitaire ne peuvent être considérés que comme des preuves secondaires qui peuvent corroborer, le cas échéant, les preuves directes du caractère distinctif acquis par l’usage, telles que rapportées par des enquêtes ou des études de marché ainsi que des déclarations d’associations professionnelles ou des déclarations du public spécialisé [voir, en ce sens, arrêts du 29 septembre 2010, CNH Global/OHMI (Combinaison des couleurs rouge, noire et grise pour un tracteur), T‑378/07, EU:T:2010:413, points 53 et 54 ; du 29 janvier 2013, Germans Boada/OHMI (Carrelette manuelle), T‑25/11, non publié, EU:T:2013:40, point 74, et du 24 février 2016, Coca-Cola/OHMI (Forme d’une bouteille à contours sans cannelures), T‑411/14, EU:T:2016:94, points 83 et 84].
86 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, la chambre de recours a commis une erreur en considérant, au vu des documents produits par la requérante, que la marque de couleur demandée n’avait pas acquis de caractère distinctif après l’usage qui en a été fait, au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.
87 En l’espèce, il ressort du dossier de procédure de l’EUIPO que la requérante a fourni plusieurs éléments de preuve, présentés au point 72 ci-dessus. Il y a également lieu de rappeler que la chambre de recours a constaté, au point 17 de la décision attaquée, que le public pertinent était composé d’agriculteurs ayant un degré d’attention relativement élevé.
88 En premier lieu, la requérante a produit un rapport d’enquête de juin 2013 sur le caractère distinctif acquis par l’usage de la marque de couleur demandée en Allemagne, et un rapport d’enquête réalisé en France, aux Pays-Bas et en Hongrie, de novembre 2019. Tout d’abord, ces rapports démontrent que 69 % des agriculteurs, 71 % des entrepreneurs et 76 % des concessionnaires de machines agricoles en Allemagne attribuent la couleur « bleu ciel » à la requérante. En France, 39 % des agriculteurs, 41 % des entrepreneurs et 30 % des concessionnaires de machines agricoles assimilent ladite couleur aux produits de la requérante. Ensuite, ils établissent que, aux Pays-Bas, ce pourcentage est de 57 % des agriculteurs, 55 % des entrepreneurs et 57 % des concessionnaires de machines agricoles. Enfin, en Hongrie, 50 % des agriculteurs et 40 % des concessionnaires de machines agricoles attribuent la couleur « bleu ciel » demandée aux produits de la requérante.
89 Il ne saurait être exclu que, pour les États membres susmentionnés, le public pertinent, ou une partie significative de ce dernier, percevra la marque de couleur demandée comme une indication de l’origine commerciale des produits concernés. Toutefois, ces rapports d’enquête ne concernent que quatre États membres, et la requérante n’a fourni aucune explication des raisons pour lesquelles ces éléments de preuve auraient une pertinence pour prouver l’acquisition d’un caractère distinctif acquis par l’usage de la marque de couleur demandée dans d’autres États membres, permettant ainsi de démontrer une telle acquisition dans l’ensemble du territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 80 et 83).
90 En deuxième lieu, il convient de rappeler que, par sa déclaration, la CEMA ne fait que confirmer l’utilisation de la nuance de couleur « bleu ciel » par la requérante, sans pour autant se prononcer sur le lien que le public pertinent peut éventuellement faire entre cette couleur et cette entreprise, comme cela est exigé par la jurisprudence rappelée aux points 78 et 79 ci-dessus. Ce document ne s’avère donc pas déterminant pour ce qui est d’apprécier l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.
91 En troisième lieu, la requérante a produit des documents relatifs aux parts de marché détenues au sein de 26 États membres de l’Union (tous les États membres de l’Union à l’époque, sauf Malte et Chypre).
92 Pour certains États membres, les parts de marché sont assez élevées, comme en Irlande, en Lettonie, aux Pays-Bas, en Slovaquie ou en Slovénie, et sont, respectivement, de 21,3 %, de 34,6 %, de 32,8 %, de 33,7 % et de 46,5 %, pour les équipements de travail du sol en 2019. Pour les grilles d’ensemencement en 2019, les parts de marché sont, respectivement, de 34 %, de 14,1 %, de 11,8 %, de 17,9 % et de 20 %. La requérante possède une part de marché, combinée pour les équipements de travail du sol et les grilles d’ensemencement, qui pourrait être considérée comme importante de telle sorte que, pour au moins une partie du public pertinent, il n’est pas exclu qu’un lien puisse être effectué entre les produits de la requérante et la marque de couleur demandée et qu’une partie significative du reste du public pertinent puisse associer lesdits produits à la requérante sur le territoire de ces cinq États membres.
93 Toutefois, comme le relève à juste titre l’EUIPO, il ressort également de ces documents que, pour d’autres États membres tels que la Croatie, l’Espagne, la Finlande, l’Italie, la Lituanie, la Pologne ou le Portugal, les parts de marché de la requérante sont, en 2019, très faibles. En effet, elles sont, respectivement, pour les équipements de travail du sol, de 12,1 %, de 5,2 %, de 11,2 %, de 7,5 %, de 9,9 %, de 10,1 % et de 10,1 %. Pour les grilles d’ensemencement, elles sont, respectivement, de 2,5 %, de 2,3 %, de 1,3 %, de 1,6 %, de 1 %, de 5,3 % et de 0 %.
94 Or, même si, comme l’indique la requérante, il n’est pas nécessaire qu’une marque atteigne une part de marché importante pour qu’il puisse être conclu qu’elle a été gardée en mémoire par le public pertinent, il ne peut pas être établi, sur cette base, qu’une partie significative du public pertinent, dans les sept États membres précités, puisse identifier l’origine commerciale des produits concernés comme cela est exigé par la jurisprudence citée aux points 78 et 79 ci-dessus.
95 En effet, comme il ressort de la jurisprudence citée au point 85 ci-dessus, les parts de marché ne constituent que des preuves secondaires qui peuvent corroborer, le cas échéant, les preuves directes telles que, en l’espèce, les rapports d’enquête. Or, il ne peut être extrapolé des rapports d’enquête produits par la requérante l’existence d’un caractère distinctif acquis par l’usage dans ces États membres où les parts de marché sont aussi faibles.
96 En quatrième lieu, en ce qui concerne le matériel publicitaire fourni par la requérante, il s’agit notamment de brochures concernant 26 pays européens (tous les États membres de l’Union à l’époque, sauf l’Allemagne et Malte). Il convient toutefois de relever que le signe représenté ci-après est présent sur la plupart dudit matériel :
97 À cet égard, au point 47 de la décision attaquée, la chambre de recours a tenu compte du fait que la couleur revendiquée était exclusivement utilisée en lien avec ce signe, alors qu’il est exigé que la marque en tant que telle soit reconnue comme une indication de l’origine à la suite d’un usage intensif.
98 Or, en ce qui concerne l’acquisition du caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, l’expression « usage de la marque en tant que marque » doit être comprise comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée (arrêt du 7 juillet 2005, Nestlé, C‑353/03, EU:C:2005:432, point 29).
99 Certes, comme la requérante le fait valoir à juste titre, la Cour a admis qu’une telle identification, et donc que l’acquisition d’un caractère distinctif, peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle‑ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Elle a toutefois précisé que, dans les deux cas, il importait que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée (arrêt du 7 juillet 2005, Nestlé, C‑353/03, EU:C:2005:432, point 30).
100 Par conséquent, indépendamment de la question de savoir si l’usage concerne un signe en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle‑ci, la condition essentielle est que, en conséquence de cet usage, le signe dont l’enregistrement est demandé en tant que marque puisse désigner, dans l’esprit des milieux intéressés, les produits sur lesquels il porte comme provenant d’une entreprise déterminée (arrêt du 16 septembre 2015, Société des Produits Nestlé, C‑215/14, EU:C:2015:604, point 65). En vue de l’enregistrement de la marque elle-même, le demandeur à l’enregistrement doit apporter la preuve que cette marque indique seule, par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, l’origine des produits comme provenant d’une entreprise déterminée (arrêt du 16 septembre 2015, Société des Produits Nestlé, C‑215/14, EU:C:2015:604, point 66).
101 En l’espèce, le public pertinent se référera au signe reproduit au point 96 ci-dessus pour identifier l’entreprise de la requérante, et non à la marque de couleur demandée présente sur les produits représentés, de telle sorte que ladite marque ne saurait être reconnue comme une indication de l’origine commerciale. S’il est vrai que, dans toutes les brochures produites, les produits concernés sont peints de la couleur de la marque demandée, le signe reproduit au point 96 ci-dessus est systématiquement apposé sur ces brochures. Ainsi, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en considérant que la requérante n’avait pas produit d’éléments de preuve démontrant que la marque de couleur demandée a été utilisée en tant que telle.
102 Il ressort de ce qui précède que les éléments de preuve produits, appréciés dans leur ensemble, ne démontrent pas à suffisance l’usage de la marque de couleur demandée pour distinguer, sans confusion possible, les produits concernés de ceux des autres fabricants d’instruments et de machines agricoles et établir que le public pertinent de l’ensemble du territoire de l’Union associe cette couleur aux produits de la requérante.
103 Il y a donc lieu de rejeter les trois premières branches du deuxième moyen.
Sur la quatrième branche du deuxième moyen, tiré de l’absence d’examen global de tous les éléments
104 La requérante considère que la chambre de recours n’a pas examiné tous les éléments de preuve qu’elle avait produits alors que ceux-ci démontraient l’usage intensif et constant de la marque de couleur demandée par la requérante pendant une longue période dans presque tous les États membres de l’Union. Selon la requérante, si la chambre de recours avait procédé à une appréciation globale de ces éléments de preuve, cela aurait permis l’« imbrication » des informations issues de ces différents documents.
105 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
106 Contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ressort des points 44 et 45 de la décision attaquée que la chambre de recours n’a pas omis d’intégrer, dans son appréciation du caractère distinctif acquis par l’usage, certains éléments de preuve fournis par la requérante, notamment les parts de marché.
107 En effet, la chambre de recours a simplement constaté que les documents produits par la requérante, considérés dans leur ensemble, n’étaient pas propres à démontrer la perception qu’ont les consommateurs de la marque de couleur demandée.
108 Au point 46 de la décision attaquée, la chambre de recours fait référence aux constatations faites par l’examinateur, lesquelles font état du défaut d’éléments de preuve concernant certaines parties de l’Union. La chambre de recours considère également qu’il ne saurait être déduit des parts de marché ainsi que de l’utilisation conjointe de la marque de couleur demandée avec le signe repris au point 96 ci-dessus que le public pertinent associe cette marque aux produits concernés. La chambre de recours a procédé à un examen des éléments de preuve pris dans leur ensemble pour en venir à cette conclusion et la requérante ne fait, en réalité, que critiquer la conclusion à laquelle la chambre de recours est parvenue, critiques auxquelles il a été précédemment répondu dans le cadre de l’examen des trois premières branches du deuxième moyen.
109 Il y a donc lieu de rejeter la quatrième branche du deuxième moyen et, par voie de conséquence, l’ensemble du deuxième moyen.
110 Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
111 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
112 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Lemken GmbH & Co. KG est condamnée aux dépens.
Marcoulli | Frimodt Nielsen | Norkus |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 2022.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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