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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro and Others v Commission (Appeal - Action for damages - Economic and monetary policy - Judgment) French Text [2023] EUECJ C-549/21P (27 April 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2023/C54921P.html Cite as: [2023] EUECJ C-549/21P, ECLI:EU:C:2023:340, EU:C:2023:340 |
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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
27 avril 2023 (*)
« Pourvoi – Article 268 TFUE – Article 340, deuxième alinéa, TFUE – Recours en indemnité – Politique économique et monétaire – Articles 107 et 108 TFUE – Fonds interbancaire de protection des dépôts – Intervention envisagée – Sauvetage de Banca delle Marche – Lettres de la Commission européenne – Qualification d’“aides d’État” non exclue – Invitation des autorités nationales à notifier à la Commission le projet d’intervention – Absence de violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union »
Dans l’affaire C‑549/21 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 septembre 2021,
Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro, établie à Pesaro (Italie),
Montani Antaldi Srl, établie à Pesaro,
Fondazione Cassa di Risparmio di Fano, établie à Fano (Italie),
Fondazione Cassa di Risparmio di Jesi, établie à Jesi (Italie),
Fondazione Cassa di Risparmio della Provincia di Macerata, établie à Macerata (Italie),
représentées par Mes S. Battini, B. Cimino et A. Sandulli, avvocati,
parties requérantes,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. I. Barcew, A. Bouchagiar, Mme D. Recchia et M. P. Stancanelli, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. M. Safjan, N. Piçarra, N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, les requérantes, Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro, Montani Antaldi Srl, Fondazione Cassa di Risparmio di Fano, Fondazione Cassa di Risparmio di Jesi, Fondazione Cassa di Risparmio della Provincia di Macerata, demandent l’annulation et/ou la réformation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 juin 2021, Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro e.a./Commission (T‑635/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:394), par lequel celui-ci a rejeté leur recours, fondé sur l’article 268 TFUE, tendant à obtenir réparation du préjudice matériel que lui aurait causé le comportement illégal de la Commission européenne en empêchant le sauvetage de Banca delle Marche, par le Fondo interbancario di tutela dei depositi (fonds interbancaire de protection des dépôts, ci–après le « FITD »).
Le cadre juridique
2 La directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), contient, notamment, les articles 36 et 59 qui sont respectivement consacrés à la « [v]alorisation aux fins de la résolution » et à l’« [o]bligation de déprécier ou de convertir les instruments de fonds propres ».
3 L’article 4 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), intitulé « Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission », dispose :
« 1. La Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception. Sans préjudice de l’article 10, elle prend une décision en application du paragraphe 2, 3 ou 4 du présent article.
[...]
5. Les décisions visées aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article sont prises dans un délai de deux mois. Celui-ci court à compter du jour suivant celui de la réception d’une notification complète. La notification est considérée comme complète si, dans les deux mois de sa réception ou de la réception de toute information additionnelle réclamée, la Commission ne réclame pas d’autres informations. Le délai peut être prorogé par accord mutuel entre la Commission et l’État membre concerné. Le cas échéant, la Commission peut fixer des délais plus courts.
[...] »
Les antécédents du litige
4 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 34 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la façon suivante.
5 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2019, les requérantes visaient à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, au motif que la Commission aurait empêché, par un comportement prétendument illégal, notamment par des pressions illicites exercées sur les autorités italiennes, en particulier sur la banque centrale de la République italienne, la Banca d’Italia (Banque d’Italie), le sauvetage de Banca delle Marche, dont les requérantes étaient actionnaires et titulaires d’obligations subordonnées, ce qui leur aurait occasionné un préjudice. Plus précisément, la Commission aurait empêché un tel sauvetage par le FITD, le système de garantie des dépôts italien sous forme d’un consortium de droit privé entre banques gérant des fonds propres, et aurait conduit les autorités italiennes, et notamment la Banque d’Italie, en sa qualité d’autorité nationale compétente, à entamer une procédure de résolution de Banca delle Marche au titre des règles de droit italien transposant la directive 2014/59.
6 Eu égard à la détérioration importante des conditions financières de Banca delle Marche, le 8 octobre 2013, la Banque d’Italie a proposé au Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie) de placer cette banque sous administration extraordinaire, en vertu des articles 70 et 98 du Testo Unico Bancario italiano (texte unique relatif aux banques), introduit par le decreto legislativo n. 385 (décret législatif no 385), du 1er septembre 1993 (supplément ordinaire no 92 à la GURI no 230, du 30 septembre 1993), en raison, notamment, de « dysfonctionnements et d’irrégularités [...] graves ».
7 Le 15 octobre 2013, Banca delle Marche a été placée sous administration extraordinaire. Les commissaires extraordinaires de Banca delle Marche ont procédé à une première tentative afin de résoudre la crise que traversait cette banque par une intervention de soutien de la part de Credito Fondiario SpA et du FITD, pour laquelle ce dernier avait demandé le 12 septembre 2014, et obtenu le 3 décembre 2014, l’autorisation de la Banque d’Italie. Toutefois, cette intervention n’a pas eu lieu en raison des difficultés rencontrées pour procéder à la recapitalisation de Banca delle Marche.
8 Le 10 octobre 2014, dans le cadre d’une phase d’examen préliminaire ouverte de sa propre initiative à l’égard des interventions de soutien envisagées par le FITD en faveur d’une autre banque italienne, Banca Tercas [SA.39451 (2014/CP)], et de Banca delle Marche [SA.39543 (2014/CP)], la Commission a adressé aux autorités italiennes une demande de renseignements en soulignant qu’il ne pouvait être exclu que lesdites interventions constituent des aides d’État.
9 Par une lettre du 18 décembre 2014, la Commission a indiqué aux autorités italiennes que l’intervention de soutien en faveur de Banca delle Marche proposée par le FITD était susceptible de constituer une aide d’État, de sorte qu’il serait approprié de lui notifier une telle intervention avant son approbation, conformément aux exigences de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
10 Le 27 février 2015, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen relative aux interventions de soutien du FITD en faveur de Banca Tercas [SA.39451 (2015/C) (ex 2015/NN)] (JO 2015, C 136, p. 17). Dans cette décision, elle a, notamment, considéré que ces interventions étaient constituées de ressources d’État et imputables à l’État italien.
11 Par lettre du 21 août 2015, la Commission a rappelé la possibilité que l’intervention en faveur de Banca delle Marche fût constitutive d’une aide d’État et a invité les autorités italiennes à renoncer à mettre en œuvre toute mesure du FITD avant sa notification et l’obtention d’une décision de sa part.
12 Le 8 octobre 2015, le FITD a fixé et approuvé les éléments clés d’une seconde tentative d’intervention de soutien consistant en une restructuration de Banca delle Marche et en une injection de capital à concurrence d’un montant de 1,2 milliard d’euros, « au moyen du financement qui [était] en cours de devenir effectif grâce à certaines banques membres du consortium ». Le FITD en a informé la Banque d’Italie par lettres des 9 et 15 octobre 2015. Il ressortirait de la lettre du 9 octobre 2015 que l’ensemble de cette opération était conditionné, notamment, par l’approbation par la Banque d’Italie d’une modification des statuts du FITD ainsi que par la mise en œuvre juridique de l’opération d’augmentation de capital.
13 Au mois d’octobre 2015, la Banque d’Italie a communiqué à la Commission une note intitulée « Un régime de solution pour le groupe Banca delle Marche », rappelant la situation comptable de ladite banque, le fait qu’elle avait été placée sous administration extraordinaire, l’échec de la première tentative de sauvetage ainsi que l’existence d’un plan de restructuration mandaté par le FITD. La Banque d’Italie en a conclu que, au 31 décembre 2015, le capital des actionnaires s’approcherait vraisemblablement de zéro, de sorte que la recapitalisation de la banque serait mise en œuvre, d’une part, par une réduction à zéro ou la conversion des créances subordonnées et, d’autre part, par une augmentation de capital à concurrence de 1,2 milliard d’euros par le FITD. À cette note étaient joints, notamment, la lettre du FITD du 9 octobre 2015 et le plan de restructuration.
14 Par lettre du 4 novembre 2015, les commissaires extraordinaires de Banca delle Marche ont signalé à la Banque d’Italie la situation imminente de cessation de paiement et indiqué qu’ils craignaient que son sauvetage ne pût intervenir en temps utile compte tenu de sa situation financière.
15 Le 16 novembre 2015, la République italienne a transposé en droit interne la directive 2014/59 par l’adoption du decreto legislativo n. 180/15 (décret législatif no 180/15) (GURI no 267, du 16 novembre 2015, p. 1), lequel ouvrait la possibilité de déléguer des fonctions de la Banque d’Italie à un système de garantie des dépôts, tel que le FITD.
16 Par lettre conjointe du 19 novembre 2015, les membres de la Commission M. Hill et Mme Vestager, qui étaient alors chargés, d’une part, de la stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés des capitaux et, d’autre part, de la concurrence ont notamment attiré l’attention des autorités italiennes sur le fait que l’utilisation d’un système de garantie des dépôts pour recapitaliser une banque, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149), était soumise à l’application des règles en matière d’aides d’État.
17 Le 21 novembre 2015, la Banque d’Italie a entamé une procédure de résolution, en vertu de l’article 32 du décret législatif no 180/15, à l’égard de Banca delle Marche.
18 Dans son « projet de résolution de Banca delle Marche », qu’elle a notifié à la Commission dès le 20 novembre 2015, la Banque d’Italie a, notamment, relevé le fait qu’une recapitalisation de Banca delle Marche par le FITD n’avait pas pu avoir lieu, en l’absence d’« évaluation positive préalable de la part de la Commission [...] sur la compatibilité de [cette opération] avec les règles [de l’Union] en matière d’aides d’État ». La Banque d’Italie a constaté le caractère défaillant de Banca delle Marche et relevé que, durant la procédure d’administration extraordinaire, il n’avait pas été possible d’obtenir sur le marché des ressources susceptibles de résoudre la situation de crise que connaissait Banca delle Marche. De même, l’intervention du FITD en sa faveur se serait avérée impraticable et non adaptée à l’exigence d’une résolution rapide de la crise. En effet, dès lors que la Commission attribuait un caractère public aux interventions des systèmes de garantie, il aurait été indispensable d’obtenir de cette dernière une décision attestant la compatibilité de l’intervention envisagée avec les règles de l’Union en matière d’aides d’État. Cette opération aurait été soumise à la Commission, mais n’aurait pas pu être réalisée en l’absence d’évaluation positive préalable de cette dernière.
19 La résolution de Banca delle Marche, telle qu’ordonnée par la Banque d’Italie, consistait dans le transfert des actifs et des passifs de cette banque à une banque-relais nouvellement créée, à savoir Nuova Banca delle Marche SpA, dont le capital avait été souscrit par le fonds de résolution nouvellement créé au moyen de contributions du secteur bancaire, afin de permettre le maintien de ses activités essentielles jusqu’à sa vente dans le cadre d’une procédure ouverte et non discriminatoire.
20 Au terme d’une phase d’examen préliminaire, la Commission a adopté, le 22 novembre 2015, la décision C(2015) 8371 final sur l’aide d’État SA.39543 (2015/N) mise en œuvre par l’Italie – Aide à la résolution de Banca delle Marche. Dans cette décision, la Commission n’a pas soulevé d’objections contre les mesures d’aide envisagées dans le cadre de la résolution de Banca delle Marche, au motif qu’elles étaient compatibles avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. À cette date, le solde des fonds propres de Banca delle Marche était négatif d’un montant de 1,412 milliard d’euros.
21 Le 9 décembre 2015, le chef du département de surveillance de la Banque d’Italie a notamment déclaré, lors de son audition par la commission des finances de la Camera dei deputati (Chambre des députés, Italie) que l’intervention du FITD avait permis, avec les ressources apportées par d’autres banques, de jeter les bases d’une sortie de crise sans sacrifier aucunement les créanciers. Néanmoins, cette solution n’a pas été jugée possible, « compte tenu de l’opinion préconçue – que nous ne partagions pas – manifestée par les services de la Commission [...], qui estimaient qu’il convenait d’assimiler les interventions du [FITD] à des aides d’État ». En effet, « [e]n Italie, les systèmes de garantie sont des entités privées ; leurs interventions alternatives au remboursement des déposants sont décidées de façon autonome et financées par des ressources tout aussi privées ».
22 Le 23 décembre 2015, la Commission a adopté la décision (UE) 2016/1208, concernant l’aide d’État SA.39451 (2015/C) (ex 2015/NN) mise à exécution par l’Italie en faveur de Banca Tercas (JO 2016, L 203, p. 1, ci-après la « décision relative à Banca Tercas »). Cette décision qualifiait les interventions du FITD en faveur de cette banque d’« aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur » et ordonnait sa récupération.
23 Dans une note publiée sur son site Internet, le 25 mars 2016, intitulée « La crise de Banca delle Marche », la Banque d’Italie a rappelé, en substance, notamment, que, au mois d’octobre 2014, la Commission avait communiqué aux autorités italiennes une demande de renseignements concernant les interventions envisagées du FITD en faveur de Banca Tercas et de Banca delle Marche, eu égard à la possibilité que celles-ci constituent des aides d’État. Aussi aurait-il été indispensable d’obtenir l’autorisation préalable de la Commission en ce qui concernait l’intervention du FITD, faute de quoi la mise à exécution de telles interventions aurait entraîné l’ouverture formelle d’un contentieux avec la Commission, avec tous les effets négatifs immédiats que cela aurait produits. Or, les services de la Commission auraient maintenu leur refus concernant cette intervention. Cette attitude aurait été officiellement confirmée au plus haut niveau dans la lettre des membres de la Commission, M. Hill et Mme Vestager, du 19 novembre 2015.
24 Par arrêt du 30 décembre 2016 (affaire no 12884/2016), à la suite d’un recours formé par les requérantes contre la Banque d’Italie et le ministère de l’Économie et des Finances tendant à l’annulation des mesures de résolution prises à l’égard de Banca delle Marche et à la réparation des préjudices occasionnés par cette résolution, le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) a rejeté les demandes des requérantes.
25 Au cours de l’année 2017, lorsque la banque-relais a été vendue, une nouvelle aide d’État, consistant notamment en une recapitalisation de 556 millions d’euros provenant du fonds de résolution, a été nécessaire et le prix de vente a été fixé à un euro symbolique.
26 Par arrêt du 22 janvier 2019 (affaire no 00550/2019), le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) a rejeté le pourvoi des requérantes contre l’arrêt du Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium).
27 Par arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a./Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167), le Tribunal a annulé la décision relative à Banca Tercas.
28 À la suite d’une demande de révision introduite par les requérantes, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a, par ordonnance du 7 octobre 2019 (affaire no 03465/2019), suspendu la procédure de révision de son arrêt visé au point 26 du présent arrêt jusqu’à ce que la Cour prononce sa décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑425/19 P.
29 Par ordonnance du président de la Cour du 13 novembre 2019, Commission/Italie e.a. (C‑425/19 P, non publiée, EU:C:2019:980), celui-ci a rejeté la demande d’intervention des requérantes au soutien des conclusions des parties requérantes en première instance au motif qu’elles ne justifiaient pas d’un intérêt à la solution du litige dans l’affaire C‑425/19 P, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
30 Par arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a. (C‑425/19 P, EU:C:2021:154), la Cour a rejeté le pourvoi de la Commission contre l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a./Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167).
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
31 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2019, les requérantes ont introduit un recours tendant à obtenir réparation du préjudice matériel qu’elles auraient subi du fait du comportement illégal de la Commission, laquelle aurait empêché la recapitalisation de Banca delle Marche, en communiquant aux autorités italiennes des instructions illégales. Les requérantes demandaient également au Tribunal d’ordonner à la Commission, au titre de l’article 91 de son règlement de procédure, de produire l’ensemble du dossier administratif lié à l’affaire « Banca delle Marche (SA.39543 2014/CP) », y compris tous les « documents confidentiels » énoncés dans le mémoire en défense de la Commission, afin de garantir le respect de leurs droits de la défense et du principe du contradictoire, conformément aux dispositions de l’article 103 du règlement de procédure du Tribunal. Les requérantes concluaient à la condamnation de la Commission aux dépens.
32 Aux points 51 à 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait méconnu la notion d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en estimant que, nonobstant le caractère privé des interventions du FITD, celles-ci constituaient des mesures imputables à l’État italien et comportant des ressources d’État. Le Tribunal a en effet constaté que les lettres de la Commission des 10 octobre 2014, 18 décembre 2014 et 21 août 2015, ainsi que la lettre du 19 novembre 2015, signée par les commissaires européens M. Hill et Mme Vestager (ci-après, ensemble, les « quatre lettres litigieuses ») ne contenaient aucune appréciation juridique au regard des critères de la notion d’« aide ». La Commission s’y serait en effet bornée à souligner qu’il ne saurait être exclu que l’intervention envisagée du FITD au soutien de Banca delle Marche constitue une aide d’État, de sorte qu’il serait approprié de lui notifier cette intervention, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, avant qu’elle ne soit autorisée par la Banque d’Italie.
33 Le Tribunal en a conclu, au point 56 de l’arrêt attaqué, que les quatre lettres litigieuses, qui étaient intervenues avant l’engagement de la procédure de résolution de Banca delle Marche n’avaient qu’un caractère procédural, en ce qu’elles rappelaient aux autorités italiennes la nécessité de procéder à une notification préalable et de ne pas mettre en œuvre de possibles mesures d’aides. En outre, ces lettres ne s’exprimeraient pas sur une mesure concrète, puisqu’aucune mesure n’avait encore été clairement définie ou notifiée.
34 Aux points 57, 58 et 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que, en dépit des éléments de preuve apportés par la Banque d’Italie, établissant que les services de la Commission avaient estimé que les interventions du FITD en faveur d’une banque défaillante étaient susceptibles de constituer des aides d’État, les requérantes n’avaient pas démontré que la Commission avait menacé les autorités italiennes de bloquer ou d’interdire d’éventuelles interventions du FITD en faveur de Banca delle Marche au regard de l’article 107 TFUE ou qu’elle avait exercé des pressions à ce sujet.
35 Partant, la Banque d’Italie ainsi que le ministère de l’Économie et des Finances auraient adopté la décision d’entamer la résolution de Banca delle Marche de manière autonome, dans l’exercice de leurs compétences propres et de leur marge d’appréciation, sans avoir été influencés de manière décisive par l’attitude de la Commission. Leur constat de la défaillance de cette banque aurait ainsi constitué la cause déterminante de sa résolution.
36 Aux points 59 et 65 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la circonstance que la Commission avait considéré que l’intervention du FITD en faveur de Banca Tercas constituait une aide d’État n’impliquait pas nécessairement que l’intervention de ce fonds au soutien de Banca delle Marche devait recevoir la même qualification.
37 Le Tribunal a, par ailleurs, souligné, aux points 59 à 62 de l’arrêt attaqué, que l’échec d’un financement des mesures de soutien à Banca delle Marche via un appel au secteur privé ne permettait pas à la Commission de savoir avec suffisamment de précision si l’intervention du FITD au soutien de Banca delle Marche était susceptible de constituer une aide d’État. La Banque d’Italie aurait également souligné que l’intervention de ce fonds s’était avérée impraticable et inadaptée à l’exigence d’une résolution rapide de la crise, indépendamment de l’éventuel besoin de la notifier préalablement à la Commission, au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
38 À cet égard, le Tribunal a, en particulier, relevé que, dans une lettre du 4 novembre 2015, les commissaires extraordinaires de Banca delle Marche avaient signalé la situation imminente de cessation de paiement de celle-ci à la Banque d’Italie et indiqué qu’ils craignaient que son sauvetage ne pût intervenir en temps utile compte tenu de sa situation financière. Dès lors, l’exigence de cette autorisation préalable de la Commission constituait, certes, un aspect supplémentaire allant à l’encontre d’une résolution rapide, mais, eu égard au caractère encore incomplet du projet d’intervention du FITD en faveur de Banca delle Marche, il n’aurait pas été déterminant en lui-même pour la décision de résolution finalement adoptée par ces autorités.
39 En outre, le Tribunal a considéré que, contrairement à ce que prétendait la Banque d’Italie, la soumission à la Commission de la note intitulée « Un régime de solution pour le groupe Banca delle Marche » ne pouvait être assimilée à une notification formelle d’un projet d’intervention ferme et concret qui aurait pu faire l’objet d’une interdiction ou d’une autorisation de la part de celle-ci.
40 Au point 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que les requérantes ne sauraient se fonder ni sur le témoignage du collaborateur de la Banque d’Italie ni sur la note de cette dernière, relative à la crise de Banca delle Marche, pour établir notamment un prétendu refus de la Commission d’accepter une recapitalisation de cette banque par le FITD. Le Tribunal a, en effet, relevé que ces documents avaient été établis longtemps après la décision de résolution de Banca delle Marche et à un moment où, notamment, la Banque d’Italie était déjà exposée à des recours indemnitaires formés par les requérantes devant les juridictions italiennes.
41 De manière peu cohérente, ladite note omettrait de rappeler l’importance de la situation de crise que traversait Banca delle Marche. En tout état de cause, il n’apparaît pas plausible, selon le Tribunal, que la nécessité de notifier à la Commission une telle mesure d’intervention du FITD, non encore suffisamment précisée dans son contenu et dans ses modalités, en particulier s’agissant du pourcentage et du mode de participation de ses membres, ni décidée par les organes internes du FITD et par les autorités compétentes, aurait à elle seule empêché le sauvetage de Banca delle Marche, comme cela transparaît d’une partie dudit témoignage.
42 Le Tribunal a également jugé, au point 64 de l’arrêt attaqué, que son interprétation était partagée par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) et le Consiglio di Stato (Conseil d’État) respectivement dans leurs arrêts du 30 décembre 2016 (affaire no 12884/2016) et du 22 janvier 2019 (affaire no 00550/2019).
43 En outre, au point 66 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que le président de la Cour a, dans son ordonnance du 13 novembre 2019, Commission/Italie e.a. (C‑425/19 P, non publiée, EU:C:2019:980, points 17 à 21), rejeté la demande d’intervention des requérantes au soutien des conclusions des parties demanderesses en première instance au motif que celles-ci ne justifiaient pas d’un intérêt à la solution du litige dans l’affaire C‑425/19 P, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, le président de la Cour aurait estimé, notamment, que ces requérantes n’avaient pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre, d’une part, la position adoptée par la Commission dans la décision relative à Banca Tercas, voire l’ouverture de la procédure ayant abouti à l’adoption de cette décision, et, d’autre part, la résolution de Banca delle Marche.
44 Au point 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les allégations des requérantes selon lesquelles le comportement de la Commission aurait été la cause effective et exclusive du préjudice subi par elles. En effet, selon le Tribunal, eu égard à l’ensemble des éléments de preuve considérés, il y avait lieu de constater que, même si le comportement de la Commission avait joué un certain rôle dans le processus d’instruction ayant amené les autorités italiennes à décider la résolution de la Banca delle Marche, la décision du 21 novembre 2015 d’entamer la procédure de résolution de cette banque demeurait autonome et essentiellement fondée sur leur constat de la défaillance de cette banque, ce qui constituait la cause déterminante de cette résolution, au sens de la jurisprudence de la Cour.
45 Aux points 68 et 69 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que les requérantes n’avaient pas démontré à suffisance de droit la plausibilité de l’hypothèse contrefactuelle selon laquelle, en l’absence du comportement prétendument illégal de la Commission, le FITD, avec l’accord des autorités italiennes et, en particulier, de la Banque d’Italie, aurait effectivement été en mesure de procéder au sauvetage de Banca delle Marche au mois de novembre 2015. Ce faisant, elles n’auraient pas établi l’existence d’un lien de causalité entre le comportement prétendument illégal de la Commission et le préjudice allégué, de sorte que les conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union ne seraient pas réunies.
46 Au point 70 de l’arrêt attaqué, s’estimant suffisamment éclairé par les éléments versés au dossier pour statuer sur le litige, le Tribunal a rejeté la demande de mesure d’instruction des requérantes relative à l’ensemble du dossier administratif lié à l’affaire « Banca delle Marche (SA.39543 2014/CP) ».
47 Au point 71 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu au rejet du recours tout en estimant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, compte tenu de leur caractère cumulatif.
Les conclusions des parties
48 Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– d’établir et de constater l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Commission pour avoir empêché, par des instructions illégales communiquées aux autorités italiennes, la recapitalisation de Banca delle Marche par le FITD ;
– de condamner la Commission à la réparation des dommages causés aux parties requérantes, évalués selon les critères énoncés dans le pourvoi ou à hauteur du montant qui sera considéré par la Cour comme étant équitable ;
– ou, en tout état de cause, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal aux fins de l’examen des autres moyens de recours présentés en première instance, et
– de condamner la Commission aux dépens exposés dans le cadre des deux niveaux d’instance.
49 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi en ce qu’il est partiellement irrecevable et/ou inopérant et, en tout état de cause, totalement infondé ;
– à titre subsidiaire, de rejeter la demande en réparation comme étant totalement infondée, et
– de condamner les requérantes en cassation aux dépens de l’instance.
Sur le pourvoi
50 À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent deux moyens. Le premier est tiré d’une dénaturation et d’un travestissement manifestes des faits et des éléments de preuve recueillis dans le cadre de la procédure de première instance, du défaut d’examen d’un élément de fait décisif et du caractère illogique et erroné de la motivation. Le second moyen est pris d’une violation et/ou d’une application erronée de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.
Sur le premier moyen
Sur la première branche du premier moyen
– Argumentation des parties
51 Dans le cadre de la première branche de leur premier moyen de pourvoi, dirigé contre les points 51 à 71 de l’arrêt attaqué, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir « dénaturé » les faits et les éléments de preuve obtenus au cours de l’instance. Le Tribunal aurait rejeté leur argument selon lequel, en substance, les prises de position de la Commission qui ont conduit à l’adoption de la décision de résolution de Banca delle Marche résultent d’une dénaturation de la notion d’« aides d’État », en ce que la Commission a estimé à tort que, malgré leur caractère privé, les interventions du FITD constituaient des mesures imputables à l’État italien, impliquant des ressources d’État.
52 En premier lieu, les requérantes contestent le raisonnement du Tribunal, exposé au point 56 de l’arrêt attaqué. Il serait en effet erroné d’affirmer, d’une part, que les quatre lettres litigieuses, « intervenues avant l’engagement de la procédure de résolution de Banca delle Marche, n’avaient qu’un caractère procédural, rappelant aux autorités italiennes la nécessité de notifier préalablement et de ne pas mettre en œuvre de possibles mesures d’aides en faveur notamment de cette banque » et, d’autre part, que « [c]es prises de position ne s’exprimaient pas sur une mesure concrète, puisqu’aucune mesure n’avait encore été clairement définie ou notifiée, ni sur la manière précise dont la Commission interpréterait la notion d’aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE à ce propos ».
53 Premièrement, le 10 octobre 2014, la Commission aurait adressé aux autorités italiennes une demande de renseignements, soulignant qu’il ne pouvait être exclu que les interventions envisagées par le FITD en faveur de Banca Tercas et de Banca delle Marche constituaient des aides d’État. De même, dans la lettre du 18 décembre 2014, ayant spécifiquement pour objet la procédure « SA.39543 (2014/CP) – Banca delle Marche », la Commission aurait réitéré au directeur général du Trésor italien que, « [c]onformément aux règles applicables en matière d’aides d’État, telles que définies dans la communication [de la Commission concernant l’application, à partir du 1er août 2013, des règles en matière d’aides d’État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (“Communication concernant le secteur bancaire”) (JO 2013, C 216, p. 1)] [...], le recours aux systèmes obligatoires de garantie des dépôts afin de soutenir la restructuration des établissements de crédit peut constituer une aide d’État. [...] Si la Banque d’Italie envisageait d’autoriser une mesure de ce type, il conviendrait que [la République italienne] notifie la mesure avant que celle-ci ne soit approuvée, conformément aux dispositions de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. »
54 Dans la lettre du 21 août 2015, le directeur général de la direction générale de la concurrence de la Commission aurait encore rappelé au directeur général du Trésor italien que, « conformément aux règles applicables en matière d’aides d’État figurant dans la communication [concernant] le secteur bancaire [...], l’utilisation de systèmes obligatoires de garantie des dépôts aux fins de la restructuration d’établissements de crédit peut constituer une aide d’État, si bien qu’il y a lieu de notifier au préalable la Commission et de se conformer à l’obligation de standstill. [...] Nous avions déjà également clarifié ce point dans la décision d’ouverture de la Commission dans l’affaire SA.39451 relative à l’aide d’État à Banca Tercas ». S’agissant de Banca delle Marche, il aurait été conclu que, « en tout état de cause, il y avait lieu de renoncer à accorder toute mesure du FITD sans avoir obtenu une décision de la Commission consécutive à une notification de la part des autorités ».
55 Ce faisant, il ne saurait être prétendu que les quatre lettres litigieuses « ne contiennent aucune appréciation juridique au regard des critères de la notion d’aide », contrairement à ce qu’a affirmé le Tribunal au point 51 de l’arrêt attaqué.
56 Deuxièmement, la demande de la Commission faite aux autorités italiennes de notifier préalablement toute éventuelle mesure de soutien du FITD en faveur de Banca delle Marche serait illégale dès lors que l’intervention envisagée ne constitue pas une aide d’État. En effet, il aurait été manifeste que l’intervention du FITD n’était en aucune manière imputable à l’État italien, ce que le Tribunal aurait jugé dans l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167).
57 Troisièmement, les requérantes arguent que les prises de position de la Commission se réfèrent à une mesure de sauvetage concrète de Banca delle Marche, l’intervention de soutien du FITD ayant été définitivement arrêtée dans tous ses détails dès le mois d’octobre 2015. Il résulterait ainsi de la note intitulée « A solution scheme for Banca delle Marche group », envoyée au mois d’octobre 2015 par la Banque d’Italie à la Commission, que, lors de sa réunion du 8 octobre 2015, le Conseil du FITD aurait décidé d’intervenir au soutien de Banca delle Marche au moyen d’une injection de capital à concurrence d’un montant de 1,2 milliard d’euros. Le lendemain, le FITD aurait communiqué formellement à la Banque d’Italie son « Intervention de soutien en faveur de Banca delle Marche ».
58 Le 13 octobre 2015, la Banque d’Italie aurait transmis, par un document confidentiel, le projet de sauvetage du FITD à la Commission, en faisant valoir que, « [c]ompte tenu de la situation technique fragile de [Banca delle Marche], il est de la plus haute importance de recevoir en temps utile un retour d’information sur la compatibilité de ce plan avec le régime des aides d’État, conformément au cadre constitué par la [directive 2014/59]. La mise en œuvre du plan nécessitera plusieurs démarches administratives qui pourraient être achevées seulement après l’évaluation de la Commission [...], mais qui doivent être entreprises rapidement ». Ce sauvetage « guidé » et « partagé » avec la Banque d’Italie aurait ainsi pu être réalisé dans un délai très bref, avant la fin du mois de novembre 2015.
59 L’ensemble des institutions italiennes estimeraient que la seule raison ayant empêché le sauvetage de Banca delle Marche aux mois d’octobre et de novembre 2015 par le FITD aurait été l’opposition de la Commission.
60 Quatrièmement, l’ouverture d’une procédure formelle d’examen dès le mois d’octobre 2014 serait inexplicable si l’intervention du FITD au soutien de Banca delle Marche ne constituait pas, selon la Commission, une « aide d’État ».
61 En deuxième lieu, les requérantes contestent le point 58 de l’arrêt attaqué, selon lequel elles n’auraient pas prouvé que, juste avant que la Banque d’Italie et le ministère de l’Économie et des Finances n’adoptent la décision d’entamer la résolution de Banca delle Marche, la Commission avait menacé les autorités italiennes de bloquer ou d’interdire d’éventuelles interventions du FITD en faveur de cette banque au regard de l’article 107 TFUE ou qu’elle avait exercé des pressions à ce sujet.
62 Pourtant, dans la lettre du 19 novembre 2015, les commissaires européens M. Hill et Mme Vestager auraient expressément entendu « préciser la position de la Commission concernant l’utilisation de systèmes de garantie des dépôts aux fins de la recapitalisation des établissements de crédit ». Ainsi, contrairement à ce qu’a estimé le Tribunal, les deux commissaires ne se seraient pas limités à fournir leur interprétation personnelle des obligations conjointes imposées par les directives 2014/49 et 2014/59 ainsi que par le droit de l’Union relatif aux aides d’État, mais auraient exprimé la position officielle de la Commission.
63 En troisième lieu, les requérantes critiquent l’affirmation, contenue au point 60 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Banque d’Italie a « souligné que l’intervention du FITD s’était avérée impraticable et non adaptée à l’exigence d’une résolution rapide de la crise ». En effet, la Banque d’Italie aurait simplement précisé que la recapitalisation de Banca delle Marche par le FITD n’aurait pu intervenir sans « une appréciation préalable positive de la part de la Commission [...] quant à la compatibilité [de cette opération] avec la réglementation [de l’Union] en matière d’aides d’État ».
64 En quatrième lieu, les requérantes allèguent que, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a mal interprété le contenu de la lettre du 4 novembre 2015 par laquelle « les commissaires extraordinaires de Banca delle Marche ont signalé à la Banque d’Italie la situation imminente de cessation de paiement et ont indiqué qu’ils craignaient que son sauvetage ne pût intervenir en temps utile compte tenu de sa situation financière ».
65 En effet, seulement un mois auparavant, par courrier du 2 octobre 2015, les commissaires extraordinaires de Banca delle Marche avaient formellement demandé l’intervention du FITD et souligné que les effets de l’éventuelle recapitalisation, combinée à d’autres mesures de restructuration extraordinaire, permettraient le retour à une situation de profit au cours de l’année 2019. Lors de la réunion du 8 octobre 2015, le conseil du FITD aurait pris la décision d’intervenir au soutien de Banca delle Marche et aurait communiqué formellement cette décision à la Banque d’Italie le 9 octobre 2015. Le 13 octobre 2015, cette dernière aurait approuvé une extension de deux mois de l’administration extraordinaire de la banque, afin de réaliser l’intervention proposée par le FITD, et aurait immédiatement transmis, dans un document confidentiel, le projet de sauvetage à la Commission.
66 La Banque d’Italie aurait alors indiqué que, « eu égard à la faiblesse de la situation technique de Banca delle Marche, il est crucial que vous nous fassiez parvenir un retour rapide au sujet de la compatibilité de ces mesures avec le régime en matière d’aides d’État, conformément au cadre de la [directive 2014/59]. La mise en œuvre du plan nécessitera plusieurs actions administratives qui ne pourront être accomplies qu’après l’appréciation de la Commission [...], mais qui doivent débuter rapidement ».
67 Ce serait donc à la suite du silence ou du refus implicite de la Commission que, dans la lettre du 4 novembre 2015, les commissaires extraordinaires de Banca delle Marche se sont limités à signaler à la Banque d’Italie l’urgence du plan de sauvetage par le FITD, ce plan étant encore considéré comme étant faisable et de nature à résoudre définitivement la crise.
68 En cinquième lieu, les requérantes considèrent que, contrairement à ce qui est indiqué au point 63 de l’arrêt attaqué, le témoignage du collaborateur de la Banque d’Italie devant la chambre des députés aurait eu lieu le 9 décembre 2015, à un moment où aucun recours indemnitaire n’avait encore été formé à l’échelle nationale.
69 En sixième lieu, les requérantes allèguent, à l’encontre des points 65 et 66 de l’arrêt attaqué, que le lien étroit entre l’affaire relative à Banca delle Marche et celle concernant Banca Tercas est démontré par le dossier de la Commission et ne saurait être démenti par le refus opposé par le président de la Cour à la demande d’intervention présentée par les requérantes dans la procédure de pourvoi introduite par la Commission contre l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167).
70 En effet, cette demande d’intervention aurait été rejetée conformément à l’article 40, paragraphe 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en application de critères rigides de recevabilité des interventions de tierces personnes dans les procédures se déroulant devant la Cour et, en aucun cas, du fait de l’absence de lien entre les deux affaires (ordonnance du président de la Cour du 13 novembre 2019, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, non publiée, EU:C:2019:980, points 10 à 13 et 17 à 22).
71 La Commission estime que le premier moyen est irrecevable et, en tout état de cause, pour partie, inopérant et, pour partie, infondé.
– Appréciation de la Cour
72 Par la première branche de leur premier moyen, qui est dirigée contre les points 51, 56, 58, 60, 62, 63 ainsi que 66 de l’arrêt attaqué, les requérantes soutiennent en substance, en premier lieu, que la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission a qualifié d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’intervention de soutien en faveur de Banca delle Marche envisagée par le FITD procède d’une dénaturation des faits et des éléments de preuve soumis au Tribunal.
73 Conformément à une jurisprudence constante, l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise comme telle au contrôle de la Cour. Une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée ou manifestement contraire à leur libellé. Toutefois, cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Par ailleurs, lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, il doit indiquer de manière précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui‑ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (arrêts du 3 décembre 2015, Italie/Commission, C‑280/14 P, EU:C:2015:792, points 51 et 52 ainsi que jurisprudence citée, et du 28 octobre 2021, Vialto Consulting/Commission, C‑650/19 P, EU:C:2021:879, points 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée).
74 En l’espèce, les requérantes se bornent à critiquer brièvement le raisonnement du Tribunal sans établir que ce raisonnement repose sur une dénaturation des éléments de preuve soumis au Tribunal. En effet, dans aucune des quatre lettres litigieuses, la Commission n’a qualifié d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, l’intervention envisagée du FITD au soutien de Banca delle Marche. Les requérantes n’ont avancé aucun argument susceptible de mettre en évidence une inexactitude matérielle dans la lecture que le Tribunal a faite de ces lettres. Elles n’ont pas justifié non plus l’interprétation qu’elles proposent desdites lettres ni démontré une dénaturation de leur contenu par le Tribunal (voir, par analogie, arrêts du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, EU:C:2011:62, points 54 et 55, ainsi que du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 155). Cette argumentation doit donc être rejetée comme étant non fondée.
75 En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation des requérantes se rapportant au point 58 de l’arrêt attaqué, il suffit de constater qu’elle vise en réalité à obtenir une nouvelle appréciation des faits sans qu’une dénaturation ne soit invoquée. Le Tribunal étant seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve (voir, par exemple, arrêts du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 47, ainsi que du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 93), une telle argumentation doit être rejetée comme étant irrecevable.
76 En troisième lieu, l’argument soulevé à l’égard du point 60 de l’arrêt attaqué doit être déclaré irrecevable, en ce qu’il se borne à affirmer, en termes non étayés, que l’« [o]n ne saurait non plus complètement travestir le contenu de la valorisation provisoire réalisée par la Banque d’Italie à l’origine de l’engagement de la procédure de résolution » de Banca delle Marche. En effet, les requérantes n’expliquent pas, avec la clarté et la précision requise, en quoi le Tribunal aurait dénaturé l’analyse effectuée par la Banque d’Italie.
77 En quatrième lieu, s’agissant des arguments des requérantes visant le point 62 de l’arrêt attaqué, il convient de relever que les requérantes n’ont nullement prouvé que le Tribunal avait dénaturé le contenu de la lettre du 4 novembre 2015. En effet, ainsi que le soutient la Commission, les requérantes n’ont pas démontré que le Tribunal a outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable des éléments factuels qui lui ont été soumis ni même précisé les conséquences juridiques de la prétendue interprétation erronée du Tribunal. En particulier, dans leur mémoire en réplique, les requérantes n’ont pas répondu à l’argument exposé par la Commission dans son mémoire en réponse, selon lequel la lettre des commissaires extraordinaires de Banca delle Marche à la Banque d’Italie du 4 novembre 2015 indique expressément que « le FITD n’a pas encore donné de réponse positive à l’“alerte en matière de liquidité” », que « le projet de “sauvetage” de la banque [...] par le FITD [...] pourrait [...] être mis en œuvre selon un calendrier incompatible avec la “situation d’urgence” signalée » et que « l’hypothèse selon laquelle une nouvelle dégradation de la situation de liquidité [...] pouvait se produire dans les 10 prochains jours » était vraisemblable.
78 Il convient, par conséquent, de considérer comme n’étant pas fondé l’argument dirigé contre le point 62 de l’arrêt attaqué.
79 En cinquième lieu, les requérantes allèguent que, contrairement à ce qui est indiqué au point 63 de l’arrêt attaqué, le témoignage du collaborateur de la Banque d’Italie devant la chambre des députés aurait eu lieu le 9 décembre 2015, à un moment où aucun recours indemnitaire n’avait encore été formé à l’échelle nationale.
80 Il convient de constater que cet argument est inopérant. En effet, que le témoignage du collaborateur de la Banque d’Italie devant la chambre des députés ait eu lieu avant ou après l’introduction de recours indemnitaires devant les juridictions italiennes ne saurait avoir d’incidence sur le dispositif de l’arrêt attaqué. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un moyen dirigé contre des motifs d’un arrêt attaqué qui sont sans influence sur le dispositif de celui-ci est inopérant et doit, dès lors, être rejeté (voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 1993, Parlement/Frederiksen, C‑35/92 P, EU:C:1993:104, point 31 ; du 22 décembre 2022, BEI/KL, C‑68/22 P, EU:C:2022:1029, point 62, ainsi que ordonnance du 28 octobre 2004, Commission/CMA CGM e.a., C‑236/03 P, non publiée, EU:C:2004:679, point 26).
81 En sixième lieu, les requérantes allèguent que le lien étroit existant entre l’affaire relative à Banca delle Marche et celle concernant Banca Tercas est démontré par le dossier de la Commission et ne saurait être démenti par le refus opposé par le président de la Cour à la demande d’intervention présentée par les requérantes dans la procédure de pourvoi introduite par la Commission contre l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167).
82 Il apparaît toutefois que cet argument dirigé contre le point 66 de l’arrêt attaqué se borne à expliquer la position adoptée par le président de la Cour dans son ordonnance du 13 novembre 2019, Commission/Italie e.a. (C‑425/19 P, non publiée, EU:C:2019:980). En effet, s’il est vrai que la demande d’intervention a été rejetée dans cette ordonnance sur le fondement de l’article 40, paragraphe 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, il n’en reste pas moins que le président de la Cour a pris position, aux fins d’établir l’existence d’un intérêt des demanderesses à la solution du litige, sur le lien existant entre l’affaire relative à Banca delle Marche et celle concernant Banca Tercas, dès lors que, au regard de l’argumentation de ces demanderesses, il lui incombait de vérifier, ainsi que cela ressort du point 21 de ladite ordonnance, si la décision litigieuse dans l’affaire C‑425/19 P avait eu une incidence sur l’ensemble du système de crédit italien. Dès lors, le Tribunal a pu valablement tirer les conséquences de la même ordonnance au point 66 de l’arrêt attaqué.
83 En tout état de cause, il convient de rappeler que l’illégalité d’un acte ou d’un comportement pouvant engager la responsabilité non contractuelle de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait existant au moment de l’adoption de cet acte ou de ce comportement (arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 39). Or, ce n’est qu’à la date du prononcé de l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a./Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167), et même lors du rejet du pourvoi formé contre cet arrêt, à savoir lors du prononcé de l’arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a. (C‑425/19 P, EU:C:2021:154), qu’il a été établi que l’appréciation portée par la Commission sur l’intervention du FITD en faveur de Banca Tercas était entachée d’illégalité. Partant, dans la présente affaire, à la date de leur adoption, les quatre lettres litigieuses ne pouvaient être considérées, nonobstant le lien existant avec l’affaire relative à Banca Tercas, comme étant entachées d’illégalité.
84 Par conséquent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen soulevé par les requérantes à l’appui de leur pourvoi.
Sur la seconde branche du premier moyen
– Argumentation des parties
85 Par la seconde branche du premier moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en examinant et en appréciant de manière isolée les éléments de preuve qu’elles ont fournis et en faisant abstraction du contexte global dans lequel ils s’inscrivaient. En procédant ainsi, le Tribunal se serait écarté de la jurisprudence de la Cour selon laquelle la valeur probatoire des indices doit être appréciée en les considérant dans leur ensemble, même si, pris individuellement et hors contexte, ils ne sont pas nécessairement déterminants.
86 Toutes les institutions nationales impliquées dans la présente affaire auraient officiellement rapporté une opposition active et insurmontable de la Commission à toute forme d’intervention du FITD. Ainsi il ne pourrait être soutenu que les autorités italiennes sont demeurées libres de s’autodéterminer, comme le Tribunal l’a indiqué au point 67 de l’arrêt attaqué. Il serait, en effet, patent que si la Banque d’Italie avait autorisé l’opération du FITD, la Commission aurait immédiatement ouvert une procédure d’infraction, compromettant, de ce seul fait, le sauvetage de Banca delle Marche. Ainsi que l’aurait souligné la Banque d’Italie, ce risque juridique a découragé tout investisseur.
87 En outre, conformément aux normes comptables, il aurait été nécessaire de prévoir une « provision pour risques » équivalente au montant du financement effectué par le FITD, ce qui en aurait annihilé les effets bénéfiques. Aussi aurait-il été indispensable d’obtenir l’assentiment préalable de la Commission. Dans son arrêt du 30 décembre 2016, le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) aurait d’ailleurs reconnu que la décision adoptée par la Banque d’Italie ainsi que par le ministère de l’Économie et des Finances d’entamer la résolution de Banca delle Marche avait été conditionnée par les risques d’une procédure d’infraction dont la Commission brandissait la menace, démentant ainsi le point 64 de l’arrêt attaqué.
88 De même, l’allégation de la Commission selon laquelle celle-ci s’était limitée à demander une « notification préalable » de l’opération constituerait un véritable « piège procédural », dans la mesure où, sitôt cette notification effectuée, la Commission aurait bloqué l’opération en la qualifiant d’« aides d’État ».
89 Enfin, la thèse avancée par le Tribunal, au point 65 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la résolution de Banca delle Marche n’aurait pas dépendu de la décision de la Commission s’agissant de Banca Tercas, méconnaîtrait l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167, point 55). En effet, dans cet arrêt, le Tribunal aurait reconnu que la décision de la Commission n’avait pas seulement fait obstacle au soutien du FITD à l’égard de Banca Tercas, mais qu’elle avait, plus largement, exclu la possibilité d’interventions supplémentaires futures pour d’autres établissements de crédit, dont Banca delle Marche.
90 La Commission demande à la Cour de déclarer la seconde branche du premier moyen irrecevable au motif qu’elle n’identifie pas clairement les points de l’arrêt attaqué prétendument entachés d’une faute ni les arguments avancés à son soutien. En tout état de cause, cette branche devrait être déclarée non fondée, dans la mesure où les requérantes n’ont nullement démontré que le Tribunal avait commis une erreur de droit.
– Appréciation de la Cour
91 Par la seconde branche de leur premier moyen, les requérantes contestent les points 64, 65 et 67 de l’arrêt attaqué.
92 En premier lieu, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne se livrant pas à une appréciation globale des éléments de preuve, il convient de relever que le raisonnement du Tribunal se décompose en deux temps. Dans un premier temps, correspondant aux points 51 à 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné successivement les quatre lettres litigieuses. Une approche globale de ces lettres n’aurait pu conduire à un résultat différent, dès lors que chacune d’entre elles se borne à inciter les autorités italiennes à notifier l’intervention envisagée en faveur de Banca delle Marche, puisque, sur la base des informations dont elle disposait, la Commission ne pouvait exclure que cette intervention constituait une aide d’État.
93 Par la suite, aux points 59 à 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné le contexte de la présente affaire et procédé, ainsi qu’il le résume au point 67 de cet arrêt, à « l’appréciation globale des éléments de preuve pertinents ». Ainsi a-t-il considéré, au point 60 dudit arrêt, sans que les requérantes infirment ce constat, qu’« il ressort de la valorisation provisoire réalisée par la Banque d’Italie à l’origine de l’engagement de la procédure de résolution [...] que les éléments décisifs en faveur de cette décision étaient le caractère défaillant de Banca delle Marche [...] ainsi que le fait que, durant la procédure d’administration extraordinaire, il n’avait pas été possible de déterminer des interventions de la part du secteur privé capables de résoudre sa situation de crise ».
94 Par conséquent, c’est précisément la prise en compte de l’ensemble des éléments contextuels qui a conduit le Tribunal à considérer, au point 67 du même arrêt, que, même si le comportement de la Commission « a joué un certain rôle dans le processus d’instruction ayant amené les autorités italiennes à décider de la résolution de [Banca delle Marche], en ce sens qu’elles estimaient que le besoin de notifier au préalable à la Commission une éventuelle mesure de soutien du FITD en faveur de ladite banque constituait un obstacle au règlement rapide de la crise financière que traversait Banca delle Marche, leur décision du 21 novembre 2015 d’entamer la procédure de résolution de Banca delle Marche, adoptée dans l’exercice de leurs compétences propres et de leur marge d’appréciation [...], n’en demeurait pas moins autonome, non influencée de manière décisive par l’attitude de la Commission, et était essentiellement fondée sur leur constat de la défaillance de cette banque, ce qui constituait la cause déterminante de cette résolution ».
95 En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que, si la Banque d’Italie avait autorisé l’intervention du FITD en faveur de Banca delle Marche, la Commission aurait immanquablement ouvert une procédure d’infraction, ce qui aurait compromis le sauvetage de cette banque, ainsi que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) l’aurait reconnu dans son arrêt du 30 décembre 2016. Aussi les requérantes reprochent-elles au Tribunal de ne pas avoir admis qu’il était indispensable d’obtenir l’assentiment préalable de la Commission.
96 Par ailleurs, en ne jugeant pas comme étant illégale la demande de la Commission de notification préalable de l’aide au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, dès lors que, en l’espèce, aucune notification préalable à la Commission d’une éventuelle mesure de soutien du FITD n’était nécessaire dans le cas de Banca delle Marche.
97 À cet égard, il suffit de constater que cette argumentation vise en réalité à obtenir une nouvelle appréciation des faits, sans qu’une dénaturation ne soit invoquée, si bien qu’elle doit être rejetée comme étant irrecevable.
98 En troisième lieu, les requérantes allèguent que le Tribunal a méconnu l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167), en affirmant, au point 65 de l’arrêt attaqué, que la résolution de Banca delle Marche n’a pas dépendu de la décision de la Commission relative à Banca Tercas. En effet, au point 55 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait estimé que la décision prise par la Commission dans l’affaire Banca Tercas excluait toute possibilité d’interventions supplémentaires futures pour d’autres établissements de crédit, dont Banca delle Marche.
99 Certes, au point 55 de l’arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T‑98/16, T‑196/16 et T‑198/16, EU:T:2019:167), le Tribunal a affirmé que la décision de la Commission déclarant que l’intervention du FITD en faveur de Banca Tercas constituait une aide d’État illégale et incompatible a « également exclu la possibilité d’effectuer à l’avenir d’autres interventions de soutien, en réduisant l’autonomie du FITD et celle des banques qui en sont membres ». Cette appréciation a néanmoins été formulée au stade de l’examen de la qualité pour agir du FITD et non lors de l’examen au fond de cette décision. En outre, l’interprétation proposée par les requérantes du point 55 de cet arrêt est infirmée par le point 59 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal relève qu’il était « impossible pour la Commission de savoir avec suffisamment de précision si l’éventuelle intervention envisagée par le FITD en faveur de Banca delle Marche était susceptible de réunir les critères d’une aide d’État ». Surtout, au point 65 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que la Commission « n’a pas nécessairement été induite à interdire toute intervention de ce type et qu’il convient de procéder à un examen au cas par cas, sans qu’il soit possible de transposer le résultat d’un examen particulier à un autre cas de figure ». L’argumentation des requérantes, en ce qu’elle relève d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, doit donc être rejetée comme non fondée.
100 Il s’ensuit que la seconde branche du premier moyen soulevé par les requérantes à l’appui de leur pourvoi doit être écartée comme étant non fondée.
101 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant en partie non fondé et en partie irrecevable.
Sur le second moyen
Argumentation des parties
102 Par leur second moyen, dirigé contre les points 67 à 71 de l’arrêt attaqué, les requérantes reprochent au Tribunal, en premier lieu, d’avoir commis une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « lien de causalité suffisamment étroit ».
103 Le Tribunal aurait exigé à tort des requérantes qu’elles démontrent que le comportement de la Commission était la cause « unique et exclusive » de la décision d’entamer la résolution de Banca delle Marche. Or, l’effectivité de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE serait compromise si le droit de toute personne à demander réparation du préjudice subi était subordonné à l’existence d’un lien de causalité « exclusif » entre le comportement de la Commission et le préjudice subi. En l’espèce, bien qu’il ne soit pas la cause exclusive de la résolution de Banca delle Marche, le comportement de la Commission en constituerait, malgré tout, une cause déterminante. Ainsi, le fait que la résolution relève d’une décision libre et autonome de la Banque d’Italie ne saurait, en lui-même, suffire à rejeter l’imputation à la Commission d’éventuels préjudices découlant de ses multiples pressions et interférences. Ce faisant, chacune des personnes ayant contribué à la décision par leur comportement répondrait des dommages qui se sont produits.
104 En l’espèce, si la Commission n’avait pas empêché, au mois d’octobre 2015, l’intervention du FITD en faveur de Banca delle Marche, les autorités italiennes, notamment la Banque d’Italie, auraient cherché jusqu’au dernier moment une alternative à la résolution, ce qui aurait largement réduit les effets préjudiciables subis par les actionnaires et les titulaires d’obligations. La Banque d’Italie aurait estimé, à juste titre, indispensable d’« obtenir l’assentiment préalable de la Commission ». En outre, la Banque centrale européenne (BCE) n’aurait vraisemblablement pas donné son accord pour une recapitalisation. Par ailleurs, l’insécurité juridique ainsi créée aurait tenu éloignés les acheteurs susceptibles d’être intéressés par une banque entre-temps recapitalisée.
105 En deuxième lieu, pour le cas où la Cour constaterait l’existence d’une erreur de droit et, par conséquent, annulerait l’arrêt attaqué, les requérantes entendent démontrer l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union.
106 À cet égard, il serait clair que la recapitalisation d’un établissement bancaire par le FITD italien ne constitue pas une aide d’État. Cette solution, qui ressortirait de l’arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a. (C‑425/19 P, EU:C:2021:154), s’inscrirait dans une jurisprudence constante de la Cour et aurait donc été prévisible pour la Commission. En effet, le FITD serait un consortium de droit privé doté de la personnalité juridique, auquel ne participent que des entités privées. Il ne s’agirait donc pas d’un organisme relevant de l’État et ce dernier n’exercerait pas sur lui une influence « déterminante », de sorte que la nature « publique » de l’aide ne serait pas établie. En outre, les ressources employées aux fins des interventions du FITD ne seraient pas des ressources publiques. Le caractère obligatoire des contributions versées par les banques membres ne serait pas non plus un élément susceptible de transformer les ressources privées en ressources publiques.
107 En outre, serait dépourvue de pertinence la tentative de la Commission d’établir une distinction entre les affaires Banca Tercas et Banca delle Marche. La Cour aurait, en effet, précisé que ledit fonds était une entité privée, opérant avec des ressources privées et sans ingérence de l’État. Dès lors, toutes les interventions de sauvetage du FITD seraient légales et ne constitueraient pas des aides d’État, quelle que soit la procédure suivie.
108 Ce faisant, la Commission aurait violé de manière suffisamment caractérisée le droit de l’Union, puisqu’elle ne disposait, en l’espèce, d’aucun pouvoir discrétionnaire.
109 En troisième lieu, les requérantes s’efforcent d’évaluer le montant du préjudice qu’elles estiment avoir subi et en sollicitent la réparation intégrale. À cet égard, elles contestent la thèse de la Commission selon laquelle, si Banca delle Marche avait pu être sauvée, les actions et les obligations subordonnées auraient en tout état de cause dû être réduites à zéro.
110 En quatrième lieu, aux fins de la réformation du point 70 de l’arrêt attaqué, les requérantes réitèrent leur demande de mesure d’instruction présentée en première instance, tendant à l’obtention de l’ensemble du dossier administratif lié à l’affaire « Banca delle Marche (SA.39543 2014/CP) » afin d’y rechercher de nouveaux documents démontrant l’existence du lien de causalité.
111 La Commission conclut à l’irrecevabilité, d’une part, de la demande de mesures d’instruction, une telle demande signifiant que l’affaire n’est pas en état d’être jugée et qu’elle doit être renvoyée au Tribunal, et, d’autre part, du second moyen. À titre subsidiaire, ce moyen serait manifestement non fondé.
Appréciation de la Cour
112 Par leur second moyen, dirigé contre les points 67 à 71 de l’arrêt attaqué, les requérantes estiment que le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant l’article 340, deuxième alinéa, TFUE en ce sens que la responsabilité de l’Union ne peut être engagée que si le comportement de l’une de ses institutions constitue la cause « unique et exclusive » du dommage.
113 Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 51 ; du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42, ainsi que du 16 juin 2022, SGL Carbon e.a./Commission, C‑65/21 P et C‑73/21 P à C‑75/21 P, EU:C:2022:470, point 43).
114 La condition relative à l’existence d’un lien de causalité porte sur l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions de l’Union et le dommage, lien dont il appartient au requérant d’apporter la preuve, de telle sorte que le comportement reproché doit être la cause déterminante du préjudice (arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 32).
115 Or, d’une part, dans la mesure où l’argument des requérantes vise à démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que, pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, il convient d’établir un lien de causalité exclusif entre le comportement de la Commission et le préjudice qu’elles prétendent avoir subi, il y a lieu de relever que cet argument se fonde sur une lecture manifestement erronée de l’arrêt attaqué et qu’il doit, par conséquent, être écarté.
116 En effet, ainsi qu’il ressort du point 67 de cet arrêt, le Tribunal n’a aucunement imposé aux requérantes de prouver l’existence d’un lien de causalité exclusif. En revanche, il a constaté que la cause déterminante de la résolution de Banca delle Marche, au sens de la jurisprudence de la Cour, a été la décision autonome des autorités italiennes d’entamer la procédure de résolution de cette banque. Ce faisant, le Tribunal a correctement appliqué la condition tenant à l’exigence d’un lien de causalité.
117 D’autre part, dans la mesure où l’argument des requérantes concerne, en substance, la qualification de l’influence que la Commission aurait eue sur le comportement des autorités italiennes, il y a lieu de constater que, par cet argument, les requérantes visent à remettre en cause l’appréciation factuelle effectuée par le Tribunal. Par conséquent, cet argument doit être écarté comme étant irrecevable.
118 Eu égard aux considérations qui précèdent, le second moyen doit être rejeté comme étant en partie non fondé et en partie irrecevable.
119 Dans ces conditions, les arguments des requérantes figurant aux points 105 à 110 du présent arrêt sont inopérants.
120 Aucun des deux moyens soulevés par les requérantes à l’appui de leur pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son intégralité.
Sur les dépens
121 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
122 La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro, Montani Antaldi Srl, Fondazione Cassa di Risparmio di Fano, Fondazione Cassa di Risparmio di Jesi et Fondazione Cassa di Risparmio della Provincia di Macerata sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
Signatures
* Langue de procédure : l’italien.
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