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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Ramazani Shadary v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in the light of the situation in the Democratic Republic of the Congo - Freezing of funds - Judgment) French Text [2023] EUECJ T-93/22 (08 March 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2023/T9322.html Cite as: [2023] EUECJ T-93/22, EU:T:2023:122, ECLI:EU:T:2023:122 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
8 mars 2023 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en République démocratique du Congo – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur les territoires des États membres – Maintien du nom du requérant sur les listes des personnes visées – Preuve du bien-fondé de l’inscription et du maintien sur les listes – Changement des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives »
Dans l’affaire T‑93/22,
Emmanuel Ramazani Shadary, demeurant à Kinshasa (République démocratique du Congo), représenté par Mes T. Bontinck, P. De Wolf, A. Guillerme et T. Payan, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Lejeune et M. B. Driessen, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de MM. R. da Silva Passos (rapporteur), président, S. Gervasoni et Mme I. Reine, juges,
greffier : M. E. Coulon,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Emmanuel Ramazani Shadary, demande l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2021/2181 du Conseil, du 9 décembre 2021, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2021, L 443, p. 75), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2021/2177 du Conseil, du 9 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2021, L 443, p. 3), en ce que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.
Antécédents du litige
Contexte des mesures restrictives
2 Le requérant est un ressortissant de la République démocratique du Congo ayant occupé, au sein de cet État, les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité.
3 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo et de l’exercice de pressions sur les personnes et les entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à cet État.
Mesures adoptées par l’Union de manière autonome
4 Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) no 1183/2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1).
5 Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2008/369/PESC (JO 2010, L 336, p. 30).
6 Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté, d’une part, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2016/2231, modifiant la décision 2010/788 (JO 2016, L 336 I, p. 7) et, d’autre part, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2016/2230, modifiant le règlement no 1183/2005 (JO 2016, L 336 I, p. 1).
7 Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté, d’une part, sur le fondement notamment de l’article 31, paragraphe 2, TUE et de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, la décision d’exécution (PESC) 2017/905, mettant en œuvre la décision 2010/788 (JO 2017, L 138 I, p. 6), et, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) 2017/904, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1183/2005 (JO 2017, L 138 I, p. 1).
Critères appliqués pour adopter les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo
8 L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :
« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et entités :
a) faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’[É]tat de droit ;
b) contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;
c) associées à celles visées [sous] a) et b),
dont la liste figure à l’annexe II. »
9 L’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, dispose que « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées à l’article 3 ».
10 Aux termes de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, il est prévu ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques que les personnes ou entités visées à l’article 3 possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, ou qui sont détenus par des entités que ces personnes ou entités ou toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, qui sont visées aux annexes I et II, possèdent ou contrôlent directement ou indirectement.
2. Aucun fonds, autre avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit. »
11 Quant au règlement no 1183/2005, l’article 2 ter, paragraphe 1, de ce dernier, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :
« L’annexe I bis comprend les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le Conseil pour l’un des motifs suivants :
a) faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’[É]tat de droit ;
b) préparant, dirigeant ou commettant des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;
c) étant associés aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes visés [sous] a) et b). »
12 Aux termes de l’article 2 du règlement no 1183/2005, tel que modifié par le règlement 2016/2230, il est prévu ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis, qui sont en leur possession ou qui sont détenus ou contrôlés par ceux-ci, directement ou indirectement, y compris par un tiers agissant pour leur compte ou sur leurs instructions.
2. Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis ni utilisé à leur profit. »
Durée initiale de l’application des mesures restrictives
13 Selon l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 » et « [e]lles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».
Inscription initiale du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives
14 Par la décision d’exécution 2017/905 et par le règlement d’exécution 2017/904, le nom du requérant a été inscrit sur les listes des personnes et des entités visées par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe II de la décision 2010/788 et à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005 (ci-après, prises ensemble, les « listes litigieuses »).
15 Le Conseil a justifié une telle inscription par les motifs suivants :
« Dans ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre de l’[I]ntérieur et de la [S]écurité depuis le 20 décembre 2016, [le requérant] est officiellement responsable des services de police et de sécurité ainsi que de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux. À ce titre, il est responsable de la récente arrestation d’activistes et de membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force depuis sa nomination, tel que les mesures de répression violente prises contre des membres du mouvement Bundu Dia Kongo (BDK) au Kongo Central, la répression à Kinshasa en janvier et février 2017 et le recours disproportionné à la force et à la répression violente dans les provinces du Kasaï. À ce titre, [il] contribue donc, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en [République démocratique du Congo]. »
16 Le requérant ainsi que sept autres personnes ont introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑582/17, tendant à l’annulation de la décision d’exécution 2017/905 et du règlement d’exécution 2017/904, pour autant que ces actes les concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil (T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193).
Quatre premières prorogations des mesures restrictives imposées au requérant
17 Par la décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788 (JO 2017, L 328, p. 19), les mesures restrictives appliquées au requérant ont été maintenues, avec les mêmes motifs, jusqu’au 12 décembre 2018.
18 Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑173/18, contre la décision 2017/2282, pour autant que cette décision le concernait. Ce recours a été rejeté par arrêt du 12 février 2020, Ramazani Shadary/Conseil (T‑173/18, non publié, EU:T:2020:48).
19 Le 10 décembre 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/1940, modifiant la décision 2010/788 (JO 2018, L 314, p. 47), et le règlement d’exécution (UE) 2018/1931, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2018, L 314, p. 1). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2019. Les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses ont été mis à jour, incluant désormais une mention selon laquelle « Ramazani Shadary a été désigné en février 2018 secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et [la démocratie] (PPRD). »
20 Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑122/19, contre la décision 2018/1940 et le règlement d’exécution 2018/1931, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 3 février 2021, Ramazani Shadary/Conseil (T‑122/19, non publié, EU:T:2021:61).
21 Le 9 décembre 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/2109, modifiant la décision 2010/788 (JO 2019, L 318, p. 134), et le règlement d’exécution (UE) 2019/2101, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2019, L 318, p. 1). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2020. Le Conseil a mis à jour les motifs d’inscription en ajoutant, après la référence aux fonctions de secrétaire permanent du PPRD, une mention selon laquelle il s’agissait de la « principale formation de la coalition de l’ex-Président Joseph Kabila ».
22 Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑104/20, contre la décision 2019/2109 et le règlement d’exécution 2019/2101, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 15 septembre 2021, Ramazani Shadary/Conseil (T‑104/20, non publié, EU:T:2021:579).
23 Le 10 décembre 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/2033, modifiant la décision 2010/788 (JO 2020, L 419, p. 30), et le règlement d’exécution (UE) 2020/2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2020, L 419, p. 5). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2021, pour les mêmes motifs.
24 Par courrier du 11 décembre 2020, le Conseil a notifié au requérant la décision 2020/2033 et a précisé que, si celui-ci souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 1er septembre 2021.
25 Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑119/21, contre la décision 2020/2033 et le règlement d’exécution 2020/2021, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 27 avril 2022, Ramazani Shadary/Conseil (T‑119/21, non publié, EU:T:2022:257).
Réexamen
26 Par courrier du 20 juillet 2021, les avocats du requérant ont sollicité du Conseil la communication des éléments additionnels concernant le requérant qui ne lui auraient pas déjà été transmis. Ils ont également sollicité une audition.
27 Par courrier du 5 août 2021, le Conseil les a informés de l’absence, à ce stade, d’éléments additionnels concernant le requérant et a rejeté la demande d’audition. Par courriers des 12 août et 12 octobre 2021, les avocats du requérant ont réitéré leur demande auprès du Conseil.
28 Par courrier du 19 octobre 2021, le Conseil a communiqué aux avocats du requérant deux documents de travail relatifs à l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses. Il a également indiqué qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard du requérant, ces documents le conduisant à mettre à jour l’exposé des motifs concernant le requérant. Il a encore précisé que, si le requérant souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 8 novembre 2021.
29 Par courrier du 5 novembre 2021, les avocats du requérant ont fait part de leurs observations sur les documents visés au point 28 ci-dessus, en soutenant qu’aucun d’eux ne justifiait la prorogation des mesures en cause. En particulier, après avoir souligné que le requérant exerçait des fonctions de direction dans le principal parti d’opposition en République démocratique du Congo et restait un homme politique de son pays, sans exercer désormais de fonctions exécutives, ils ont contesté le bien-fondé des motifs retenus par le Conseil, en vue de justifier le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, en ce que ceux-ci avaient été adoptés sur la base d’éléments ne permettant pas d’établir sa responsabilité actuelle dans des violations des droits de l’homme et paraissant uniquement lui reprocher de faire l’objet de plaintes individuelles devant la Cour pénale internationale, ce qui n’établirait pas la réalité des faits lui étant reprochés.
Cinquième prorogation des mesures restrictives imposées au requérant
30 Le 9 décembre 2021, le Conseil a adopté les actes attaqués, par lesquels l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2022, l’exposé des motifs d’une telle inscription, légèrement modifié, se lisant comme suit :
« Dans ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre de l’intérieur et de la sécurité jusqu’en février 2018, [le requérant] a été officiellement responsable des services de police et de sécurité ainsi que de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux. À ce titre, il a été responsable de l’arrestation de militants et de membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force, comme les mesures de répression violente prises contre des membres du mouvement Bundu Dia Kongo (BDK) au Kongo central, la répression à Kinshasa de janvier à février 2017 et le recours disproportionné à la force et à la répression violente dans les provinces du Kasaï.
À ce titre, [le requérant] a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en RDC.
Depuis février 2018, [le requérant] est secrétaire permanent du [PPRD] qui a été, jusqu’en décembre 2020, la principale formation de la coalition de l’ex-Président Joseph Kabila ».
31 Par courrier du 10 décembre 2021, le Conseil a notifié au requérant la décision 2021/2181 en rappelant que les situations de violation des droits de l’homme perduraient, y compris dans la région du Kasaï.
32 Dans le même courrier, le Conseil a précisé que « de graves violations des droits de l’homme persist[ai]ent en République démocratique du Congo » et que les documents qui avaient été transmis au requérant l'« [i]nform[ai]ent que, bien qu[e celui-ci] ne [fût] plus vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, [celui-ci] rest[ait] néanmoins une figure influente, en tant que secrétaire permanent du [PPRD], lequel [a été] jusqu’en décembre 2020 la principale formation de la coalition de l’ex-[p]résident Joseph Kabila, et lequel constitu[ait] aujourd’hui le principal parti d’opposition en [République démocratique du Congo] ». Il a ajouté que « l’exposé des motifs concernant [le requérant était] resté inchangé par rapport à celui figurant en annexe de la décision [2020/2033], dans la mesure où ce dernier reflète avec exactitude les motifs justifiant [ledit maintien] ».
33 Le Conseil a ajouté que, si le requérant souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 1er septembre 2022.
Conclusions des parties
34 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués, pour autant que ces actes le concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
35 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation des actes attaqués, maintenir les effets de la décision 2021/2181 en ce qui concerne le requérant « jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2177 » ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
36 À l’appui de ses conclusions en annulation des actes attaqués, le requérant soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit d’être entendu et, le second, d’erreurs d’appréciation. Il y a lieu d’examiner d’abord le second moyen.
Sur le second moyen, tiré d’erreurs d’appréciation
37 En premier lieu, soulignant l’évolution de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo et les changements d’orientations politiques opérés depuis le début de la dernière présidence, le requérant invoque une erreur manifeste d’appréciation quant au contexte du réexamen de cette situation précédant la prorogation des mesures restrictives à son égard, résultant selon lui d’une absence d’actualisation de faits anciens de la part du Conseil.
38 En second lieu et à l’aune de cette prétendue erreur manifeste d’appréciation, le requérant conteste, en substance, le bien-fondé des actes attaqués en ce qu’ils maintiennent l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur la base d’une appréciation erronée de ses fonctions actuelles, alors que, au moment de l’adoption de ces actes, il ne pouvait être considéré comme étant impliqué dans de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.
39 D’une part, le requérant expose, en substance, que le Conseil était tenu de faire la preuve de l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre ses activités présentes et les activités visées par les mesures, en tant que condition du maintien de son nom sur les listes en cause. Il reproche ainsi au Conseil d’avoir maintenu l’inscription de son nom sur les listes litigieuses pour des faits passés et en raison de fonctions qu’il n’occupait plus au moment de l’adoption des actes attaqués, au mépris du critère d’inscription rédigé au présent et sans établir l’existence d’un lien entre lui et la situation sécuritaire actuelle en République démocratique du Congo.
40 À cet égard, premièrement, le requérant fait valoir que, depuis son départ du ministère de l’Intérieur en décembre 2018, il n’a plus exercé de mandat exécutif. Deuxièmement, il dénonce que, malgré l’écoulement du temps et les changements d’orientations politiques depuis les dernières élections présidentielles, le Conseil continue à se référer au fait qu’il est « une figure influente, en tant que secrétaire permanent du [PPRD] lequel constitue aujourd’hui le principal parti d’opposition en [République démocratique du Congo] », sans démontrer que ses fonctions laissent subsister un risque au regard de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Troisièmement, ses fonctions actuelles de secrétaire permanent du PPRD, dans le cadre desquelles il aurait incité à l’installation d’une alternance démocratique à la tête de l’État, révèleraient uniquement qu’il continue à participer à la vie interne d’un parti qui n’appartient plus à la coalition au pouvoir, mais demeure le principal parti d’opposition.
41 D’autre part, le requérant conteste la pertinence et la valeur probante des éléments communiqués par courrier du Conseil du 19 octobre 2021, aux fins d’établir la persistance d’un risque d’implication de sa part dans des actes de violations graves des droits de l’homme, en soulignant que ces documents ne permettent pas d’établir que le Conseil a procédé à une actualisation des motifs d’inscription à son égard. Selon lui, lesdits documents ne permettent pas davantage d’établir les raisons individuelles, spécifiques et concrètes qui justifieraient que ses fonctions actuelles de secrétaire permanent d’un parti d’opposition, à savoir le PPRD, le maintiennent impliqué dans des actes susceptibles de soutenir le maintien des mesures restrictives à son égard. Il estime que les documents en question établissent uniquement qu’il continue à participer à la vie politique en République démocratique du Congo.
42 Le Conseil soutient, tout d’abord, que les objectifs visés par les mesures restrictives, qui incluent notamment le soutien à l’État de droit et aux droits de l’homme, n’avaient pas été atteints au moment de l’adoption des actes attaqués, en particulier en raison de la persistance, malgré la tenue des élections présidentielles en 2018, de graves violations des droits de l’homme commises au cours de la période de réexamen en cause.
43 Ensuite, le Conseil fait valoir que le requérant n’apporte pas de preuves ou d’indices qui établiraient que celui-ci a pris une position se distanciant de l’ancien régime. À cet égard, il rappelle que, au moment de l’adoption des actes attaqués, le requérant demeurait, au contraire, secrétaire permanent du PPRD, c’est-à-dire la deuxième personnalité auprès de l’ancien président, et faisait partie du bureau politique, décisionnel, de ce parti. Il admet que le PPRD représente désormais l’une des principales forces politiques dans l’opposition, mais souligne que ce parti avait appartenu aux forces politiques responsables de violations massives des droits de l’homme sous le régime de l’ancien président.
44 À cet égard, le Conseil rappelle que le requérant était le candidat du PPRD lors des dernières élections présidentielles. Il souligne avoir produit des éléments qui avaient documenté, en 2018, le rôle stratégique du requérant au sein du PPRD, afin de faire en sorte que ce parti se maintienne au pouvoir. Par ailleurs, le requérant aurait, dans le cadre des dernières élections présidentielles, invité des jeunes du parti à des actes de violence contre les forces politiques opposées. De nouveaux éléments établiraient que le requérant reste actif dans ses fonctions politiques, en tant que représentant de l’ancien président, et appellerait à la résistance contre le régime actuel.
45 À la lumière de ce contexte, le Conseil fait valoir que, pris dans leur ensemble, les éléments communiqués seraient constitutifs d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, à même d’établir de manière actualisée que le requérant restait un acteur influent auprès des forces politiques proches de l’ancien régime en République démocratique du Congo au moment de l’adoption des actes attaqués. Compte tenu de l’absence de changement suffisamment significatif du contexte sécuritaire en République démocratique du Congo, ces éléments établiraient ainsi que les faits initialement reprochés au requérant perduraient ou risquaient de perdurer au moment du renouvellement des mesures. Dans ces circonstances, le Conseil considère qu’il pouvait conclure à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives en cause et, partant, au maintien justifié et nécessaire de celles-ci en vue de la réalisation de leurs objectifs.
46 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).
47 Il appartient au Conseil, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).
48 À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).
49 L’appréciation du caractère suffisamment solide de la base factuelle retenue par le Conseil doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée). Selon la jurisprudence, les articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 108 et jurisprudence citée).
50 À cet égard, il a été jugé que le Conseil n’était pas tenu de démontrer l’implication personnelle d’une personne dans les actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits visés par des mesures restrictives, mais qu’il lui était suffisant, du fait des responsabilités importantes exercées par la personne concernée, de pouvoir légitimement considérer que celle-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2021, Amisi Kumba/Conseil, T‑106/20, non publié, EU:T:2021:582, point 151 et jurisprudence citée).
51 Par ailleurs, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).
52 C’est dans ce contexte que le Tribunal a jugé, concernant les troisième et quatrième prorogations des mesures restrictives en cause, que le Conseil pouvait décider de maintenir sur les listes litigieuses les noms de personnes en conservant les motifs relatifs à des faits passés et retenus à l’origine de leur inscription initiale, sans qu’une rédaction au participe présent du critère d’inscription y fasse obstacle et sans que les personnes en cause aient commis de nouvelles violations des droits de l’homme au cours de la période précédant le réexamen, pourvu que ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’auraient pas été atteints (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et jurisprudence citée, et du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, points 121 et 123).
53 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la seconde branche du second moyen.
54 En l’espèce, il résulte des considérants 3 et 4 de la décision 2016/2231 que les mesures restrictives en cause à l’encontre de certaines catégories de personnes, en particulier de celles qui contribuent à de graves violations des droits de l’homme, ont notamment pour objectif de permettre une stabilisation de la situation en République démocratique du Congo en incitant le gouvernement à assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue démocratique, à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et à cesser toute instrumentalisation de la justice, en vue de permettre de traduire devant une justice indépendante les auteurs d’atteintes graves à ces droits. À cette fin, elles visent à faire pression sur les personnes tenues pour responsables de l’instabilité de la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo.
55 C’est ainsi que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses, par la décision d’exécution 2017/905 et par le règlement d’exécution 2017/904, aux motifs, en substance, qu’il avait occupé les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité jusqu’en février 2018 et qu’il était, à ce titre, impliqué dans l’arrestation d’activistes et de membres de l’opposition.
56 De plus, par l’adoption des décisions 2019/2109 et 2020/2033 et des règlements d’exécution 2019/2101 et 2020/2021, portant, respectivement, troisième et quatrième prorogations de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a ajouté à l’exposé des motifs d’une telle inscription, puis maintenu, la mention selon laquelle le requérant « [était] depuis février 2018 secrétaire permanent du [PPRD], principale formation de la coalition de l’ex-Président Joseph Kabila ».
57 Amené à se prononcer sur des recours en annulation dirigés contre les décisions 2019/2109 et 2020/2033 et les règlements d’exécution 2019/2101 et 2020/2021, le Tribunal a constaté que le Conseil avait démontré à suffisance un lien entre le requérant et la situation sécuritaire en République démocratique du Congo, et que l’ensemble des motifs retenus par le Conseil étaient établis (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2021, Ramazani Shadari/Conseil, T‑104/20, non publié, EU:T:2021:579, points 160 à 175, et du 27 avril 2022, Ramazani Shadary/Conseil, T‑119/21, non publié, EU:T:2022:257, points 107 à 133).
58 Dans les actes attaqués, le Conseil continue de faire référence aux faits décrits aux points 55 et 56 ci-dessus et relatifs à l’implication du requérant dans des violations des droits de l’homme au titre de ses fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, qui avaient justifié l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, puis de secrétaire permanent du PPRD. Il a toutefois mis à jour l’exposé des motifs retenus contre le requérant en précisant que le PPRD « a été jusqu’en décembre 2020 » la principale formation de la coalition de l’ancien président. Par l’ajout uniquement de précisions temporelles sur le PPRD, il a, en substance, mis en exergue le fait que le requérant demeurait une figure influente, en tant que secrétaire permanent du PPRD, auprès de ce parti qui constituait désormais le principal parti d’opposition (voir point 32 ci-dessus).
59 À cet égard, en ce qui concerne en particulier le contexte politique en République démocratique du Congo, il y a lieu de relever que, ainsi que le Conseil le reconnaît lui-même, ce contexte a évolué depuis l’établissement des mesures restrictives en 2016, eu égard en particulier à la tenue des élections présidentielles en décembre 2018. En effet, il ressort des éléments produits au dossier par le Conseil que, au cours de la période de réexamen en cause, une nouvelle coalition, dénommée Union sacrée de la Nation (USN), a été mise en place en République démocratique du Congo, remplaçant la coalition auparavant au pouvoir, qui résultait d’une alliance entre deux principales coalitions, à savoir le Cap pour le changement (CACH), de l’actuel président, et le Front commun pour le Congo (FCC), de l’ancien président et à laquelle appartenait le PPRD. La mise en place de l’USN a été suivie par la démission du Premier ministre, le 29 janvier 2021, et par la nomination, par le président de la République, en février 2021, d’un nouveau Premier ministre qui a composé son gouvernement en remplacement de celui de coalition de l’ancien Premier ministre. Ainsi, au moment de l’adoption des actes attaqués, le régime au pouvoir ne procédait plus d’un accord entre les coalitions du CACH et du FCC de l’ancien président et le gouvernement n’avait plus à sa tête l’ancien Premier ministre membre du FCC désigné dans les motifs retenus à l’égard du requérant, ce changement de contexte politique s’étant par ailleurs traduit par le passage dans l’opposition de membres du FCC et du PPRD.
60 Dans ce contexte, il importe donc de vérifier si, en application de la jurisprudence mentionnée aux points 48 et 51 ci-dessus, le Conseil pouvait, au terme de son appréciation actualisée de la situation effectuée dans le cadre du réexamen des mesures restrictives en cause, continuer de se référer à des faits passés et déjà retenus dans les décisions antérieures concernant le requérant, compte tenu par ailleurs de ce que le requérant était toujours secrétaire permanent du PPRD, qui fut la principale formation de la coalition de l’ancien président et qui est devenu le premier parti d’opposition. En d’autre termes, il convient de vérifier si le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses restait justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les situations combattues et les objectifs visés par les mesures restrictives, mentionnés au point 54 ci-dessus, n’auraient pas été atteints.
61 D’une part, en ce qui concerne la situation sécuritaire en République démocratique du Congo au moment de l’adoption des actes attaqués, il y a lieu de constater que le Conseil disposait d’un faisceau d’informations provenant de sources variées, selon lesquelles, malgré la tenue des élections présidentielles du 30 décembre 2018, il existait toujours une situation préoccupante en ce qui concernait le respect de l’État de droit et des droits de l’homme en République démocratique du Congo.
62 En effet, le constat par le Conseil de l’existence pendant la période de réexamen de nombreux actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo imputables à des agents de l’État ou à des groupes armés, est appuyé par une analyse de la situation des droits de l’homme de janvier à juin 2021, réalisée conjointement par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), complétée par des infographies établies au titre des mois de mars, de mai et d’août 2021, qui figuraient en annexe du courrier du 19 octobre 2021.
63 D’autre part, en ce qui concerne la situation individuelle du requérant au moment de l’adoption des actes attaqués, il est constant que le requérant demeurait secrétaire permanent du PPRD, à savoir le parti présidentiel sous le régime de l’ancien président ayant été, jusqu’en décembre 2020, la principale formation de la coalition de ce dernier. À cet égard, le Conseil a établi que, au moment de l’adoption des actes attaqués, le requérant continuait d’entretenir des liens forts avec le PPRD et continuait d’être un membre influent de ce parti, puisque, en sa qualité de secrétaire général du PPRD, celui-ci faisait figure de deuxième personnalité du parti après l’ancien président et faisait partie du Bureau politique, qui est l’organe de conception, d’orientation et de décision du parti. De plus, le requérant admet lui-même que sa formation politique constitue l’une des principales forces politiques du pays, le PPRD étant devenu le principal parti d’opposition.
64 Le Conseil produit à cet égard des éléments démontrant la position éminente et le rôle actif du requérant dans ces fonctions politiques. En particulier, un article daté du 11 février 2021, publié sur le site Internet « actualité.cd », intitulé « [République démocratique du Congo] : Shadary appelle désormais à “la résistance” », rapporte que le requérant, en tant que « [s]ecrétaire permanent du [PPRD] depuis près de trois ans, [a a]ppel[é] à la résistance [f]ace au nouveau régime ». Selon ses propos relayés par le PPRD, il a appelé « tous les congolais où qu’[ils soient], face au pourrissement de la démocratie observé en [République démocratique du Congo], [à] la résistance ». Le même article ajoute que cet appel était le « [d]euxième message [en ce sens] en 24 heures[, puisque le message selon lequel] « [f]ace au recul démocratique en République démocratique du Congo, la résistance populaire s’impose » avait déjà [été] écrit [par] le parti de [l’ancien président ». Il expose également que, « [a]ncien député national, ancien gouverneur de la province de Maniema, ancien président du groupe parlementaire PPRD et ancien coordonnateur de la majorité présidentielle (MP) à l’[a]ssemblée nationale, [le requérant] se radicalis[ait] davantage » et que « [l]’ancien candidat de la famille politique de [l’ancien président] pour l’élection présidentielle de 2018 [était] aujourd’hui parmi les membres du courant qui défend[ait] la posture de l’opposition face à leur ancien allié [l’actuel président] ». Ces propos sont repris dans un autre article daté du 19 juin 2021, publié sur le site Internet « mediacongo.net », intitulé « [Le requérant] appelle les congolais “à ne pas dormir” face à “la dictature imposée par le régime [de l’actuel président]” ». De plus, un article, daté du 5 mai 2021, également publié sur le site Internet « mediacongo.net », intitulé « Le PPKU entend véritablement jouer son rôle dans l’[o]pposition [r]épublicaine », expose que le requérant « a présidé [en] mai 2021, sur instruction de [l’ancien président], une importante réunion à l’intention d[e] secrétaires exécutifs provinciaux et communaux » et que «[c]elui-ci a invité la base du parti à travers le pays à la fidélité au [p]résident [n]ational, [l’ancien président] ».
65 En outre, un article daté du 26 mars 2021, publié sur le site Internet « politico.cd », intitulé « [L’ancien président] “instruit” le PPRD à ne pas participer au Gouvernement Sama », et communiqué au requérant par courrier du Conseil du 19 octobre 2021, expose que « [a]près le refus du [FCC] à participer au gouvernement en gestation, le [PPRD] [a] à son tour [a]nnonc[é], [le] 25 mars 2021, sa non-participation à l’équipe gouvernementale [de l’USN » et que [c]ette décision, [selon le requérant] qui [a] sign[é] le communiqué, [était] une “instruction” de Joseph Kabila, [p]résident national du PPRD ». De plus, un autre article, publié sur le site Internet « desc-wondo.org », daté du 24 septembre 2021, détaille que le requérant était de ceux qui étaient « actifs dans le blocage politique qui [a] amené la rupture de la coalition politique au pouvoir entre le FCC de [l’ancien président] et [le] CACH de [l’actuel président] entrainant de vives tensions politiques ». Enfin, un article du 27 janvier 2021, publié sur le site Internet de la BBC, intitulé « [L’ancien président] face à [l’actuel président] : quel avenir politique pour l’ancien président de la [République démocratique du Congo] ? » précise que, dans le cadre de la mise en place de l’USN, le vote au sujet de la destitution de la présidente du Parlement, membre du FCC, « a eu lieu après des jours de bagarres dans l’enceinte du Parlement qui ont nécessité l’intervention de la police ».
66 Ainsi, ces éléments témoignent, pris dans leur ensemble, du fait que le requérant est demeuré un fidèle de l’ancien président, qu’il continue à représenter au sein du PPRD, en y relayant ses instructions. En outre, compte tenu de l’évolution de la situation politique exposée au point 61 ci-dessus, et en particulier du blocage politique de la coalition FCC-CACH ayant abouti au passage du FCC et du PPRD dans l’opposition s’étant accompagné de tensions au sein du Parlement (voir point 65 ci-dessus), ils étayent également que, au titre de ses fonctions de secrétaire permanent du PPRD, le requérant organise et dirige la principale force politique dans l’opposition depuis le 25 mars 2021, soit un peu moins d’un an avant l’adoption des actes attaqués, et que, dans le cadre de cette fonction, il a adopté un positionnement prônant l’exercice de pressions sur les institutions politiques de la République démocratique du Congo.
67 Certes, ces informations s’inscrivent dans la continuité des éléments produits au dossier par le Conseil dans le cadre des prorogations antérieures de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, dont une lettre de l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch du 30 novembre 2018 et son annexe, adressées au haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, transmise en annexe du mémoire en défense. Dans cette lettre, il était fait état, premièrement, que le requérant avait un rôle stratégique au sein du PPRD en étant chargé de la mise en œuvre de stratégies pour faire en sorte que le régime de l’ancien président se maintienne au pouvoir. Deuxièmement, il était souligné que le requérant pourrait avoir une responsabilité dans la répression par le gouvernement et pour d’autres abus commis après avoir quitté ses fonctions gouvernementales. Troisièmement, il y était rapporté que le requérant avait incité, en avril 2018, par des propos ambigus, les nouveaux membres de la ligue de jeunesse du PPRD à la violence contre l’opposition.
68 Il est aussi permis de considérer que les éléments visés aux points 64 et 65, examinés à la lumière des éléments du dossier antérieurs à la date d’adoption des décisions attaquées, sont de nature à démontrer que le Conseil a effectué une appréciation concrète, actualisée et individuelle des motifs relatifs à la position d’influence du requérant, du fait de ses fonctions de secrétaire permanent du PPRD, auprès des forces et des partis politiques anciennement seuls au pouvoir lors de la commission des actes de graves violations des droits de l’homme visés dans les motifs retenus à son égard, désormais dans l’opposition.
69 Toutefois, si le Conseil produit au dossier des éléments de nature à attester de l’existence pendant la période de réexamen, de nombreux actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo (voir point 62 ci-dessus), il y a lieu néanmoins de constater que ces actes sont uniquement imputables à des agents de l’État ou à des groupes armés, et sont donc sans rapport avec les agissements de l’opposition politique.
70 Ainsi, aucun élément du dossier n’est de nature à faire ressortir et à étayer le rôle joué par l’opposition politique, au moment de l’adoption des actes attaqués, dans la commission d’actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits prévus par le deuxième critère de désignation énoncé à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005.
71 Par conséquent, dans le contexte de l’évolution de la situation politique exposée au point 59 ci-dessus, les responsabilités politiques importantes exercées par le requérant ne sont pas, en l’espèce, de nature à démontrer qu’il faisait toujours partie des responsables de la répression contre la population civile.
72 Partant, le Conseil n’apporte aucun élément de preuve qui serait susceptible d’étayer ou de corroborer le maintien, à la date d’adoption des actes attaqués, d’un lien suffisant, au sens de la jurisprudence visée aux points 49 et 50 ci-dessus, entre le requérant et la situation sécuritaire fragile en République démocratique au Congo et, ainsi, d’établir à suffisance de droit le bien-fondé des motifs retenus à son égard.
73 Dans ces conditions, les circonstances retenues dans les actes attaqués, selon lesquelles le requérant était depuis février 2018 secrétaire permanent du PPRD, qui a été jusqu’en décembre 2020, la principale formation de la coalition de l’ancien président, ne permettent pas, au titre de la cinquième prorogation des mesures restrictives en cause, de conclure qu’il demeurait justifié de maintenir ces mesures à son égard en vue d’atteindre les objectifs qu’elles visent, à savoir, en particulier, soutenir l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans cet État.
74 La même conclusion s’applique a fortiori au premier paragraphe de l’exposé des motifs, qui vise les anciennes fonctions du requérant de vice-Premier ministre et de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, qu’il a exercées jusqu’en février 2018, et sa responsabilité à ce titre dans l’arrestation de militants et de membres de l’opposition, ainsi que dans le recours disproportionné à la force et à la répression violente, au Kongo central, à Kinshasa et dans les provinces du Kasaï. Par ailleurs, compte tenu du changement des circonstances ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives, de tels faits, même si le requérant ne les conteste plus, sont devenus trop anciens pour justifier, à eux seuls, le maintien des mesures à son égard.
75 Partant, face aux contestations du requérant, le Conseil n’a pas été en mesure d’établir le bien-fondé du maintien des mesures restrictives en cause à son égard.
76 Il s’ensuit que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en concluant, dans les actes attaqués, que l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses continuait d’être justifiée au motif qu’il avait contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo.
77 Au vu de ce qui précède, il convient d’accueillir le présent moyen et d’annuler les actes attaqués en ce qu’ils concernent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier moyen soulevé par ce dernier.
Sur les effets dans le temps de l’annulation partielle de la décision 2021/2181
78 S’agissant de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire dans son mémoire en défense, tendant au maintien des effets de la décision 2021/2181 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2177 à l’égard du requérant, il convient de rappeler que, par cette décision, le Conseil avait maintenu, à compter du 10 décembre 2021 et jusqu’au 12 décembre 2022, le nom du requérant sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives figurant à l’annexe II de la décision 2010/788.
79 Or, par la décision (PESC) 2022/2412 du Conseil, du 8 décembre 2022, modifiant la décision 2010/788 (JO 2022, L 317, p. 122), le Conseil a mis à jour la liste des personnes visées par les mesures restrictives qui figure à l’annexe II de la décision 2010/788, en y maintenant, jusqu’au 12 décembre 2023, le nom du requérant.
80 Partant, si l’annulation de la décision 2021/2181, en ce qu’elle vise le requérant, comporte l’annulation de l’inscription de son nom sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/788 pour la période allant du 10 décembre 2021 au 12 décembre 2022, une telle annulation ne s’étend pas, en revanche, à la décision 2022/2412 qui n’est pas visée par le présent recours.
81 Par conséquent, dès lors que, à ce jour, le requérant fait l’objet de nouvelles mesures restrictives, la demande subsidiaire du Conseil relative aux effets dans le temps de l’annulation partielle de la décision 2021/2181, rappelée au point 78 ci-dessus, est devenue sans objet.
Sur les dépens
82 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision (PESC) 2021/2181 du Conseil, du 9 décembre 2021, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo, et le règlement d’exécution (UE) 2021/2177 du Conseil, du 9 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo, sont annulés en ce que ces actes concernent M. Emmanuel Ramazani Shadary.
2) Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.
da Silva Passos | Gervasoni | Reine |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.
Le greffier | Le président |
E. Coulon | M. van der Woude |
* Langue de procédure : le français.
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