ATPN v Commission (Appeal - Environment - Nuclear energy - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-340/23P (26 September 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C34023P.html
Cite as: ECLI:EU:C:2024:806, EU:C:2024:806, [2024] EUECJ C-340/23P

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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

26 septembre 2024 (*)

« Pourvoi – Environnement – Énergie nucléaire – Règlement délégué (UE) 2022/1214 – Recours en annulation – Association ayant pour objet de protéger la population contre tout risque nucléaire dans la région du Rhin supérieur et du Haut-Rhin et d’empêcher la construction de nouvelles centrales nucléaires dans cette région – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Condition selon laquelle le requérant doit être directement et individuellement concerné »

Dans l’affaire C‑340/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 30 mai 2023,

Association Trinationale de Protection Nucléaire (ATPN), établie à Bâle (Suisse), représentée par Me C. Lepage, avocate,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée initialement par Mme C. Auvret, MM. A. Nijenhuis et G. von Rintelen, en qualité d’agents, puis par Mme C. Auvret et M. G. von Rintelen, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, l’Association Trinationale de Protection Nucléaire (ATPN) demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 30 mars 2023, ATPN/Commission (T‑567/22, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2023:189), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable son recours tendant à l’annulation du règlement délégué (UE) 2022/1214 de la Commission, du 9 mars 2022, modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques exercées dans certains secteurs de l’énergie et le règlement délégué (UE) 2021/2178 en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques (JO 2022, L 188, p. 1, ci-après le « règlement litigieux »).

 Le cadre juridique

2        Le considérant 41 du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2020, sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 (JO 2020, L 198, p. 13), énonce :

« Lors de l’établissement et de l’actualisation des critères d’examen technique applicables à l’objectif environnemental d’atténuation du changement climatique, la Commission [européenne] devrait tenir compte de la nécessaire transition en cours vers une économie neutre pour le climat et l’encourager, conformément à l’article 10, paragraphe 2, du présent règlement. En plus de l’utilisation d’énergies sans incidence sur le climat et d’une augmentation des investissements dans des activités économiques et des secteurs qui sont déjà sobres en carbone, la transition nécessite des réductions significatives des émissions de gaz à effet de serre dans d’autres activités économiques et secteurs pour lesquels il n’existe pas de solutions de remplacement sobres en carbone qui soient réalisables sur le plan technologique et économique. Ces activités économiques transitoires devraient être considérées comme contribuant de manière substantielle à l’atténuation du changement climatique si leurs émissions de gaz à effet de serre sont nettement inférieures à la moyenne du secteur ou de l’industrie, si elles n’entravent pas le développement et le déploiement de solutions de remplacement sobres en carbone et si elles n’entraînent pas un verrouillage des actifs incompatible avec l’objectif de neutralité climatique, compte tenu de la durée de vie économique de ces actifs. Les critères d’examen technique applicables à ces activités économiques transitoires devraient garantir que ces activités de transition ont une trajectoire crédible menant à la neutralité climatique et ils devraient être ajustés en conséquence à intervalles réguliers. »

3        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, celui-ci « établit les critères permettant de déterminer si une activité économique est considérée comme durable sur le plan environnemental, aux fins de la détermination du degré de durabilité environnementale d’un investissement ».

4        L’article 10 dudit règlement, intitulé « Contribution substantielle à l’atténuation du changement climatique », dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Aux fins du paragraphe 1, une activité économique pour laquelle il n’existe pas de solution de remplacement sobre en carbone réalisable sur le plan technologique et économique est considérée comme apportant une contribution substantielle à l’atténuation du changement climatique lorsqu’elle favorise la transition vers une économie neutre pour le climat compatible avec un profil d’évolution visant à limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, y compris en supprimant progressivement les émissions de gaz à effet de serre, en particulier les émissions provenant de combustibles fossiles solides, et lorsque cette activité :

a)      présente des niveaux d’émission de gaz à effet de serre qui correspondent aux meilleures performances du secteur ou de l’industrie ;

b)      n’entrave pas le développement ni le déploiement de solutions de remplacement sobres en carbone ; et

c)      n’entraîne pas un verrouillage des actifs à forte intensité de carbone, compte tenu de la durée de vie économique de ces actifs.

Aux fins du présent paragraphe et de l’établissement de critères d’examen technique en vertu de l’article 19, la Commission évalue la contribution potentielle et la faisabilité de toutes les technologies existantes concernées.

3.      La Commission adopte un acte délégué conformément à l’article 23 pour :

a)      compléter les paragraphes 1 et 2 du présent article en établissant des critères d’examen technique afin de déterminer les conditions dans lesquelles une activité économique donnée est considérée comme contribuant de manière substantielle à l’atténuation du changement climatique ; et

b)      compléter l’article 17 en établissant, pour chaque objectif environnemental pertinent, des critères d’examen technique afin de déterminer si une activité économique pour laquelle des critères d’examen technique ont été établis en application du point a) du présent paragraphe cause un préjudice important à un ou plusieurs de ces objectifs. »

 Les antécédents du litige et le règlement litigieux

5        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent des points 2 à 12 de l’ordonnance attaquée, peuvent être résumés comme suit.

6        Le 4 juin 2021, la Commission a adopté le règlement délégué (UE) 2021/2139, complétant le règlement (UE) 2020/852 par les critères d’examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci et si cette activité économique ne cause de préjudice important à aucun des autres objectifs environnementaux (JO 2021, L 442, p. 1).

7        Le 9 mars 2022, la Commission a adopté le règlement litigieux, qui modifie, entre autres, le règlement délégué 2021/2139, et qui a notamment pour objet d’établir les critères d’examen technique afin de déterminer si certaines activités liées au gaz et au nucléaire relèvent de la catégorie des activités économiques transitoires couvertes par l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2020/852.

8        Le règlement litigieux insère à l’annexe I du règlement délégué 2021/2139 une section 4.26 intitulée « Phases précommerciales des technologies avancées pour la production d’énergie à partir de procédés nucléaires avec un minimum de déchets issus du cycle du combustible ». Il insère à l’annexe II de ce dernier règlement une section 4.26 intitulée « Phases précommerciales des technologies avancées pour la production d’énergie à partir de procédés nucléaires avec des déchets minimes issus du cycle du combustible ». Ces sections énoncent les critères d’examen technique pour l’activité de « [r]echerche, développement, démonstration et déploiement d’installations innovantes de production d’électricité, autorisées par les autorités compétentes des États membres conformément au droit national applicable, qui produisent de l’énergie à partir de processus nucléaires avec un minimum de déchets issus du cycle du combustible ».

9        En outre, le règlement litigieux insère, respectivement à l’annexe I et à l’annexe II du règlement délégué 2021/2139, une section 4.28 intitulée « Production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire dans des installations existantes ». Ces sections énoncent les critères d’examen technique pour l’activité de « modification d’installations nucléaires existantes aux fins de la prolongation, autorisée par les autorités compétentes des États membres avant 2040 conformément au droit national applicable, de la durée d’exploitation sûre d’installations nucléaires qui produisent de l’électricité ou de la chaleur à partir de l’énergie nucléaire (“centrales nucléaires”) ».

10      La requérante est une association qui regroupe 98 collectivités territoriales d’Allemagne, de France et de Suisse, ainsi que 144 personnes et familles et 47 paroisses et organisations non gouvernementales. Elle a notamment pour objet de protéger la population contre tout risque nucléaire dans la région du Rhin supérieur et du Haut-Rhin et d’empêcher la construction de nouvelles centrales nucléaires dans cette région. 

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 septembre 2022, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux.

12      La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, au motif notamment que la requérante n’avait pas qualité pour agir, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

13      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable.

14      Le Tribunal a rappelé, au point 19 de l’ordonnance attaquée, que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir. Cette condition suppose que l’acte attaqué la concerne directement et individuellement ou que soit en cause un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement.

15      En outre, le Tribunal a relevé, au point 20 de cette ordonnance, que les recours formés par des associations sont recevables dans trois types de situation, à savoir lorsqu’elles représentent les intérêts de personnes qui, elles, seraient recevables à agir, ou lorsqu’elles sont individualisées en raison de ce que leurs intérêts propres en tant qu’association ont été affectés, notamment parce que leur position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée, ou encore lorsqu’une disposition légale leur reconnaît expressément une série de facultés à caractère procédural.

16      En ce que la requérante faisait valoir qu’elle était recevable à introduire le recours en son nom propre, le Tribunal a constaté, au point 22 de ladite ordonnance, qu’aucune disposition légale ne reconnaissait à la requérante des facultés à caractère procédural et que, au demeurant, la requérante ne se prévalait d’aucune disposition de ce type au soutien de la recevabilité de son recours. Il a également relevé, au point 24 de l’ordonnance attaquée, que la requérante n’avait pas participé à la procédure menant à l’adoption du règlement litigieux, de sorte qu’elle ne pouvait être considérée comme étant affectée en sa qualité de négociatrice. Il a considéré, à cet égard, au point 25 de cette ordonnance, que le rôle allégué de la requérante dans la négociation de la fermeture d’une centrale nucléaire ne lui avait pas conféré une position de négociatrice dans la procédure ayant abouti à l’adoption de ce règlement.

17      Le Tribunal a constaté, en outre, au point 26 de ladite ordonnance, que la requérante n’avait pas établi en quoi sa qualité d’association chargée de la protection de la population contre tout risque nucléaire la distinguait de celle d’autres associations chargées des mêmes tâches dans d’autres États membres et l’individualisait, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

18      Le Tribunal en a conclu, au point 27 de l’ordonnance attaquée, que la requérante ne disposait pas d’une qualité pour agir en son nom propre.

19      En ce que la requérante faisait valoir qu’elle était recevable à introduire le recours au nom de ses membres, le Tribunal a rappelé, au point 35 de l’ordonnance attaquée, la jurisprudence en vertu de laquelle la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union européenne, sans application d’autres règles intermédiaires. S’agissant du premier critère, il a rappelé, au point 36 de cette ordonnance, que, pour déterminer si un acte produit des effets juridiques, il y a lieu de s’attacher notamment à son objet, à son contenu, à sa portée, à sa substance ainsi qu’au contexte juridique et factuel dans lequel il est intervenu.

20      Le Tribunal a ensuite constaté, au point 37 de l’ordonnance attaquée, que, en l’espèce, même à supposer que la poursuite d’activités nucléaires par des opérateurs privés présente un risque pour la vie des membres de la requérante, il ne saurait être considéré, en tout état de cause, que le lien entre leur droit à la vie ou leur « droit à vivre une vie privée et familiale normale » et le règlement litigieux était suffisamment direct, au sens de cette jurisprudence.

21      À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 38 de l’ordonnance attaquée, que, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 2, et des articles 5 à 8 du règlement 2020/852, le règlement litigieux a pour effet, en substance, non pas de réglementer l’exercice des activités liées à l’énergie nucléaire par des opérateurs privés, mais d’imposer des obligations d’information aux acteurs des marchés financiers qui proposent notamment des investissements dans ces activités. Le Tribunal a également souligné, au point 39 de l’ordonnance attaquée, que le règlement litigieux avait pour objet d’établir les critères techniques concernant notamment certaines activités nucléaires qui pourront être incluses dans la catégorie des activités économiques transitoires, que les investissements réalisés dans ces activités ainsi que les produits financiers liés devront faire l’objet de mesures de transparence et que ce règlement concernait, dès lors, avant tout, les acteurs des marchés financiers et les émetteurs de produits financiers ou d’obligations d’entreprises, de sorte qu’il ne visait pas la situation des membres de la requérante.

22      Le Tribunal a ainsi jugé, aux points 40 et 41 de l’ordonnance attaquée, qu’il ne saurait être considéré que la situation juridique des membres de la requérante était affectée par ledit règlement et que l’allégation selon laquelle celui-ci violerait les droits fondamentaux des membres de la requérante, à la supposer établie, ne saurait suffire, à elle seule, à déclarer recevable le recours, sous peine de vider les exigences de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de leur substance. 

 Les conclusions des parties devant la Cour

23      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de se saisir de l’affaire au fond et de faire droit en totalité aux conclusions présentées devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi comme étant partiellement irrecevable et, en tout état de cause, de le rejeter comme étant non fondé et

–        de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

25      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque deux moyens, tirés d’erreurs de droit au regard de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, en ce qui concerne son absence de qualité à agir, d’une part, en son nom propre et, d’autre part, au nom de ses membres.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

26      Par son premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 16 à 27 de l’ordonnance attaquée, qu’elle ne disposait pas, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de qualité pour agir en son nom propre.

27      En se fondant notamment sur les arrêts du 14 décembre 1962, Fédération nationale de la boucherie en gros et du commerce en gros des viandes e.a./Conseil (19/62 à 22/62, EU:C:1962:48), ainsi que du 10 juillet 1986, DEFI/Commission (282/85, EU:C:1986:316, point 16), la requérante souligne qu’une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie et, par conséquent, n’est pas recevable à introduire un recours en annulation lorsque ses membres ne sauraient le faire à titre individuel. En revanche, si les membres d’une association justifient, à titre individuel, d’un intérêt à agir, l’association elle-même justifierait d’un tel intérêt. Tel serait le cas en l’espèce si bien que l’ordonnance attaquée serait entachée d’une erreur de droit.

28      Cette ordonnance serait également entachée d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que, faute d’avoir participé à la procédure ayant mené à l’adoption du règlement litigieux, la requérante ne pouvait être considérée comme étant affectée en qualité de négociatrice.

29      La requérante rappelle que les recours formés par des associations sont recevables dans trois situations (ordonnances du 30 septembre 1997, Federolio/Commission, T‑122/96, EU:T:1997:142, point 61, ainsi que du 28 juin 2005, FederDoc e.a./Commission, T‑170/04, EU:T:2005:257, point 49). Il ressortirait de la jurisprudence du Tribunal que l’intérêt à agir d’une association peut être caractérisé lorsque celle-ci est individualisée en raison de ses intérêts propres en tant qu’association, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée.

30      Ainsi, la circonstance que la position de négociatrice d’une association ait été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée ne constituerait, en aucune manière, la seule hypothèse permettant à une association de justifier d’un intérêt à agir. Le juge serait dès lors tenu de vérifier si l’association requérante justifie, ou non, de circonstances particulières pour solliciter l’annulation d’un acte, sa participation ou non à la procédure ayant précédé l’adoption de celui-ci n’étant qu’un exemple de telles circonstances.

31      En l’espèce, se référant aux buts figurant dans ses statuts, qui consisteraient notamment à favoriser le transfert de technologies vers le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, la requérante souligne qu’elle se prévaut de circonstances particulières, de nature à justifier la recevabilité de son recours dès lors que l’objectif du règlement litigieux serait précisément de « réduire les crédits consacrés au renouvelable pour les orienter vers le nucléaire ». Ce règlement aurait également pour objectif de créer de nouvelles installations nucléaires, ce qui entrerait en contradiction avec les statuts de la requérante. Or, la Cour aurait reconnu la recevabilité des associations dans des cas comparables (arrêts du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, EU:C:1988:38, ainsi que du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, EU:C:1993:111).

32      Ayant pour objet de lutter de façon responsable contre l’implantation de nouvelles centrales nucléaires, la requérante aurait pour mission d’informer sur les risques du nucléaire civil et de prévenir ces risques. Elle aurait été acteur dans la négociation ayant abouti à la fermeture d’une centrale nucléaire, en tant que représentante de collectivités territoriales qui souhaitaient travailler conjointement et de manière transnationale sur cette problématique. À ce titre, la requérante aurait donc qualité pour agir et intérêt à agir.

33      La Commission estime que le premier moyen est non fondé.

 Appréciation de la Cour

34      Il est de jurisprudence constante que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (arrêt du 30 juin 2022, Danske Slagtermestre/Commission, C‑99/21 P, EU:C:2022:510, point 41 et jurisprudence citée).

35      Premièrement, la condition selon laquelle le requérant doit être directement concerné signifie que la mesure doit, d’une part, produire directement des effets sur la situation juridique de celui-ci et, d’autre part, ne laisser aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires de cette mesure qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale/Commission, C‑352/19 P, EU:C:2020:978, point 30 et jurisprudence citée), étant précisé que ces deux critères sont cumulatifs.

36      Secondement,  une personne physique ou morale ne peut être individuellement concernée par une disposition de portée générale que si celle-ci l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, ainsi que du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 72).

37      En l’espèce,  la requérante, sans revendiquer une position de négociatrice lors de l’adoption du règlement litigieux, estime toutefois qu’elle a qualité pour agir dès lors que ses intérêts propres en tant qu’association seraient affectés par ce règlement.

38      À cet égard, force est de constater que la requérante n’invoque que sa qualité d’association dont l’objet est la protection de la population contre tout risque nucléaire, sans démontrer que le règlement litigieux lui reconnaît spécifiquement des droits procéduraux ou qu’elle a joué un rôle dans la procédure ayant abouti à l’adoption de ce règlement qui lui permettrait de faire valoir un intérêt propre.

39      Le règlement litigieux, ainsi qu’il ressort du point 10 de l’ordonnance attaquée, se borne à établir des critères d’examen technique afin de déterminer les conditions dans lesquelles une activité économique donnée est considérée comme contribuant aux objectifs d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci que s’est fixés l’Union. Ainsi, ce règlement ne soumet la requérante à aucune obligation ni ne lui octroie aucun droit et n’affecte donc pas la poursuite des objectifs de la requérante, tels que définis par ses statuts.

40      S’agissant de l’argumentation de la requérante fondée sur les arrêts du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, EU:C:1988:38), ainsi que du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C‑313/90, EU:C:1993:111), il importe de relever que ces arrêts concernaient des situations particulières, dans le domaine des aides d’État, dans lesquelles les associations requérantes occupaient une position de négociatrice clairement circonscrite et intimement liée à l’objet même des décisions en cause, si bien qu’elles se trouvaient dans une situation de fait qui les caractérisait par rapport à toute autre personne (voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C‑106/98 P, EU:C:2000:277, point 45).

41      À cet égard, le Tribunal a considéré à juste titre, au point 26 de l’ordonnance attaquée, que la requérante n’a pas établi en quoi sa qualité d’association chargée de la protection de la population contre tout risque nucléaire la distingue de celle d’autres associations chargées des mêmes tâches dans d’autres États membres et l’individualise, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

42      La requérante n’ayant apporté au soutien de sa prétention aucun élément susceptible de démontrer que le règlement litigieux affecte directement sa situation juridique et la concerne individuellement, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, au point 27 de l’ordonnance attaquée, qu’elle n’avait pas qualité pour agir en son nom propre.

43      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

44      Par son second moyen, la requérante fait valoir que, en se bornant à examiner si le règlement litigieux visait ou non de manière directe la situation de ses membres pour déterminer si la situation juridique de ceux-ci était ou non affectée par ce règlement, le Tribunal a, aux points 37 à 41 de l’ordonnance attaquée, commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

45      S’agissant de la condition selon laquelle le requérant doit être directement concerné, la requérante estime, en s’appuyant notamment sur les arrêts du 17 février 2011, FIFA/Commission (T‑385/07, EU:T:2011:42, points 38 à 42), et du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T‑512/12, EU:T:2015:953, points 107 à 111), qu’il ne ressort nullement de la jurisprudence qu’elle devrait être « directement visée » par le règlement litigieux.

46      La requérante fait en outre valoir que sa situation juridique se trouve directement affectée par les dispositions de ce règlement.

47      En effet, l’objet social de la requérante, qui regrouperait des particuliers ainsi que des collectivités territoriales allemandes, françaises et suisses engagés contre le déploiement de l’industrie nucléaire, serait de « protéger la population contre tout risque nucléaire ». L’objectif de cette association serait ainsi la « cessation du recours à cette technologie comme mode de production d’énergie, compte tenu des risques de sûreté et de sécurité pour les populations, en particulier en cas d’accident nucléaire ».

48      Dans la mesure où il aurait pour effet d’encourager l’investissement privé vers l’industrie nucléaire, le règlement litigieux affecterait directement la situation juridique de la requérante et de ses membres. En effet, l’exploitation de centrales nucléaires sur le territoire de l’Union affecterait leurs droits fondamentaux tels que le droit à la vie, protégé par l’article 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ainsi que le droit à une vie privée et familiale normale, tel que protégé par l’article 8 de la CEDH.

49      La requérante soutient que la question de savoir si le règlement litigieux affecte ou non les normes auxquelles seront soumises la construction de nouvelles centrales nucléaires ou la modernisation de centrales actuelles est sans pertinence, dès lors que ce règlement aura directement pour conséquence le développement de l’industrie nucléaire sur le territoire de l’Union, en encourageant l’investissement privé dans cette industrie. En effet, ledit règlement aurait pour objet de fixer des critères d’examen technique afin de déterminer les conditions dans lesquelles une activité économique des secteurs du nucléaire et du gaz peut être considérée comme contribuant de manière substantielle à l’atténuation du changement climatique en application du règlement 2020/852.

50      L’appréciation du Tribunal selon laquelle le lien entre le droit à la vie ou le droit à une vie privée et familiale normale des membres de la requérante et le règlement litigieux ne serait pas suffisamment direct serait également entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, la requérante serait composée, notamment, de personnes physiques pour qui le fait de vivre à proximité d’une installation nucléaire affecterait directement leur droit à une vie privée et familiale normale, dans la mesure où cette proximité créerait à leur égard un préjudice d’anxiété, lié au risque d’accident nucléaire, qui leur serait propre.

51      La facilitation de la construction de centrales nucléaires augmenterait les risques en matière d’accidents, ce qui affecterait le « droit à la vie », au sens de l’article 2 de la Charte et de l’article 2 de la CEDH. De plus, les atteintes, inhérentes au fonctionnement même des centrales nucléaires, portées à la biodiversité, notamment au milieu aquatique, et qui, au regard des conséquences du réchauffement climatique sur les cours d’eau, s’amplifieront, emporteraient privation du droit à jouir d’un environnement sain et protégé, au sens des articles 2 et 8 de la CEDH. La Charte s’appliquerait également aux communes et aux autres collectivités territoriales membres de la requérante, qui devraient notamment assurer la sécurité sur leur territoire, mise en péril en cas d’implantation d’une centrale nucléaire aux abords de celui-ci, et qui seraient, de ce fait, directement concernées par le règlement litigieux, en particulier au stade de son exécution.

52      S’agissant du point de savoir si le règlement litigieux laisse un pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, la requérante souligne que le Tribunal n’a pas statué sur cette question.

53      Or, selon elle, l’industrie nucléaire pourrait bénéficier, dès l’entrée en vigueur du règlement litigieux, du soutien d’investisseurs privés encouragés à financer cette industrie, sans qu’un nouvel acte d’une institution européenne ou d’un État membre soit nécessaire. Dans la mesure où la raison d’être de la requérante serait de lutter contre l’industrie nucléaire, ce règlement, qui aurait pour effet de favoriser l’investissement privé en faveur de cette industrie, contrarierait directement son objet social si bien qu’elle s’en trouverait directement affectée.

54      En outre, il ressortirait des sections 4.26 insérées par le règlement litigieux aux annexes I et II du règlement délégué 2021/2139 qu’aucune autorisation spécifique n’est nécessaire pour que des investissements privés soient affectés à la « [r]echerche [et au] développement [...]d’installations innovantes d’électricité » ayant pour objectif de produire « de l’énergie à partir de processus nucléaires avec un minimum de déchets issus du cycle du combustible ». S’agissant des activités visées aux sections 4.28 de ces annexes, une nouvelle autorisation ne serait pas nécessaire en pratique, dès lors que plusieurs États membres auraient déjà autorisé la prolongation de la durée d’exploitation de certaines de leurs centrales nucléaires.

55      La Commission estime que le second moyen est non fondé.

 Appréciation de la Cour

56      En ce qui concerne la question de savoir si les membres de la requérante sont affectés directement par le règlement litigieux, force est de constater que celle-ci ne démontre pas en quoi il existerait un lien suffisamment direct entre, d’une part, ce règlement, qui établit les critères d’examen technique afin de déterminer si certaines activités liées au gaz et au nucléaire relèvent de la catégorie des activités économiques transitoires couvertes par l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2020/852, et, d’autre part, la situation juridique de ses membres, au sens de la jurisprudence rappelée au point 35 du présent arrêt.

57      En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 38 et 39 de l’ordonnance attaquée, le règlement litigieux a pour effet, en substance, non pas de réglementer l’exercice des activités liées à l’énergie nucléaire par des opérateurs privés, mais d’imposer des obligations d’information aux acteurs des marchés financiers qui proposent notamment des investissements dans ces activités. En particulier, ce règlement a pour objet d’établir, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 3, du règlement 2020/852, les critères d’examen technique afin de déterminer si certaines activités liées au gaz et au nucléaire relèvent de la catégorie des activités économiques transitoires couvertes par le paragraphe 2 de cet article 10 et d’assurer que les investissements réalisés dans ces activités ainsi que les produits financiers liés fassent l’objet de mesures de transparence. Ledit règlement concerne, dès lors, avant tout, les acteurs des marchés financiers et les émetteurs de produits financiers ou d’obligations d’entreprises, de sorte qu’il ne vise pas la situation juridique des membres de la requérante.

58      À cet égard, contrairement à ce que fait valoir la requérante, il ne ressort ni des objectifs du règlement litigieux ni des dispositions de celui-ci que ce règlement viserait à assurer la sûreté des installations nucléaires sur le territoire de l’Union, de sorte que le risque éventuel d’accident nucléaire ne peut être directement attribué audit règlement. De même, l’argument de la requérante tiré du développement de l’industrie nucléaire sur le territoire de l’Union comme conséquence directe du règlement litigieux ne saurait prospérer, étant donné qu’un tel développement dépend, en toute hypothèse, d’autres éléments que la seule adoption de ce règlement. À cet égard, il ressort du considérant 18 dudit règlement que les modifications apportées par celui-ci « n’imposent aucun investissement, mais visent à aider les marchés financiers et les investisseurs à identifier, sous réserve de conditions strictes, les activités pertinentes liées au gaz et au nucléaire qui sont nécessaires à la transition des systèmes énergétiques des États membres vers la neutralité climatique, conformément aux objectifs et aux engagements de l’Union en matière climatique ».

59      Enfin, l’invocation d’une potentielle atteinte au droit à la vie des membres de la requérante, à leur droit à une vie privée et familiale normale et à leur droit à jouir d’un environnement sain et protégé, comme conséquence des risques potentiels liés au fonctionnement et à la construction des centrales nucléaires, ne saurait suffire pour que le recours de la requérante soit déclaré recevable.

60      En effet, reconnaître à toute personne la qualité pour agir en se fondant uniquement sur une atteinte à ses droits fondamentaux par des actes de portée générale, tels que le règlement litigieux, reviendrait à vider de leur substance les exigences de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2021, Carvalho e.a./Parlement et Conseil, C‑565/19 P, EU:C:2021:252, point 48). Ainsi, l’importance de l’atteinte alléguée au respect des droits fondamentaux des membres de la requérante ne saurait écarter l’application de ces exigences.

61      La requérante n’ayant apporté au soutien de sa prétention aucun élément susceptible de démontrer que le règlement litigieux affecte directement la situation juridique de ses membres, il n’était pas nécessaire au Tribunal d’examiner si ce règlement laisse un pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, au sens de la jurisprudence rappelée au point 35 du présent arrêt.

62      Ainsi qu’il ressort explicitement de la description des activités visées aux sections 4.26 et 4.28 insérées par le règlement litigieux aux annexes I et II du règlement délégué 2021/2139 et invoquées par la requérante elle-même, les critères d’examen technique énoncés dans ces sections concernent les activités autorisées par les autorités compétentes des États membres, conformément au droit national applicable. Contrairement à ce que fait valoir la requérante, l’autorisation des activités économiques visées dans lesdites sections ne découle donc pas du seul règlement litigieux.

63      Il s’ensuit que le second moyen doit être rejeté.

64      Il résulte des motifs qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

65      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

66      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

67      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      L’Association Trinationale de Protection Nucléaire (ATPN) est condamnée aux dépens.

Piçarra

Jääskinen

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 septembre 2024.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

N. Piçarra


*      Langue de procédure : le français.

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