PAN Europe v Commission (Plant protection products - Active substance cypermethrin - Judgment (extracts) French Text [2024] EUECJ T-536/22 (21 February 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T53622.html
Cite as: ECLI:EU:T:2024:98, [2024] EUECJ T-536/22, EU:T:2024:98

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ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

21 février 2024 (*)

« Produits phytopharmaceutiques – Substance active cyperméthrine – Règlement d’exécution (UE) 2021/2049 – Demande de réexamen interne – Article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1367/2006 – Rejet de la demande – Identification de domaines critiques de préoccupation par l’EFSA – Évaluation et gestion des risques – Principe de précaution – Pouvoir d’appréciation de la Commission »

Dans l’affaire T‑536/22,

Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Me A. Bailleux, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme A. C. Becker, MM. G. Gattinara et M. ter Haar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes I. Reine et T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 12 octobre 2023,

rend le présent

Arrêt (1)

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 23 juin 2022 (ci-après la « décision attaquée ») par laquelle celle-ci a rejeté la demande de réexamen interne qu’elle avait introduite conformément à l’article 10 du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de l’Union européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), pour le règlement d’exécution (UE) 2021/2049 de la Commission, du 24 novembre 2021, renouvelant l’approbation de la substance active « cyperméthrine » comme substance dont la substitution est envisagée, conformément au règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission (JO 2021, L 420, p. 6).

I.      Antécédents du litige

2        La cyperméthrine est un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes. Cette famille d’insecticides est largement utilisée au sein de l’Union européenne afin de lutter contre les ravageurs des cultures. La cyperméthrine est hautement toxique pour les insectes.

3        Par sa directive 2005/53/CE, du 16 septembre 2005, modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en vue d’y inscrire les substances actives chlorothalonil, chlorotoluron, cyperméthrine, daminozide et thiophanate-méthyl (JO 2005, L 241, p. 51), la Commission a inscrit la cyperméthrine en tant que substance active à l’annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1). Les substances actives inscrites à l’annexe I de la directive 91/414 sont réputées approuvées en vertu du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414 du Conseil (JO 2009, L 309, p. 1), et figurent à l’annexe, partie A, du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission, du 25 mai 2011, portant application du règlement no 1107/2009, en ce qui concerne la liste des substances actives approuvées (JO 2011, L 153, p. 1).

4        Cette approbation devait expirer le 28 février 2016. Cependant, en raison d’importants retards dans les processus de réévaluation et de prise de décision, cette approbation a été prolongée, par le biais de règlements d’exécution de la Commission, d’un an en 2017, en 2018, en 2019, en 2020 et en 2021 par le comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et aliments pour animaux (ci-après le « comité permanent »).

5        Dans le cadre de la procédure de renouvellement de l’approbation de la cyperméthrine, l’État membre rapporteur (ci-après l’« EMR »), en concertation avec l’État membre corapporteur, a établi un projet de rapport d’évaluation du renouvellement, qu’il a transmis à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et à la Commission le 8 mai 2017.

6        L’EFSA a communiqué le projet de rapport d’évaluation du renouvellement aux demandeurs et aux États membres afin de recueillir leurs observations, et elle y a consacré une consultation publique. Elle a ensuite transmis les observations reçues à la Commission.

7        L’EFSA a remis, le 31 juillet 2018, un avis scientifique intitulé « Peer Review of the pesticide risk assessment of the active substance cypermethrin » (Examen par les pairs de l’évaluation des risques liés aux pesticides associés à la substance active cyperméthrine) (ci-après les « conclusions de l’EFSA »). L’EFSA y identifie quatre « domaines critiques de préoccupation ».

8        Ainsi qu’il ressort des conclusions de l’EFSA, celle-ci identifie un ou plusieurs domaines critiques de préoccupation dans les cas suivants :

–        lorsqu’il existe suffisamment d’informations disponibles pour effectuer une évaluation des utilisations représentatives selon les principes uniformes au titre de l’article 29, paragraphe 6, du règlement no 1107/2009 et ainsi qu’énoncé dans le règlement (UE) no 546/2011 de la Commission, du 10 juin 2011, portant application du règlement no 1107/2009 en ce qui concerne les principes uniformes d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques (JO 2011, L 155, p. 127), et que cette évaluation ne permet pas de conclure que, pour au moins l’une des utilisations représentatives, il est probable qu’un produit phytopharmaceutique (ci-après « PPP ») contenant la substance active n’aura aucun effet nocif sur la santé humaine, animale, l’environnement ou l’eau souterraine ou des effets inacceptables sur l’environnement ;

–        lorsque l’évaluation à un niveau plus élevé n’a pas pu être achevée en raison d’un manque d’informations, et que l’évaluation réalisée au niveau inférieur ne permet pas de conclure que, pour au moins l’une des utilisations représentatives, il est probable qu’un PPP contenant la substance active n’aura aucun effet nocif sur la santé humaine, animale, l’environnement ou l’eau souterraine ou des effets inacceptables sur l’environnement ;

–        si, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande, la substance active n’est pas susceptible de satisfaire aux critères d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009.

9        Concernant la cyperméthrine, l’EFSA a identifié les domaines critiques de préoccupation suivants :

–        un haut risque pour les organismes aquatiques ;

–        un haut risque pour les abeilles mellifères ;

–        un haut risque pour les arthropodes non-ciblés situés en dehors de la zone traitée ;

–        une absence d’information concernant la composition des lots de pesticides utilisés dans les études écotoxicologiques soumises par les demandeurs de l’approbation, qui n’a pas permis à l’EFSA de s’assurer que ces lots de pesticides correspondaient bien aux utilisations représentatives d’un PPP contenant la substance active, au sens de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1107/2009.

10      Lors de la réunion du comité permanent de janvier 2019, la Commission a présenté une proposition de renouvellement de l’approbation limitant l’usage de la cyperméthrine aux saisons de l’automne et de l’hiver afin de protéger les abeilles et les milieux aquatiques, avec des mesures d’atténuation des risques réduisant de 95 % la dérive des pesticides dans l’environnement, pour en prévenir les effets néfastes pour celui-ci.

11      Devant le refus d’une majorité des États membres de soutenir une proposition de renouvellement de l’approbation assortie de telles limitations, la Commission a demandé à l’EFSA de publier une déclaration sur les mesures d’atténuation des risques de la cyperméthrine.

12      En septembre 2019, l’EFSA a publié une déclaration sur les mesures de réduction des risques pour la cyperméthrine (ci-après la « déclaration de 2019 »). L’EFSA y indique que seule une mesure de réduction des risques réduisant de plus de 95 % la dérive des pesticides permettrait de conclure à un niveau de risque faible pour les organismes aquatiques. Elle parvient au même constat pour les arthropodes non-ciblés. L’EFSA indique également que les études fournies ne couvrent pas l’usage de la cyperméthrine en automne. L’EFSA estime en outre que, pour protéger les abeilles, une absence d’adventices en fleurs dans la culture, une interdiction de pulvérisation de cultures en fleurs et une réduction de la dérive de 54 % seraient suffisantes et qu’il serait possible de conclure à un niveau de risque faible.

13      À la suite de nombreuses réunions du comité permanent, la Commission a adopté, le 24 novembre 2021, le règlement d’exécution 2021/2049. Ce renouvellement de l’approbation est toutefois assorti d’une série de dispositions spécifiques prévues à l’annexe I dudit règlement.

14      Le 20 janvier 2022, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, la requérante a adressé à la Commission une demande de réexamen interne du règlement d’exécution 2021/2049 en vue d’obtenir son abrogation ou son remplacement par un règlement rejetant la demande de renouvellement de l’approbation de la substance active cyperméthrine. Dans cette demande, la requérante expose les raisons pour lesquelles elle considère que ledit règlement est contraire au principe de précaution et à l’obligation pour l’Union d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, telle qu’elle ressort des articles 9 et 11, de l’article 168, paragraphe 1, et de l’article 191, paragraphe 1, TFUE ainsi que des articles 35 et 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et telle qu’elle est concrétisée, pour ce qui concerne les produits phytosanitaires, par le règlement no 1107/2009, notamment dans son article 4.

15      Le 18 février 2022, la Commission a demandé à l’EFSA une assistance technique et scientifique relative à tous les éléments scientifiques pertinents présentés dans la demande de réexamen interne. En réponse à cette requête, l’EFSA a publié le 15 mars 2022 un rapport technique (ci‑après le « rapport technique ») se limitant à l’examen d’un seul grief avancé par la requérante, celui relatif à la non prise en compte de certaines études issues de la littérature indépendante dans l’examen de la propriété de perturbation endocrinienne de la cyperméthrine.

16      Dans un courriel du 18 juillet 2022, la Commission a communiqué à la requérante une copie en langue française de la décision attaquée, à laquelle était jointe une annexe exposant les motifs du rejet de la demande de réexamen interne.

II.    Conclusions des parties

17      La requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

19      À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation du principe de précaution et de l’obligation pour l’Union d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, telle qu’elle ressort des articles 9 et 11, de l’article 168, paragraphe 1, et de l’article 191, paragraphe 1, TFUE, ainsi que des articles 35 et 37 de la charte des droits fondamentaux, et telle qu’elle est concrétisée, pour ce qui concerne les produits phytosanitaires, par le règlement no 1107/2009, notamment son article 4.

20      Le moyen unique de la requérante se subdivise en deux branches. La première branche est dirigée contre les remarques préliminaires contenues sous le titre I de l’annexe à la décision attaquée. La deuxième branche est dirigée contre les motifs spécifiques avancés dans le titre II de ladite annexe afin de rejeter les sept griefs soulevés par la requérante dans sa demande de réexamen interne.

21      À titre liminaire, il convient d’examiner la question du point de départ du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, ainsi que les arguments des parties relatifs à la recevabilité de certains arguments avancés par la requérante, dans la mesure où ceux-ci sont contestés par la Commission. Il conviendra également de rappeler l’étendue du contrôle juridictionnel du Tribunal.

A.      Observations liminaires

1.      Sur le point de départ du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE

22      Sans que la recevabilité du recours soit contestée par la Commission en l’espèce pour cause de tardivité, la requérante a rappelé, lors de l’audience, qu’il importait que le Tribunal clarifie le point de départ du délai de recours prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, en indiquant que celui-ci correspondait à la communication de la copie en langue française de la décision attaquée, effectuée le 18 juillet 2022, et non à la notification de cette décision en langue anglaise, le 23 juin 2022.

23      À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, en vertu de l’article 2 du règlement no 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385), les textes adressés aux institutions sont rédigés au choix de l’expéditeur dans l’une des langues officielles et la réponse est rédigée dans la même langue.

24      En outre, il convient d’observer qu’il ne ressort d’aucune disposition du règlement no 1367/2006 que le législateur ait entendu déroger aux dispositions générales relatives à l’emploi des langues du règlement no 1 et, en particulier, à l’article 2 de ce règlement, en ce qui concerne les demandes de réexamen internes introduites au titre de l’article 10 du règlement no 1367/2006.

25      En l’espèce, la requérante a introduit le 20 janvier 2022 une demande de réexamen interne en langue française concernant le règlement d’exécution 2021/2049. Il convient dès lors de considérer que c’est la communication en langue française de la décision attaquée, parvenue à la requérante le 18 juillet 2022, qui constitue le point de départ du délai de recours visé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

26      Le présent recours ayant été déposé au greffe du Tribunal le 31 août 2022, il doit, dès lors, être déclaré recevable.

2.      Sur la nature du recours fondé sur l’article 12 du règlement no 1367/2006 et la portée de la règle de concordance entre la demande de réexamen et le recours en annulation

27      Sans conclure à l’irrecevabilité du recours dans son ensemble, la Commission objecte, dans plusieurs passages du mémoire en défense et de la duplique, que certains arguments présentés par la requérante n’avaient pas été soulevés dans sa demande de réexamen interne. De tels arguments devraient, dès lors, être déclarés irrecevables, conformément à la règle de concordance entre la demande de réexamen et le recours en annulation. Selon cette règle, un recours en annulation ne saurait être fondé sur des motifs nouveaux ou des éléments de preuve qui n’apparaissent pas dans la demande de réexamen (arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission, C‑82/17 P, EU:C:2019:719, points 38 et 39).

28      La Commission ne conteste pas que la requérante puisse répondre aux arguments avancés dans la décision attaquée, à l’appui de son argument initial, mais elle estime qu’elle ne peut pas, ce faisant, soutenir une nouvelle argumentation. Cela modifierait le « champ d’application » de la procédure déclenchée par la demande de réexamen, ce qu’il conviendrait précisément d’empêcher, comme indiqué au considérant 15 du règlement (UE) 2021/1767 du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 2021, modifiant le règlement no 1367/2006 (JO 2021, L 356, p. 1), et au point 39 de l’arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission (C‑82/17 P, EU:C:2019:719). À cet égard, selon la Commission, si le but de la procédure de réexamen interne est, certes, celui de garantir l’accès à la justice à l’encontre des actes susceptibles de contrevenir au droit de l’environnement, l’usage de cette procédure ne devrait pas porter atteinte à son « effet utile », qui est lié au maintien du même « objet » tout le long de ladite procédure.

29      En outre, la Commission rappelle que, dans son arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission (C‑82/17 P, EU:C:2019:719), la Cour a indiqué que la charge de la preuve d’un demandeur en réexamen interne concernait « les éléments de fait ou les arguments de droit », et ce sans aucune limitation. Il ne saurait donc y avoir d’« éléments contextuels » qui « échappe[raie]nt à la logique de [la] concordance ».

30      En effet, selon la Commission, la logique du recours en annulation, aux termes de l’article 12 du règlement no 1367/2006, ne concernerait que la qualité et le bien-fondé de la réponse apportée à la demande de réexamen, qui contient une appréciation sur la légalité d’une mesure déterminée. Si un demandeur en réexamen interne n’est pas satisfait de la réponse qu’il a reçue, comme sa contestation aux termes de l’article 12 vise précisément à invalider cette appréciation de légalité, il ne saurait rajouter de nouveaux arguments sans modifier l’objet de la procédure, enclenchée par la demande de réexamen interne.

31      Il ressortirait clairement du considérant 21 du règlement 2021/1767 qu’il est exigé du demandeur qu’il présente, dès le début de la procédure, des éléments de droit ou de fait suffisamment étayés qui suscitent des « doutes plausibles » quant à l’appréciation portée par l’institution ou l’organe de l’Union. La requérante ne saurait, dès lors, faire usage de la jurisprudence concernant d’autres procédures judiciaires, telles que le pourvoi ou le recours en manquement, cette interprétation par analogie ne pouvant pas déroger aux critères interprétatifs directement et spécifiquement établis par la Cour dans sa jurisprudence sur le règlement no 1367/2006.

32      Ainsi, le recours présenté par la requérante, à la suite de la réponse à sa demande de réexamen interne, ne saurait priver d’effet utile la procédure de réexamen et ne pourrait avoir pour objet que de vérifier concrètement si les arguments ou doutes réels avancés par la requérante dans la demande de réexamen ont été traités avec diligence et avec des arguments plausibles.

33      La requérante conteste, de manière générale, l’interprétation qui est faite par la Commission de la règle de concordance. Elle observe que la Commission semble vouloir la placer dans une situation impossible, étant donné que, tantôt elle lui reproche de répéter les arguments développés dans la demande de réexamen interne sans prendre en compte l’argumentation développée dans la décision attaquée, tantôt elle objecte que certains arguments seraient irrecevables, car nouveaux, en raison du fait qu’ils ont été avancés par la requérante en réponse à l’argumentation développée par la Commission pour la première fois dans la décision attaquée. Une telle interprétation serait manifestement contraire au droit à une protection juridictionnelle effective et à l’esprit du règlement no 1367/2006.

34      Il ressortirait du considérant 15 du règlement 2021/1767 que la règle de concordance interdit uniquement aux parties requérantes d’avancer des « motifs nouveaux » ou des « éléments de preuve qui n’apparaissent pas dans la demande de réexamen » en vue de sauvegarder « l’effet utile » de la demande de réexamen interne et d’empêcher les parties requérantes de « modifier l’objet de la procédure engagée par cette demande ». Au vu de leur sens usuel et de l’objectif poursuivi par la règle de la concordance, les notions de « motifs » et d’« éléments de preuve » ne pourraient pas être raisonnablement interprétées comme englobant tout élément visant à préciser ou contextualiser un argument déjà présent dans la demande de réexamen.

35      À cet égard, selon la requérante, il conviendrait de faire un parallèle entre cette règle de concordance et celle qui prévaut dans le cadre de la procédure de pourvoi ainsi que dans le cadre des procédures en constatation de manquement.

36      Les notions de « motifs » et d’« éléments de preuve » ne pourraient pas non plus être raisonnablement comprises comme empêchant une partie requérante de répondre à un argument soulevé par la Commission elle-même pour justifier sa décision de refus de réexamen.

37      Au regard de ces considérations, la requérante invite le Tribunal à constater qu’aucun des éléments dont la Commission conteste la recevabilité ne saurait s’analyser en un « motif » ou un « élément de preuve » nouveau. Ces éléments auraient tous été avancés par la requérante en vue de répondre à une argumentation développée par la Commission, dans la décision attaquée, pour justifier son refus de réexamen. Par ailleurs, il s’agirait d’éléments de contexte, de clarification ou de discussion, que la Commission connaissait déjà, et qui ne sauraient être considérés comme décisifs ou susceptibles, en eux-mêmes, de fonder un constat d’illégalité. En ce sens, ils n’altèreraient en rien l’objet de la procédure ni ne nuiraient à l’effet utile de la procédure de réexamen.

38      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, toute organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères prévus à l’article 11 de ce règlement est habilitée à déclencher, par la voie d’une demande motivée, un réexamen interne d’un acte administratif auprès de l’institution ou de l’organe de l’Union qui l’a adopté au titre du droit de l’environnement. Lorsque l’objet de l’acte administratif en cause porte, comme en l’espèce, sur une décision de renouveler l’approbation d’une substance active, telle que la cyperméthrine, l’objet d’une demande de réexamen concerne, en application de cette disposition, la réévaluation d’une telle approbation.

39      La demande de réexamen interne d’un acte administratif tend donc à faire constater une prétendue illégalité ou l’absence de bien-fondé de l’acte visé. Le demandeur peut ensuite saisir, conformément à l’article 12 du règlement no 1367/2006, lu conjointement avec l’article 10 de ce règlement, le juge de l’Union en introduisant un recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application ou détournement de pouvoir contre la décision rejetant comme non fondée la demande de réexamen interne.

40      Il s’ensuit que, selon une lecture combinée des articles 10 et 12 du règlement no 1367/2006, un recours en annulation n’est recevable que s’il est dirigé contre la réponse à ladite demande et que les moyens invoqués au soutien de l’annulation visent spécifiquement cette réponse (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2016, TestBioTech e.a./Commission, T‑177/13, non publié, EU:T:2016:736, point 56).

41      Un tel recours ne saurait être fondé sur des motifs nouveaux ou des éléments de preuve qui n’apparaissaient pas dans la demande de réexamen, sous peine de priver l’exigence relative à la motivation d’une telle demande, figurant à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, de son effet utile et de modifier l’objet de la procédure engagée par cette demande (arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission, C‑82/17 P, EU:C:2019:719, point 39).

42      Ainsi, il est inhérent au système du réexamen que le demandeur de réexamen présente des motifs concrets et précis susceptibles de remettre en cause les appréciations sur lesquelles la décision d’autorisation est fondée. Dès lors, afin de préciser les motifs de réexamen de la façon requise, un demandeur de réexamen interne d’un acte administratif au titre du droit de l’environnement est tenu d’indiquer les éléments de fait ou les arguments de droit substantiels susceptibles de fonder des doutes plausibles, à savoir substantiels, quant à l’appréciation portée par l’institution ou l’organe de l’Union dans l’acte visé (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, TestBioTech e.a./Commission, C‑82/17 P, EU:C:2019:719, points 68 et 69).

43      En outre, les moyens et les arguments soulevés devant le Tribunal dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision portant rejet d’une demande de réexamen interne ne sauraient être considérés comme étant recevables que dans la mesure où ces moyens et ces arguments ont déjà été présentés par la partie requérante dans la demande de réexamen interne et ce, de manière à ce que la Commission ait pu y répondre (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 2016, TestBioTech e.a./Commission, T‑177/13, non publié, EU:T:2016:736, point 68, et du 4 avril 2019, ClientEarth/Commission, T‑108/17, EU:T:2019:215, point 55).

44      Toutefois, comme le reconnait la Commission, il ne saurait être exigé d’une partie requérante formant un recours devant le Tribunal au titre de l’article 12 du règlement no 1367/2006 qu’elle se limite à reproduire textuellement les arguments qu’elle avait invoqués dans sa demande de réexamen interne.

45      En effet, d’une part, de la même manière qu’une partie requérante est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 17 ; du 10 avril 2014, Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 102, et du 25 janvier 2022, Commission/European Food e.a., C‑638/19 P, EU:C:2022:50, point 77), une partie requérante au titre de l’article 12 du règlement no 1367/2006 doit pouvoir soulever des arguments qui visent à critiquer, en droit, le bien-fondé de la décision adoptée en réponse à sa demande de réexamen interne. De tels arguments ne sauraient, toutefois, modifier l’objet de la procédure engagée par cette demande, sous peine de priver celle-ci de son effet utile. En particulier, ils ne sauraient inclure de nouveaux arguments ou éléments de preuve qui auraient pu être soulevés dès la demande de réexamen.

46      D’autre part, un argument qui n’a pas été soulevé au stade de la demande de réexamen ne saurait être considéré comme nouveau, irrecevable au stade du recours devant le Tribunal, s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre de cette demande (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 3 mars 2016, Espagne/Commission, C‑26/15 P, non publié, EU:C:2016:132, point 84 ; du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 51, et du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 28). Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 juillet 2022, Delifruit/Commission, T‑629/20, EU:T:2022:448, point 20 et jurisprudence citée).

47      Au vu de la nature particulière de la procédure de réexamen instaurée par le règlement no 1367/2006, une telle possibilité doit néanmoins être conciliée avec la nécessité de préserver l’effet utile de ladite procédure, de sorte qu’elle ne saurait permettre à une partie requérante de modifier l’objet de cette procédure en soulevant de nouveaux motifs ou des éléments de preuves qui ne présentent pas un lien suffisamment étroit avec des griefs soulevés au stade de la demande de réexamen. Ainsi, en l’espèce, comme le fait valoir la Commission, la requérante ne saurait invoquer de nouveaux arguments « contextuels » qui échapperaient à la logique de cette règle de concordance, sauf à admettre que de tels arguments sont, en tout état de cause, inopérants.

48      C’est à l’aune de ces considérations que le Tribunal examinera ci-après la recevabilité des arguments soulevés par la requérante, pour chacun des griefs spécifiques visant à contester le bien-fondé de la décision attaquée.

3.      Sur l’étendue du contrôle juridictionnel du Tribunal

49      En vertu de son article 1er, paragraphe 3, le règlement no 1107/2009 vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement et à améliorer le fonctionnement du marché intérieur par l’harmonisation des règles concernant la mise sur le marché de PPP, tout en améliorant la production agricole.

50      En imposant le maintien d’un niveau élevé de protection de l’environnement, le règlement no 1107/2009 applique l’article 11 et l’article 114, paragraphe 3, TFUE. L’article 11 TFUE prévoit que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable. Concrétisant cette obligation, l’article 114, paragraphe 3, TFUE dispose que, dans ses propositions en matière, notamment, de protection de l’environnement, faites au titre du rapprochement des législations ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, la Commission prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques, et que, dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne s’efforcent également d’atteindre cet objectif. Cette protection de l’environnement a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’elle est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 106 et jurisprudence citée).

51      Par ailleurs, le considérant 8 du règlement no 1107/2009 précise que le principe de précaution devrait être appliqué et que ledit règlement vise à assurer que l’industrie démontre que les substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n’ont aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale ni aucun effet inacceptable sur l’environnement.

52      Dans ce cadre, afin de pouvoir poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement no 1107/2009 et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 75). Cela vaut, notamment, pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit prendre en application dudit règlement (arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 143).

53      L’exercice de ce pouvoir n’est toutefois pas soustrait au contrôle juridictionnel. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre de ce contrôle, le juge de l’Union doit vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 76 et jurisprudence citée).

54      S’agissant de l’appréciation par le juge de l’Union de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, il convient de préciser que, afin d’établir que la Commission a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans l’acte. Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de l’acte (voir arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 145 et jurisprudence citée).

55      Les limites au contrôle du juge mentionnées ci-dessus n’affectent cependant pas le devoir de ce dernier de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 39 ; du 9 juillet 2015, Allemagne/Commission, C‑360/14 P, non publié, EU:C:2015:457, point 37, et du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P, EU:C:2023:368, point 56).

56      En outre, il y a lieu de rappeler que, dans les cas où une institution dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du respect de certaines garanties procédurales revêt une importance fondamentale. La Cour a eu l’occasion de préciser que, parmi ces garanties, figuraient notamment pour l’institution compétente l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et celle de motiver sa décision de façon suffisante (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, EU:C:2007:698, point 58 et jurisprudence citée).

B.      Sur les remarques liminaires formulées sous le titre I de l’annexe à la décision attaquée (première branche du moyen unique)

57      Cette première branche se compose de trois griefs distincts, portant, premièrement, sur le rôle de la Commission en tant que gestionnaire des risques au titre du règlement no 1107/2009, deuxièmement, sur le rôle du principe de précaution et, troisièmement, sur le rôle attribué aux États membres au titre du règlement no 1107/2009 pour l’autorisation des PPP.

58      À cet égard, il convient d’observer que, dans l’annexe de la décision attaquée, la Commission a souhaité formuler « un certain nombre de remarques liminaires générales sur les éléments qui sous-tendent ses décisions réglementaires au titre du règlement [no 1107/2009 et qui sont] pertinents pour la réalisation du réexamen interne ».

59      Comme le reconnaît la Commission dans son mémoire en défense, plusieurs arguments soulevés par la requérante portant sur ces remarques préliminaires en ce qui concerne, respectivement, le rôle de la Commission comme gestionnaire des risques, le principe de précaution et le rôle des États membres, sont susceptibles d’avoir un effet sur l’appréciation quant au fond du recours.

60      Dans ces conditions, les arguments de la requérante dirigés contre ces remarques préliminaires, même s’ils présentent un caractère transversal, ne sauraient être considérés comme irrecevables ou inopérants. Il convient, par conséquent, de les examiner au fond.

1.      Sur le rôle de la Commission en tant que gestionnaire des risques et sur le rôle du principe de précaution

61      En premier lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir considéré que, en tant que gestionnaire des risques, au sens de l’article 3 du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1), « elle n’[était] pas tenue de suivre, dans ses décisions réglementaires, les conclusions tirées de l’évaluation scientifique des risques » dès lors qu’elle pouvait prendre en compte d’autres facteurs légitimes et pouvait assortir ses décisions d’approbation de mesures d’atténuation des risques.

62      Tout d’abord, selon la requérante, il serait erroné d’appliquer en bloc au règlement no 1107/2009 l’économie et les principes du règlement no 178/2002. En effet, contrairement à ce dernier, le règlement no 1107/2009 serait fondé sur le principe de précaution, de sorte qu’il placerait systématiquement la préservation de ces intérêts au-dessus de la satisfaction des intérêts économiques. En outre, l’annexe II du règlement no 1107/2009 établirait un certain nombre de critères d’exclusion dont le non-respect interdit l’approbation de la substance active concernée, sans aucun pouvoir d’appréciation de la part de la Commission. Il en irait notamment ainsi des propriétés de perturbation endocrinienne, dont le risque a été soulevé par la requérante, ainsi que de plusieurs critères environnementaux. Plus généralement, sur le plan écotoxicologique, le point 3.8 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 ne permettrait à la Commission d’approuver une substance active que si « l’évaluation des risques démontre que ceux-ci sont acceptables », n’entraînant notamment qu’une « exposition négligeable des abeilles ».

63      Selon la requérante, il résulte de ces dispositions que la Commission n’est pas autorisée, au titre de la gestion des risques, à approuver des substances actives dont une évaluation scientifique indépendante démontre qu’elles ne sont pas conformes aux critères fixés à l’annexe II du règlement no 1107/2009. Il en irait également ainsi du caractère « acceptable » du risque, lequel peut parfois être déterminé au stade de l’évaluation, et non de la gestion de ce dernier. En effet, selon la Communication de la Commission sur le recours au principe de précaution, du 2 février 2000 [COM(2000) 1 final], cette opération de gestion des risques n’interviendrait qu’en présence d’une « évaluation scientifique du risque qui, en raison de l’insuffisance des données, de leur caractère non concluant ou encore de leur imprécision, ne permet pas de déterminer avec une certitude suffisante le risque en question ». En d’autres termes, lorsque le risque est établi avec suffisamment de certitude, la Commission ne pourrait pas passer outre les conclusions de l’évaluation scientifique en se fondant sur ses attributions de gestionnaire du risque. Ce serait le cas, notamment, lorsque l’EFSA indique la présence d’« un risque élevé » associé à la substance.

64      En outre, la requérante fait observer que, à supposer même que la Commission soit en mesure d’approuver, eu égard à d’autres intérêts, notamment de nature économique, une substance dont l’évaluation de l’EFSA démontre qu’elle ne satisfait pas aux critères de l’annexe II du règlement no 1107/2009, le règlement d’exécution 2021/2049 ne repose sur aucune motivation de ce type.

65      En second lieu, la requérante critique le constat de la Commission selon lequel un régime d’approbation assorti de « mesures strictes d’atténuation des risques », tel que le règlement d’exécution 2021/2049, peut être à la fois une application du principe de précaution et un moyen de respecter le principe de proportionnalité. D’une part, elle estime que l’invocation de tels principes ne peut avoir pour effet de rendre inopérantes les conditions d’approbation claires et précises fixées à l’article 4 et à l’annexe II du règlement no 1107/2009. Si l’évaluation scientifique conduit au constat qu’une substance ne remplit pas ces conditions, la Commission ne pourrait pas se substituer au législateur en approuvant néanmoins ladite substance pour des motifs politiques ou économiques. D’autre part, l’adoption de mesures d’atténuation des risques doit composer avec le principe d’effectivité. Or, ce principe serait mis à mal par des conditions à ce point strictes qu’elles en deviennent impraticables et risquent dès lors de ne pas être appliquées, respectées et contrôlées. Certaines conditions qui sous-tendent le règlement d’exécution 2021/2049, telles que des zones tampons de plus de cent mètres, seraient manifestement irréalistes. Du reste, aucune mesure spécifique ne serait imposée aux États membres, ce qui rendrait le respect de ces conditions encore davantage illusoire.

66      La Commission conteste ces arguments.

67      À titre liminaire, il convient d’observer que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, la position de la requérante selon laquelle la Commission serait automatiquement privée de « tout pouvoir d’appréciation » en cas d’incertitudes sur la question de savoir si un des critères indiqués au point 3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 est satisfait, présente un lien suffisamment étroit avec l’argument, soulevé par la requérante au point 16 de sa demande de réexamen interne, duquel il ressort que, « [e]n vertu des principes de précaution, de niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, et de l’article 4, [paragraphe] 1, du règlement [no 1107/2009], l’identification de ne serait-ce qu’un seul [domaine critique de préoccupation] devrait mener à un [non-renouvellement de l’approbation] de la substance, dans la mesure où la protection de la santé humaine ou de l’environnement ne peut être garantie ».

68      De même, en ce qui concerne l’argument fondé sur le point 3.8 de l’annexe II du règlement no 1107/2009, il y a lieu de considérer que celui-ci présente un lien suffisamment étroit avec les arguments soulevés par la requérante dans sa demande de réexamen interne, de sorte qu’il doit être considéré comme étant recevable, en application de la jurisprudence mentionnée au point 46 ci-dessus.

69      Sur le fond, s’agissant du rôle de la Commission en tant que gestionnaire de risques et du rôle du principe de précaution, il convient tout d’abord de rappeler que les procédures d’autorisation et d’approbation mises en place par le règlement no 1107/2009 pour les PPP et leurs substances actives constituent une des expressions du principe de précaution (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 108 et jurisprudence citée).

70      Le principe de précaution constitue un principe général du droit de l’Union imposant aux autorités concernées de prendre, dans le cadre précis de l’exercice des compétences qui leur sont attribuées par la réglementation pertinente, des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques. En effet, dans la mesure où les institutions de l’Union sont responsables, dans l’ensemble de leurs domaines de compétence, de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement, le principe de précaution peut être considéré comme un principe autonome découlant des dispositions du traité, en particulier de l’article 11, de l’article 168, paragraphe 1, de l’article 169, paragraphes 1 et 2, et de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission, T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00 à T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, EU:T:2002:283, point 184 ; du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil, T‑392/02, EU:T:2003:277, point 121, et du 11 juillet 2019, BP/FRA, T‑838/16, non publié, EU:T:2019:494, point 396).

71      Le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, notamment pour l’environnement, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour l’environnement persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (voir arrêt du 6 mai 2021, Bayer CropScience et Bayer/Commission, C‑499/18 P, EU:C:2021:367, point 80 et jurisprudence citée).

72      Cela étant, il y a lieu de considérer que le principe de précaution ne justifie l’adoption de mesures restrictives qu’à la condition qu’elles soient non seulement non-discriminatoires et objectives, mais également proportionnées. Ainsi, le principe de précaution, tel que prévu à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, s’adresse à l’action de l’Union et il ne peut être interprété en ce sens qu’une institution de l’Union est tenue, sur le seul fondement de ce principe, d’adopter une mesure précise, telle que le refus d’une autorisation. S’il est vrai que ce principe peut justifier l’adoption d’une mesure restrictive par une institution, il n’en reste pas moins qu’il ne l’impose pas en toutes circonstances (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 4 avril 2019, ClientEarth/Commission, T‑108/17, EU:T:2019:215, points 282 et 284).

73      Lorsque l’évaluation scientifique ne permet pas de déterminer l’existence du risque avec suffisamment de certitude, le recours ou l’absence de recours au principe de précaution dépend en règle générale du niveau de protection choisi par l’autorité compétente dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation. Ce choix doit cependant être conforme au principe de la prééminence de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement sur les intérêts économiques, ainsi qu’aux principes de proportionnalité et de non-discrimination (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission, T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00 à T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, EU:T:2002:283, point 186, et du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil, T‑392/02, EU:T:2003:277, point 125).

74      Au sein du processus aboutissant à l’adoption par une institution de mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement en vertu du principe de précaution, trois étapes successives peuvent être distinguées : premièrement, l’identification des effets potentiellement négatifs découlant d’un phénomène, deuxièmement, l’évaluation des risques pour la santé publique, la sécurité et l’environnement qui sont liés à ce phénomène et, troisièmement, lorsque les risques potentiels identifiés dépassent le seuil de ce qui est acceptable pour la société, la gestion du risque par l’adoption de mesures de protection appropriées (arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 111).

75      Premièrement, la requérante fait valoir, en substance, que, lorsqu’un risque est établi avec suffisamment de certitude par l’EFSA, la Commission ne pourrait pas passer outre les conclusions de l’évaluation scientifique en se fondant sur ses attributions de gestionnaire du risque.

76      À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a indiqué ce qui suit :

« Lorsqu’elle adopte des règlements d’exécution concernant l’approbation ou le renouvellement de l’approbation d’une substance active en vertu du [règlement no 1107/2009], la Commission agit en qualité de gestionnaire des risques au sens de l’article 3 du règlement (CE) no 178/2002. Elle agit à la suite d’un processus d’évaluation des risques en deux étapes mené par un [EMR] et par l’EFSA, en étroite consultation avec les gestionnaires des risques des États membres représentés au sein du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux – section Produits phytopharmaceutiques – Législation.

La Commission tient donc à rappeler, en premier lieu, qu’en tant que gestionnaire des risques, elle n’est pas tenue de suivre, dans ses décisions réglementaires, les conclusions tirées de l’évaluation scientifique des risques, mais qu’elle s’en sert de base pour prendre des décisions en matière de gestion des risques en toute connaissance de cause [voir considérant 34 du règlement (CE) no 178/2002], en tenant compte de différents éléments. Parmi ces éléments figurent le projet de rapport d’évaluation du renouvellement élaboré par l’[EMR] et les conclusions de l’EFSA sur les résultats de l’examen par les pairs de ce projet d’évaluation du renouvellement, effectué sous sa direction. De fait, l’article 14, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement [d’exécution] (UE) no 844/2012 dispose que la Commission “tient compte” de ces résultats lorsqu’elle prend des décisions en matière de gestion des risques. En outre, la Commission peut demander à l’EFSA toute clarification qu’elle juge nécessaire pour prendre sa décision en matière de gestion des risques, conformément au règlement (CE) no 178/2002, en particulier lorsqu’elle estime qu’il est nécessaire de renforcer la certitude scientifique. Ces déclarations font également partie de l’évaluation des risques sur laquelle la Commission fonde sa décision.

Le rôle de la Commission en tant que gestionnaire des risques suppose que ses décisions peuvent impliquer un choix dans la sélection des options de prévention et de contrôle appropriées afin d’atténuer les risques recensés dans l’évaluation des risques. De fait, l’article 6 du [règlement no 1107/2009] dispose que l’approbation et le renouvellement des décisions d’approbation par la Commission peuvent être subordonnés à des conditions et restrictions telles que la “nécessité d’imposer des mesures d’atténuation des risques” [article 6, sous i)], afin de garantir le respect des critères d’approbation énoncés à l’article 4 et à l’annexe II du [règlement no 1107/2009]. 

La Commission tient à rappeler dans ce contexte que le critère d’approbation dans le domaine de l’environnement est l’absence d’effets “inacceptables” sur l’environnement [voir article 4, paragraphe 3, sous e), du règlement no 1107/2009], ce qui diffère du critère relatif à la santé humaine, à savoir “pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine [...] ou sur la santé animale” [voir article 4, paragraphe 3, point b), du règlement no 1107/2009]. »

77      Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’évaluation des risques pour la santé publique, la sécurité et l’environnement consiste, pour l’institution qui doit faire face à des effets potentiellement négatifs découlant d’un phénomène, à apprécier de manière scientifique lesdits risques et à déterminer s’ils dépassent le niveau de risque jugé acceptable pour la société. Ainsi, afin que les institutions puissent procéder à une évaluation des risques, il leur importe, d’une part, de disposer d’une évaluation scientifique des risques et, d’autre part, de déterminer le niveau de risque jugé inacceptable pour la société (voir arrêt du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 65 et jurisprudence citée).

78      L’évaluation scientifique des risques est un processus scientifique qui consiste, autant que possible, à identifier un danger et à caractériser ledit danger, à évaluer l’exposition à ce danger et à caractériser le risque [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 138 et jurisprudence citée].

79      En tant que processus scientifique, l’évaluation scientifique des risques doit être confiée par l’institution à des experts scientifiques (voir arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 115 et jurisprudence citée).

80      L’évaluation scientifique des risques ne doit pas obligatoirement fournir aux institutions des preuves scientifiques concluantes de la réalité du risque et de la gravité des effets adverses potentiels en cas de réalisation de ce risque. En effet, le contexte de l’application du principe de précaution correspond par hypothèse à un contexte d’incertitude scientifique. En outre, l’adoption d’une mesure préventive ou, à l’inverse, son retrait ou son assouplissement ne sauraient être subordonnés à la preuve d’une absence de tout risque, car une telle preuve est, en général, impossible à fournir d’un point de vue scientifique dès lors qu’un niveau de risque zéro n’existe pas en pratique. Toutefois, une mesure préventive ne saurait valablement être motivée par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées (voir arrêt du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 69 et jurisprudence citée).

81      En effet, l’évaluation scientifique des risques doit se fonder sur les meilleures données scientifiques disponibles et doit être menée de manière indépendante, objective et transparente [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 141 et jurisprudence citée].

82      En outre, une mesure préventive ne saurait être prise que si le risque, sans que son existence et sa portée aient été démontrées pleinement par des données scientifiques concluantes, apparaît néanmoins suffisamment documenté sur la base des données scientifiques disponibles au moment de la prise de cette mesure [arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 143 ; du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 120, et du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 73].

83      Ensuite, la détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société revient, moyennant le respect des normes applicables, aux institutions chargées du choix politique que constitue la fixation d’un niveau de protection approprié pour ladite société. C’est à ces institutions qu’il incombe de déterminer le seuil critique de probabilité des effets adverses pour la santé publique, la sécurité et l’environnement et le degré de ces effets potentiels qui ne leur semble plus acceptable pour cette société et qui, une fois dépassé, nécessite, dans l’intérêt de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement, le recours à des mesures préventives malgré l’incertitude scientifique subsistante (voir arrêt du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 75 et jurisprudence citée).

84      Lors de la détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société, les institutions sont tenues par leurs obligations d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement. Ce niveau élevé de protection ne doit pas nécessairement, pour être compatible avec l’article 114, paragraphe 3, TFUE, être techniquement le plus élevé possible. Par ailleurs, ces institutions ne peuvent adopter une approche purement hypothétique du risque et orienter leurs décisions à un niveau de « risque zéro » [arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 146, et du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 76].

85      La détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société dépend de l’appréciation portée par l’autorité publique compétente sur les circonstances particulières de chaque cas d’espèce. À cet égard, cette autorité peut tenir compte, notamment, de la gravité de l’impact d’une survenance de ce risque sur la santé publique, la sécurité et l’environnement, y compris l’étendue des effets adverses possibles, de la persistance, de la réversibilité ou des effets tardifs possibles de ces dégâts ainsi que de la perception plus ou moins concrète du risque sur la base de l’état des connaissances scientifiques disponibles [arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 147 ; du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 124, et du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 77].

86      Enfin, la gestion du risque correspond à l’ensemble des actions entreprises par une institution qui doit faire face à un risque afin de le ramener à un niveau jugé acceptable pour la société eu égard à son obligation, en vertu du principe de précaution, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement [arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 148 ; du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 125, et du 17 mars 2021, FMC/Commission, T‑719/17, EU:T:2021:143, point 78].

87      Ces actions comprennent l’adoption de mesures provisoires qui doivent être proportionnées, non discriminatoires, transparentes et cohérentes par rapport à des mesures similaires déjà adoptées (voir arrêt du 17 mai 2018, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑429/13 et T‑451/13, EU:T:2018:280, point 126 et jurisprudence citée).

88      Au regard de ce qui précède, la requérante ne saurait valablement soutenir que, dès lors que l’EFSA identifie certains domaines critiques de préoccupation, la Commission ne disposerait plus d’aucun pouvoir d’appréciation à cet égard.

89      En effet, si, en vertu de l’article 14, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement d’exécution (UE) no 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement no 1107/2009 (JO 2012, L 252, p. 26), la Commission doit « tenir compte » des conclusions de l’EFSA et du projet de rapport d’évaluation du renouvellement émis par l’EMR, lors de l’adoption d’un règlement relatif au renouvellement de l’approbation d’une substance active, en tant que gestionnaire des risques, elle n’est pas liée par les constats opérés par l’EFSA ou par l’EMR (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2023, Ascenza Agro et Industrias Afrasa/Commission, T‑77/20, EU:T:2023:602, points 246 et 247).

90      Une telle prise en compte ne peut en effet s’interpréter comme une obligation pour la Commission de suivre en tous points les conclusions de l’EFSA ou de l’EMR, même si ces conclusions sont le point de départ de l’évaluation et, partant, ont un poids important dans ladite évaluation (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2022, Taminco et Arysta LifeScience Great Britain/Commission, T‑740/18, EU:T:2022:61, point 141).

91      Cependant, le large pouvoir d’appréciation de la Commission en tant que gestionnaire des risques demeure encadré par le nécessaire respect des dispositions du règlement no 1107/2009, en particulier son article 4, lu conjointement avec l’annexe II de ce règlement, ainsi que par le principe de précaution qui sous-tend l’ensemble des dispositions de ce règlement.

92      En particulier, lorsque l’évaluation des risques conduit à l’identification de plusieurs domaines critiques de préoccupation, au sens rappelé au point 8 ci-dessus, et à une recommandation de ne pas renouveler l’approbation de la substance active concernée, la Commission ne saurait, en principe, s’écarter des résultats d’une telle évaluation, sous peine de méconnaître le principe de précaution.

93      À cet égard, la Commission ne saurait renouveler l’approbation d’une substance active que s’il est démontré à suffisance que, nonobstant l’identification de domaines critiques de préoccupation, des mesures d’atténuation des risques permettent de conclure que les critères de l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1107/2009 sont respectés. Une telle démonstration ne saurait être considérée comme suffisante en l’absence de vérification scientifique du caractère approprié de telles mesures au regard des critères précités.

94      Ainsi, comme le fait valoir la Commission, et sous réserve du respect des principes énoncés aux points 89 à 93 ci-dessus, son rôle est précisément la détermination des risques qui sont acceptables pour la société, avec un seuil de tolérance plus élevé en ce qui concerne la protection de l’environnement qu’en ce qui concerne la santé humaine ou animale, et en prenant en considération des mesures de gestion pour mitiger des risques déterminés.

95      Contrairement à ce que fait valoir la requérante, cela ne signifie pas que, en renouvelant l’approbation de la substance active cyperméthrine, tout en imposant certaines mesures de gestion des risques, la Commission serait « passée outre » ou aurait ignoré les évaluations scientifiques de l’EFSA.

96      À cet égard, il convient de rappeler que, en l’espèce, l’évaluation des risques par l’EFSA dans ses conclusions a été précisée ultérieurement par sa déclaration de 2019, dans laquelle elle a confirmé la possibilité d’adopter des mesures de gestion des risques. Partant, le seul fait que l’EFSA ait identifié quatre domaines critiques de préoccupation dans ses conclusions ne permet pas de considérer que la Commission ne disposait plus d’aucune marge d’appréciation, en tant que gestionnaire des risques, sous réserve qu’elle assure que les critères indiqués à l’article 4 du règlement no 1107/2009 étaient satisfaits. En d’autres termes, il n’est pas exclu pour la Commission de vérifier, dans le respect du principe de précaution, si le risque aurait pu devenir acceptable en imposant certaines mesures.

97      En outre, c’est à tort que la requérante se réfère à de telles mesures de gestion des risques uniquement en présence d’un « manque de données ». En effet, l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1107/2009 se réfère à des « conditions réalistes d’utilisation » et permet donc aussi l’adoption des mesures en question pour des risques bien établis, et ce même lorsqu’un risque est établi sur la base d’un ensemble complet de données.

98      Le premier grief de la requérante doit, dès lors, être rejeté.

99      Deuxièmement, la requérante fait valoir, en substance, que l’annexe II du règlement no 1107/2009 établit un certain nombre de critères d’exclusion dont le non-respect interdirait l’approbation de la substance active concernée, sans aucun pouvoir d’appréciation de la Commission. Tel serait le cas, en particulier, s’agissant des effets de perturbation endocrinienne prévus aux points 3.6.5 et 3.8.5 de l’annexe II dudit règlement.

100    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que les critères figurant aux points 3.6.2, 3.6.3 et 3.6.5 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 lesquels sont relatifs, respectivement, à la génotoxicité, à la carcinogénicité et aux effets perturbateurs endocriniens, sont libellés et doivent être interprétés de la même manière que celui qui est mentionné au point 3.6.4 de cette annexe, à savoir qu’une substance active « n’est approuvée que si » cette substance « n’est pas – ou ne doit pas être » – classée comme mutagène, cancérogène ou comme ayant des effets perturbateurs endocriniens. En ce sens, il s’agit de « critères d’exclusion », par opposition aux conditions de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1107/2009, pour lesquelles l’article 4, paragraphe 1, du même règlement dispose que, dès lors qu’il est prévisible qu’elles sont remplies, la substance en cause doit être approuvée (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2023, Ascenza Agro et Industrias Afrasa/Commission, T‑77/20, EU:T:2023:602, points 118 à 121).

101    Il suffit néanmoins de constater que, en l’espèce, il ne ressort pas de la décision attaquée, que le critère prévu au point 3.6.5 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 ne constituerait pas un critère d’exclusion, au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus. En outre, la cyperméthrine n’a, à aucun moment, été qualifiée par l’EFSA ou par l’EMR comme une substance active ayant des effets perturbateurs endocriniens, au sens du point 3.6.5 de l’annexe II du règlement no 1107/2009. Par ailleurs, le respect du critère relatif aux effets de perturbation endocrinienne ne figurait pas parmi les « domaines critiques de préoccupation » identifiés par l’EFSA dans ses conclusions.

102    Le deuxième grief de la requérante doit, dès lors, être rejeté comme inopérant.

103    Troisièmement, s’agissant des arguments de la requérante, tirés du nécessaire respect du principe d’effectivité, ainsi qu’il a été indiqué au point 91 ci-dessus, le large pouvoir d’appréciation de la Commission en tant que gestionnaire des risques demeure encadré par l’article 4 du règlement no 1107/2009, lu conjointement avec l’annexe II de ce règlement. À cet égard, il ressort de l’article 4, paragraphes 2 et 3, dudit règlement, que l’approbation d’une substance active ne saurait être accordée que s’il est démontré que les conditions d’approbation sont satisfaites, dans des conditions réalistes d’utilisation. Conformément au paragraphe 5 de ce même article, il doit être démontré qu’au moins une utilisation représentative d’au moins un PPP contenant cette substance satisfait auxdits critères, dans des conditions réalistes d’utilisation.

104    Aussi, la Commission, en tant que gestionnaire des risques, ne saurait considérer que les critères de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1107/2009 sont satisfaits lorsqu’une telle conclusion repose sur l’imposition de mesures d’atténuation des risques qui ne permettraient pas d’exclure les effets nocifs sur la santé humaine ou les effets inacceptables pour l’environnement, notamment parce que de telles mesures sont irréalistes. En d’autres termes, elle ne saurait identifier d’utilisation « sûre » sans s’assurer que les mesures d’atténuation des risques retenues à cet effet permettent effectivement, et non théoriquement, de ramener le risque identifié à un niveau acceptable.

105    Cela étant, dans la décision attaquée, la Commission n’a nullement fait valoir qu’elle serait en droit de prévoir des mesures d’atténuation des risques qui seraient irréalistes. Elle s’est, au contraire, fondée sur la déclaration de 2019 dans laquelle l’EFSA a elle-même constaté que les mesures d’atténuation des risques reprises à l’annexe I du règlement d’exécution 2021/2049, dont le respect doit être vérifié par les États membres dans le cadre des procédures d’autorisation des PPP contenant la substance active en cause, permettaient de conclure à un risque faible pour les organismes aquatiques, les arthropodes non ciblés et les abeilles. La Commission a par ailleurs considéré qu’il appartenait aux États membres, dans le cadre desdites procédures d’autorisation, de vérifier si de telles mesures étaient possibles dans la pratique. Partant, l’argument de la requérante doit être rejeté.

106    Quant à la référence aux considérations économiques ou politiques auxquelles la Commission aurait donné la priorité par l’adoption du règlement d’exécution 2021/2049, il s’agit d’un argument nouveau par rapport aux griefs soulevés dans la demande de réexamen et donc irrecevable dans le cadre du présent recours. En tout état de cause, un tel argument est trop vague et hypothétique pour pouvoir remettre en cause la légalité de la décision attaquée.

107    Enfin, en affirmant, en substance, dans la décision attaquée, qu’elle pouvait recourir au principe de précaution dans l’application et la mise en œuvre du règlement no 1107/2009, tout en respectant le principe de proportionnalité, comme l’a confirmé la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2021, Bayer CropScience et Bayer/Commission, C‑499/18 P, EU:C:2021:367, point 166), la Commission n’a commis aucune erreur de droit.

108    Dès lors, sans préjudice de la question de savoir si la Commission pouvait valablement considérer que la cyperméthrine remplissait les conditions d’approbation visées au point 3.6.5 de l’annexe II du règlement no 1107/2009, qui sera examinée ci-après, l’argumentation de la requérante doit être rejetée.

2.      Sur le rôle attribué aux États membres au titre du règlement no 1107/2009

109    La requérante estime que la Commission ne saurait valablement considérer que c’est aux États membres qu’il incombe, lors de la délivrance d’autorisations de mise sur le marché de produits contenant de la cyperméthrine, de « fixer des conditions appropriées, telles que des mesures d’atténuation des risques » et de procéder à l’évaluation comparative prévue à l’article 50 du règlement no 1107/2009, dès lors que la cyperméthrine a été classée comme substance dont on envisage la substitution.

110    Elle considère que la Commission ne peut pas se décharger de ses responsabilités sur les États membres. D’une part, la plupart des États membres n’auraient pas la capacité administrative de concevoir de telles mesures d’atténuation des risques et encore moins de veiller à leur respect en pratique. En se défaussant ainsi sur les États membres, la Commission méconnaitrait donc le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE. D’autre part, le règlement no 1107/2009 prévoirait un principe de reconnaissance mutuelle qui permettrait au titulaire d’une autorisation dans un État membre de s’en prévaloir dans d’autres États. Ce mécanisme aurait pour conséquence de priver les États membres d’un véritable contrôle sur les produits utilisés sur leur territoire et serait susceptible de susciter une « course au moins-disant ». Eu égard à ce contexte, la position de la Commission compromettrait les deux objectifs du règlement no 1107/2009, à savoir l’harmonisation des règles en matière de produits phytosanitaires dans le marché intérieur et la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé et de l’environnement.

111    La Commission conteste ces arguments.

112    Dans l’annexe de la décision attaquée, la Commission a précisé ce qui suit, à titre de « remarques préliminaires », sous une section c) intitulée « Le rôle attribué aux États membres au titre du [règlement no 1107/2009] pour l’autorisation des PPP » :

« La Commission tient à rappeler que les législateurs ont décidé de distinguer le niveau d’action à l’échelle de l’Union en ce qui concerne l’approbation des substances actives, tout en laissant sous la responsabilité des États membres l’autorisation des produits contenant ces substances pour des utilisations en tant que pesticides (voir considérants 10 et 23 du [règlement no 1107/2009]). Aussi les États membres doivent-ils garantir la sécurité en fixant des conditions appropriées, telles que des mesures d’atténuation des risques, comprenant, sans s’y limiter, celles requises dans le cadre de l’approbation à l’échelle de l’[Union]. En outre, lorsqu’une substance est classée parmi les substances dont la substitution est envisagée, les États membres ne peuvent accorder d’autorisations que si les conditions énoncées à l’article 50 du [règlement no 1107/2009] sont remplies, c’est-à-dire après qu’une évaluation comparative a été réalisée.

Dans le cas de la cyperméthrine, la Commission a procédé avec soin, en examinant en détail les points de vue exprimés par les évaluateurs des risques sur le renouvellement de l’approbation de la cyperméthrine. Elle a repris contact avec l’EFSA et avec l’[EMR]. Elle a renforcé encore sa décision en demandant à l’EFSA une déclaration supplémentaire sur l’efficacité des mesures potentielles d’atténuation des risques et en obligeant les États membres à imposer de telles mesures par l’intermédiaire de leurs autorisations (voir “conditions spécifiques” énoncées aux annexes I et II du règlement de la Commission), concernant entre autres les éléments ci-après :

–        Limitation de l’utilisation aux utilisateurs professionnels

–        Conditions spécifiques et mesurables de protection des organismes aquatiques et des arthropodes non ciblés, y compris les abeilles

–        Instructions spécifiques enjoignant les États membres, lorsqu’ils examinent une demande d’autorisation, à prêter une attention particulière à plusieurs aspects, dont la protection des organismes aquatiques et des arthropodes non ciblés, y compris les abeilles, l’évaluation des risques pour les consommateurs et la spécification technique de la substance active telle qu’elle est fabriquée

–        Prévision de mesures de suivi, le cas échéant. »

113    Or, ainsi que le fait valoir la Commission à juste titre, la requérante ne conteste pas le bien-fondé des arguments précités de l’annexe à la décision attaquée, mais se limite à relever, en substance, d’une part, que la Commission se soustrairait à ses obligations en se « défaussant » sur les États membres, et, d’autre part, que le principe de reconnaissance mutuelle des autorisations, consacré aux articles 40 et suivants du règlement no 1107/2009, serait contraire aux objectifs dudit règlement.

114    Or, s’agissant du premier argument, force est de constater que, en rappelant que, en vertu du règlement no 1107/2009, l’approbation de la substance active revient à la Commission, tandis que l’autorisation du produit revient aux États membres, la Commission n’a commis aucune erreur de droit. La requérante se limite d’ailleurs à faire état de problèmes de surcharge administrative dont les autorités nationales souffriraient, mais elle ne conteste pas l’argument selon lequel il incombe bien aux États membres, en vertu de l’article 50 du règlement no 1107/2009, d’effectuer une évaluation comparative avant d’accorder une autorisation relative à un PPP contenant une substance dont la substitution est envisagée.

115    Dans la réplique, la requérante affirme que l’article 50 du règlement no 1107/2009 n’empêchait en rien la Commission de fixer elle-même des mesures d’atténuation des risques dans le règlement d’exécution 2021/2049. Or, un tel argument est inopérant, dans la mesure où il ne remet pas en cause le constat effectué par la Commission dans la décision attaquée, selon lequel, sur la base du système du règlement no 1107/2009, il appartient aux États membres de fixer des conditions appropriées lors de l’autorisation des produits, qui peuvent aller au-delà des restrictions concernant la substance active imposées au niveau de l’Union. Les renvois effectués par la requérante à l’article 6 ainsi qu’à l’article 36, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, à les supposer recevables, ne permettent pas davantage de remettre en cause cette conclusion.

116    Quant au second argument, concernant la reconnaissance mutuelle, les éléments soulevés par la requérante sont également inopérants, dans la mesure où, s’agissant d’une substance dont on envisage la substitution, l’article 41, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1107/2009, exempte précisément une telle substance de l’application de la reconnaissance mutuelle obligatoire.

117    La requérante fait valoir néanmoins que, en vertu de cette disposition, les États membres sont autorisés à appliquer la procédure de reconnaissance mutuelle, ce qui, en pratique, mènerait à une course au moins-disant. Or, à supposer un tel phénomène avéré, en l’absence d’exception d’illégalité de l’article 41 du règlement no 1107/2009 soulevée par la requérante, un tel argument n’est pas non plus susceptible d’établir que la Commission aurait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation en rappelant, dans la décision attaquée, le rôle des États membres au titre du règlement no 1107/2009.

118    Par conséquent, l’ensemble des arguments de la requérante portant sur les remarques préliminaires énoncées par la Commission dans l’annexe à la décision attaquée doivent être rejetés.

C.      Sur les griefs soulevés par la requérante à l’appui de sa demande de réexamen interne (seconde branche du moyen unique)

[omissis]

7.      Sur le septième grief, tiré de l’absence d’examen de la toxicité chronique de la formulation représentative soumise par le demandeur

[omissis]

435    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le septième grief ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

436    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) est condamnée aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 février 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.

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