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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Uss v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine - Judgment) French Text [2024] EUECJ T-571/23 (20 November 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T57123.html Cite as: ECLI:EU:T:2024:839, EU:T:2024:839, [2024] EUECJ T-571/23 |
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
20 novembre 2024 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine - Gel des fonds - Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques - Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste - Notion de “femme ou homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie” - Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC - Article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement (UE) no 269/2014 - Exception d’illégalité - Erreur d’appréciation - Détournement de pouvoir - Abus de droit - Proportionnalité »
Dans l’affaire T‑571/23,
Artem Alexandrovich Uss, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Me R. Moeyersons, avocat,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par M. B. Driessen, en qualité d’agent, assisté de Me B. Maingain, avocat,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé, lors des délibérations, de MM. R. Mastroianni, faisant fonction de président, T. Tóth et S. L. Kalėda (rapporteur), juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Artem Alexandrovich Uss, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2023/1218 du Conseil, du 23 juin 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 159I, p. 526) et du règlement d’exécution (UE) 2023/1216 du Conseil, du 23 juin 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 159I, p. 335) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104) et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « premiers actes de maintien »), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847) et du règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849) (ci-après, pris ensemble, les « deuxièmes actes de maintien »), en tant que l’ensemble de ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.
I. Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours
2 Le requérant est de nationalité russe.
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).
5 Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
6 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1) et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
7 Le 5 juin 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1094, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20), et le règlement (UE) 2023/1089, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 146, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
8 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2023/1094, prévoit ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
[…]
« f) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou
g) à des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ; […]
et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.
2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »
9 Le règlement no 269/2014 modifié impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée.
A. Inscription initiale du nom du requérant sur la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et sur celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié
10 Le 23 juin 2023, le Conseil a adopté les actes initiaux. Par ces actes, le nom du requérant a été ajouté sur la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et sur celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes litigieuses ») pour les motifs suivants :
« [Le requérant] est le propriétaire de Sibougol LCC, une entreprise sibérienne clé qui produit plus de deux millions de tonnes de charbon par an, avec un chiffre d’affaires de plus de 2 000 000 000 [de roubles russes] RUB [(environ 24 millions d’euros au taux moyen de 2020)] enregistré en 2020. Avec sa famille, il est également associé à la société “Krasnoyarsklesomaterialy”, l’un des plus grands exportateurs de bois de Sibérie.
Sibougol LCC a reçu d’importants marchés publics grâce au père [du requérant], Alexander Uss, lors de son mandat de gouverneur de la région de Krasnoïarsk. En outre, le 20 avril 2023, Alexander Uss a publiquement remercié le président Poutine et le gouvernement de la Fédération de Russie pour leur soutien dans le retour de son fils en Russie.
[Le requérant] exerce également des activités commerciales dans plusieurs autres sociétés, y compris la société Nord-Deutsche Industrieanlagenbau, dont il est copropriétaire. Il a fourni à la Fédération de Russie des technologies militaires et à double usage par l’intermédiaire de sa société Nord-Deutsche Industrieanlagenbau.
[Le requérant] est donc un homme d’affaires influent ayant une activité en Russie dans un secteur économique qui constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. De plus, Artem Uss apporte un soutien matériel au gouvernement de la Fédération de Russie dont il tire avantage. »
11 Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 26 juin 2023 (JO 2023, C 222, p. 40), un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux.
12 Par courrier du 4 août 2023, le Conseil a communiqué au requérant les informations figurant dans les dossiers portant respectivement les références WK 10461/23 et WK 5142/23.
B. Maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses jusqu’au 15 mars 2024
13 Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les premiers actes de maintien. Par ces actes, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux figurant dans les actes initiaux.
14 Le 14 septembre 2023, le Conseil a publié au Journal officiel un nouvel avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les premiers actes de maintien (JO 2023, C 324, p. 8).
C. Maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses jusqu’au 15 septembre 2024
15 Le 12 mars 2024, le Conseil a adopté les deuxièmes actes de maintien. Par ces actes, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux figurant dans les actes initiaux.
16 Le 13 mars 2024, le Conseil a publié au Journal officiel un nouvel avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les deuxièmes actes de maintien (JO C/2024/2193).
II. Conclusions des parties
17 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
18 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer irrecevable la demande d’annulation des premiers et deuxièmes actes de maintien ;
– rejeter le recours ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision 2023/1218, ordonner que les effets de cette décision soient maintenus jusqu’à ce que le présent arrêt soit devenu définitif ;
– condamner le requérant aux dépens.
III. En droit
A. Sur la recevabilité de l’adaptation des conclusions
19 Par mémoires en adaptation respectivement déposés au greffe du Tribunal les 8 décembre 2023 et 6 juin 2024, le requérant demande, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, l’annulation des premiers et deuxièmes actes de maintien.
20 Le Conseil conteste la recevabilité de ces mémoires en adaptation au motif qu’ils seraient tardifs.
21 Aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance.
22 En vertu de l’article 86, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau. L’adaptation de la requête doit être effectuée par acte séparé et dans le délai, prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, dans lequel l’annulation de l’acte justifiant l’adaptation de la requête peut être demandée.
23 Selon la jurisprudence, le principe de protection juridictionnelle effective implique que l’institution de l’Union qui adopte ou maintient des mesures restrictives individuelles à l’égard d’une personne ou d’une entité, comme c’est le cas en l’espèce, communique les motifs sur lesquels ces mesures sont fondées, soit au moment où ces mesures sont adoptées, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après leur adoption, afin de permettre à ces personnes ou à ces entités l’exercice de leur droit de recours (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 54 et jurisprudence citée).
24 Cette situation découle de la nature particulière des actes imposant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, lesquels s’apparentent à la fois à des actes de portée générale, dans la mesure où ils interdisent à une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, notamment, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes et des entités dont les noms figurent sur les listes établies dans leurs annexes, et à un faisceau de décisions individuelles à l’égard de ces personnes et de ces entités (voir arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, EU:C:2013:258, point 56 et jurisprudence citée).
25 En l’occurrence, il est fait application du principe de protection juridictionnelle effective à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, aux termes duquel « le Conseil communique à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme [dont il décide d’inscrire le nom à l’annexe I de ce règlement] sa décision et l’exposé des motifs, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations ». L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145 prévoit une disposition de teneur identique.
26 Bien que ces dispositions ne prévoient pas l’obligation expresse, à l’égard du Conseil, de notifier aux personnes ou entités concernées les actes par lesquels il maintient l’inscription de leurs noms sur les listes litigieuses, une telle obligation de notification résulte du principe de protection juridictionnelle effective (voir, par analogie, arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, points 56 et 57).
27 Il en découle que, d’une part, si l’entrée en vigueur d’actes tels que les premiers et deuxièmes actes de maintien a lieu en vertu de leur publication, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre ces actes en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE court, pour chacune desdites personnes et entités, à compter de la date de la communication qui doit lui être faite (voir arrêt du 23 octobre 2015, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑552/13, EU:T:2015:805, point 41 et jurisprudence citée). De même, le délai pour la présentation d’une demande visant à contester ou à étendre les conclusions et les moyens à un acte qui maintient ces mesures commence à courir uniquement à partir de la date de la communication de ce nouvel acte à la personne ou à l’entité concernée (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 56 et jurisprudence citée).
28 Partant, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre un acte imposant de telles mesures à l’égard d’une personne ou d’une entité commence uniquement à courir soit à partir de la date de la communication individuelle de cet acte à l’intéressé, si son adresse est connue, soit à partir de la publication d’un avis au Journal officiel, lorsqu’il est impossible de procéder à la communication directe de cet acte à l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2015, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑552/13, EU:T:2015:805, point 42 et jurisprudence citée).
29 D’autre part, le Conseil n’est pas libre de choisir le mode de communication aux personnes intéressées des actes par lesquels il les soumet à des mesures restrictives. Une communication indirecte de tels actes par la publication d’un avis au Journal officiel n’est autorisée que dans les seuls cas où il est impossible pour le Conseil de procéder à une communication individuelle. À défaut, il serait permis au Conseil de se soustraire aisément à son obligation de communication individuelle (voir, en ce sens, ordonnance du 10 juin 2016, Pshonka/Conseil, T‑381/14, EU:T:2016:361, point 41 et jurisprudence citée).
30 Partant, lorsque le Conseil dispose de l’adresse d’une personne visée par des mesures restrictives, à défaut de communication directe des actes comportant ces mesures, le délai de recours que cette personne doit respecter pour contester ces actes devant le Tribunal ne commence pas à courir. Ainsi, ce n’est que lorsqu’il est impossible de communiquer individuellement à l’intéressé les actes par lesquels des mesures restrictives sont adoptées ou maintenues à son égard que la publication d’un avis au Journal officiel fait commencer à courir ce délai (voir arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, point 62 et jurisprudence citée).
31 À cet égard, le Conseil peut être considéré comme étant dans l’impossibilité de communiquer individuellement à une personne physique ou morale ou à une entité un acte comportant des mesures restrictives la concernant soit lorsque l’adresse de cette personne ou de cette entité n’est pas publique et ne lui a pas été fournie, soit lorsque la communication envoyée à l’adresse dont le Conseil dispose échoue, en dépit des démarches qu’il a entreprises, avec toute la diligence requise, afin d’effectuer une telle communication (voir arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, point 63 et jurisprudence citée).
32 Par ailleurs, il n’est, en principe, pas permis au Conseil de s’acquitter de l’obligation de communication à l’intéressé d’un acte comportant des mesures restrictives à son égard en adressant la notification de cet acte aux avocats qui le représentent. La notification au représentant d’une partie requérante ne vaut notification au destinataire que lorsqu’une telle forme de notification est prévue expressément par une réglementation, lorsqu’il existe un accord en ce sens entre les parties ou lorsque l’avocat est dûment mandaté pour recevoir une telle notification pour le compte de son client (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 74 et jurisprudence citée).
33 Afin de déterminer la date de la communication à partir de laquelle ont commencé à courir les délais que le requérant devait respecter pour contester les premiers et deuxièmes actes de maintien devant le Tribunal, il y a lieu de définir les modalités selon lesquelles le Conseil était tenu de lui communiquer ces actes.
34 En l’espèce, les premiers actes de maintien ont été adoptés le 13 septembre 2023. À cet égard, il est constant que le Conseil a, d’une part, communiqué ces actes à l’avocat du requérant par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 septembre 2023, parvenu à son destinataire le 19 septembre 2023 et, d’autre part, publié le 14 septembre 2023 au Journal officiel un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par ces actes (voir point 14 ci-dessus).
35 Les deuxièmes actes de maintien ont été adoptés le 12 mars 2024. Il est constant que le Conseil a, d’une part, communiqué ces actes à l’avocat du requérant par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 mars 2024, parvenu à son destinataire le 15 mars 2024 et, d’autre part, publié le 13 mars 2024 au Journal officiel un nouvel avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par ces actes (voir point 16 ci-dessus).
36 En premier lieu, il convient de vérifier si le Conseil pouvait valablement s’acquitter de l’obligation, qui lui incombe, de communiquer les premiers et deuxièmes actes de maintien au requérant par l’envoi de ces actes à son avocat.
37 En l’espèce, premièrement, il convient de constater que la réglementation applicable, à savoir l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 et l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145 (voir points 25 et 26 ci-dessus) ne fait aucune référence explicite à la possibilité que la notification des actes visés par la jurisprudence rappelée au point 32 ci-dessus prenne la forme de la communication d’un acte à un avocat représentant la personne visée par ceux-ci.
38 Deuxièmement, aucun élément du dossier ne permet de considérer qu’il y ait eu un accord entre les parties, au sens de la jurisprudence rappelée au point 32 ci-dessus, permettant au Conseil de communiquer les premiers et deuxièmes actes de maintien à l’avocat du requérant.
39 Troisièmement, quant à savoir si l’avocat du requérant était dûment mandaté pour recevoir une telle notification pour le compte de ce dernier, il convient de relever ce qui suit.
40 S’agissant des premiers actes de maintien, le Conseil n’avance aucun élément de nature à établir que le requérant avait consenti à ce que toutes correspondances ou informations le concernant et, dès lors, toutes notifications officielles soient directement adressées à son avocat.
41 S’agissant des deuxièmes actes de maintien, le Conseil se prévaut de courriers des 17 et 30 août 2023 par lesquels l’avocat du requérant aurait répondu, au nom de son client, à des courriers du Conseil. Or, il y a lieu de considérer que cette seule circonstance ne pouvait pas conduire le Conseil à considérer que le requérant avait consenti à ce que toutes correspondances ou informations le concernant, et dès lors toutes notifications officielles, soient directement adressées à ce représentant.
42 Dans ces conditions, les notifications des premiers et des deuxièmes actes de maintien, effectuées par le Conseil par courriers électroniques et par courriers à l’avocat du requérant respectivement le 15 septembre 2023 et le 13 mars 2024 n’équivalaient pas à une communication directe de ces actes au requérant.
43 La circonstance, avancée par le Conseil, selon laquelle le requérant aurait refusé de lui communiquer une adresse électronique à laquelle il pouvait lui notifier l’adoption de nouveaux actes le concernant est, même à la supposer établie, sans influence à cet égard.
44 En second lieu, quant à la possibilité pour le Conseil de procéder à une communication individuelle, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 29 et 31 ci-dessus, il convient de relever que, comme l’admet celui-ci, l’adresse du requérant était mentionnée dans la requête dans la présente affaire, déposée au greffe du Tribunal le 15 septembre 2023.
45 Partant, en l’absence d’autres éléments avancés par le requérant, il n’est pas établi que le Conseil connaissait l’adresse du requérant à la date d’adoption des premiers actes de maintien le 13 septembre 2023.
46 En revanche, ladite adresse était connue du Conseil au moment de l’adoption des deuxièmes actes de maintien, le 12 mars 2024.
47 Toutefois, le Conseil a produit des documents intitulés « service alert » (alertes de service) par lesquels un opérateur postal belge a informé ses clients, notamment, des destinations connaissant des restrictions à la distribution du courrier. Il ressort de ces documents, datés des 6 mars et 3 avril 2024, que, à ces dates, aucun service de livraison ne pouvait être assuré en Russie.
48 Cette circonstance suffit à démontrer l’impossibilité de communiquer individuellement les deuxièmes actes de maintien au requérant, au sens de la jurisprudence rappelée au point 31 ci-dessus.
49 Il résulte de ce qui précède que, tant pour les premiers que les deuxièmes actes de maintien, la communication indirecte de ces actes au requérant par la publication d’un avis au Journal officiel était autorisée au Conseil, de sorte que le délai pour demander l’annulation de ces actes a commencé à courir à partir de la publication de ces avis, à savoir, respectivement, le 14 septembre 2023 et le 13 mars 2024.
50 Or, il convient de rappeler que, selon l’article 59 du règlement de procédure, lorsqu’un délai pour l’introduction d’un recours contre un acte d’une institution commence à courir à partir de la publication de cet acte au Journal officiel, le délai est à compter à partir de la fin du quatorzième jour suivant la date de cette publication.
51 Cette disposition est applicable lorsque l’évènement qui déclenche le délai de recours est un avis portant sur lesdits actes, lequel est lui aussi publié au Journal officiel. En effet, les mêmes raisons qui ont justifié l’octroi d’un délai supplémentaire de quatorze jours à l’égard des actes publiés sont valables en ce qui concerne les avis publiés, contrairement aux communications individuelles (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2014, Syrian Lebanese Commercial Bank/Conseil, T‑174/12 et T‑80/13, EU:T:2014:52, point 65, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 65).
52 Il s’ensuit que, en l’espèce, le délai de recours de deux mois, prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, prévu à l’article 60 du règlement de procédure, a commencé à courir, s’agissant des premiers actes de maintien, le 28 septembre 2023, de sorte qu’il a expiré le 8 décembre 2023 et, s’agissant des deuxièmes actes de maintien, le 27 mars 2024, de sorte qu’il a expiré le 6 juin 2024.
53 Partant, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, les mémoires en adaptation respectivement déposés au greffe du Tribunal les 8 décembre 2023 et 6 juin 2024 l’ont été dans le délai prescrit.
B. Sur le fond
54 À l’appui de son recours, le requérant invoque cinq moyens. Le premier moyen, sous couvert d’être tiré d’une violation de l’obligation de motivation, est en réalité tiré d’erreurs d’appréciation. Le deuxième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir et d’une violation de l’article 18 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 54 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’article 17 de la CEDH. Le quatrième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité. Le cinquième moyen, invoqué à l’encontre des premiers et deuxièmes actes de maintien, est tiré d’une exception d’illégalité.
1. Sur le cinquième moyen, tiré d’une exception d’illégalité
55 Dans les mémoires en adaptation des 8 décembre 2023 et 6 juin 2024, par lesquels le requérant demande l’annulation, respectivement, des premiers et deuxièmes actes de maintien, le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/1094, et à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2023/1089 [ci-après le « critère g) modifié »].
56 Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.
57 L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’un acte contre lequel elle peut former un recours, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui constituent la base juridique de l’acte attaqué, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).
58 Il convient de rappeler que les motifs par lesquels le nom du requérant a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses figurent au point 10 ci-dessus.
59 Il résulte de ces motifs que le nom du requérant a été inscrit et maintenu sur lesdites listes au titre du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et à l’article 3, paragraphe 1, sous f), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 [ci-après le « critère f) »] et du critère g) modifié.
60 S’agissant de ce dernier critère, il convient de rappeler que la décision 2023/1094 et le règlement 2023/1089 ont modifié, à partir du 7 juin 2023, les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds et que les dispositions prévoyant le critère g) modifié prévoient notamment en des termes identiques que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie ou à des femmes et des hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
61 Il en résulte que ces dispositions visent notamment deux catégories de personnes, à savoir les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » [ci-après le « premier volet du critère g) modifié »] et les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » [ci-après le « troisième volet du critère g) modifié »].
62 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 10 ci-dessus, le nom du requérant a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses au titre des premier et troisième volets du critère g) modifié.
63 Selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent assurer, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, ce qui comprend notamment le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 326, et du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 97 et 98).
64 Toutefois, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères d’inscription visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 35 et jurisprudence citée).
65 Il convient d’examiner en premier lieu l’exception d’illégalité soulevée par le requérant en ce qui concerne le troisième volet du critère g) modifié.
a) Sur le troisième volet du critère g) modifié
1) Sur la violation de la présomption d’innocence et des droits de la défense
66 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole la présomption d’innocence et les droits de la défense, en ce qu’il a pour effet de déclarer des hommes et des femmes d’affaires coupables de soutenir le gouvernement russe ou d’en tirer avantage, sans avoir besoin d’établir un tel soutien ni un tel avantage.
67 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
68 Le principe de présomption d’innocence, énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, constitue un droit fondamental qui confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect. Ce principe, qui exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne s’oppose pas à l’adoption de mesures conservatoires de gel de fonds, dès lors que celles-ci n’ont pas pour objet d’engager une procédure pénale à l’encontre de la personne visée [arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 136 et 137 (non publiés)].
69 À cet égard, il y a lieu de relever que les mesures restrictives litigieuses ne constituent pas une sanction et n’impliquent par ailleurs aucune accusation de cette nature. En effet, les actes du Conseil en cause ne constituent pas une constatation du fait qu’une infraction pénale a été effectivement commise, mais sont adoptés dans le cadre et aux fins d’une procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire et ayant pour unique but de permettre au Conseil de garantir la protection des populations civiles [arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 139 (non publié)].
70 Dans ces conditions, le requérant ne saurait utilement soutenir que les dispositions prévoyant le troisième volet du critère g) modifié violent le principe de présomption d’innocence et les droits de la défense.
2) Sur la violation du principe de proportionnalité
71 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole le principe de proportionnalité, en ce qu’il n’est ni nécessaire, ni approprié pour atteindre l’objectif des mesures restrictives en cause et qu’il impose des charges disproportionnées aux personnes visées.
72 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
73 Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52).
74 Le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes et seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77).
75 Il convient de considérer que la suppression, par rapport au libellé du critère g) initial, du terme « influent » caractérisant les femmes et les hommes d’affaires visés dans le troisième volet du critère g) modifié n’a pas pour conséquence de priver ce critère modifié de son caractère nécessaire et approprié pour atteindre l’objectif des mesures restrictives en cause ni d’imposer des charges disproportionnées à ces personnes.
76 En effet, premièrement, il y a lieu d’observer que le troisième volet du critère g) modifié s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays. Dans cette perspective, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 46 et jurisprudence citée).
77 En outre, il convient de rappeler qu’il ressort du considérant 2 de la décision 2023/1094 que « [l]’Union continue d’apporter un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine » et du considérant 4 de la même décision que le Conseil a estimé qu’il convenait d’élargir les critères de désignation en incluant les « femmes et hommes d’affaires […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, […] » afin d’accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie pour qu’il mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine.
78 C’est donc en raison de la persistance, voire de l’aggravation, de la situation en Ukraine que le Conseil a estimé devoir élargir le cercle des personnes visées par le critère g), afin d’atteindre les objectifs poursuivis. Or, il résulte d’une telle démarche fondée sur la progressivité de l’atteinte aux droits en fonction de l’effectivité des mesures que leur proportionnalité est établie (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 104).
79 Deuxièmement, le fait de cibler des femmes et des hommes d’affaires qui exercent des activités « dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » est de nature à accroître les coûts des actions de ce gouvernement, dès lors que de tels secteurs, en apportant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, alimentent, directement ou indirectement, la capacité de ce gouvernement à mener ses actions et ses politiques visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
80 Dès lors, le troisième volet du critère g) modifié répond à la volonté du Conseil d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49).
81 Par conséquent, il existe toujours un lien logique entre, d’une part, le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et, d’autre part, l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût de ses actions visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49 et jurisprudence citée).
82 Ainsi, une telle approche visant à accroître la pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie en augmentant les coûts économiques de ses activités n’apparaît pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation de l’espèce.
83 Troisièmement, le troisième volet du critère g) modifié et les mesures restrictives qui en découlent sont nécessaires afin de réaliser et de mettre en œuvre les objectifs visés à l’article 21 TUE. En effet, d’une part, il ressort du considérant 4 de la décision 2023/1094 que, par l’élargissement du champ d’application personnel des mesures restrictives en ciblant les « femmes et hommes d’affaires […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, […] », le Conseil pouvait légitimement espérer que lesdites mesures contribuent à accroître la pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie responsable de l’invasion de l’Ukraine. En outre, ainsi que le souligne le Conseil, celui-ci n’est pas tenu d’apporter la preuve que les mesures restrictives ont un tel effet, mais seulement qu’elles sont susceptibles d’avoir un tel effet (arrêt du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 66). D’autre part, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes ne sont pas mentionnées par le requérant.
84 Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième volet du critère g) modifié n’apparaissait pas manifestement disproportionné, conformément à l’article 21 TUE, au vu des objectifs poursuivis visant la cessation de la violation flagrante de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine, de sorte qu’il est conforme au principe de proportionnalité.
3) Sur la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime
85 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, en ce que, d’une part, l’extension du cercle des personnes visées par des mesures restrictives serait imprévisible et ne permettrait pas aux intéressés de conformer leur comportement aux décisions du Conseil et, d’autre part, les secteurs d’activités visés par le critère g) modifié ne seraient pas définis.
86 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
87 S’agissant des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir de ce dernier principe s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies. Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice de ce principe lorsque cette mesure est adoptée (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 191 et jurisprudence citée).
88 Par ailleurs, le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêts du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 et jurisprudence citée, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 192 et jurisprudence citée).
89 S’agissant de l’argument du requérant tiré de l’absence d’identification des secteurs d’activités qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe, il convient de relever que, certes, ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié, ne définit la notion de « source substantielle de revenus ». Toutefois, l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable (arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T‑291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 63).
90 Eu égard au lien logique, rappelé au point 81 ci-dessus, entre le fait de cibler les personnes visées par le troisième volet du critère g) modifié et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, il convient de considérer que le libellé du troisième volet du critère g) modifié est clair et précis et que son application est prévisible pour les justiciables, lesquels sont en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter leurs intérêts, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 87 et 88 ci-dessus.
91 Dès lors, le requérant ne saurait utilement soutenir que les dispositions prévoyant le troisième volet du critère g) modifié violent les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
b) Sur le premier volet du critère g) modifié
92 Il ressort du point 137 ci-après que le Conseil, dans les actes attaqués, a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant est un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
93 Ce volet n’étant, comme il a été relevé aux points 70, 84 et 91 ci-dessus, pas entaché de violations de la présomption d’innocence, des droits de la défense, du principe de sécurité juridique et du principe de protection de la confiance légitime, l’exception d’illégalité dirigée contre les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le premier volet du critère g) modifié, en ce qui concerne les premiers et les deuxièmes actes de maintien, doit être écartée comme inopérante.
94 En conséquence, il y a lieu d’écarter le cinquième moyen dans son ensemble.
2. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation
95 Le requérant soutient que les actes attaqués sont entachés de violations de l’obligation de motivation.
96 La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge de l’Union d’exercer son contrôle (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).
97 Le moyen tiré de la violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE est un moyen distinct de celui tiré de l’erreur d’appréciation. En effet, alors que le premier, qui vise un défaut ou une insuffisance de motivation, relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public qui doit être relevé d’office par le juge de l’Union, le second, qui porte sur la légalité au fond d’une décision, relève de la violation d’une règle de droit relative à l’application du traité FUE, au sens du même article 263 TFUE, et ne peut être examiné par le juge de l’Union que s’il est invoqué par la partie requérante. L’obligation de motivation est dès lors une question distincte de celle du bien-fondé des motifs de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67).
98 Or, en l’espèce, force est de constater que le requérant fait uniquement valoir à l’appui du premier moyen des arguments visant à contester le bien-fondé de l’inscription et du maintien de son nom sur les listes litigieuses en vertu des actes attaqués, en reprochant au Conseil des erreurs d’appréciation.
99 Dès lors, il y a lieu de considérer que le premier moyen, sous couvert d’être tiré d’une violation de l’obligation de motivation, est en réalité tiré d’erreurs d’appréciation.
100 À cet égard, le requérant soutient ne pas être un homme d’affaires influent ayant une activité en Russie, ne pas être un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur qui fournit une source de revenus substantielle au gouvernement russe, ne pas tirer avantage de ce gouvernement et ne pas fournir de technologie militaire ou à double usage à ce gouvernement.
101 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
102 Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).
103 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).
104 L’appréciation du bien-fondé de ces motifs doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattus (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).
105 En outre, il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir, par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).
106 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le bien-fondé de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses.
a) Sur les actes initiaux
107 Il convient de rappeler que le nom du requérant a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses au titre du critère f) et du critère g) modifié et pour les motifs figurant au point 10 ci-dessus.
108 Il convient d’abord de vérifier le bien-fondé de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du troisième volet du critère g) modifié.
109 Il y a lieu de constater que, selon son libellé même, le troisième volet du critère g) modifié emploie la notion de « femme et homme d’affaires » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. La finalité poursuivie par ce critère est en effet d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 46 et jurisprudence citée).
110 À cet égard, comme il a été relevé au point 81 ci-dessus, il existe un lien logique entre le fait de cibler les hommes et femmes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant des revenus substantiels au gouvernement russe, d’une part, et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, d’autre part (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49 et jurisprudence citée).
111 Quant à la notion de « secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie », il convient de relever que, certes, ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié ne définit la notion de « source substantielle de revenus ». Toutefois, l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable (arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T‑291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 63).
112 En l’espèce, il ressort de la motivation des actes attaqués que l’inscription et le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère g) modifié reposent sur les circonstances selon lesquelles celui-ci, d’une part, serait le propriétaire de Sibougol, une entreprise sibérienne clé qui produirait plus de deux millions de tonnes de charbon par an, avec un chiffre d’affaires de plus de 2 000 000 000 de RUB (environ 24 millions d’euros au taux moyen de 2020) enregistré en 2020 et, d’autre part, serait, avec sa famille, également associé à la société Krasnoyarsklesomaterialy, l’un des plus grands exportateurs de bois de Sibérie.
113 Il y a lieu d’examiner, d’abord, le bien-fondé du motif selon lequel le requérant serait le propriétaire de Sibougol, une entreprise sibérienne clé qui produirait plus de deux millions de tonnes de charbon par an, avec un chiffre d’affaires de plus de 2 000 000 000 de RUB (environ 24 millions d’euros au taux moyen de 2020) enregistré en 2020.
114 À cet égard, comme le Conseil le fait valoir à juste titre et sans que le requérant le conteste, ce motif est étayé par les pièces nos 18, 23, 25, 26 et 27 du dossier de preuves portant la référence WK 10461/23.
115 Premièrement, s’agissant de ses liens avec Sibougol, le requérant fait valoir qu’il est propriétaire de 38,7 % des parts de cette société et que trois autres actionnaires se partagent le reste du capital de cette société. Ainsi, il ne serait pas l’actionnaire majoritaire de cette société. Il ajoute n’être pas habilité à agir au nom de cette société, ne pas la contrôler et ne pas en être l’administrateur.
116 Deuxièmement, s’agissant du secteur dans lequel Sibugol exerce son activité, le requérant avance que le Conseil n’a pas produit de données chiffrées relatives à la contribution du secteur du charbon au budget de la Russie et que les données fournies par le Conseil relatives à la part de ce secteur dans les exportations de la Russie et à l’augmentation des exportations de charbon ne sont pas pertinentes. Il ajoute que ce dernier élément est sans influence sur l’importance des revenus générés par le secteur du charbon au gouvernement et, à tout le moins, qu’une telle influence n’a pas été démontrée par le Conseil. En outre, le fait que le Tribunal ait pu considérer que le secteur minier fournissait une source de revenus substantielle au gouvernement russe ne serait pas non plus pertinent, dans la mesure où le secteur du charbon serait un secteur plus étroit que le secteur minier, lequel engloberait notamment le secteur des pierres et métaux précieux et le secteur du schiste bitumineux.
117 Force est de constater que le requérant admet être propriétaire de 38,7 % des parts de Sibougol et qu’il ne conteste pas les chiffres relatifs à la production et aux revenus de cette société mentionnés dans les motifs des actes initiaux.
118 Ces circonstances suffisent à établir la qualité d’homme d’affaires du requérant, au sens du troisième volet du critère g) modifié, sans qu’ait d’influence à cet égard le fait qu’il ne soit ni l’actionnaire majoritaire de Sibougol, ni un administrateur de cette société, ni habilité à agir au nom de ladite société.
119 Quant à savoir si le secteur d’activité dans lequel le requérant exerce ses activités, à savoir le secteur minier et, plus particulièrement, le secteur du charbon, constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe, il ressort de la pièce no 8 du dossier de preuves portant la référence WK 5142/23, qui est un extrait d’un article publié sur le site Internet du journal Moscow Times, daté du 22 mai 2023, que les exportations russes de charbon par la voie maritime ont augmenté de plus de 20 % au début de l’année 2023 par rapport à la même période de l’année 2022 et que, selon le ministère russe de l’énergie, les exportations russes de charbon s’établissaient en 2022 à plus de 221 millions de tonnes. Le requérant ne conteste pas ces données.
120 Au demeurant, comme le Conseil le relève à juste titre, il a été jugé que le secteur sidérurgique et minier fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement russe (arrêt du 20 septembre 2023, Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 138).
121 Or, le secteur du charbon, du fait du mode d’extraction de cette roche, relève du secteur minier.
122 Il en résulte que le Conseil a suffisamment établi que le secteur minier et, plus particulièrement, le secteur du charbon, constituait une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe.
123 En outre, ce caractère substantiel est corroboré par, d’une part, le chiffre d’affaires de Sibougol en 2020 mentionné dans la motivation des actes attaqués et non contesté par le requérant et, d’autre part, le fait que, comme le requérant le fait valoir, la production de charbon de Sibougol n’a représenté en 2022 que 0,66 % de la production totale de charbon en Russie.
124 Il en résulte que, s’agissant des activités du requérant en lien avec Sibougol, le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant est un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
125 Or, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).
126 Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant visant à remettre en cause le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du premier volet du critère g) modifié ou au titre du critère f), il y a lieu d’écarter le premier moyen comme étant non fondé en ce qui concerne les actes initiaux.
b) Sur les premiers et deuxièmes actes de maintien
127 Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêts du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 168).
128 Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste de personnes et d’entités visées par des mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99).
129 Ledit contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).
130 De même, le maintien du nom d’une personne ou d’une entité sur une liste reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives en cause n’auraient pas été atteints (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 83 et 84).
131 Il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée que les actes initiaux ainsi que les actes de maintien successifs font l’objet d’un suivi constant et sont prorogés, ou modifiés le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. L’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoit quant à lui la révision à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois de la liste figurant en annexe.
132 En l’espèce, il convient de rappeler que les motifs par lesquels le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses dans les premiers et deuxièmes actes de maintien sont identiques à ceux figurant dans les actes initiaux.
133 Il convient, en application de la jurisprudence citée au point 127 ci-dessus, de vérifier si le contexte, les objectifs des mesures restrictives en cause et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir l’inscription de son nom sur le fondement de motifs inchangés.
134 S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date d’adoption des premiers et des deuxièmes actes de maintien, la gravité de la situation en Ukraine demeurait.
135 De même, les mesures restrictives répondent à l’objectif poursuivi, à savoir de faire pression sur le gouvernement russe afin que celui-ci mette fin à ses actions et à ses politiques déstabilisant l’Ukraine.
136 S’agissant de la situation individuelle du requérant, ce dernier, en ce qui concerne le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du troisième volet du critère g) modifié, se limite à avancer à l’égard des premiers et deuxièmes actes de maintien les mêmes arguments que ceux qu’il avait avancés à l’égard des actes initiaux.
137 Partant, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a constaté l’absence de changement dans la situation individuelle du requérant et s’est fondé sur les mêmes éléments pour maintenir l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
138 Dès lors, en application de la jurisprudence rappelée au point 124 ci-dessus, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme étant non fondé en ce qui concerne les premiers et deuxièmes actes de maintien, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant visant à remettre en cause le bien-fondé du maintien de son nom sur les listes litigieuses au titre du premier volet du critère g) modifié ou au titre du critère f).
139 En conséquence, il y a lieu d’écarter le premier moyen dans son ensemble.
3. Sur le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir et d’une violation de l’article 18 de la CEDH
140 Le requérant soutient que les actes attaqués sont entachés d’un détournement de pouvoir et, partant, violent l’article 18 de la CEDH. En effet, le requérant aurait été arrêté par la police italienne en Italie à la demande des États-Unis, lesquels auraient émis un mandat d’arrêt à son encontre. Ayant contesté son extradition vers les États-Unis, il aurait été assigné à résidence en Italie par les juridictions italiennes dans l’attente qu’il soit définitivement statué sur la demande d’extradition. Or, le 22 mars 2023, le requérant aurait quitté l’Italie pour la Russie sans l’accord des autorités italiennes, ce qui aurait discrédité ces dernières auprès des États-Unis. En conséquence, les autorités italiennes auraient insisté auprès des institutions de l’Union pour obtenir l’inscription et le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses afin d’offrir « gage de réconciliation » aux États-Unis. Cette conclusion serait corroborée par le fait que les noms de certaines personnes, dont le père du requérant, ne seraient pas inscrits sur les listes litigieuses.
141 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
142 Selon la jurisprudence, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée).
143 En l’espèce, force est de constater que les arguments du requérant visent les intentions supposées des autorités italiennes et non celles du Conseil, auteur des actes attaqués.
144 Partant, de tels arguments ne sont en aucun cas de nature à établir l’existence d’un détournement de pouvoir de la part du Conseil.
145 Au demeurant, il convient de rappeler que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation lui permettant, le cas échéant, de ne pas soumettre une telle personne aux mesures restrictives, s’il estime que, au regard de leurs objectifs, il ne serait pas opportun de le faire (arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 243).
146 Dès lors, le deuxième moyen doit être écarté.
4. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 54 de la Charte et de l’article 17 de la CEDH
147 Le requérant soutient que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses en raison du fait qu’il a réussi à se soustraire à l’assignation à résidence dont il faisait l’objet comportent une restriction à ses droits qui n’est pas prévue par la Charte ou la CEDH.
148 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
149 L’article 54 de la Charte correspond à l’article 17 de la CEDH et interdit l’abus de droit.
150 Or, il convient de rappeler que, d’une part, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a inscrit et maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du troisième volet du critère g) modifié et, d’autre part, le requérant n’a avancé aucun élément de nature à établir que les actes attaqués seraient entachés de détournement de pouvoir.
151 Dès lors, le requérant n’a pas démontré que les actes attaqués étaient entachés d’abus de droit. Partant, le troisième moyen doit être écarté.
5. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité
152 Le requérant soutient que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses sont entachés d’une violation du principe de proportionnalité. À cet égard, il fait valoir que, d’une part, ces mesures lui imposent des charges excessives et ont été décidées parce qu’il s’est soustrait à l’assignation à résidence dont il faisait l’objet, ce qui est un motif étranger à l’objectif des mesures restrictives en cause et, d’autre part, le Conseil n’a pas démontré que ces mesures étaient nécessaires et aptes à atteindre leur objectif.
153 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
154 Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 133).
155 S’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Il s’ensuit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).
156 Il a été jugé que les mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 et par le règlement no 269/2014 imposées aux personnes physiques et morales, aux entités et aux organismes figurant sur les listes annexées à ces actes, d’une part, étaient, en tant que telles, appropriées et nécessaires au regard de l’importance primordiale des objectifs qu’elles poursuivent et, d’autre part, ne causaient pas des conséquences négatives manifestement disproportionnées à l’égard de ces personnes, entités et organismes, de sorte qu’elles sont conformes au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, points 198 à 200 et 202).
157 De surcroît, en l’espèce, le requérant est resté en défaut de démontrer quelles mesures moins contraignantes, mais tout autant appropriées que celles prévues, le Conseil pouvait adopter.
158 Enfin, il convient de rappeler que le requérant n’a avancé aucun élément de nature à établir que les actes attaqués ont été adoptés pour un motif étranger à celui poursuivi par les mesures restrictives en cause, rappelé au point 76 ci-dessus.
159 En conséquence, le quatrième moyen doit être écarté.
160 Aucun des moyens invoqués par le requérant n’étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.
IV. Sur les dépens
161 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
162 En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Artem Alexandrovich Uss est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
Mastroianni | Tóth | Kalėda |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 novembre 2024.
Signatures
* Langue de procédure : le néerlandais.
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