ACE v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of Russia's actions destabilising the situation in Ukraine - Judgment) FR [2024] EUECJ T-828/22 (02 October 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T82822.html
Cite as: [2024] EUECJ T-828/22, EU:T:2024:672, ECLI:EU:T:2024:672

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ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)

2 octobre 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction de fournir des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux entités établies en Russie – Obligation de motivation – Mission fondamentale des avocats dans une société démocratique – Droit des avocats de fournir des services de conseil juridique – Droit de se faire conseiller par un avocat – Article 47 et article 52, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux »

Dans l’affaire T-828/22,

ACE-Avocats, ensemble, établie à Paris (France), représentée par Me J.-P. Hordies, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Lupicinio Rodríguez Jiménez, demeurant à Madrid (Espagne), représenté par Mes J. Iriarte Ángel, E. Delage González, M. Casado Abarquero et F. Rodríguez González, avocats,

partie intervenante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes D. Laurent et M.-C. Cadilhac, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

République d’Estonie, représentée par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,

et par

Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland, C. Giolito, Mmes M. Carpus Carcea et C. Georgieva, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (grande chambre),

composé de MM. M. van der Woude, président, S. Papasavvas, R. da Silva Passos, A. Kornezov, L. Truchot, S. Gervasoni (rapporteur), Mme N. Półtorak, MM. P. Nihoul, U. Öberg, C. Mac Eochaidh, Mme T. Pynnä, M. J. Martín y Pérez de Nanclares, Mme M. Brkan, MM. P. Zilgalvis et I. Gâlea, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 2022,

–        les mémoires en intervention déposés au greffe du Tribunal par la Commission, par la République d’Estonie et par M. Rodríguez Jiménez, respectivement, le 23 mai, le 28 juin et le 25 juillet 2023,

à la suite de l’audience commune du 12 mars 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, ACE-Avocats, ensemble, demande l’annulation de l’article 1er, point 12, du règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 255 I, p. 3, ci-après le « règlement attaqué »), en ce qu’il modifie l’article 5 quindecies, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), en ce qu’il la concerne.

 Antécédents du litige

2        La requérante est une association de droit français dont les membres sont des avocats et des structures d’exercice d’avocats, inscrits à un barreau français. Son objet est l’étude et la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, de ses membres.

3        En mars 2014, la Fédération de Russie a illégalement annexé la République autonome de Crimée, ainsi que la ville de Sébastopol (Ukraine), et elle mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. En réponse à ces agissements, l’Union européenne a instauré des mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que des mesures restrictives en réaction à l’annexion illégale de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol par la Fédération de Russie.

4        Le 17 mars 2014, ont ainsi été adoptés la décision 2014/145/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), et le règlement (UE) no 269/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

5        Par la suite, la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), a été adoptée pour introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés des capitaux, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique. Estimant que ces dernières mesures relevaient du champ d’application du traité FUE et que leur mise en œuvre nécessitait une action réglementaire à l’échelle de l’Union, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement no 833/2014, qui contient des dispositions plus détaillées pour donner effet, tant au niveau de l’Union que dans les États membres, aux prescriptions de la décision 2014/512.

6        Le 15 février 2022, la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) a voté en faveur de l’envoi d’une résolution demandant au président de la Fédération de Russie de reconnaître les parties de l’est de l’Ukraine revendiquées par des séparatistes comme étant des États indépendants. Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones. Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        À la même date, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie et a indiqué que la riposte de l’Union comprendrait des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles. Dans ses conclusions adoptées lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté cette « agression non provoquée et injustifiée », en estimant que, par ses actions militaires illégales, dont elle devrait répondre, la Fédération de Russie violait de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies et portait atteinte à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales.

8        Dans ses conclusions des 23 et 24 juin 2022, le Conseil européen a déclaré que les travaux sur les « sanctions » se poursuivraient, notamment pour renforcer leur mise en œuvre et empêcher qu’elles ne soient contournées.

9        Le 21 septembre 2022, la Fédération de Russie a décidé d’intensifier encore son agression contre l’Ukraine en soutenant l’organisation de « référendums » illégaux dans les parties des régions de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijjia occupées par la Russie, en annonçant une mobilisation en Russie et par de nouvelles menaces de recourir à des armes de destruction massive. À la suite de ces « référendums », le président de la Fédération de Russie a officialisé l’annexion, par la Russie, des régions ukrainiennes de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijjia et de Kherson.

10      Le 30 septembre 2022, les membres du Conseil européen ont adopté une déclaration condamnant l’annexion illégale par la Russie des régions ukrainiennes de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijjia et de Kherson et affirmant que la Russie mettait en péril la sécurité mondiale. Les membres du Conseil européen ont déclaré qu’ils renforceraient leurs mesures restrictives en réponse aux actions illégales de la Russie et intensifieraient encore la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression.

11      Le 6 octobre 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1909 modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 259 I, p. 122). À cette même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement attaqué.

12      Le considérant 19 du règlement attaqué délimite les services de conseil juridique prohibés par ce même règlement comme suit :

« [L]a décision (PESC) 2022/1909 étend l’interdiction actuelle de fournir certains services à la Fédération de Russie en interdisant la fourniture de services d’architecture et d’ingénierie ainsi que de services de conseil informatique et de conseil juridique. […] Les “services de conseil juridique” couvrent la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit ; la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci ; et la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques. Les “services de conseil juridique” ne comprennent pas la représentation, les conseils, la préparation de documents ou la vérification des documents dans le cadre des services de représentation juridique, à savoir dans des affaires ou des procédures devant des organes administratifs, des cours ou d’autres tribunaux officiels dûment constitués, ou dans des procédures d’arbitrage et de médiation. »

13      L’article 1er, point 12, du règlement attaqué a inséré un nouvel article 5 quindecies dans le règlement no 833/2014, remplaçant l’ancien, et prévoyant, notamment, une interdiction de fournir des services de conseil juridique (ci-après l’« interdiction litigieuse ») dans les termes suivants :

« 1.      Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services […] de conseils fiscaux […] :

a)      au gouvernement russe ; ou

b)      à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.

2.      Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services d’architecture et d’ingénierie, des services de conseil juridique et des services de conseil informatique :

a)      au gouvernement russe ; ou

b)      à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.

[…]

5.      Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure judiciaire et du droit à un recours effectif.

6.      Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, ou pour la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement ou d’une sentence arbitrale rendu dans un État membre, à condition qu’une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du règlement [...] no 269/2014 du Conseil.

7.      Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la fourniture de services destinés à l’usage exclusif de personnes morales, d’entités ou d’organismes établis en Russie qui sont détenus, ou contrôlés exclusivement ou conjointement, par une personne morale, une entité ou un organisme établi ou constitué selon le droit d’un État membre, d’un pays membre de l’Espace économique européen, de la Suisse ou d’un pays partenaire énuméré à l’annexe VIII.

8.      Le paragraphe 2 ne s’applique pas à la prestation de services qui sont nécessaires à des urgences de santé publique, à la prévention ou à l’atténuation à titre urgent d’un événement susceptible d’avoir des effets graves et importants sur la santé et la sécurité humaines ou sur l’environnement, ou en réaction à des catastrophes naturelles.

9.      Le paragraphe 2 ne s’applique pas à la fourniture de services nécessaires aux mises à jour de logiciels à des fins non militaires ou pour un utilisateur final non militaire, autorisée par l’article 2, paragraphe 3, point d), et l’article 2 bis, paragraphe 3, point d)[,] en liaison avec les biens énumérés à l’annexe VII.

10.      Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les autorités compétentes peuvent autoriser les services qui y sont visés, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que cela est nécessaire :

a)      à des fins humanitaires, telles que l’acheminement d’une assistance ou la facilitation de cet acheminement, y compris en ce qui concerne les fournitures médicales et les denrées alimentaires ou le transfert de travailleurs humanitaires et de l’aide connexe, ou à des fins d’évacuation ;

b)      à des activités de la société civile qui promeuvent directement la démocratie, les droits de l’homme ou l’État de droit en Russie ; ou

c)      au fonctionnement des représentations diplomatiques et consulaires de l’Union et des États membres ou des pays partenaires en Russie, y compris les délégations, les ambassades et les missions, ou les organisations internationales en Russie jouissant d’immunités conformément au droit international.

11.      Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les autorités compétentes peuvent autoriser les services qui y sont visés, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que cela est nécessaire :

a)      pour assurer un approvisionnement énergétique critique dans l’Union et à l’achat, à l’importation ou au transport dans l’Union de titane, d’aluminium, de cuivre, de nickel, de palladium et de minerai de fer ;

b)      pour assurer le fonctionnement continu d’infrastructures, de matériels et de logiciels qui sont critiques pour la santé et la sécurité humaines ou pour la sécurité de l’environnement ;

c)      à l’établissement, à l’exploitation, à l’entretien, à l’approvisionnement en combustible et au retraitement du combustible et à la sûreté des capacités nucléaires civiles, et à la poursuite de la conception, de la construction et de la mise en service exigées pour la réalisation d’installations nucléaires civiles, à la fourniture de matériaux précurseurs pour la production de radio-isotopes médicaux et d’applications médicales similaires, ou de technologies critiques pour la surveillance des rayonnements dans l’environnement, ainsi que pour une coopération nucléaire civile, en particulier dans le domaine de la recherche et du développement ; ou

d)      à la fourniture, par les opérateurs de télécommunications de l’Union, de services de communications électroniques nécessaires au fonctionnement, à l’entretien et à la sécurité, y compris la cybersécurité, des services de communications électroniques, en Russie, en Ukraine, dans l’Union, entre la Russie et l’Union, et entre l’Ukraine et l’Union, ainsi qu’aux services de centres de données dans l’Union.

[…] »

 Conclusions des parties

14      La requérante, soutenue par M. Lupicinio Rodríguez Jiménez, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer recevable et fondé le recours en annulation partielle de l’article 1er, point 12, du règlement attaqué, modifiant l’article 5 quindecies, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement no 833/2014 ;

–        annuler l’article 1er, point 12, du règlement attaqué, en tant qu’il modifie l’article 5 quindecies, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement no 833/2014, en ce qu’il la concerne ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

15      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission européenne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable en tant qu’il vise l’annulation de l’article 5 quindecies, paragraphe 1, du règlement no 833/2014, tel que modifié par le règlement attaqué ;

–        pour le surplus, rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

16      La République d’Estonie et la Commission concluent, en outre, à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme étant intégralement irrecevable.

 En droit

 Sur la recevabilité

17      Le Conseil considère que le recours est recevable en ce qu’il vise l’article 5 quindecies, paragraphes 2 et 5, du règlement no 833/2014. En revanche, il conteste la recevabilité du recours, en ce que celui-ci tend à l’annulation de l’article 5 quindecies, paragraphe 1, du règlement no 833/2014.

18      Seules la République d’Estonie et la Commission considèrent, quant à elles, que le recours est irrecevable dans son intégralité.

19      Il y a lieu de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, selon les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C-23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, et dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner au fond le recours, sans statuer préalablement sur la recevabilité de celui-ci, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.

 Sur le fond

21      À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, quatre moyens, tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, le deuxième, de la violation du droit des avocats de fournir des services de conseil juridique, le troisième, de la violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») et, le quatrième, de la violation de l’article 52, paragraphe 1, premier alinéa, de la Charte.

22      Les troisième et quatrième moyens seront traités conjointement du fait du lien intrinsèque qui les unit.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

23      La requérante, soutenue par M. Rodríguez Jiménez, fait valoir que le règlement attaqué ne contient aucune motivation quant à la nécessité et à la proportionnalité d’introduire l’interdiction litigieuse, en violation de l’obligation de motivation prévue par l’article 296, paragraphe 2, TFUE.

24      Selon la requérante, les motifs généraux, imprécis et inappropriés choisis par le Conseil ne respectent pas l’exigence de motivation. La requérante argue que le Conseil n’a ni justifié ni démontré le lien nécessaire entre les services interdits et les opérations déstabilisant l’Ukraine.

25      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste l’argumentation de la requérante.

26      Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement du Conseil, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Le respect de l’obligation de motivation doit par ailleurs être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 6 mars 2024, BSW – management company of « BMC » holding/Conseil, T-258/22, non publié, EU:T:2024:150, point 71 et jurisprudence citée).

27      Selon une jurisprudence constante, toutefois, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et, s’agissant d’actes destinés à une application générale, comme en l’espèce, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 120 et jurisprudence citée).

28      Il convient également de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T-65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 50).

29      En l’espèce, l’interdiction litigieuse vise, sous réserve de certaines exceptions et exemptions, à empêcher toute personne susceptible de fournir des services de conseil juridique exerçant, notamment, sur le territoire de l’Union de fournir de tels services, y compris en matière fiscale, au gouvernement russe et aux personnes morales, aux entités ou aux organismes établis en Russie. Cette interdiction s’applique ainsi indifféremment à tous les professionnels du droit ou personnes ayant la capacité de fournir des services de conseil juridique. Une telle interdiction a donc bien une portée générale.

30      Il convient dès lors d’examiner si la décision 2022/1909 et le règlement attaqué ayant instauré l’interdiction litigieuse indiquent, d’une part, la situation d’ensemble ayant conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux que le Conseil lui a assignés.

31      S’agissant de la situation d’ensemble ayant conduit à l’adoption de l’interdiction litigieuse, il ressort du considérant 2 de la décision 2022/1909 que « [l]’Union continue d’apporter un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». Les considérants 3 à 8 de cette même décision exposent la gravité de la situation en Ukraine et concluent que les « membres du Conseil européen ont affirmé qu’ils allaient renforcer les mesures restrictives de l’Union en réponse aux actions illégales de la Russie et intensifier encore la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression ». Il est également précisé, au considérant 9 de la décision 2022/1909, que, « [c]ompte tenu de la gravité de la situation [en Ukraine], il convient d’instaurer de nouvelles mesures restrictives », parmi lesquelles figure l’interdiction litigieuse, conformément aux considérants 12 et 13 de cette même décision.

32      Il ressort par ailleurs du considérant 3 du règlement attaqué que l’adoption de ces nouvelles mesures restrictives constituait une « réponse à l’intensification de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine ». Le considérant 19 de ce même règlement, reprenant le considérant 13 de la décision 2022/1909, expose, en outre, les types de services de conseil juridique faisant l’objet d’une interdiction.

33      Les considérants susmentionnés établissent, ainsi, la situation d’ensemble ayant conduit à l’adoption de l’interdiction litigieuse.

34      S’agissant, en outre, des objectifs généraux que cette interdiction vise à atteindre, le Conseil soutient qu’il ressort des considérants susmentionnés de la décision de la décision 2022/1909 et du règlement attaqué que l’interdiction litigieuse doit permettre d’intensifier encore la pression exercée sur la Fédération de Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Pour ce faire, l’interdiction litigieuse viserait à accroître la difficulté pour le gouvernement russe et les entités établies en Russie de se procurer des biens et des services ou des capitaux dans l’Union, en les privant de l’assistance technico-juridique nécessaire à de telles opérations.

35      Il ressort, en effet, des considérants susmentionnés que, au regard de l’aggravation de la situation en Ukraine, les membres du Conseil européen et, par la suite, le Conseil ont entendu augmenter la pression exercée sur la Fédération de Russie par le biais de mesures restrictives additionnelles, dont l’objectif était de contribuer à mettre un terme à la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Parmi ces mesures restrictives additionnelles figure l’interdiction litigieuse.

36      Les considérants susmentionnés établissent donc, également, les objectifs généraux visés par l’interdiction litigieuse.

37      En conclusion, il convient de considérer que l’interdiction litigieuse est suffisamment motivée et, partant, que le premier moyen n’est pas fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du droit des avocats de fournir des services de conseil juridique

38      La requérante, soutenue par M. Rodríguez Jiménez, fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, le conseil juridique constitue l’essentiel de la profession d’avocat, conjointement avec la défense et la représentation juridique. La requérante cite également des directives qui incluent, dans le champ des activités des avocats, le conseil juridique.

39      La requérante en déduit que le règlement attaqué viole le droit de l’Union en interdisant aux avocats la fourniture de services de conseil juridique au profit des organismes et des entités établis en Russie. Nonobstant les objectifs légitimes poursuivis par le Conseil lorsqu’il adopte des mesures restrictives à l’égard de la Fédération de Russie, le Conseil serait tenu de respecter le droit primaire de l’Union et la jurisprudence de la Cour.

40      La requérante ajoute que le Conseil n’a pas fait d’évaluation ni d’analyse d’impact et n’a pas démontré le respect des principes de nécessité et de proportionnalité, éléments nécessaires pour justifier une atteinte au droit de la défense.

41      Par son deuxième moyen, la requérante soutient ainsi, en substance, que l’interdiction litigieuse constitue une violation, d’une part, du droit primaire de l’Union et du « droit à la défense » et, d’autre part, du droit dérivé de l’Union et de la jurisprudence de la Cour.

42      M. Rodríguez Jiménez soutient également que l’interdiction litigieuse constitue une violation de l’article 15 de la Charte. Le droit de propriété serait également implicitement violé.

43      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste l’argumentation de la Commission.

44      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’intervention ne peut avoir d’autre objet que le soutien, en tout ou en partie, des conclusions de l’une des parties principales, conformément à l’article 142, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. En outre, selon l’article 142, paragraphe 3, de ce règlement, la partie intervenante accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention. À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, si une partie intervenante peut présenter des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’elle soutient, sous peine de voir son intervention limitée à la répétition des arguments avancés dans la requête, il ne saurait être admis qu’il lui soit permis de modifier ou de déformer le cadre du litige défini par la requête en soulevant des moyens nouveaux (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2014, Allemagne/Conseil, C-399/12, EU:C:2014:2258, point 27, et du 12 décembre 2006, SELEX Sistemi Integrati/Commission, T-155/04, EU:T:2006:387, point 42 et jurisprudence citée).

45      En l’espèce, M. Rodríguez Jiménez soutient que l’interdiction litigieuse a violé les articles 15 et 17 de la Charte. Il est toutefois constant que la requérante, au soutien de laquelle il intervient, n’a pas soulevé de tels moyens.

46      Il s’ensuit que les violations alléguées par M. Rodríguez Jiménez constituent en réalité des moyens nouveaux qui ne s’inscrivent pas dans le cadre défini par les conclusions et les moyens de la requérante.

47      Ces moyens sont donc irrecevables et il convient de les rejeter en tant que tels.

–       Sur la première branche, tirée d’une violation du droit primaire de l’Union et du « droit à la défense »

48      Par la première branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que l’interdiction litigieuse conduit à une violation du droit primaire de l’Union et du « droit à la défense ».

49      En vertu de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Il faut, en effet, , pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice. Toujours selon une jurisprudence constante, tout moyen qui n’est pas suffisamment articulé dans la requête introductive d’instance doit être considéré comme étant irrecevable. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 12 février 2020, Kampete/Conseil, T-164/18, non publié, EU:T:2020:54, point 112 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, la référence générale de la requérante au droit primaire de l’Union et au principe fondamental que constitue le « droit à la défense » ne permet pas d’identifier les dispositions qui sont visées ni la portée et le sens des dispositions ou des principes qui seraient violés.

51      Partant, en application de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.

–       Sur la seconde branche, tirée d’une violation du droit dérivé de l’Union et de la jurisprudence de la Cour

52      Par la seconde branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que l’interdiction litigieuse a été adoptée en méconnaissance de plusieurs directives ainsi que de la jurisprudence de la Cour.

53      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des dispositions des traités, notamment des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C-530/17 P, EU:C:2018:1031, point 20 et jurisprudence citée).

54      Le Tribunal a par ailleurs précisé que les compétences de l’Union au titre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et au titre d’autres dispositions du traité FUE ayant trait aux politiques et aux actions internes de l’Union ne s’excluaient pas mutuellement, mais se complétaient, chacune ayant son propre champ d’application et visant à atteindre des objectifs différents (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T-125/22, EU:T:2022:483, point 61 et jurisprudence citée).

55      Par la seconde branche du deuxième moyen, la requérante n’invoque pas une ingérence dans des droits fondamentaux ou une méconnaissance des traités, mais une violation de plusieurs directives concernant, notamment, les conditions d’exercice de la profession d’avocat au sein du marché intérieur.

56      Si tant est que l’argumentation de la requérante soit opérante, compte tenu de la jurisprudence citée aux points 53 et 54 ci-dessus, il convient de constater que la seconde branche est dénuée de fondement, pour les raisons exposées ci-après.

57      En premier lieu, la requérante invoque le considérant 9 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (JO 2015, L 141, p. 73), lequel précise qu’« il conviendrait […] de soustraire à toute obligation de déclaration les informations obtenues avant, pendant ou après une procédure judiciaire ou lors de l’évaluation de la situation juridique d’un client » et que, par conséquent, « le conseil juridique devrait rester soumis à l’obligation de secret professionnel ».

58      La requérante invoque également le considérant 15 de la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1), en vertu duquel « le terme “avocat” désigne toute personne qui, conformément au droit national, est qualifiée et habilitée, notamment au moyen d’une accréditation d’une instance compétente, pour fournir des conseils et une assistance juridiques à des suspects ou personnes poursuivies ».

59      À cet égard, il convient de rappeler que le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné (arrêt du 19 novembre 1998, Nilsson e.a., C-162/97, EU:C:1998:554, point 54).

60      Partant, la requérante ne saurait faire valoir que l’interdiction litigieuse constitue une violation des considérants des directives mentionnées aux points 57 et 58 ci-dessus sans invoquer, à titre principal, la violation de dispositions juridiquement contraignantes.

61      En deuxième lieu, la requérante se prévaut de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36), qui dispose que « l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine pratique les mêmes activités professionnelles que l’avocat exerçant sous le titre professionnel approprié de l’État membre d’accueil et peut notamment donner des consultations juridiques dans le droit de son État membre d’origine, en droit [de l’Union], en droit international et dans le droit de l’État membre d’accueil ».

62      Force est de constater que cette disposition n’est pas pertinente en l’espèce. En effet, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 98/5 se contente de définir les activités qu’un avocat peut exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis son titre professionnel. L’interdiction litigieuse, quant à elle, produit ses effets à l’égard de l’ensemble des professionnels du droit exerçant dans les États membres, indépendamment de leur lieu d’exercice ou de leur titre professionnel. Cette interdiction n’affecte, en tout état de cause, ni les effets ni la portée de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 98/5.

63      Il s’ensuit que les arguments de la requérante tirés de l’article 5 de la directive 98/5 doivent être rejetés.

64      En troisième lieu, la requérante fait état de l’article 10 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), en vertu duquel ladite directive ne s’applique pas aux marchés publics de services ayant pour objet, notamment, le « conseil juridique fourni en vue de la préparation de toute procédure [de représentation légale d’un client par un avocat] ».

65      L’article 10 de la directive 2014/24 n’a toutefois pas pour vocation de définir les missions essentielles de l’avocat. La requérante ne démontre pas non plus en quoi l’interdiction litigieuse est de nature à enfreindre ladite disposition.

66      Il s’ensuit que l’argument de la requérante tiré de l’article 10 de la directive 2014/24 doit être rejeté.

67      En quatrième lieu, la requérante invoque les arrêts du 21 juin 1974, Reyners (2/74, EU:C:1974:68), et du 9 mars 2017, Piringer (C-342/15, EU:C:2017:196).

68      Ainsi que le fait valoir la requérante, la Cour a dit pour droit, dans les arrêts du 21 juin 1974, Reyners (2/74, EU:C:1974:68), et du 9 mars 2017, Piringer (C-342/15, EU:C:2017:196), que la consultation et l’assistance juridique figuraient parmi les activités les plus typiques des avocats (arrêt du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, EU:C:1974:68, point 52) et que les services de conseil juridique étaient parmi les services usuellement prestés par les avocats (arrêt du 9 mars 2017, Piringer, C-342/15, EU:C:2017:196, point 31).

69      Toutefois, la requérante n’invoque pas, dans sa requête, de principes ou de dispositions en corrélation avec la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, que l’interdiction litigieuse aurait violés. Ce n’est qu’au stade de la réplique que la requérante invoque une violation de l’article 56 TFUE.

70      Ainsi que cela a été rappelé au point 49 ci-dessus, il résulte de l’article 76, sous d), du règlement de procédure que la requête doit, notamment, contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Par ailleurs, il convient de rappeler que les arguments dont la substance présente un lien étroit avec un moyen d’annulation présenté dans la requête ne peuvent être considérés comme des moyens nouveaux, au sens du règlement de procédure, bien qu’ils aient été formulés pour la première fois dans la réplique. De tels arguments constituent une ampliation d’un moyen énoncé antérieurement et leur présentation au stade de la réplique est admise par le juge de l’Union. Toutefois, la recevabilité de tels arguments avancés dans la réplique à titre d’ampliation de moyens figurant dans la requête ne saurait être invoquée dans le but de pallier un manquement, intervenu lors de l’introduction du recours, aux exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, sauf à vider cette dernière disposition de toute portée (voir arrêt du 13 mai 2020, Germanwings/Commission, T-716/17, EU:T:2020:181, point 61 et jurisprudence citée).

71      En l’espèce, l’argumentation de la requérante, tirée de ce que l’interdiction litigieuse aurait entraîné une violation de l’article 56 TFUE, ne ressort pas clairement et précisément de la requête. Elle est uniquement évoquée par la requérante dans sa réplique. Une telle invocation est, en conséquence de la jurisprudence citée au point 70 ci-dessus, irrecevable, conformément à l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

72      À titre surabondant, à supposer que l’interdiction litigieuse puisse être considérée comme constituant une restriction à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union, une telle restriction serait justifiée.

73      En effet, l’interdiction litigieuse poursuit l’objectif légitime d’intensifier encore la pression exercée sur la Fédération de Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine, ainsi que cela ressort des points 31 à 36 ci-dessus, en limitant les ressources économiques et financières du régime russe.

74      En outre, le champ d’application matériel et personnel de l’interdiction litigieuse est limité. Celle-ci a, en effet, été précisément circonscrite par l’introduction d’exceptions, à l’article 5 quindecies, paragraphes 4 à 9, du règlement no 833/2014, et d’exemptions, à l’article 5 quindecies, paragraphes 10 et 11, du règlement no 833/2014, de sorte que l’interdiction imposée aux avocats de fournir des services de conseil juridique est précisément délimitée, pour répondre de manière appropriée et cohérente à l’objectif d’intensifier encore la pression exercée sur la Fédération de Russie afin qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine. En outre, le champ d’application personnel de ladite interdiction est, lui aussi, limité, puisque les conseils juridiques fournis à des personnes physiques ne tombent pas dans le champ de ladite interdiction.

75      Partant, à supposer qu’il y ait une ingérence dans le droit prévu à l’article 56 TFUE, celle-ci serait justifiée et proportionnée.

76      Par ailleurs, la jurisprudence invoquée par la requérante doit être lue à l’aune de son contexte. Ainsi, l’arrêt du 21 juin 1974, Reyners (2/74, EU:C:1974:68), énumère, de façon non exhaustive, les différentes activités exercées par les avocats, afin de conclure que leurs activités les plus typiques, telles que la consultation et l’assistance juridique, ne sauraient être considérées comme comportant une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique, de sorte qu’elles ne sont pas exclues de l’application du chapitre relatif au droit d’établissement du traité FUE (arrêt du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, EU:C:1974:68, points 53 à 55). Dans l’arrêt du 9 mars 2017, Piringer (C-342/15, EU:C:2017:196), la Cour a jugé que la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO 1977, L 78, p. 17), ne s’appliquait pas à une législation nationale qui réservait aux notaires l’authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers et excluait, de ce fait, la possibilité de reconnaître dans cet État membre une telle authentification effectuée par un avocat établi dans un autre État membre (arrêt du 9 mars 2017, Piringer, C-342/15, EU:C:2017:196, point 47). Ces arrêts n’avaient ainsi pas pour objet de définir les activités essentielles de la profession d’avocat et, notamment, n’ont pas consacré un droit, pour cette profession, de fournir des services de conseil juridique.

77      Il s’ensuit que les arguments que la requérante tire des arrêts du 21 juin 1974, Reyners (2/74, EU:C:1974:68), et du 9 mars 2017, Piringer (C-342/15, EU:C:2017:196), doivent être rejetés.

78      Il convient donc de rejeter la seconde branche du deuxième moyen et, partant, le deuxième moyen dans son intégralité.

 Sur les troisième et quatrième moyens, tirés de la violation de l’article 47 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH

79      La requérante, soutenue par M. Rodríguez Jiménez, argue que l’article 47, paragraphe 2, de la Charte consacre le droit de toute personne de se faire conseiller, défendre et représenter, tandis que la jurisprudence de la Cour aurait consacré les droits de la défense en tant que principes généraux du droit de l’Union. Le Conseil serait lié par l’article 47 de la Charte et les principes généraux du droit de l’Union lorsqu’il adopte des actes de droit dérivé. En outre, la requérante rappelle que les droits protégés par l’article 47, paragraphe 2, de la Charte doivent avoir le même sens et la même portée que ceux conférés par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, lequel renforcerait l’obligation des institutions de l’Union de respecter ces règles. La requérante ajoute que l’article 47 de la Charte a un champ d’application plus étendu que celui de l’article 6 de la CEDH.

80      Pour la requérante, la distinction opérée, en amont, entre le conseil juridique qui ne se rapporte pas à d’éventuels contentieux, d’une part, et celui qui est étroitement lié à la conduite d’une procédure contentieuse, d’autre part, serait artificielle. Dans sa réplique, la requérante fait valoir que cette distinction hasardeuse serait de nature à créer des incertitudes nuisibles à la sécurité juridique et à la prévisibilité des règles de droit. L’avocat aurait précisément un rôle préventif, à savoir celui de dissuader un client, le cas échéant, de s’engager dans une procédure judiciaire.

81      La requérante fait également état, dans la réplique, de la jurisprudence de la Cour ayant retenu une ingérence disproportionnée dans le secret professionnel de l’avocat, en violation de l’article 7 de la Charte.

82      M. Rodríguez Jiménez soutient également que l’interdiction litigieuse viole le principe de sécurité juridique. Selon lui, les règles contestées sont imprécises et ne permettent pas aux personnes concernées de savoir quels sont leurs droits et obligations de manière claire et précise.

83      Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie et par la Commission, conteste les arguments de la requérante.

84      Avant d’examiner si, comme le soutient la requérante, l’interdiction litigieuse conduit à une ingérence dans les droits garantis par l’article 47 de la Charte et par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, il convient d’examiner la recevabilité du moyen de la requérante, tiré de la violation de l’article 7 de la Charte, ainsi que celle du moyen de M. Rodríguez Jiménez, tiré de la violation du principe de sécurité juridique.

–       Sur la recevabilité du moyen tiré de la violation de l’article 7 de la Charte

85      Il ressort de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins qu’ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés au cours de la procédure.

86      En l’espèce, force est de constater que la requérante mentionne la protection du secret professionnel de l’avocat garantie par l’article 7 de la Charte pour la première fois dans la réplique. La requérante n’a pas justifié cette invocation par des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés depuis le dépôt de la requête. En particulier, la circonstance, évoquée lors de l’audience, selon laquelle cette mention de l’article 7 de la Charte est intervenue au stade de la réplique aux fins de commenter l’arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a. (C-694/20, EU:C:2022:963), mentionné par le Conseil dans son mémoire en défense, est inopérante.

87      De ce fait, ainsi que le fait valoir le Conseil, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte ne constitue pas une simple ampliation de moyens et de griefs figurant dans la requête. Il est donc irrecevable sur le fondement de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

–       Sur la recevabilité du moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique

88      Conformément à la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus, il n’est pas possible pour une partie intervenante de modifier ou de déformer le cadre du litige défini par la requête en soulevant des moyens nouveaux.

89      En l’espèce, M. Rodríguez Jiménez soutient que l’interdiction litigieuse viole le principe de sécurité juridique. Or, force est de constater que ce principe n’est pas invoqué par la requérante dans sa requête au soutien de ses conclusions, mais seulement dans sa réplique.

90      Il s’ensuit que la violation alléguée par M. Rodríguez Jiménez constitue en réalité un moyen nouveau qui ne s’inscrit pas dans le cadre défini par les conclusions et les moyens de la requérante. Ce moyen est donc irrecevable et il convient de le rejeter en tant que tel.

–       Sur le bien-fondé des moyens tirés de la violation de l’article 47 et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH

91      Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qui vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits figurant dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union, le Tribunal doit tenir compte, dans l’interprétation des droits garantis par l’article 47 de la Charte, des droits correspondants garantis par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, en tant que seuil de protection minimale (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 26 et jurisprudence citée).

92      Pour la Cour, le droit fondamental prévu à l’article 47 de la Charte revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C-896/19, EU:C:2021:311, point 51). Le principe de l’État de droit énoncé à l’article 2 TUE exige un accès libre au droit de l’Union pour toutes les personnes physiques ou morales de l’Union, ainsi que la possibilité, pour les justiciables, de connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations (arrêt du 5 mars 2024, Public.Resource.Org et Right to Know/Commission e.a., C-588/21 P, EU:C:2024:201, point 81).

93      Le droit à un procès équitable comprend, selon l’article 47, deuxième alinéa, deuxième phrase, de la Charte, la possibilité pour toute personne de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat. Ce droit est constitué de divers éléments. Il comprend, notamment, les droits de la défense, le principe de l’égalité des armes, le droit d’accès aux tribunaux et le droit d’accès à un avocat, tant en matière civile qu’en matière pénale (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 60).

94      Il convient de relever que l’article 47 de la Charte est intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ». Le troisième alinéa de cet article prévoit une aide juridictionnelle visant à « assurer l’effectivité de l’accès à la justice ». Dans ce contexte, la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter, prévue par le deuxième alinéa de cet article, ne doit être reconnue que s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 61).

95      La Cour n’a, en ce sens, reconnu la mission fondamentale des avocats dans un État de droit qu’en tant que ceux-ci concourent au bon fonctionnement de la justice et assurent la protection et la défense des intérêts du client. La Cour a, en effet, souligné que « tout justiciable », c’est-à-dire toute personne désireuse de faire reconnaître et exercer ses droits en justice, devait avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comportait la tâche de donner, de façon indépendance, des avis juridiques à tous ceux qui en avaient besoin (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 18). La Cour a plus largement reconnu la mission des avocats, appelés à fournir, en toute indépendance, et dans l’intérêt supérieur de la justice, l’assistance légale dont le client avait besoin (arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 24). La Cour a également jugé que, si la mission de représentation par un avocat devait s’exercer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, cette mission consistait surtout à protéger et à défendre au mieux les intérêts de son mandant, pour permettre à celui-ci d’exercer son droit à un recours effectif (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C-515/17 P et C-561/17 P, EU:C:2020:73, point 62). L’avocat accomplit ainsi une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 28).

96      Le droit fondamental d’accéder à un avocat et de bénéficier de ses conseils, consacré par l’article 47 de la Charte, est par conséquent pleinement reconnu uniquement s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle, qu’une telle procédure soit déjà ouverte ou qu’elle puisse être prévenue ou anticipée, sur la base d’éléments tangibles, à l’occasion de la phase d’évaluation par l’avocat de la situation juridique de son client.

97      En l’espèce, l’interdiction litigieuse énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphes 1 et 2, du règlement no 833/2014 prohibe la fourniture directe ou indirecte de services de conseil juridique, y compris en matière fiscale, au gouvernement russe et aux entités établies en Russie.

98      Selon le considérant 19 du règlement attaqué, les services de conseil juridique interdits ne comprennent pas « la représentation, les conseils, la préparation de documents ou la vérification des documents dans le cadre des services de représentation juridique, à savoir dans des affaires ou des procédures devant des organes administratifs, des cours ou d’autres tribunaux officiels dûment constitués, ou dans des procédures d’arbitrage et de médiation ». En revanche, les services de conseil juridique interdits recouvrent « la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit », « la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci » et « la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques ».

99      Bien que le préambule d’un acte de l’Union n’ait pas de valeur juridique contraignante et ne puisse être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné (arrêt du 19 novembre 1998, Nilsson e.a., C-162/97, EU:C:1998:554, point 54), le considérant 19 du règlement attaqué permet de clarifier une première délimitation de l’interdiction litigieuse. Il ressort de son libellé que les services de conseil juridique, fournis à l’occasion d’une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale, ne sont pas visés par ladite interdiction.

100    L’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 circonscrit plus précisément la portée de l’interdiction litigieuse, à la lumière du considérant 19 du règlement attaqué. Les paragraphes 5 et 6 susmentionnés disposent que l’interdiction litigieuse ne s’applique pas, respectivement, à la prestation de services qui « sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure judiciaire et du droit à un recours effectif » et à la prestation de services qui « sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, ou pour la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement ou d’une sentence arbitrale rendu dans un État membre, à condition qu’une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du règlement [...] no 269/2014 du Conseil ».

101    Il ressort ainsi du libellé de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, non contesté en l’espèce, notamment en ce qu’il se réfère aux services de conseil juridique « strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage », que l’interdiction litigieuse ne s’applique pas aux services de conseil juridique intervenant dès le moment où l’assistance de l’avocat est sollicitée pour l’exercice d’une mission de défense ou de représentation en justice ou pour l’obtention de conseils sur la manière d’engager ou d’éviter une procédure juridictionnelle (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, EU:C:2007:383, point 34). Il ne s’oppose donc pas à la fourniture des services de conseil juridique qui, à ce stade préliminaire, visent uniquement à évaluer la situation juridique de la personne concernée, dans le seul but de déterminer si une procédure, notamment juridictionnelle, doit, compte tenu de la situation de cette personne, être écartée ou si, au contraire, elle s’avère probable, voire inévitable. Sans une telle évaluation préliminaire, il ne serait d’ailleurs pas possible de savoir quel pourrait être l’objet de la consultation et de déterminer si le conseil juridique sollicité peut ou non avoir un lien avec une procédure juridictionnelle et relever, par conséquent, du droit fondamental d’accéder à un avocat, ainsi que cela a été rappelé au point 96 ci-dessus.

102    En revanche, l’interdiction litigieuse s’applique, notamment, lorsque, en matière gracieuse, un avocat assiste un client ou agit au nom et pour le compte de celui-ci dans la préparation ou la réalisation de certaines transactions essentiellement d’ordre financier et commercial. En règle générale, ces activités, en raison de leur nature même, se situent dans un contexte dépourvu de lien avec une procédure juridictionnelle et, partant, se situent en dehors du champ d’application du droit à un recours effectif et du droit à un procès équitable garantis par l’article 47 de la Charte. À cet égard, lorsqu’un avocat fournit un service juridique à un stade aussi précoce et n’agit pas en tant que défenseur de son client dans un litige, la seule circonstance selon laquelle les conseils de l’avocat ou l’objet de sa consultation peuvent donner lieu à un contentieux à un stade ultérieur ne signifie pas que l’intervention de l’avocat s’est opérée dans le cadre ou aux fins du droit de la défense de son client (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, points 63 et 64).

103    Il convient, en outre, de rappeler qu’un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remette pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire et, notamment, avec les dispositions de la Charte. En effet, lorsqu’un texte du droit dérivé de l’Union est susceptible de plus d’une interprétation, il convient de donner la préférence à celle qui rend la disposition conforme au droit primaire plutôt qu’à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci (voir arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, EU:C:2007:383, point 28 et jurisprudence citée, et du 21 juin 2022, Ligue des droits humains, C-817/19, EU:C:2022:491, point 86 et jurisprudence citée).

104    Il convient dès lors d’examiner si l’interdiction litigieuse peut être interprétée dans un sens respectueux du droit de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat garanti à l’article 47 de la Charte.

105    Selon les précisions apportées par le Conseil dans ses écritures et lors de l’audience, le critère de stricte nécessité inscrit à l’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 a pour unique objet d’éviter le recours abusif aux exceptions prévues par ces mêmes paragraphes et ne saurait être retenu pour soutenir que ladite interdiction porte atteinte au droit d’accéder à un avocat pour les besoins d’une procédure juridictionnelle.

106    Le libellé de l’article 5 quindecies, paragraphe 5, du règlement no 833/2014 permet de considérer que les services de conseil juridique relatifs à une procédure précontentieuse, à savoir une procédure administrative, ou à l’étape initiale d’une procédure judiciaire par laquelle les parties devraient nécessairement passer en vertu du droit national applicable, échappent à l’interdiction litigieuse.

107    De même, le libellé de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, non contesté en l’espèce, ne fait pas obstacle à la conduite d’une évaluation juridique préliminaire concluant à la nécessité, ou à l’absence de nécessité, d’entamer une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale, de même qu’à la prestation des services de conseil permettant d’éviter une telle procédure, notamment par l’intermédiaire d’un règlement amiable. Cette interprétation s’inscrit logiquement dans la continuité de l’arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, EU:C:2007:383).

108    Ainsi, l’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 permet à un avocat de procéder à une évaluation préalable de la situation juridique des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie qui le consultent, dans le but de déterminer si les conseils qui sont sollicités de sa part sont strictement nécessaires pour garantir l’accès, notamment, à une procédure juridictionnelle, afin de prévenir ou d’anticiper une telle procédure ou afin d’en assurer la bonne conduite si elle est déjà ouverte.

109    Il résulte de ce qui précède que l’interdiction litigieuse ne méconnaît pas le droit de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat en matière contentieuse, tel que protégé par l’article 47 de la Charte.

110    Partant, le troisième moyen doit être écarté.

111    Dès lors que l’article 5 quindecies, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement no 833/2014 ne comporte pas d’ingérence dans les droits garantis par l’article 47 de la Charte, le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, doit également être écarté.

112    Les quatre moyens invoqués par la requérante à l’appui de son recours ayant été écartés, ce dernier doit, en tout état de cause, être rejeté, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.

 Sur les dépens

113    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

114    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

115    Conformément à l’article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, M. Rodríguez Jiménez, la République d’Estonie et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (grande chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      ACE-Avocats, ensemble supportera ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l’Union européenne.

3)      M. Lupicinio Rodríguez Jiménez, la République d’Estonie et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Van der Woude

Papasavvas

da Silva Passos

Kornezov

Truchot

Gervasoni

Półtorak

Nihoul

Öberg

Mac Eochaidh

Pynnä

Martín y Pérez de Nanclares

Brkan

Zilgalvis

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 octobre 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.

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