Thunus and Others v EIB (Judgment) French Text [2020] EUECJ T-318/19 (02 December 2020)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2020/T31819.html
Cite as: ECLI:EU:T:2020:578, [2020] EUECJ T-318/19, EU:T:2020:578

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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

2 décembre 2020 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Rémunération – Ajustement annuel des salaires ‐ Sécurité juridique – Confiance légitime – Consultation du personnel – Obligation de motivation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑318/19,

Vincent Thunus, demeurant à Contern (Luxembourg), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Me L. Levi, avocate,

parties requérantes,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. T. Gilliams, J. Klein et J. Krueck, en qualité d’agents, assistés de Me P.-E. Partsch, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation des décisions contenues dans les bulletins de salaire des requérants des mois de février 2019 et postérieurs, faisant application de la décision du conseil d’administration de la BEI du 18 juillet 2017 définissant une nouvelle approche quant à l’augmentation globale des salaires du personnel applicable à l’ensemble des agents de la BEI, de la décision du conseil d’administration du 11 décembre 2018 fixant le budget salarial de 2019 et de la décision du comité de direction de la BEI du 30 janvier 2019 fixant le taux d’ajustement des salaires pour l’année 2019 à 0,8 %, et, d’autre part, à obtenir réparation du préjudice que les requérants auraient prétendument subi du fait de ces décisions,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes N. Półtorak et M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 6 juillet 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérants, M. Vincent Thunus et les autres personnes physiques dont les noms figurent en annexe, sont des agents de la Banque européenne d’investissement (BEI).

2        Dès lors que les requérants ont été recrutés avant le 1er juillet 2013, le régime du règlement du personnel dans sa première version (ci-après le « RP I ») leur est applicable. Ce régime prévoit l’octroi d’un traitement de base, de primes et de diverses indemnités et allocations ainsi que la mise à jour régulière du barème des traitements de base, dénommée l’ajustement général des salaires (ci-après l’« AGS »).

3        Le régime du règlement du personnel dans sa deuxième version (ci-après le « RP II »), applicable exclusivement aux agents recrutés après son entrée en vigueur le 1er juillet 2013, ne prévoit plus un tel AGS.

4        L’AGS est appliqué depuis l’année 1958, suivant des méthodes qui ont varié au cours des années.

5        En septembre 2009, le conseil d’administration de la BEI (ci-après le « conseil d’administration ») a adopté une méthode d’ajustement, valable pour sept années, qui reposait, notamment, sur le taux d’inflation au Luxembourg (ci-après la « méthode de 2009 »). Lors de sa réunion des 22 et 23 septembre 2016, le conseil d’administration a décidé que cette méthode servirait également de base pour calculer l’AGS de l’année 2017.

6        Par décision du 18 juillet 2017 (ci-après la « décision du 18 juillet 2017 »), le conseil d’administration a adopté une nouvelle approche relative à l’AGS pour les agents relevant du RP I et à l’augmentation globale des salaires du personnel, applicable à tous les agents, qu’ils relèvent du RP I ou du RP II.

7        Le 1er août 2017, la BEI a informé son personnel de l’adoption de la décision du 18 juillet 2017.

8        Le 11 décembre 2018, le conseil d’administration a fixé le montant de l’augmentation globale du budget des salaires pour 2019 (ci-après la « décision du 11 décembre 2018 »). Il a retenu un pourcentage de 2 % pour financer les augmentations globales de salaires, dont 0,6 % provenant des réserves internes.

9        Le 18 janvier 2019, le collège des représentants du personnel de la BEI (ci-après le « collège ») a formulé des observations critiques sur le projet de décision du comité de direction de la BEI (ci-après le « comité de direction »), élaboré à la suite de la décision du 11 décembre 2018, et a établi un avis demandant que soient ajoutée au procès-verbal du comité de direction la mention de son opposition au budget arrêté ainsi que de ses demandes de recevoir davantage d’informations sur ledit budget, notamment la raison pour laquelle le taux envisagé pour l’AGS pour les agents relevant du RP I avait été fixé à 0,8 %.

10      Le même jour, la direction du personnel a saisi le comité de direction d’une note proposant l’utilisation du budget salarial approuvé par le conseil d’administration.

11      Le 30 janvier 2019, le comité de direction a retenu l’utilisation de l’augmentation globale du budget des salaires pour 2019 fixée par le conseil d’administration dans la décision du 11 décembre 2018 pour une hausse des salaires correspondant à 2,2 %, d’une part, et un AGS pour les agents relevant du RP I de 0,8 %, d’autre part (ci-après la « décision du 30 janvier 2019 »).

12      La décision du 30 janvier 2019 a été appliquée à compter de février 2019, avec effet rétroactif à janvier 2019. Les décisions individuelles ont été notifiées à chacun des requérants dans leurs bulletins de salaire de février 2019.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 mai 2019, les requérants ont introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 14 juin 2019, la BEI a demandé de suspendre la présente affaire jusqu’à ce que la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑247/19, Thunus e.a./BEI, ait acquis force de chose jugée.

15      Dans leurs observations déposées au greffe du Tribunal le 25 juin 2019, les requérants se sont opposés à cette demande de suspension. Par le même document, ils ont demandé la jonction de la présente affaire à l’affaire T‑247/19.

16      Le 2 juillet 2019, le président de la neuvième chambre a décidé de ne pas suspendre la présente affaire.

17      Le mémoire en défense a été déposé le 12 juillet 2019.

18      Le 17 juillet 2019, la BEI a indiqué ne pas avoir d’objections à la demande de jonction.

19      Le 29 août 2019, le président de la neuvième chambre a décidé de ne pas joindre les affaires à ce stade de la procédure.

20      Les 16 et 17 octobre 2019, le président du Tribunal a, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par décision motivée et après consultation des juges concernés, désigné, en application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, une nouvelle juge rapporteure, siégeant dans la première chambre du Tribunal.

21      Le mémoire en réplique a été déposé le 25 octobre 2019.

22      Le mémoire en duplique a été déposé le 16 décembre 2019.

23      Le 10 janvier 2020, les requérants ont demandé la tenue d’une audience.

24      Le 5 mars 2020, le président de la première chambre a décidé de verser au dossier les observations de la BEI sur la demande de tenue d’une audience présentée par les requérants, déposées le 17 février 2020.

25      Par décision du 30 avril 2020, la première chambre a joint la présente affaire à l’affaire T‑247/19, Thunus e.a./BEI, aux fins de la phase orale de la procédure.

26      Le même jour, le Tribunal (première chambre) a ouvert la phase orale de la procédure et décidé d’adresser aux parties des questions pour réponse écrite, dans le cadre des mesures d’organisation de procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 6 juillet 2020.

28      Les requérants concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision contenue dans les bulletins de salaire du mois de février 2019, fixant l’ajustement annuel du traitement de base à 0,8 % pour l’année 2019, et, partant, les décisions similaires contenues dans les bulletins de salaire postérieurs ;

–        en conséquence, condamner la BEI au paiement, en réparation du préjudice matériel, premièrement, du solde de salaire correspondant à l’application de l’ajustement annuel pour 2019, soit une augmentation de 1,2 % pour la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, deuxièmement, du solde de salaire correspondant aux conséquences de l’application de l’ajustement annuel de 0,8 % pour 2019 sur le montant des salaires payés à compter de janvier 2019 et, troisièmement, d’intérêts moratoires sur les soldes de salaires dus jusqu’à paiement complet des sommes dues, le taux d’intérêts moratoires à appliquer devant être calculé sur la base du taux fixé par la Banque centrale européenne (BCE) pour les opérations principales de refinancement, applicable pendant la période concernée, majoré de trois points ;

–        condamner la BEI à l’ensemble des dépens.

29      La BEI conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer la demande relative à la production des documents manifestement irrecevable ;

–         rejeter le recours en annulation des requérants dans son ensemble comme étant non fondé ;

–        partant, débouter les requérants de leur demande indemnitaire ;

–        condamner les requérants aux dépens.

30      En outre, les requérants demandaient initialement au Tribunal, le cas échéant, à défaut pour elle de les produire spontanément, d’enjoindre à la BEI, au titre d’une mesure d’organisation de la procédure, de produire les documents relatifs à la procédure décisionnelle ayant mené à la fixation d’un taux d’AGS de 0,7 % pour 2018. La BEI ayant déposé, dans le mémoire en défense, les documents demandés par les requérants, ces derniers, dans la réplique, ont retiré leur demande relative à ces documents, de sorte que, dans la duplique, la BEI a renoncé à faire valoir qu’une telle demande était manifestement irrecevable.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

31      Les requérants demandent l’annulation de la décision contenue dans les bulletins de salaire des mois de février 2019 et postérieurs, fixant l’ajustement annuel du traitement de base à 0,8 %. Dans ce cadre, ils soulèvent une exception d’illégalité à l’encontre des décisions des 18 juillet 2017, 11 décembre 2018 et 30 janvier 2019. Au soutien de cette exception d’illégalité, les requérants invoquent sept moyens, dont deux concernent la décision du 18 juillet 2017, les cinq autres se rapportant à celles des 11 décembre 2018 et 30 janvier 2019.

32      Il convient de constater, à titre liminaire, que, pour ce qui concerne la décision du 11 décembre 2018, les requérants ne développent aucun argument relatif à sa prétendue illégalité, de sorte qu’il convient, conformément à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, de rejeter leur exception d’illégalité à cet égard comme irrecevable.

33      Pour ce qui concerne la décision du 18 juillet 2017, les requérants soutiennent, dans le cadre de leur premier moyen, que celle-ci ne respecte pas le principe de sécurité juridique et, dans le cadre de leur deuxième moyen, qu’elle a enfreint leur confiance légitime ainsi que leurs droits acquis. Pour ce qui concerne la décision du 30 janvier 2019, les requérants invoquent, dans le cadre de leur troisième moyen, le fait que le comité de direction n’avait pas la compétence d’adopter cette décision, dans le cadre de leur quatrième moyen, une violation de l’obligation de motivation, dans le cadre de leur cinquième moyen, une violation de l’obligation de diligence, dans le cadre de leur sixième moyen, une violation du droit de consultation du collège ainsi que, dans le cadre de leur septième moyen, une violation du principe de proportionnalité.

34      Il convient d’examiner, d’abord, les premier et deuxième moyens, relatifs à la décision du 18 juillet 2017, puis les troisième à septième moyens, relatifs à la décision du 30 janvier 2019, en commençant par les troisième et sixième moyens, qui traitent du processus décisionnel ayant mené à ladite décision, puis en analysant le quatrième moyen avant de terminer par l’examen simultané des cinquième et septième moyens.

 Quant aux premier et deuxième moyens, tirés de l’illégalité de la décision du 18 juillet 2017

 Sur le premier moyen, relatif à la violation du principe de sécurité juridique

35      Les requérants font valoir que la décision du 18 juillet 2017, constituant un acte contraignant qui s’impose aux organes de gouvernance de la BEI, est imprécise, dans la mesure où les critères énoncés sont simplement cités à titre d’exemple et ne garantissent pas un degré suffisant de prévisibilité.

36      Les requérants reprochent également à la BEI de n’avoir attribué à l’AGS que le pourcentage restant après la répartition du budget d’augmentation salariale aux autres composantes de la rémunération (ci-après le « mécanisme de cascade »), ce qui rendrait la décision du 18 juillet 2017 arbitraire.

37      Enfin, pour les requérants, l’absence d’un cadre clair et prévisible pour l’AGS pour les agents relevant du RP I est d’autant plus contestable qu’un tel cadre existe pour la fixation d’autres ajustements annuels, tels que l’ajustement annuel des pensions et celui des indemnités et des pensions des membres du comité de direction.

38      La BEI conteste les arguments des requérants.

39      À titre liminaire, il convient de rappeler que les relations entre les requérants et la BEI, même si elles ont une origine contractuelle, relèvent essentiellement d’un régime réglementaire. En effet, l’article 29, devenu en avril 2012 l’article 31, du règlement intérieur de la BEI prévoit que les règlements relatifs au personnel de la BEI sont fixés par le conseil d’administration et que le comité de direction en adopte les modalités d’application (voir arrêt du 14 septembre 2017, Bodson e.a./BEI, T‑504/16 et T‑505/16, EU:T:2017:603, point 46 et jurisprudence citée).

40      C’est ainsi que l’article 20 du RP I énonce que « [l]e barème des traitements de base relatif aux catégories de fonctions définies à l’article 14 figure en [a]nnexe I [dudit] [r]èglement ». L’annexe I dudit règlement prévoit, quant à elle, que « [l]e barème des traitements de base fait l’objet de mises à jour régulières ».

41      En vertu de ces dispositions, la BEI dispose d’un pouvoir d’appréciation pour fixer et modifier unilatéralement les éléments de la rémunération de son personnel et, partant, pour arrêter et mettre à jour le barème des traitements de base de son personnel (voir arrêt du 14 septembre 2017, Bodson e.a./BEI, T‑504/16 et T‑505/16, EU:T:2017:603, point 48 et jurisprudence citée).

42      Cependant, la BEI, dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation, peut décider de déterminer par avance, dans un premier temps et pour une certaine période, des critères encadrant la fixation, dans un second temps, des mises à jour régulières du barème des traitements de base de son personnel et, ainsi, de s’obliger à respecter lesdits critères lors des adaptations annuelles dudit barème au cours de cette période (voir arrêt du 14 septembre 2017, Bodson e.a./BEI, T‑504/16 et T‑505/16, EU:T:2017:603, point 49 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, il convient de constater que, par la décision du 18 juillet 2017, de tels critères pour la mise à jour régulière du barème des traitements de base ont été indiqués en termes généraux et à titre indicatif. En outre, par la même décision, la BEI a expressément réitéré qu’elle se réservait la possibilité d’exercer son pouvoir d’appréciation quant à l’application de ces critères lors des adaptations annuelles du barème des traitements de base de son personnel.

44      En premier lieu, il y a lieu d’examiner si la décision du 18 juillet 2017, ainsi que le font valoir les requérants, est assujettie au respect du principe de sécurité juridique, ce qui est contesté par la BEI.

45      À cet égard, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union européenne, vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques résultant du droit de l’Union et exige que tout acte de l’administration qui produit des effets juridiques soit clair et précis afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 233 et jurisprudence citée).

46      Ainsi il convient de conclure que, dans la mesure où la décision du 18 juillet 2017 constitue un acte de l’administration qui produit des effets juridiques, elle doit respecter le principe de sécurité juridique, et ce sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments des parties quant à la nature précise de ladite décision.

47      En effet, contrairement à ce que fait valoir la BEI, il est de jurisprudence constante que les directives internes prises par les institutions de l’Union ne sauraient légalement, en aucun cas, poser des règles qui dérogeraient aux dispositions du statut des fonctionnaires de l’Union européenne ou, a fortiori, aux principes généraux du droit (arrêt du 9 juillet 1997, Monaco/Parlement, T‑92/96, EU:T:1997:105, point 47 ; voir également, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2011, Adjemian e.a./Commission, T‑325/09 P, EU:T:2011:506, point 56), de sorte que quand bien même la décision du 18 juillet 2017 devait s’interpréter comme une directive interne, elle était tenue de respecter le principe de sécurité juridique.

48      En second lieu, il convient d’examiner si la décision du 18 juillet 2017 respecte le principe de sécurité juridique et, plus particulièrement, le principe de prévisibilité, qui en fait partie intégrante. À cet égard, il convient d’observer que la portée de ce dernier dépend dans une large mesure du contenu de l’acte en cause, du domaine auquel il touche et de la qualité de son destinataire (arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 237).

49      Pour ce qui concerne la décision du 18 juillet 2017, il convient de constater que, certes, les critères retenus afin d’établir, chaque année, le niveau de l’adaptation du barème des traitements de base sont rédigés dans des termes généraux.

50      Ainsi, la décision du 18 juillet 2017 prévoit, à son point 7, en ce qui concerne l’augmentation globale des salaires du personnel de la BEI, que les décisions du conseil d’administration sur l’augmentation globale du budget des salaires sont « guidées » par les données de marché disponibles dans le rapport annuel de rémunération (ci-après le « RAR »), mais que ces données ne lient pas le conseil d’administration dans sa prise de décision. En effet, celui-ci peut prendre en considération d’autres facteurs, tels que la performance globale de la BEI, l’inflation ou les conditions générales de travail dans les États membres.

51      Par ailleurs, la décision du 18 juillet 2017 impose au comité de direction, lors de sa répartition de l’augmentation globale du budget décidée par le conseil d’administration eu égard aux différentes composantes du salaire des agents (point 6), de récompenser la performance individuelle de ces agents (points 10 et 11). Si le budget disponible pour les agents relevant du RP II doit être pleinement affecté à cet objectif (point 10), la décision du 18 juillet 2017 rappelle que la marge de manœuvre de la BEI en la matière est limitée en ce qui concerne les agents relevant du RP I (point 11). À cet égard, le comité de direction doit s’assurer, d’une part, de disposer de ressources budgétaires suffisantes pour appliquer la grille minimale de mérite et, d’autre part, que l’échelle des barèmes de base dans le cadre du RP I soit ajustée « régulièrement » (à savoir par l’AGS) (point 11). La décision sur le montant (et la fréquence) de cet ajustement est laissée à la discrétion du comité de direction.

52      Il convient toutefois de rappeler que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 42 ci-dessus, la BEI dispose d’un pouvoir d’appréciation pour fixer et modifier unilatéralement les éléments de rémunération de son personnel et, partant, pour arrêter et mettre à jour le barème des traitements de base de son personnel.

53      Ainsi, le principe de sécurité juridique n’impose pas à l’administration, en l’occurrence à la BEI, de restreindre le pouvoir d’appréciation qu’elle entend exercer en matière de rémunération de son personnel par l’adoption de mesures d’exécution visant à définir comment elle entend mettre en œuvre pour l’avenir ledit pouvoir d’appréciation (voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2019, US/BCE, T‑780/17, non publié, EU:T:2019:678, point 149).

54      Plus particulièrement, le fait qu’elle utilise la marge qui lui est conférée par ledit pouvoir d’appréciation sans expliquer en détail et à l’avance les critères qu’elle envisage d’appliquer dans chaque situation concrète ne viole pas le principe de sécurité juridique (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 octobre 1988, Brother Industries/Conseil, 250/85, EU:C:1988:464, point 29).

55      Prenant en considération ces principes, ainsi que le fait que le RAR, lequel guide le conseil d’administration dans sa prise de décision, comporte une analyse détaillée de plusieurs facteurs, tels que les mouvements salariaux d’une sélection d’organisations internationales et européennes et d’administrations, il convient de constater que les modalités prévues au point 7 de la décision du 18 juillet 2017 reflètent le pouvoir d’appréciation dont dispose la BEI en matière de rémunération de son personnel, de sorte que la formulation, en des termes généraux, des critères permettant d’établir le niveau de l’adaptation du barème des traitements de base ne constitue pas une violation du principe de sécurité juridique.

56      Ce constat ne saurait être remis en cause par les autres arguments des requérants, relatifs, d’une part, au mécanisme de cascade et, d’autre part, aux régimes de pension et de rémunération des membres du comité de direction.

57      En effet, concernant le premier argument, relatif au mécanisme de cascade, il convient de constater que le reproche adressé à la BEI d’avoir alloué à l’AGS la partie résiduelle du budget disponible ne concerne pas le principe de sécurité juridique et que, en tout état de cause, ainsi que cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises, la BEI dispose d’un pouvoir d’appréciation pour la fixation et la modification des éléments de rémunération de son personnel. Quant à l’allégation des requérants selon laquelle une telle allocation serait illégale, car elle ne serait pas prévue par les textes, il convient de constater, comme l’a fait la BEI lors de l’audience, que la décision du 18 juillet 2017 prévoit explicitement, en son article 11, ledit principe, lequel est, de surcroît, conforme à la nouvelle politique de la BEI de récompenser davantage la performance individuelle des agents.

58      Quant à l’argument des requérants relatif aux régimes de pension et de rémunération des membres du comité de direction, il convient de rappeler que, sous réserve du respect du principe d’égalité de traitement, dont il n’est pas allégué par les requérants qu’il ait été méconnu en l’espèce, quand bien même les régimes seraient comparables, la BEI dispose d’un pouvoir d’appréciation pour organiser le régime réglementaire de la rémunération de ses agents, de sorte que les requérants ne sauraient s’appuyer sur l’existence d’un cadre pour les ajustements des pensions et des indemnités et des pensions des membres du comité de direction afin de réclamer un cadre identique pour l’AGS des agents relevant du RP I.

59      Au vu de ces circonstances, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime et des droits acquis

60      Les requérants font valoir que, dans la mesure où la décision du 18 juillet 2017 inclut le critère relatif au taux d’inflation au Luxembourg seulement à titre d’exemple, leur confiance légitime à se voir protégés contre l’inflation au Luxembourg, dont ils ont bénéficié durant toute leur carrière, a été méconnue. En effet, le taux d’inflation au Luxembourg était de 2 % en 2018, et donc supérieur à l’AGS contesté, de 0,8 %. En outre, dans la mesure où la décision du 18 juillet 2017 a été appliquée directement, sans prévoir de période transitoire, leur droit acquis à avoir une protection contre l’inflation au Luxembourg a été méconnu.

61      Les requérants invoquent à cet égard la pratique de la BEI d’appliquer un taux d’AGS visant à protéger son personnel relevant du RP I contre des pertes du pouvoir d’achat en raison de l’augmentation du coût de la vie au Luxembourg, ainsi que les modalités de la méthode de 2009, laquelle prévoyait explicitement la prise en compte du taux d’inflation au Luxembourg.

62      Enfin, les requérants font valoir que la situation constitue une atteinte au principe du parallélisme selon lequel l’évolution des rémunérations des agents de l’Union doit se faire « en parallèle » avec celle des fonctionnaires nationaux.

63      La BEI conteste l’argumentation des requérants.

64      Il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne la protection de la confiance légitime, que, conformément à une jurisprudence bien établie, le droit de réclamer cette protection suppose la réunion de trois conditions. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration de l’Union. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir arrêt du 12 septembre 2018, PH/Commission, T‑613/16, non publié, EU:T:2018:529, point 65 et jurisprudence citée).

65      Quant à l’existence d’un droit acquis, il ressort d’une jurisprudence constante qu’une règle nouvelle s’applique immédiatement, sauf dérogation, aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne. Il en va autrement pour les situations nées et définitivement réalisées sous l’empire de la règle précédente, qui créent des droits acquis. Un droit est considéré comme acquis lorsque le fait générateur de celui-ci s’est produit avant la modification législative. Toutefois, tel n’est pas le cas d’un droit dont le fait constitutif ne s’est pas réalisé sous l’empire de la législation qui a été modifiée. Il s’ensuit qu’un agent ne saurait se prévaloir d’un droit acquis que si le fait générateur de ce droit s’est produit sous l’empire d’un statut déterminé, antérieur à la modification décidée par l’autorité (voir arrêt du 6 juillet 2017, Bodson e.a./BEI, T‑508/16, non publié, EU:T:2017:469, points 97 et 99 et jurisprudence citée).

66      Or, en premier lieu, dans la mesure où les requérants fondent leur argumentation sur la pratique de la BEI, premièrement, il convient de constater que, contrairement à ce que semblent suggérer les requérants dans leurs écritures, il ressort du tableau soumis en annexe 5 à la requête que, pendant plusieurs années, les taux d’AGS étaient inférieurs aux taux d’inflation au Luxembourg. Les requérants ont, lors de l’audience, précisé à cet égard que les taux d’AGS concernés y étaient seulement légèrement inférieurs et que le tableau servait plutôt à démontrer qu’il y avait toujours eu une adéquation presque parfaite entre le taux d’AGS accordé et le taux d’inflation au Luxembourg.

67      Deuxièmement, quand bien même une certaine pratique pourrait être déduite du tableau soumis par les requérants en tant qu’annexe 5 à la requête, force est de constater que, dans un domaine où l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation, comme cela est le cas dans la présente affaire, ainsi qu’il est indiqué au point 42 ci-dessus, une simple pratique, aussi courante soit-elle, n’équivaut pas à des renseignements précis, inconditionnels et concordants desquels une attente légitime pourrait réellement découler (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2017, Bodson e.a./BEI, T‑508/16, non publié, EU:T:2017:469, point 106 et jurisprudence citée).

68      Une telle pratique ne saurait pas non plus créer, pour les intéressés, un droit acquis au maintien des avantages qu’une politique salariale déterminée, suivie pendant une longue période, eût pu leur procurer. En effet, il est de jurisprudence constante que l’autorité est libre d’apporter à tout moment au régime de travail du personnel les modifications, pour l’avenir, qu’elle estime conformes à l’intérêt du service, même dans un sens défavorable aux agents, et qu’il en va a fortiori ainsi s’agissant d’une simple pratique (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑241/14 P, EU:T:2016:103, point 97).

69      En deuxième lieu, dans la mesure où ils fondent leur argumentation sur le texte de la méthode de 2009, il suffit d’observer que, ainsi que l’indique la BEI, les requérants avaient connaissance depuis plusieurs années du fait que, à l’expiration de la période d’application de la méthode de 2009, à savoir en 2016, une autre méthode pourrait s’appliquer. En outre, la décision du 18 juillet 2017 établit, pour l’avenir, une règle différente pour la mise en œuvre de l’article 20 du RP I et de son annexe I. Dès lors que cette règle est adoptée avant même que l’ajustement général des salaires de 2018 n’ait eu lieu, son entrée en vigueur ne saurait avoir porté atteinte à un droit acquis par les requérants (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2017, Bodson e.a./BEI, T‑508/16, non publié, EU:T:2017:469, point 100 et jurisprudence citée).

70      Faute de pouvoir se prévaloir d’un droit acquis, les requérants ne sauraient non plus invoquer une absence illicite de période transitoire avant l’entrée en vigueur de la décision du 18 juillet 2017, dès lors qu’ils tirent cette allégation de l’existence dudit droit.

71      En troisième lieu, quant à l’argumentation des requérants liée au parallélisme avec l’évolution des rémunérations des fonctionnaires nationaux, force est de constater qu’il s’agit d’un principe prévu à l’article 65 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, lequel n’est pas applicable aux agents de la BEI.

72      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième moyen invoqué par les requérants comme non fondé.

 Quant aux troisième à septième moyens, tirés de l’illégalité de la décision du 30 janvier 2019

 Sur le troisième moyen, tiré de l’absence de délégation donnée par le conseil d’administration au comité de direction pour fixer le taux d’AGS

73      Les requérants font valoir que la décision du 18 juillet 2017 n’accorde pas le pouvoir au comité de direction d’établir le niveau de l’AGS, de sorte que la décision du 30 janvier 2019 a été prise par un organe incompétent. Ils déduisent d’une lecture combinée des articles 6 et 9 de la décision du 18juillet 2017 que le conseil d’administration a uniquement accordé au comité de direction la délégation pour répartir l’augmentation globale des salaires dans l’hypothèse où cette augmentation faisait suite à une augmentation du budget des coûts du personnel. Dans la mesure où aucune augmentation du budget des coûts du personnel n’a eu lieu au cours de l’année 2019, le comité de direction n’aurait pas reçu de délégation et, selon les requérants, il revenait au conseil d’administration, faute de délégation explicite accordée en ce sens au comité de direction, de décider de ladite répartition.

74      La BEI conteste l’argumentation des requérants.

75      À cet égard, il convient de noter que le point 6 de la décision du 18 juillet 2017 prévoit, d’une part, que l’augmentation globale du budget affecté à l’augmentation moyenne des salaires (headline figure) est approuvée par le conseil d’administration et, d’autre part, que la décision budgétaire prise par le conseil d’administration est allouée aux différentes composantes du salaire des agents par le comité de direction.

76      Par ailleurs, le point 9 de la même décision prévoit que le comité de direction a la responsabilité de décider de la mise en œuvre de la décision annuelle du conseil d’administration concernant la répartition de l’augmentation globale du budget affecté à l’augmentation moyenne des salaires.

77      Ainsi, il ressort de ces dispositions que, dans un premier temps, le conseil d’administration décide du budget des coûts du personnel, y compris le budget des salaires, et, ce faisant, de la partie de ce budget affectée à l’augmentation des salaires, que cela comporte en pratique une augmentation du budget global des salaires ou non.

78      Dans un second temps, une fois que le conseil d’administration a pris une décision quant au budget affecté aux salaires pour l’année à venir, le comité de direction est chargé de procéder à la répartition de ses différentes composantes. Le point 9 de la décision du 18 juillet 2017 ne fait, dans ce sens, que réitérer cette division de compétences.

79      Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, la décision du 18 juillet 2017 accorde de façon explicite le pouvoir au comité de direction d’exécuter la décision concernant le budget du conseil d’administration eu égard aux différentes composantes du salaire des agents et, dès lors, de fixer le niveau de l’AGS.

80      En outre il convient de constater que la répartition des compétences telle qu’établie par la décision du 18 juillet 2017 s’inscrit dans le cadre réglementaire applicable au sein de la BEI.

81      En effet, l’article 11, paragraphe 3, des statuts de la BEI prévoit que le comité de direction assure la gestion des affaires courantes de la BEI ainsi que l’exécution des décisions du conseil d’administration. L’article 11, paragraphe 7, des mêmes statuts dispose que le règlement intérieur détermine l’organe compétent pour adopter les dispositions applicables au personnel.

82      L’article 23, paragraphe 1, du règlement intérieur de la BEI établit que, conformément à l’article 11, paragraphes 3 et 7, des statuts, le comité de direction est compétent pour adopter et mettre en œuvre les règles administratives relatives à l’organisation et au fonctionnement des services de la BEI, y compris la gestion du personnel, les dispositions administratives qui lui sont applicables ainsi que les droits et les devoirs s’y rapportant, sans préjudice des règlements du personnel applicables.

83      Enfin, l’article 31 du règlement intérieur de la BEI prévoit que les règlements relatifs au personnel de la BEI sont fixés par le conseil d’administration et que le comité de direction en adopte les modalités d’application conformément à l’article 23 de ce règlement.

84      Ainsi, il est établi que le régime général de répartition des compétences prévu dans les statuts de la BEI et par son règlement intérieur, dans lequel s’inscrit la décision du 18 juillet 2017, habilite le comité de direction à répartir l’augmentation des salaires résultant de la décision du conseil d’administration sur le budget qui y est relatif. Dans ce sens, ainsi que l’indique la BEI dans le mémoire en défense, la question d’une délégation de la part du conseil d’administration à cet effet ne se pose même pas et il convient de constater que la décision du 30 janvier 2019 a été adoptée en conformité avec le cadre réglementaire de la BEI.

85      Par conséquent, le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le sixième moyen, tiré d’une violation du droit de consultation du collège prévu aux articles 27 et 28 de la Charte

86      En invoquant les articles 27 et 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), les requérants font, en substance, valoir que, en dépit du fait que tant la rémunération du personnel que le retrait unilatéral d’un avantage octroyé sans interruption, à savoir un AGS protégeant les agents de la BEI relevant du RP I contre l’augmentation du coût de la vie au Luxembourg, doivent faire l’objet d’une consultation préalable du collège, de nature à permettre à celui-ci d’exercer une influence sur le contenu de l’acte adopté, le collège n’a aucunement été informé des éléments retenus pour fixer l’AGS à 0,8 %.

87      La BEI conteste l’argumentation des requérants.

88      À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de l’article 24, premier alinéa, du RP I que « les intérêts généraux du personnel sont représentés auprès de la Banque par des représentants du personnel élus au scrutin secret ».

89      Cette disposition a été mise en œuvre par la convention relative à la représentation du personnel auprès de la BEI, laquelle prévoit, dans son article 24 ainsi que dans l’annexe I, que, dans le domaine de la rémunération, le collège contribue à la formulation de la politique du personnel, en établissant des propositions et en définissant sa position sous la forme d’un avis motivé annexé à chaque proposition soumise au comité de direction.

90      Il s’ensuit que le collège doit être consulté pour toute proposition que l’administration a l’intention de soumettre au comité de direction concernant, notamment, la rémunération des agents.

91      Quant à l’étendue de la consultation du collège, il convient de rappeler que celle-ci ne comporte que le droit d’être entendu. Même si la consultation préalable du collège constitue un élément essentiel du dialogue social, en ce qu’elle permet à celui-ci de participer effectivement, en certaines matières touchant aux intérêts du personnel, au processus décisionnel, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une forme de participation à la prise de décision qui n’implique pas l’obligation pour l’administration de donner une suite aux observations formulées par le collège, dans le cadre de sa consultation (voir, par analogie, arrêt du 20 novembre 2003, Cerafogli et Poloni/BCE, T‑63/02, EU:T:2003:308, point 23 et jurisprudence citée).

92      Il ressort de la jurisprudence mentionnée au point 92 ci-dessus que le droit du collège d’être consulté n’implique aucunement l’assurance d’influer sur le processus décisionnel, la BEI n’étant pas tenue de suivre les points de vue exprimés par l’organe consulté. La réponse à la question de savoir si la procédure de consultation a manqué ou non d’effet utile en l’espèce ne dépend donc pas du nombre ou du contenu des modifications apportées par la BEI, à la demande du collège, à sa proposition initiale, mais des possibilités réelles qui ont été offertes à celui-ci de s’exprimer utilement sur les propositions de la BEI et d’examiner d’autres solutions envisageables (voir, par analogie, arrêt du 11 décembre 2013, Andres e.a./BCE, F‑15/10, EU:F:2013:194, point 192).

93      Par conséquent, afin de vérifier si la BEI a respecté l’effet utile de son obligation de consultation, il incombe au Tribunal d’examiner si le collège a été en mesure de s’exprimer utilement sur la proposition de fixation d’un taux d’AGS de 0,8 % avant l’adoption de la décision du 30 janvier 2019.

94      À cet égard, le Tribunal observe qu’il ressort des éléments du dossier que le collège a été consulté tout au long de la procédure ayant mené à la fixation d’un taux d’AGS de 0,8 %. Ainsi, il a été consulté à plusieurs reprises par le comité de direction. Il a eu accès au RAR de 2018 et a même commenté de manière étayée ce document dans un avis joint à la note au comité de direction du 20 novembre 2018. Le collège a également exprimé son avis sur les différentes propositions d’augmentation de salaire dans une note reprise dans la note au comité de direction du 18 janvier 2019. Dans cette note, le collège expose son avis sur la proposition de retenir un taux d’AGS de 0,8 % en comparant ce taux à celui retenu par d’autres institutions de l’Union et demande une explication sur la conformité dudit taux avec les modalités prévues dans la décision du 18 juillet 2017. Le procès-verbal de la réunion du comité de direction du 30 janvier 2019, lors de laquelle le taux d’AGS a définitivement été fixé à 0,8 %, fait explicitement mention dudit avis, en ajoutant que le comité de direction en a bien pris note.

95      Le Tribunal considère, compte tenu des échanges rapportés ci-dessus qui ont eu lieu entre la BEI et le collège, que celui-ci a été régulièrement consulté lors de l’adoption de la décision du 30 janvier 2019.

96      Enfin, pour ce qui concerne l’argument des requérants qui se sont vu retirer unilatéralement un avantage octroyé depuis de longues années sans interruption, celui-ci doit se comprendre comme étant tiré d’une prétendue violation du principe général du droit du travail selon lequel un employeur ne peut retirer unilatéralement un avantage financier qu’il a librement accordé à ses employés de manière continue qu’après consultation de ces derniers ou de leurs représentants (arrêt du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T‑192/99, EU:T:2001:72, point 85).

97      Ce principe ne trouve cependant pas à s’appliquer au cas d’espèce. En effet, ainsi que l’indique la BEI, le fait que le taux d’AGS arrêté pour l’année 2019 a été fixé en dessous du taux d’inflation au Luxembourg ne saurait être assimilé au retrait d’un avantage financier, dans la mesure où, premièrement, les requérants ont eu droit à un AGS, bien qu’inférieur au taux attendu, deuxièmement, ils ne peuvent pas se prévaloir d’un quelconque droit acquis à se voir protégés contre l’inflation au Luxembourg et, troisièmement, la hausse salariale prise en son intégralité s’approchait du taux d’inflation au Luxembourg, voire était supérieure à ce taux, ce qui a été, d’ailleurs, confirmé par les requérants dans leurs réponses aux questions du Tribunal.

98      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le cinquième moyen comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation telle que prévue à l’article 41 de la Charte

99      Les requérants font valoir que ni les textes qui font partie du processus réglementaire ayant conduit au taux d’AGS en question, ni les décisions individuelles de mise en œuvre de cet AGS ne comportent de motivation et, en particulier, qu’ils n’identifient pas quels sont les critères pris en considération pour atteindre le taux de 0,8 %.

100    La BEI conteste l’argumentation des requérants.

101    À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation de motivation, visée à l’article 296 TFUE et rappelée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, constitue un principe essentiel du droit de l’Union qui a pour objectif, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de l’acte lui faisant grief et, d’autre part, d’en rendre possible le contrôle juridictionnel [voir arrêt du 3 juillet 2019, PT/BEI, T‑573/16, EU:T:2019:481, point 374 (non publié) et jurisprudence citée].

102    Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 29).

103    À cet égard, il convient de prendre en considération le fait que la décision du 30 janvier 2019 est un acte de portée générale relatif à la rémunération du personnel de la BEI. Le domaine de la rémunération du personnel constitue un domaine complexe et spécifique, régi par des enjeux non seulement financiers, mais également politiques, dans lequel, de surcroît, la BEI dispose d’un pouvoir d’appréciation pour fixer et modifier unilatéralement les éléments de rémunération de son personnel, dans le cadre duquel, ainsi que cela a été indiqué lors de l’examen du premier moyen, elle a adopté des règles visant à encadrer la fixation des mises à jour régulières du barème des traitements de base. En effet, il convient de rappeler que la décision du 18 juillet 2017 prévoit, à son point 7, en ce qui concerne l’augmentation globale des salaires du personnel de la BEI, que les décisions du conseil d’administration sur l’augmentation globale du budget des salaires sont « guidées » par les données de marché disponibles dans le RAR, mais que le conseil d’administration peut prendre en considération d’autres facteurs, tels que la performance globale de la BEI, l’inflation ou les conditions générales de travail dans les États membres. Au vu de la spécificité de la matière et de la procédure applicable, la BEI a, dès lors, suffisamment justifié les raisons pour lesquelles, dans la décision du 30 janvier 2019, chaque composant du salaire a été retenu.

104    Plus particulièrement, il convient de rappeler que, par ladite décision, le comité de direction, d’une part, a divisé le budget entre les agents relevant du RP I et ceux relevant du RP II et, d’autre part, une fois le budget alloué aux agents du RP I décidé, a réparti ce budget conformément à l’article 11 de la décision du 18 juillet 2017, à savoir en récompensant, en premier lieu, la performance individuelle, assurant la grille minimale de mérite, puis en octroyant un AGS de 0,8 % pour 2019. Par ailleurs, le comité de direction a dû décider de l’utilisation des budgets approuvés par le conseil d’administration pour le financement des promotions, des ajustements structurels et des bonus pour l’ensemble des agents, qu’ils relèvent du RP I ou du RP II. Dans ces conditions, il est, ainsi que l’indique la BEI, excessif de prétendre que la fixation de l’AGS par le comité de direction doit faire l’objet d’un raisonnement détaillé et d’une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2009, Adjemian e.a./Commission, F‑134/07 et F‑8/08, EU:F:2009:51, point 139).

105    Dans ce cadre, il ne saurait être ignoré, ainsi qu’il ressort des antécédents du litige et du point 95 ci-dessus, que la décision du 30 janvier 2019 a été prise à l’issue d’un long processus décisionnel, auquel le collège a été associé.

106    En effet, l’article 2 de la convention relative à la représentation du personnel de la BEI prévoit que le collège représente l’ensemble du personnel de la BEI. En outre, les requérants indiquent eux-mêmes dans la requête que, bien qu’ils agissent en leur nom propre, c’est leur qualité de représentants du personnel qui les a conduits à se positionner comme requérants dans la présente affaire, étant donné que cette qualité leur a permis d’avoir accès aux documents élaborés tout au long de la procédure précédant la décision du 30 janvier 2019. Dans ce contexte, force est de constater que l’argument invoqué par les requérants selon lequel l’un d’eux n’a rejoint le collège qu’après que la décision du 30 janvier 2019 a été prise est sans pertinence en l’espèce. En effet, la circonstance avancée par les requérants ne les a pas empêchés d’avoir une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de la décision du 30 janvier 2018 en vue de prendre position sur l’introduction du recours.

107    Au vu de ce qui précède, il convient de constater que la décision du 30 janvier 2019 n’a pas enfreint le principe de l’obligation de motivation. Il convient dès lors de rejeter le troisième moyen des requérants comme non fondé.

 Sur les cinquième et septième moyens, tirés d’une violation de l’obligation de diligence prévue à l’article 41 de la Charte et du principe de proportionnalité prévu à l’article 5, paragraphe 4, TUE

108    Dans le cadre de leurs cinquième et septième moyens, les requérants font valoir que, dans la mesure où aucun élément d’information concernant la façon dont la BEI a fixé le taux d’AGS pour l’année 2019 à 0,8 % n’a été communiqué, il n’est pas possible de savoir si celle-ci a examiné avec soin et impartialité tous les éléments pertinents pour prendre la meilleure décision dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, d’une part, ni si elle a procédé à un exercice effectif de son pouvoir d’appréciation conformément au principe de proportionnalité, d’autre part.

109    La BEI conteste l’argumentation des requérants.

110    Pour ce qui concerne la prétendue violation de l’obligation de diligence, il convient de rappeler que cette obligation, qui est inhérente au principe de bonne administration et qui s’applique de manière générale à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public, exige de celle-ci qu’elle agisse avec soin et prudence (arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 34).

111    Pour ce qui concerne la prétendue violation du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler que ce principe exige, selon la jurisprudence de la Cour, que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 17 octobre 2013, Schaible, C‑101/12, EU:C:2013:661, point 29 et jurisprudence citée).

112    En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, le juge de l’Union a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 117 et jurisprudence citée).

113    À cet égard, il convient de relever que les requérants ne développent pas davantage les moyens soulevés, et ce en dépit du fait qu’ils ont été, ainsi qu’ils l’indiquent eux-mêmes, associés au processus décisionnel, qu’ils ont eu accès aux documents élaborés et qu’ils sont dès lors en mesure de préciser à quel stade de la procédure et pour quel motif exactement la BEI aurait manqué à son obligation de diligence ou pris des décisions en violation du principe de proportionnalité.

114    En tout état de cause, ainsi que cela ressort des antécédents du litige et du point 95 ci-dessus, la procédure établie pour la prise de décision concernant tant l’augmentation du budget des salaires que la répartition de celle-ci a été respectée.

115    Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que la BEI, en adoptant la décision du 30 janvier 2019, n’ait pas agi avec soin et prudence, ni qu’elle ait commis une erreur manifeste d’appréciation ou méconnu le principe de proportionnalité.

116    Il convient, dès lors, de rejeter les cinquième et septième moyens comme non fondés et, partant, le recours en annulation dans son intégralité.

 Quant au recours en indemnité

117    Selon les requérants, l’illégalité des décisions attaquées démontrée dans la partie concernant le recours en annulation suffit à constituer une faute de service imputable à la BEI. Ils font valoir avoir subi un préjudice financier dans la mesure où ils se sont vu octroyer, avec effet au 1er janvier 2019, une rémunération moindre que l’AGS nécessaire afin de les protéger contre une perte du pouvoir d’achat, dès lors que, en comparaison, le taux d’inflation au Luxembourg s’élevait à 2 %. Les requérants estiment le préjudice subi pour l’année 2019 à 1,2 % de leur rémunération (2 % – 0,8 %). En outre, les requérants font valoir qu’au montant ainsi calculé doivent s’ajouter les intérêts de retard à compter du 1er janvier 2019, puisque, à cette date, ils disposaient d’une créance certaine et exigible.

118    La BEI conteste l’argumentation des requérants.

119    Conformément à une jurisprudence constante en matière de fonction publique, si une demande en indemnité présente un lien étroit avec une demande en annulation, le rejet de cette dernière, soit comme irrecevable, soit comme non fondée, entraîne également le rejet de la demande indemnitaire (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Martínez Valls/Parlement, T‑214/02, EU:T:2003:254, point 43 et jurisprudence citée).

120    En l’espèce, il existe un lien étroit entre les conclusions en indemnité et les conclusions en annulation, puisque les requérants demandent à être indemnisés du prétendu préjudice financier qu’ils auraient subi du fait de l’illégalité des décisions attaquées. L’examen des griefs présentés à l’appui des conclusions en annulation n’ayant cependant révélé aucune illégalité, et donc aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’administration, les conclusions en indemnité doivent également être rejetées.

 Sur les dépens

121    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BEI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Vincent Thunus et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Banque européenne d’investissement (BEI).

Kanninen

Półtorak

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 décembre 2020.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.

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