OC v EEAS (Judgment) French Text [2022] EUECJ T-681/20 (06 July 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/T68120.html
Cite as: EU:T:2022:422, ECLI:EU:T:2022:422, [2022] EUECJ T-681/20

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ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

6 juillet 2022 (*)

« Responsabilité – Fonction publique – Personnel du SEAE affecté dans un pays tiers – Dénonciation d’irrégularités – Rapport d’inspection – Mutation – Actes faisant grief – Comportements non décisionnels – Respect des exigences afférentes à la procédure précontentieuse – Protection des lanceurs d’alerte – Article 22 bis du statut – Devoir de sollicitude – Articles 7 et 8 de la charte des droits fondamentaux – Respect de la vie privée – Protection des données à caractère personnel »

Dans l’affaire T‑681/20,

OC, représentée par Mes L. Levi et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spáč, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, V. Valančius (rapporteur) et Mme I. Reine, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 25 novembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, OC, demande réparation du préjudice qu’elle aurait subi du fait d’actes et de comportements du Service européen pour l’action extérieure (SEAE).

 Antécédents du litige

2        La requérante, fonctionnaire du SEAE, a occupé le poste de cheffe d’administration au sein de la délégation de l’Union européenne en [confidentiel] (ci-après la « délégation ») du [confidentiel] au [confidentiel].

3        Au titre de ce poste, la requérante exerçait la fonction de régisseuse d’avances et a dû, en tant que telle, signer, avant sa prise de fonction, la charte des missions et responsabilités des régisseurs d’avances du SEAE (ci-après la « charte des régisseurs d’avances »).

4        [confidentiel] a pris ses fonctions, en tant que cheffe de la délégation, en octobre 2016 (ci-après la « cheffe de la délégation »).

5        De début janvier à la mi-juin 2017, la requérante a été placée en arrêt maladie.

6        En septembre 2017, la division du secteur de la sécurité et celle de l’audit interne du siège du SEAE ont transmis à la délégation une demande d’informations concernant un contrat portant sur des services de sécurité conclu par la délégation pendant l’absence de la requérante et les transactions financières qui y étaient afférentes, demande à laquelle la cheffe de la délégation a enjoint à la requérante de donner suite.

7        Lors de l’examen du dossier, la requérante a identifié des irrégularités dans la procédure de passation du marché en cause, y compris la modification de documents du dossier d’appel d’offres, la modification de documents enregistrés et l’utilisation de dates de la fin de l’année 2016.

8        Le 27 septembre 2017, la requérante a consigné les irrégularités qu’elle avait identifiées (ci-après les « irrégularités en cause ») dans une note pour le dossier (ci-après la « note pour le dossier ») qu’elle a téléchargée dans le système informatique de gestion du contrôle ex post et transmise aux deux divisions concernées.

9        Le même jour, la requérante a sollicité un entretien avec la cheffe de la délégation, au cours duquel elle l’a informée de la situation et lui a communiqué la note pour le dossier.

10      Le 29 septembre 2017, la requérante a adressé au directeur général de la direction générale du budget et de l’administration du secrétariat général du SEAE (ci-après le « directeur général ») un courriel par lequel elle l’a informé des irrégularités en cause et de la circonstance selon laquelle elle en avait avisé la cheffe de la délégation. Elle a également demandé au directeur général, à titre conservatoire, la protection accordée aux lanceurs d’alerte en application des articles 22 bis et 22 ter du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »). La requérante a motivé cette demande, notamment, par la réaction de la cheffe de la délégation, qui aurait menacé de la réaffecter au siège du SEAE.

11      Le 20 octobre 2017, un entretien a eu lieu entre la requérante et le directeur général, au cours duquel il lui a dit avoir une analyse différente du cas soumis avec le signalement et avoir proposé l’envoi prochain d’une mission d’inspection afin d’évaluer les faits qu’elle avait révélés et de déterminer les suites appropriées en fonction de leur gravité. Lors de cet entretien, le directeur général a également souligné que le rapport de confiance avec la cheffe de la délégation était rompu et que, en effectuant un travail d’investigation sur ce qui s’était passé pendant son absence, la requérante était allée au-delà de son rôle et aurait plutôt dû s’en remettre à sa hiérarchie en signalant ses doutes. Constatant que le maintien de la requérante dans la délégation serait contreproductif, le directeur général lui a indiqué qu’il allait demander au service des ressources humaines d’examiner des possibilités de réaffectation à un autre poste dans la région, tout en précisant qu’il s’agissait d’une mesure de protection de deux personnes qui n’entretenaient pas des relations professionnelles optimales et non d’une mesure de rétorsion ou d’une mesure disciplinaire. Une copie du compte-rendu de cet entretien a été adressée à la cheffe de la délégation.

12      Du 13 au 15 décembre 2017, une mission d’inspection ad hoc a été dépêchée auprès de la délégation par le siège du SEAE avec pour mandat d’évaluer, notamment, la situation de l’unité administrative de celle-ci, compte tenu de son incidence sur le fonctionnement de la délégation (ci-après la « mission d’inspection ad hoc »).

13      À l’issue de la mission d’inspection ad hoc, une note confidentielle, datée du 21 décembre 2017 et rédigée à l’attention du directeur général, lui a été transmise le même jour (ci-après la « note confidentielle »).

14      Le même jour, le directeur général a informé la requérante que, après avoir eu une réunion avec les inspecteurs sur l’issue de leur inspection, il avait l’intention de la muter dans l’intérêt du service auprès de la délégation de l’Union en [confidentiel] (ci-après la « délégation en [confidentiel] »).

15      Le 1er avril 2018, la requérante a été mutée dans l’intérêt du service auprès de la délégation en [confidentiel] pour une période de cinq mois (ci-après la « mutation en [confidentiel] »).  

16      Le 4 avril 2018 , la mission d’inspection ad hoc a transmis, pour commentaires, un projet de rapport d’inspection à la cheffe de la délégation et au directeur général ainsi qu’à treize services de la Commission européenne (ci-après le « projet de rapport d’inspection »).

17      Le 16 juillet 2018, après réception de commentaires de la cheffe de la délégation, du directeur général et des services de quatre directions générales de la Commission, la mission d’inspection ad hoc a transmis le rapport d’inspection final à la cheffe de la délégation et au directeur général ainsi qu’à 27 services de la Commission (ci-après le « rapport d’inspection final »). Les termes du rapport d’inspection final étaient identiques à ceux du projet de rapport d’inspection.

18      Le 6 août 2018, la requérante a soumis au SEAE une demande d’assistance, au titre de l’article 24 du statut, en invoquant des faits de harcèlement moral à son égard de la part de la cheffe de la délégation et, à titre subsidiaire, de la part de l’assistante personnelle de cette dernière, au sens des articles 12 et 12 bis du statut (ci-après la « demande d’assistance »).

19      À compter du [confidentiel], la requérante a été réaffectée au siège du SEAE afin d’y occuper un poste de [confidentiel].

20      Le 6 décembre 2018, le directeur des ressources humaines du SEAE a informé la requérante que, à la suite de sa demande d’assistance, les faits allégués de harcèlement moral avaient été portés à l’attention de l’Office d’investigation et de discipline de la Commission (IDOC) pour une analyse préliminaire. À l’issue de cette analyse, l’IDOC a considéré que les éléments du dossier ne constituaient pas un commencement de preuve du harcèlement moral allégué s’agissant de l’assistante personnelle de la cheffe de la délégation, mais que, s’agissant de la cheffe de la délégation, il existait un commencement de preuve de harcèlement moral potentiel ou d’un comportement inapproprié de sa part, de sorte qu’il y avait lieu d’ouvrir une enquête administrative sur les faits concernés.

21      Le 17 décembre 2018, en application du règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39), la requérante a soumis au délégué à la protection des données du SEAE une demande d’accès à plusieurs documents, dont la note confidentielle, le projet de rapport d’inspection et le rapport d’inspection final.

22      En réponse à cette demande, le délégué à la protection des données du SEAE a transmis à la requérante, le 14 mars 2019, des versions résumées de la note confidentielle, du projet de rapport d’inspection et du rapport d’inspection final.

23      Le 27 septembre 2019, la requérante a saisi le SEAE, en application de l’article 90, paragraphe 1, du statut, d’une demande indemnitaire, visant à obtenir la réparation de préjudices d’ordre moral, à hauteur de 20 000 euros, et d’ordre matériel, à hauteur de 54 641,62 euros, qu’elle aurait subis du fait de « fautes du SEAE lors de son emploi en tant que cheffe d’administration à la délégation » et « plus particulièrement durant les derniers mois qui ont précédé sa destitution de ce poste de cheffe d’administration » (ci-après la « demande indemnitaire »).

24      Le 10 octobre 2019, la requérante a reçu, de la part de la direction des ressources humaines de la Commission, communication des faits établis par l’enquête administrative de l’IDOC et de ceux allégués par elle qui n’avaient pu l’être et s’est vu inviter à faire valoir ses observations, ce qu’elle a fait ultérieurement.

25      Le 27 janvier 2020, le SEAE a rejeté la demande indemnitaire.

26      La décision de rejet de la demande indemnitaire, adressée aux conseils de la requérante, est libellée comme suit :

« En l’espèce, [la requérante] allègue avoir subi des préjudices, imputables à de “multiples” “fautes commises par l’administration”, qui justifient, selon elle, une réparation financière.

Tout d’abord, [la requérante] allègue que, après avoir fait parvenir une note [pour le] dossier au directeur général […], où, dans son rôle de chef d’administration à la [délégation], elle dénonçait des irrégularités de nature financière, commises à une période où elle était en [arrêt] maladie, l’administration l’a “punie” en la mutant dans une autre délégation en [confidentiel], “la relayant [...] à un poste subalterne”.

[…]

Dans le cas présent, au vu de tensions existantes entre [la requérante] et [la cheffe de la délégation] à l’époque, rendant les conditions de travail au sein de la [délégation] très pénibles, l’administration a décidé de transférer [la requérante] auprès d’une autre délégation, dans l’intérêt du service, sur un poste correspondant à son grade […]

[La requérante] n’a jamais contesté la décision de la muter […] en [confidentiel] endéans les délais statutaires prévus par l’article 90, paragraphe 2, du statut […]

[La requérante] s’estime lésée par ailleurs du fait que le projet d[e] rapport […] d’inspection ainsi que le rapport [d’inspection] final “ont été envoyés en copie au senior management du SEAE et de la Commission” et que “à aucun moment ces documents” ne lui “ont été communiqués”. Elle avance ne pas avoir “pu s’exprimer sur le contenu” de ce rapport. À ce sujet, je souhaite souligner que [la requérante] a demandé accès à divers documents liés à la mission d’inspection […] De plus, la Division inspection [du SEAE] lui expliquait l’objectif des rapports d’inspection […] Ces rapports, ayant trait à des questions administratives très spécifiques, sont uniquement destinés aux managers concernés et ne sont pas diffusés au reste du personnel de la délégation, ou vers l’extérieur. Dans ces conditions, [la requérante] ne pouvait prétendre accéder aux rapports d’inspection. Il lui était par contre loisible de demander accès à ses données personnelles contenues dans ce rapport, ce qu’elle a fait. Dans ces conditions, [la requérante] ne peut invoquer une faute de l’administration ou un préjudice dont elle aurait souffert. »

27      Le 17 avril 2020, la requérante a formé, en application de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre la décision de rejet de la demande indemnitaire (ci-après la « réclamation »).

28      Le 15 mai 2020, l’IDOC a adopté son rapport d’enquête administrative concernant les allégations de harcèlement moral ou de comportements inappropriés de la cheffe de la délégation. L’IDOC a considéré que les incidents mis en avant par la requérante et étayés par les pièces du dossier, pris isolément ou dans leur ensemble, révélaient des comportements parfois maladroits de la part de la cheffe de la délégation à son égard, mais que ces incidents ne témoignaient pas de comportements inappropriés et encore moins d’un harcèlement moral, compte tenu d’un contexte administratif très difficile et du comportement de la requérante elle-même. En conclusion de son rapport, l’IDOC a considéré que le dossier ne contenait pas d’éléments matériels pouvant conduire à considérer que la cheffe de la délégation avait pu enfreindre les articles 12 et 12 bis du statut.

29      Par décision du 27 mai 2020, la requérante a été placée en invalidité, au titre de l’article 53 du statut, à compter du [confidentiel].

30      Par décision du 4 août 2020, le SEAE a rejeté la réclamation.

31      Le 25 août 2020, la requérante a introduit une demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de son invalidité au titre de l’article 78 du statut.

32      Le 10 septembre 2020, la demande d’assistance de la requérante a été rejetée par décision du SEAE, laquelle a fait l’objet, sur la base de l’article 90, paragraphe 2, du statut, d’une réclamation formée par la requérante le 6 mai 2021.

 Conclusions des parties

33      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de rejet de la demande indemnitaire et, pour autant que de besoin, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner le SEAE à lui verser les sommes de 20 000 euros, en réparation du préjudice moral subi, et de 580 889 euros, en réparation du préjudice matériel subi ;

–        condamner le SEAE aux dépens.

34      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

35      La requérante, tout en présentant des conclusions indemnitaires, conclut à l’annulation de la décision de rejet de la demande indemnitaire et, pour autant que de besoin, de la décision de rejet de la réclamation.

36      Or, selon une jurisprudence constante en matière de fonction publique, la décision d’une institution portant rejet d’une demande en indemnité fait partie intégrante de la procédure administrative préalable qui précède un recours en responsabilité formé devant le Tribunal. Étant donné que l’acte contenant la prise de position de l’institution pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d’une demande en indemnité, les conclusions en annulation dirigées contre une telle décision de rejet ne peuvent pas être appréciées de manière autonome au regard des conclusions en responsabilité (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 42 et jurisprudence citée).

37      Partant, il n’y a pas lieu en l’espèce de statuer de façon autonome sur les conclusions en annulation formulées par la requérante, le présent recours n’ayant pas d’autre objet que celui d’obtenir réparation des préjudices que celle-ci estime avoir subis en raison d’illégalités qu’elle impute au SEAE.

 Sur les conclusions indemnitaires

 Sur la recevabilité

38      Sans en exciper par acte séparé, le SEAE conteste la recevabilité du recours dans son ensemble.

39      Au soutien de sa fin de non-recevoir, le SEAE soutient que les griefs invoqués sont « extirpés » de leur contexte factuel et procédural afin de construire un récit de prétendues hostilités envers la requérante qui auraient détruit sa carrière et l’auraient conduite jusqu’à l’invalidité. En effet, le prétendu « comportement fautif continu » invoqué ne serait qu’un amalgame obscur relatif à des actes administratifs particuliers et à des procédures statutaires distinctes qui, ou sont closes et n’ont pas fait l’objet d’une contestation dans les délais impartis, notamment la mutation en [confidentiel] ainsi que les demandes d’accès aux documents et aux données personnelles, ou sont encore au stade de la phase précontentieuse, comme c’est le cas de la demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut, ou sont encore en cours de traitement par l’administration, telle la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de l’invalidité.

40      Le SEAE soutient que ces différents actes doivent être examinés selon leurs mérites propres et dans le cadre des procédures et des délais applicables, de sorte qu’ils ne font pas l’objet de la présente affaire.

41      En conséquence, le SEAE considère que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable, au motif que la requête repose sur une construction artificielle d’un prétendu comportement fautif quand, en réalité, il s’agit d’attaquer les actes administratifs en dehors de leurs délais statutaires ou de préjuger du résultat des procédures qui sont actuellement en cours.

42      La requérante conteste cette argumentation.

43      À cet égard, il importe de souligner que, dans le système des voies de recours instauré par les articles 90 et 91 du statut, un recours en indemnité n’est recevable que s’il a été précédé d’une procédure précontentieuse conforme aux dispositions statutaires. Cette procédure diffère selon que le dommage dont la réparation est demandée résulte d’un acte décisionnel faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, ou d’un comportement de l’administration dépourvu de caractère décisionnel (voir arrêt du 18 septembre 2018, Barroso Truta e.a./Cour de justice de l’Union européenne, T‑702/16 P, EU:T:2018:557, points 64 et 65 et jurisprudence citée).

44      Dans le premier cas visé au point 43 ci-dessus, lorsque la faute alléguée consiste dans l’illégalité d’un acte faisant grief à la partie requérante, il appartient à l’intéressé de saisir l’autorité investie du pouvoir de nomination d’une réclamation contre l’acte en cause, dans le délai de trois mois prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut, à compter de la notification ou de la prise de connaissance dudit acte, les conclusions indemnitaires pouvant être présentées soit dans cette réclamation, soit pour la première fois dans la requête.

45      À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que seuls font grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, les actes ou les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts de la partie requérante en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celle-ci (voir arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 44 et jurisprudence citée).

46      D’autre part, si une partie peut agir par le moyen d’une action en responsabilité, sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l’annulation de l’acte faisant grief illégal qui lui cause préjudice, elle ne saurait, toutefois, contourner de cette manière l’irrecevabilité d’une demande visant la même illégalité et tendant aux mêmes fins pécuniaires. Ainsi, un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait d’une décision individuelle devenue définitive et aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler les effets juridiques de cette décision. Tel est le cas si la partie requérante cherche, au moyen d’une demande en indemnité, à obtenir un résultat identique à celui que lui aurait procuré le succès d’un recours en annulation qu’elle a omis d’intenter en temps utile (voir arrêts du 25 mars 2021, Carvalho e.a./Parlement et Conseil, C‑565/19 P, non publié, EU:C:2021:252, points 102 et 103 et jurisprudence citée, et du 12 mai 2016, Holistic Innovation Institute/Commission, T‑468/14, EU:T:2016:296, points 46 et 47 et jurisprudence citée).

47      Dans le second cas visé au point 43 ci-dessus, lorsque le chef de préjudice est strictement indemnitaire en ce sens qu’il tend à la réparation d’un préjudice prétendument causé par une faute ou par une omission qui, en l’absence de tout effet juridique, ne peut être qualifiée d’acte faisant grief, la procédure administrative doit débuter par l’introduction d’une demande, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, visant à obtenir un dédommagement et se poursuivre, le cas échéant, par une réclamation dirigée contre la décision de rejet de la demande (voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2019, TK/Parlement, T‑446/17, non publié, EU:T:2019:151, point 90 et jurisprudence citée).

48      Dans cette hypothèse, il incombe aux fonctionnaires ou aux agents de saisir, dans un délai raisonnable, l’institution de toute demande tendant à obtenir de l’Union une indemnisation en raison d’un dommage qui serait imputable à celle-ci, et ce à compter du moment où ils ont eu connaissance de la situation dont ils se plaignent. Le caractère raisonnable du délai doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (voir arrêt du 20 novembre 2019, Missir Mamachi di Lusignano e.a./Commission, T‑502/16, EU:T:2019:795, point 77 et jurisprudence citée).

49      Il résulte de la jurisprudence citée aux points 43 à 48 ci-dessus que la réponse à la question de savoir si les dommages invoqués trouvent leur origine dans un acte faisant grief ou dans un comportement de l’administration dépourvu de contenu décisionnel est indispensable pour vérifier le respect de la procédure précontentieuse et des délais prévus aux articles 90 et 91 du statut et, donc, la recevabilité des conclusions en indemnité (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2021, BK/EASO, T‑277/19, non publié, EU:T:2021:161, point 126 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, il convient de constater que, par son recours, la requérante demande réparation de préjudices qui trouveraient leur origine dans divers actes et comportements prétendument fautifs adoptés par le SEAE à son égard.

51      En substance, premièrement, la requérante demande réparation du préjudice moral subi en raison de représailles que lui aurait infligées le SEAE après qu’elle avait dénoncé les irrégularités en cause, à savoir la mutation en [confidentiel] et les fonctions qui lui ont été assignées à son arrivée à la délégation en [confidentiel]. Deuxièmement, la requérante fait valoir que différents agissements révéleraient un harcèlement moral de la part de la cheffe de la délégation. Troisièmement, la requérante fait grief au SEAE de ne pas lui avoir donné accès à la note confidentielle, au projet de rapport d’inspection et au rapport d’inspection final. Quatrièmement, la requérante demande réparation du préjudice matériel subi en raison de l’atteinte à son état de santé, qui aurait impliqué de nombreux frais médicaux et l’aurait conduite à être placée en invalidité, ce qui aurait eu une incidence sur sa carrière et sur le montant de sa pension. Cinquièmement, la requérante fait valoir un préjudice moral eu égard à la teneur des propos du directeur général lors de leur entretien du 20 octobre 2017, rapportés au point 11 ci-dessus, à l’absence d’ouverture d’une enquête, au fait qu’elle n’ait pas été entendue dans le cadre de la mission d’inspection ad hoc et à l’atteinte à sa réputation consécutive à la transmission, à de nombreux services du SEAE et de la Commission, du rapport d’inspection final et de la note confidentielle.

52      En premier lieu, concernant les griefs relatifs à la mutation en [confidentiel], il ressort d’une jurisprudence constante qu’une mesure de ce type modifie le lieu et les conditions d’exercice des fonctions de la personne concernée ainsi que leur nature et constitue dès lors un acte faisant grief, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2007, Marcuccio/Commission, C‑59/06 P, EU:C:2007:756, point 45 et jurisprudence citée). Partant, en ce qu’il porte sur la mutation en [confidentiel], le présent recours relève du premier cas visé au point 43 ci-dessus.

53      Or, il est constant que la requérante n’a pas introduit de réclamation contre la mutation en [confidentiel] dans le délai de trois mois prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut, ce qu’elle a admis dans sa réponse à une question posée à ce sujet par le Tribunal lors de l’audience. En effet, alors que la mutation en [confidentiel] est datée du 1er avril 2018, c’est uniquement dans la demande indemnitaire, datée du 27 septembre 2019, que la requérante a demandé réparation des préjudices subis du fait de cette décision devenue définitive. Dès lors, conformément à la jurisprudence citée au point 46 ci-dessus, les conclusions par lesquelles la requérante met en cause la légalité de la mutation en [confidentiel] et de la procédure à l’issue de laquelle une telle décision a été prise doivent être rejetées comme étant irrecevables.

54      La même conclusion s’impose s’agissant des conclusions relatives aux tâches qui ont été assignées à la requérante lors de son affectation à la délégation en [confidentiel], dès lors que celles-ci sont intrinsèquement liées à la mutation en [confidentiel].

55      En deuxième lieu, concernant les conclusions relatives à l’existence d’un harcèlement moral de la part de la cheffe de la délégation, il suffit de constater que la requérante admet elle-même, dans ses écritures devant le Tribunal, que le présent litige n’a pas pour objet d’obtenir réparation des préjudices que lui aurait occasionnés le prétendu harcèlement moral de la cheffe de la délégation.

56      En troisième lieu, s’agissant des demandes d’accès de la requérante à la note confidentielle ainsi qu’au projet de rapport d’inspection et au rapport d’inspection final, il y a lieu de constater que, comme il ressort du point 22 ci-dessus, le SEAE a transmis à la requérante, le 14 mars 2019, des versions résumées de ces documents. Toutefois, la requérante n’a nullement contesté cette décision du SEAE de ne lui accorder qu’un accès limité, que ce soit par la voie d’une réclamation auprès du Contrôleur européen de la protection des données en vertu de l’article 63, paragraphe 2, du règlement 2018/1725, ou par la voie d’un recours juridictionnel dans le délai de deux mois imposé par l’article 263, sixième alinéa, TFUE. Au vu de la jurisprudence citée au point 46 ci-dessus, il y a donc lieu de conclure que, comme le fait valoir le SEAE, les conclusions de la requérante relatives à l’accès limité auxdits documents sont irrecevables.

57      En quatrième lieu, en ce qui concerne les conclusions de la requérante tirées de ce que le comportement du SEAE est à l’origine de son invalidité, il convient de constater qu’elles tendent à démontrer le lien de causalité entre l’illégalité du comportement du SEAE à son égard et le préjudice qu’elle prétend avoir subi, relatif à sa situation médicale, l’ayant conduite à un tel placement en invalidité. Or, comme le fait valoir le SEAE, l’établissement d’un tel lien de causalité fait précisément l’objet de la procédure engagée par la requérante en vertu de l’article 73 du statut, visant à obtenir la reconnaissance de l’origine professionnelle de son invalidité.

58      À cet égard, il a été jugé que le fonctionnaire victime d’une maladie professionnelle est seulement en droit de demander une indemnisation complémentaire lorsque le régime statutaire instauré par l’article 73 du statut ne permet pas une indemnisation appropriée. En conséquence et en principe, la demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice matériel et moral qui aurait été causé à un fonctionnaire par une maladie professionnelle n’est pas recevable tant que la procédure ouverte au titre de l’article 73 du statut n’est pas terminée (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, PD/BEI, T‑615/16, non publié, EU:T:2018:642, points 54 à 57). Ainsi, il n’appartient pas au Tribunal de préjuger, dans le cadre du présent recours indemnitaire, de l’issue de la procédure de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie de la requérante. Partant, les conclusions de la requérante ayant trait à l’origine professionnelle de sa maladie sont irrecevables.

59      En cinquième lieu, quant aux conclusions relatives à la teneur des propos du directeur général lors de son entretien du 20 octobre 2017 avec la requérante, rapportés au point 11 ci-dessus, à l’absence d’ouverture d’une enquête, au fait que la requérante n’ait pas été entendue dans le cadre de la mission d’inspection ad hoc, et à l’étendue de la diffusion du rapport d’inspection final et de la note confidentielle, il convient de constater que ces situations constituent des comportements non décisionnels adoptés par le SEAE et relèvent du second cas visé au point 43 ci-dessus.

60      À cet égard, ne saurait prospérer l’argumentation développée lors de l’audience par le SEAE, selon laquelle la transmission à la requérante, le 14 mars 2019, des versions résumées du projet de rapport d’inspection et du rapport d’inspection final constituait un acte attaquable que la requérante aurait dû attaquer dans un délai prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut. En effet, à considérer même que le rapport d’inspection final puisse être, en lui-même, regardé comme étant un acte attaquable au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, il n’en resterait pas moins que les conclusions formulées par la requérante concernent non pas la légalité de ce rapport, mais le choix fait par le SEAE de transmettre un tel rapport à 27 services du SEAE et de la Commission.

61      Dans ces conditions, dès lors que les comportements non décisionnels décrits au point 59 ci-dessus ont fait l’objet d’une demande, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, survenue dans un délai raisonnable, puis d’une réclamation contre la décision rejetant cette demande, les conclusions relatives à ces comportements sont recevables.

62      Partant, il y a lieu de juger que, ainsi délimité, le recours est recevable.

 Sur le fond

63      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de cette institution et le préjudice invoqué (voir arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 64 et jurisprudence citée).

64      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (voir ordonnance du 11 novembre 2014, Bergallou/Parlement et Conseil, T‑22/14, non publiée, EU:T:2014:954, point 61 et jurisprudence citée).

65      Par ailleurs, le contentieux en matière de fonction publique au titre de l’article 270 TFUE et des articles 90 et 91 du statut, y compris celui visant à la réparation d’un dommage causé à un fonctionnaire ou à un agent, obéit à des règles particulières et spéciales eu égard à celles découlant des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union dans le cadre de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, il ressort notamment du statut que, à la différence de tout autre particulier, le fonctionnaire ou l’agent de l’Union est lié à l’institution ou à l’organe dont il dépend par une relation juridique d’emploi comportant un équilibre de droits et d’obligations réciproques spécifiques, qui est reflété par le devoir de sollicitude de l’institution à l’égard de l’intéressé (voir arrêt du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 46 et jurisprudence citée).

66      Il s’ensuit que la seule constatation d’une illégalité est suffisante pour considérer comme étant remplie la première des trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de l’Union pour les dommages causés à ses fonctionnaires et à ses agents en raison d’une violation du droit de la fonction publique de l’Union (arrêt du 12 juillet 2011, Commission/Q, T‑80/09 P, EU:T:2011:347, point 45).

67      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’apprécier les illégalités que fait valoir la requérante et, le cas échéant, la réalité du dommage ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre ces illégalités et les préjudices invoqués.

68      Au soutien de ses conclusions indemnitaires, la requérante invoque une série de griefs qu’elle regroupe en trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 22 bis du statut, de l’article 3.3 de la charte des régisseurs d’avances, de l’article 3 du code des normes professionnelles pour le personnel chargé de la vérification financière du SEAE (ci-après le « code des normes professionnelles ») et de l’article 2 de la décision PROC HR(2011) 008 du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après la « décision du haut représentant »). Le deuxième moyen est tiré d’une violation du devoir de sollicitude. Le troisième moyen est tiré d’une violation du droit d’être entendu, de l’obligation de motivation, de l’article 26 du statut, du droit au respect à la vie privée et de la protection des données à caractère personnel.

–       Sur le premier moyen, tiré de violations de l’article 22 bis du statut, de l’article 3.3 de la charte des régisseurs d’avances, de l’article 3 du code des normes professionnelles et de l’article 2 de la décision du haut représentant

69      Au soutien du premier moyen, la requérante fait valoir, à titre liminaire, que, en identifiant et en consignant les irrégularités en cause, qui étaient graves, dans une note pour le dossier, elle a agi de bonne foi, conformément aux obligations lui incombant en tant que cheffe d’administration et régisseuse d’avances et à l’article 3 du code des normes professionnelles. Elle souligne que le signalement de ces irrégularités visait également, dans leur contexte, à ne pas en être tenue pour responsable, en application de l’article 5.3 de la charte des régisseurs d’avances. Elle estime avoir agi en toute transparence en en avisant la cheffe de la délégation, dont la réaction l’a contrainte à recourir à la procédure de protection des lanceurs d’alerte prévue à l’article 22 bis du statut.

70      D’une part, la requérante soutient que le SEAE a enfreint l’article 3.3 de la charte des régisseurs d’avances, l’article 3 du code des normes professionnelles et sa note du 25 septembre 2014 sur les valeurs éthiques et organisationnelles et qu’il lui a causé un préjudice en violation de la protection qui lui était due. Ainsi que le directeur général lui en aurait fait part le 20 octobre 2017, c’est à la suite de sa note pour le dossier que le lien de confiance aurait été rompu avec la cheffe de la délégation, dans un contexte de tensions personnelles. Cela aurait justifié, à titre de sanction, la mutation en [confidentiel], en violation de l’article 22 bis du statut qui prohibe tout préjudice causé par l’institution à l’égard du lanceur d’alerte.

71      D’autre part, la requérante soutient que le SEAE aurait violé l’obligation de confidentialité, énoncée au point 3 de la communication du vice-président Šefčovič à la Commission sur les lignes directrices relatives à la transmission d’informations en cas de dysfonctionnements graves (whistleblowing) [SEC(2012) 679 final, du 6 décembre 2012, ci-après la « communication sur les lanceurs d’alerte »], en ce que le directeur général a informé la cheffe de la délégation de la procédure engagée en application de l’article 22 bis du statut. En réaction à cette information, la cheffe de la délégation aurait adopté un comportement tendant à isoler et à dénigrer la requérante.

72      À cet égard, la requérante estime que, même si elle avait eu l’intention de rapporter les irrégularités en cause à la cheffe de la délégation, une telle intention ne permettait pas de justifier une violation de l’obligation de confidentialité. La note pour le dossier se serait bornée à exposer de manière factuelle les irrégularités en cause sans identifier nommément leur ou leurs auteurs. Ce n’aurait été qu’au stade de sa demande de protection au titre de lanceur d’alerte que la requérante aurait explicitement et nommément mis en cause la cheffe de la délégation.

73      Le SEAE conteste le bien-fondé de ces griefs.

74      En l’espèce, il convient de relever que, dans le cadre du premier moyen invoqué au soutien de ses conclusions indemnitaires, la requérante se fonde sur la prémisse selon laquelle elle devait bénéficier du statut de lanceur d’alerte et de la protection accordée à ce titre par l’article 22 bis du statut. Or, le SEAE aurait méconnu le statut de lanceur d’alerte en ce que, d’une part, il aurait puni la requérante par la mutation en [confidentiel] et, d’autre part, il aurait violé l’obligation de confidentialité lui incombant en divulguant à la cheffe de la délégation le lancement de la procédure prévue à l’article 22 bis du statut. Pour ces deux motifs, le SEAE aurait violé l’article 22 bis du statut. De plus, le SEAE n’aurait pas respecté l’article 3.3 de la charte des régisseurs d’avances, ni l’article 3 du code des normes professionnelles et sa note du 25 septembre 2014 sur les valeurs éthiques et organisationnelles.

75      D’une part, les griefs tirés de la violation, par le SEAE, de l’article 3.3 de la charte des régisseurs d’avances, de l’article 3 du code des normes professionnelles et de sa note du 25 septembre 2014 sur les valeurs éthiques et organisationnelles, laquelle se réfère à la décision du haut représentant, doivent être rejetés. En effet, à supposer que le SEAE puisse se voir reprocher la violation de ces dispositions en raison des irrégularités commises, il n’en demeure pas moins que les irrégularités en cause n’ont pas été imputées à la requérante, de sorte qu’elle ne saurait faire valoir un préjudice subi par elle à cet égard. Par conséquent, même s’il y avait lieu de faire droit à ces arguments, cela ne permettrait pas, en tout état de cause, de faire droit aux conclusions indemnitaires de la requérante. Ces arguments doivent donc être écartés d’emblée.

76      D’autre part, dès lors que les griefs relatifs aux représailles qu’aurait subies la requérante sont, en fait, dirigés contre la mutation en [confidentiel], ils doivent être rejetés comme étant irrecevables pour les motifs énoncés aux points 52 à 54 ci-dessus.

77      Dès lors, dans le cadre du premier moyen invoqué, il appartient au Tribunal de n’apprécier que le grief tiré d’une violation de l’obligation de confidentialité, posée à l’article 22 bis du statut, à l’égard de la cheffe de la délégation.

78      À cet égard, l’article 22 bis, paragraphe 3, du statut énonce la règle selon laquelle, pour autant qu’il ait agi de bonne foi, le fonctionnaire qui a informé sa hiérarchie de faits dont il avait eu connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et qui peuvent laisser présumer soit une activité illégale éventuelle, soit une conduite se rapportant à l’exercice de ses fonctions pouvant constituer un grave manquement aux obligations des fonctionnaires de l’Union, ne subit aucun préjudice de la part de l’institution.

79      En outre, le point 3 de la communication sur les lanceurs d’alerte prévoit ce qui suit :

« Protection des informateurs

[…]

Les mesures de protection spécifiques suivantes s’appliquent :

Confidentialité de l’identité

La protection d’une personne rapportant de bonne foi une irrégularité grave sera garantie, en premier lieu, du fait que son identité sera tenue confidentielle. Cela signifie que son nom ne sera pas dévoilé aux personnes potentiellement impliquées dans les actes répréhensibles allégués, ni à quiconque n’ayant pas strictement besoin de le connaître, sauf si l’informateur autorise personnellement la divulgation de son identité […] »

80      Il ressort ainsi de la protection conférée aux lanceurs d’alerte, en application de l’article 22 bis du statut ainsi que du point 3 de la communication sur les lanceurs d’alerte, que, d’une part, la protection d’une personne rapportant de bonne foi une irrégularité grave doit être garantie par le fait que son identité sera tenue confidentielle, sauf si cette personne autorise personnellement sa divulgation, et que, d’autre part, cette personne doit être protégée contre des actes de représailles.

81      En l’espèce, le SEAE conteste que les conditions de la protection conférée aux lanceurs d’alerte, en application de l’article 22 bis du statut, aient été réunies.

82      Toutefois, indépendamment de la question de savoir si la requérante remplissait effectivement les conditions prévues par l’article 22 bis du statut pour pouvoir bénéficier de la protection garantie aux lanceurs d’alerte, il y a lieu de constater que, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, le SEAE a indiqué lui avoir conféré une telle protection.

83      D’une part, un tel constat est corroboré par la circonstance selon laquelle, comme l’a reconnu le SEAE lors de l’audience, sans être contredit sur ce point par la requérante, son évaluation annuelle, laquelle devait être réalisée par la cheffe de la délégation, avec la directrice des ressources humaines comme notatrice d’appel, avait exceptionnellement été confiée à ladite directrice, avec le directeur général comme notateur d’appel. D’autre part, le même constat est encore conforté par l’affirmation du SEAE lors de l’audience, qui n’a pas non plus été contredite par la requérante, selon laquelle l’intégralité des frais occasionnés par sa mutation en [confidentiel] avait été prise en charge par le SEAE, en dérogation aux règles applicables.

84      Dans ce contexte, il apparaît en outre que le SEAE n’a pas méconnu les engagements qu’il avait pris à l’égard de la requérante, en ce qui concerne la confidentialité à l’égard de la cheffe de la délégation.

85      En effet, il suffit de constater que, ainsi que le souligne à juste titre le SEAE, il lui était impossible d’assurer la confidentialité de l’identité de la requérante à l’égard de la cheffe de la délégation, en ce que la requérante avait elle-même et en personne révélé son identité en tant qu’auteure de la note pour le dossier, le 27 septembre 2017, c’est-à-dire avant de solliciter la protection conférée aux lanceurs d’alerte le 29 septembre 2017.

86      Ainsi, il ne saurait, en tout état de cause, être reproché au SEAE d’avoir communiqué l’identité de la requérante à sa supérieure hiérarchique, à savoir la cheffe de la délégation, bien que cette dernière fût la personne potentiellement impliquée dans les actes répréhensibles allégués, au sens du point 3 de la communication sur les lanceurs d’alerte.

87      Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier moyen invoqué au soutien des conclusions indemnitaires.

–       Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du devoir de sollicitude

88      Au soutien du deuxième moyen, premièrement, la requérante fait valoir que, en informant la cheffe de la délégation du lancement de la procédure prévue à l’article 22 bis du statut, le SEAE a violé le devoir de sollicitude lui incombant, la plaçant dans une position extrêmement délicate dans son environnement de travail et suscitant la colère de la cheffe de la délégation et des intentions de représailles de sa part, ce qui l’a amenée à introduire une demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut.

89      Deuxièmement, la requérante estime que sa mutation en [confidentiel], alors qu’elle avait fait part au directeur général de son intention de demeurer en [confidentiel] durant les quelques mois qui lui restaient avant l’expiration de son affectation et de préserver son poste de cheffe d’administration, est irrégulière. Cette mutation, pour un poste subalterne, lui aurait également causé un préjudice en matière de carrière et de réputation.

90      À cet égard, la requérante souligne qu’une mutation doit, d’une part, se faire dans l’intérêt du service et, d’autre part, respecter l’équivalence des emplois. Or, en l’espèce, elle se serait vu confier à la délégation de l’Union en [confidentiel] des tâches ancillaires eu égard, non seulement à celles de la cheffe d’administration en poste, mais également à celles de la cheffe d’administration adjointe, de sorte que ses tâches ne correspondaient pas et étaient très inférieures à celles d’un agent de son grade et ayant son expérience professionnelle.

91      Troisièmement, la requérante fait valoir qu’elle n’a eu accès ni au projet de rapport d’inspection ni au rapport d’inspection final.

92      Quatrièmement, la requérante fait observer que, une fois informé des irrégularités commises, le directeur général lui a fait grief d’un excès de zèle ayant rompu un lien de confiance et n’a pas ouvert d’enquête. Au contraire, une mission d’inspection ad hoc a été dépêchée à la demande de la cheffe de la délégation. Dans ce contexte, la requérante n’aurait pas été entendue ni n’aurait eu accès au rapport d’inspection final.

93      Cinquièmement, la requérante soutient que tant le projet de rapport d’inspection que le rapport d’inspection final ont été envoyés aux membres de l’encadrement supérieur et intermédiaire du SEAE et de la Commission, à savoir 27 services, et ensuite transmis aux administrateurs des divisions et des unités concernées. Or, la transmission de ces documents à l’ensemble de la direction aurait porté gravement atteinte à la réputation de la requérante, qui se trouvait déjà affaiblie émotionnellement par ses conditions de travail depuis son lancement d’alerte.

94      La requérante ajoute que le devoir de sollicitude est exacerbé lorsque la situation médicale de la personne est fragilisée et que, en l’occurrence, elle sortait depuis quelques mois d’un arrêt maladie établi entre janvier et la mi-juin 2017 pour [confidentiel] et [confidentiel] et se trouvait encore dans une position fragile.

95      Le SEAE conteste le bien-fondé de ces griefs.

96      Concernant, en particulier, l’étendue de la diffusion du projet de rapport d’inspection et du rapport d’inspection final, le SEAE fait valoir que les rapports d’inspection sont des outils de gestion par lesquels le « senior management » est informé de la situation en délégation afin de pouvoir adopter des décisions stratégiques de gestion des délégations, mais jamais des décisions individuelles.

97      En effet, les missions d’inspection auraient pour but d’éclairer l’administration sur les circonstances qui conditionnent le fonctionnement d’une délégation et d’apporter des recommandations, de sorte qu’il ne s’agirait en aucun cas d’une « enquête administrative » avec la finalité de prendre en conséquence des décisions individuelles ou de décider d’une suite disciplinaire.

98      Ces missions permettraient à l’administration de se faire une idée de la situation sur place dans les délégations afin que les services compétents puissent prendre leurs décisions stratégiques éclairées sur la base de tous les éléments à leur disposition.

99      Les rapports des inspections seraient ainsi communiqués seulement au chef de délégation et aux services pertinents du SEAE et de la Commission identifiés sur la stricte base du « besoin de savoir » (need to know), ce qui ne saurait constituer une illégalité.

100    À cet égard, il convient de rappeler que le devoir de sollicitude constitue, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, une notion reflétant l’équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créé dans les relations entre l’administration et les agents du service public, étant précisé que cet équilibre implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’administration prenne en considération l’ensemble des éléments susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné (voir arrêt du 15 avril 2021, FV/Conseil, C‑875/19 P, non publié, EU:C:2021:283, point 98 et jurisprudence citée).

101    En l’espèce, premièrement, en ce qui concerne la communication du compte-rendu de l’entretien du 20 octobre 2017 à la cheffe de la délégation, lequel mentionnait le lancement de la procédure prévue à l’article 22 bis du statut, la requérante n’a nullement établi que cette communication procédait d’une violation du devoir de sollicitude. Il en va d’autant plus ainsi que la requérante avait elle-même fait part à la cheffe de la délégation des irrégularités en cause et de la rédaction d’une note pour le dossier à cet égard, de sorte que cette dernière connaissait l’identité de la personne ayant révélé ces irrégularités. Dans ce contexte, l’information du lancement de la procédure d’alerte par la requérante procédait davantage d’un acte de bonne administration, puisqu’il visait à informer la cheffe de la délégation que, si le statut de lanceur d’alerte était octroyé à la requérante, aucune mesure de représailles ne pourrait être adoptée à son égard.

102    Deuxièmement, force est de constater que, par les arguments rappelés aux points 89 et 90 ci-dessus, la requérante présente, dans le cadre du devoir de sollicitude, des éléments qui sont rattachables à sa mutation en [confidentiel], notamment au titre de ses nouvelles fonctions. Pour les motifs exposés aux points 52 à 54 ci-dessus, ces arguments soulevés au soutien de conclusions irrecevables doivent être rejetés.

103    Troisièmement, en ce qui concerne les griefs tirés de l’absence d’accès au projet de rapport d’inspection et au rapport d’inspection final, ainsi qu’il ressort du point 56 ci-dessus, ils doivent être rejetés dans la mesure où ils sont soulevés au soutien de conclusions irrecevables, faute pour la requérante d’avoir contesté, dans les délais prévus à cette fin, la décision du SEAE de ne lui communiquer qu’un résumé de ces documents.

104    Quatrièmement, concernant, d’abord, la teneur des propos du directeur général lors de son entretien avec la requérante le 20 octobre 2017, rapportés au point 11 ci-dessus, et l’absence d’ouverture d’une enquête, il ne saurait être soutenu que les propos en cause sont constitutifs d’une violation du devoir de sollicitude. En effet, le directeur général, en tant que supérieur hiérarchique de la requérante, s’est limité à exprimer son opinion divergente sur le contenu du courriel que lui avait adressé la requérante le 29 septembre 2017, dont il est fait état au point 10 ci-dessus, et son appréciation réprobatrice du comportement de la requérante, laquelle procédait de l’exercice de ses responsabilités à l’égard de cette dernière.

105    Concernant, ensuite, l’absence d’ouverture d’une enquête, la requérante n’identifie pas le type d’enquête auquel elle fait référence, ni la base juridique sur laquelle celle-ci aurait dû être diligentée. En tout état de cause, à supposer que la requérante entende faire référence à une enquête relative aux irrégularités en cause, il conviendrait de constater que, à la suite de la transmission de la note pour le dossier par la requérante, le service d’audit interne du SEAE a mené un contrôle « ex post » sur les transactions litigieuses, à l’issue duquel un rapport final de contrôle a été adressé à la cheffe de la délégation ainsi qu’au directeur général et à la division des inspections des délégations.

106    Concernant, enfin, l’argument de la requérante tiré du fait qu’elle n’a pas été entendue au cours de la mission d’inspection ad hoc, qui concernait le fonctionnement de la délégation, il convient de relever que, par un tel argument, la requérante invoque, en réalité, une violation du droit d’être entendu. Or, un tel grief relève du troisième moyen, de sorte que c’est dans le cadre de ce dernier qu’il convient de l’examiner.

107    Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation de la requérante relative à sa fragilité [confidentiel], il convient de souligner que, lors de l’audience, le SEAE a affirmé, sans être contredit sur ce point par la requérante, que, dès 2015, le service médical de la Commission lui avait proposé des solutions et qu’il lui avait même été proposé de poser un congé de convenance personnelle, ce qu’elle avait refusé, tout en consultant régulièrement des praticiens depuis 2015, notamment en [confidentiel].

108    Cinquièmement, la requérante conteste également l’étendue de la diffusion au sein des services de la Commission du projet de rapport d’inspection, du rapport d’inspection final et de la note confidentielle.

109    En réponse à une demande du Tribunal au titre des mesures d’organisation de la procédure, la requérante a produit les versions résumées desdits rapports et de la note confidentielle que le SEAE lui avait communiquées le 14 mars 2019, en réponse à sa demande en ce sens du 17 décembre 2018 en application du règlement 2018/1725.

110    Il ressort de la version résumée du projet de rapport d’inspection que celui-ci a en effet été transmis à la cheffe de la délégation et au directeur général ainsi qu’à 13 services de la Commission et que le rapport d’inspection final a été transmis à la cheffe de la délégation et au directeur général ainsi qu’à 27 services de la Commission.

111    Or, du fait de leur contenu identique, le projet de rapport d’inspection et le rapport d’inspection final ont pu, eu égard à leur large diffusion, indûment porter atteinte à la réputation de la requérante en violation, par le SEAE, du devoir de sollicitude lui incombant à l’égard de la requérante.

112    En effet, il ressort de ces documents que leurs auteurs ont enquêté, au titre de la culture de gestion, sur l’environnement de travail dans la délégation et constaté que les « difficultés de gestion étaient concentrées dans la section de l’administration et principalement dues aux relations difficiles entre la [requérante] et un autre membre de la délégation aisément identifiable », tout en formulant, eu égard à l’« incidence négative sur l’environnement de travail », des recommandations concernant le « profil du prochain chef d’administration ».

113    Ainsi que la requérante l’a relevé à juste titre dans ses écritures, il ressort clairement des versions résumées du projet de rapport d’inspection et du rapport d’inspection final que lesdits rapports, largement diffusés, contenaient des jugements sévères sur ses capacités à assumer les fonctions de cheffe d’administration, et faisaient état, notamment, de l’erreur commise par le SEAE en l’affectant au poste de cheffe d’administration et de l’impact négatif de cette erreur pour elle-même et pour l’institution.

114    L’analyse du contenu du rapport d’inspection final, produit par le SEAE au titre des mesures d’organisation de la procédure, corrobore cette interprétation.

115    En effet, il ressort de ces documents que la mission d’inspection a eu pour objet d’apprécier la situation au sein de la délégation en raison des relations très difficiles entre la cheffe de la délégation et la requérante, de vérifier les questions soulevées par la requérante concernant le traitement de certains dossiers administratifs durant son arrêt maladie en 2017 et de proposer les meilleures solutions possibles pour rétablir des conditions de travail normales au sein de la délégation.

116    Le rapport d’inspection final soumet cinq séries de recommandations, dont la plus pertinente dans la présente affaire est celle, classée « très important », de « [s]électionner attentivement le prochain chef d’administration (après la réaffectation de l[a requérante]) pour s’assurer qu’il/elle a non seulement une bonne connaissance des règles et procédures, mais démontre également des compétences de gestion, en termes de relations humaines, et une capacité de communication ».

117    Ainsi que la requérante l’a relevé à juste titre dans ses écritures, le projet de rapport d’inspection et le rapport d’inspection final, largement diffusés, contenaient des appréciations négatives sur ses capacités à assumer les fonctions de cheffe d’administration et faisaient état, notamment, de l’erreur commise par le SEAE en l’affectant au poste de cheffe d’administration et de l’impact négatif de cette erreur pour elle-même et pour l’institution.

118    Si, certes, ces documents ne mentionnent pas nominativement la requérante, celle-ci était aisément identifiable par la référence à ses fonctions de cheffe d’administration au sein de la délégation.

119    Il en ressort clairement que, indépendamment de certaines incises positives concernant les compétences techniques de la requérante et indépendamment du bien-fondé de ces appréciations, celles négatives ont pu porter atteinte à sa réputation, de sorte que le devoir de sollicitude imposait au SEAE de ne pas diffuser aussi largement le rapport d’inspection final, cette appréciation ne valant toutefois pas pour la note confidentielle, transmise au seul directeur général.

120    À cet égard, le SEAE n’a pas été en mesure de justifier que ce rapport devait être transmis à 27 destinataires du SEAE et de la Commission. Il n’a pas davantage été avancé qu’un tri aurait été effectué, en fonction des différentes parties dudit rapport, afin de limiter le nombre de destinataires de celui-ci.

121    Partant, le grief tiré de la violation du devoir de sollicitude en raison de la large diffusion du rapport d’inspection final est fondé. Dans cette mesure, il y a lieu de constater que la première condition pour engager la responsabilité de l’Union, relative à l’illégalité du comportement d’une institution, est satisfaite.

–       Sur le troisième moyen, tiré de violations du droit d’être entendu, de l’obligation de motivation, de l’article 26 du statut, de la protection des données à caractère personnel et du droit au respect à la vie privée

122    Au soutien du troisième moyen, premièrement, la requérante fait valoir que, à l’issue de la mission d’inspection ad hoc de la délégation, la note confidentielle et le rapport d’inspection final ne lui ont pas été communiqués, alors que l’évaluation de la mission d’inspection ad hoc portait pourtant également sur son travail de cheffe d’administration et avait motivé la décision du directeur général de la muter. Il y aurait là également une violation de l’obligation de motivation.

123    La requérante n’aurait pas non plus eu l’opportunité de s’exprimer sur le contenu de la note confidentielle et du rapport d’inspection final, contrairement à la cheffe de la délégation. Or, il ressortirait du résumé de ces documents, dont la requérante a obtenu copie le 14 mars 2019, que ces documents contenaient à son égard des jugements extrêmement sévères qui seraient, de surcroît, contredits par de précédents rapports d’évaluation. Il y aurait là une violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

124    Deuxièmement, toute la direction et la cheffe de la délégation elle-même auraient eu accès au rapport d’inspection final.

125    Troisièmement, dans sa réponse du 14 mars 2019, la cheffe de la division « Inspection » aurait divulgué certaines informations portant des appréciations sur la requérante, extraites de la note confidentielle, adressée initialement uniquement au directeur général, en mettant en copie de sa réponse et de ladite note divers services du SEAE, répandant ainsi ouvertement un jugement très négatif sur les capacités de la requérante à assumer les fonctions de cheffe d’administration et procédant à un transfert non autorisé de données personnelles, en violation du règlement 2018/1725 et des articles 7 et 8 de la Charte.

126    Quatrièmement, la requérante considère que le rapport d’inspection final aurait dû figurer dans son dossier individuel, en application de l’article 26 du statut, lorsqu’il fait état de défaillances, et qu’il a exercé une influence déterminante sur sa carrière.

127    Cinquièmement, le rapport d’inspection final ne contiendrait aucune indication sur les irrégularités en cause, qui étaient graves. Ce rapport et la note confidentielle feraient, en outre, l’impasse sur les faits de harcèlement dont la requérante s’estime victime.

128    Le SEAE conteste cette argumentation.

129    À cet égard, il convient de relever que la requérante invoque, en substance, la violation de son droit d’accès à la note confidentielle et au rapport d’inspection final, du droit d’être entendu, de l’obligation de motivation, de l’article 26 du statut, de la protection des données personnelles et du droit au respect à la vie privée. Elle souligne également le caractère incomplet du rapport d’inspection final et de la note confidentielle.

130    Premièrement, il y a lieu de rejeter, comme étant irrecevable, le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation. Indépendamment du caractère manifestement peu étayé de ce grief, force est en effet de constater qu’il repose, en substance, sur l’absence de motivation de la décision de mutation de la requérante en [confidentiel]. Or, ainsi qu’il ressort des points 52 et 53 ci-dessus, les conclusions visant à remettre en cause cette décision sont irrecevables.

131    De même, ainsi qu’il ressort du point 56 ci-dessus, la requérante n’a pas attaqué dans les délais impartis les décisions de rejet de ses demandes d’accès à la note confidentielle et au rapport d’inspection final, qu’elle semble désormais contester dans le cadre de son recours en indemnité. Partant, le grief tiré de l’absence d’accès à ces documents doit également être déclaré irrecevable.

132    Deuxièmement, s’agissant de la prétendue violation du droit d’être entendu, la requérante soutient, en substance, qu’elle aurait dû avoir la possibilité de faire valoir ses observations sur la note confidentielle et sur le rapport d’inspection final. À cet égard, il convient de rappeler que le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 89). Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou ait tel ou tel contenu (arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 90).

133    Ainsi, le droit d’être entendu n’a pas pour objectif de permettre à un fonctionnaire de s’exprimer sur tout document qui pourrait le concerner. Il vise uniquement à protéger celui-ci dans le cadre de l’adoption d’une décision susceptible d’affecter défavorablement ses intérêts.

134    En l’espèce, la requérante se contente d’invoquer, de manière générale, un droit à être entendue sur la note confidentielle et sur le rapport d’inspection final, en ce que ces documents contiennent des appréciations négatives à son égard. Or, compte tenu de la jurisprudence citée au point 132 ci-dessus, un tel droit ne saurait lui être reconnu, indépendamment de l’existence d’une décision, adoptée sur le fondement de ces documents, qui lui fait grief. Il en va d’autant plus ainsi que, pour pouvoir constater la méconnaissance du droit d’être entendu, le Tribunal doit encore vérifier si, en l’absence de la méconnaissance de ce droit, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent. Or, en l’absence de procédure ayant mené à une décision, une telle vérification ne saurait être opérée.

135    À supposer que la requérante entende faire valoir qu’elle aurait dû être entendue sur le rapport d’inspection final et sur la note confidentielle au motif qu’ils ont conduit à sa mutation en [confidentiel], il conviendrait de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 52 et 53 ci-dessus, les conclusions visant à remettre en cause cette décision sont irrecevables.

136    Troisièmement, concernant l’absence d’insertion du rapport d’inspection final et de la note confidentielle dans le dossier individuel de la requérante, il convient de rappeler que, selon l’article 26, premier alinéa, sous a), du statut, le dossier individuel du fonctionnaire doit contenir « [t]outes pièces intéressant sa situation administrative et tous rapports concernant sa compétence, son rendement ou son comportement ». En outre, l’article 26, deuxième alinéa, du statut prévoit que « l’institution ne peut opposer à un fonctionnaire ni alléguer contre lui des pièces visées [sous] a) ci-dessus, si elles ne lui ont pas été communiquées avant classement ».

137    L’article 26 du statut a ainsi pour objectif de garantir les droits de la défense des fonctionnaires et des agents, en évitant que des décisions prises par une institution de l’Union et affectant leur situation administrative et leur carrière ne soient fondées sur des faits concernant leur compétence, leur rendement ou leur comportement non mentionnés dans leur dossier individuel.

138    Il importe de souligner que l’article 26, premier alinéa, sous a), du statut n’oblige pas en soi l’administration à verser au dossier individuel tout document quelconque relatif à un fonctionnaire. Il opère ainsi une distinction entre, d’une part, les « pièces », qui ne doivent figurer au dossier individuel que si elles « intéress[e]nt [l]a situation administrative » du fonctionnaire concerné, et les « rapports », qui ne doivent y être déposés que s’ils « concern[e]nt sa compétence, son rendement ou son comportement », et, d’autre part, tout autre document relatif au fonctionnaire concerné. En visant de tels rapports, l’article 26, premier alinéa, sous a), du statut entend se référer à des documents formels à connotation officielle ayant pour objet la compétence, le rendement ou le comportement du fonctionnaire. Toutefois, il a été jugé que l’article 26 du statut n’interdisait nullement à une institution d’ouvrir une enquête et de constituer un dossier à cet effet et que les seules pièces relatives à cette enquête qui devaient être jointes au dossier du fonctionnaire étaient les éventuelles décisions de sanction prises sur la base de ce dossier d’enquête (arrêts du 2 avril 1998, Apostolidis/Cour de justice, T‑86/97, EU:T:1998:71, point 36, et du 5 octobre 2009, de Brito Sequeira Carvalho et Commission/Commission et de Brito Sequeira Carvalho, T‑40/07 P et T‑62/07 P, EU:T:2009:382, point 96).

139    Par ailleurs, il ne ressort pas de l’article 26 du statut que l’administration est tenue de classer dans le dossier individuel d’un fonctionnaire, après communication, le rapport d’une enquête administrative dont ce dernier a fait l’objet (arrêt du 13 novembre 2014, De Loecker/SEAE, F‑78/13, EU:F:2014:246, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Apostolidis/Cour de justice, T‑86/97, EU:T:1998:71, point 36).

140    En l’espèce, en contestant le non-versement du rapport d’inspection final et de la note confidentielle à son dossier individuel, la requérante prétend, en substance, que le contenu de ces documents intéressait sa compétence, son rendement ou son comportement et qu’il a eu une incidence sur sa situation administrative.

141    Toutefois, en tout état de cause, force est de constater que la requérante n’allègue pas que ces documents ont eu une incidence sur sa situation administrative ou sur sa carrière autre que s’agissant de sa mutation en [confidentiel], laquelle ne saurait être contestée à ce stade.

142    Quatrièmement, en ce qui concerne la transmission non autorisée, par le biais de la réponse du SEAE du 14 mars 2019 visée au point 22 ci-dessus, des données personnelles de la requérante, en prétendue violation du règlement 2018/1725, il convient de constater que ladite lettre du SEAE n’a pas fait l’objet d’une large diffusion. Au contraire, elle n’a été adressée qu’aux services compétents dans le cadre du traitement de sa demande d’accès à certains documents, du 17 décembre 2018, visée au point 21 ci-dessus, à savoir le secrétariat général du SEAE et l’unité de l’inspection des services, dont émanait ladite lettre, l’unité de l’audit interne et celle du délégué à la protection des données du SEAE.

143    Cinquièmement, pour ce qui concerne la diffusion de la note confidentielle et du rapport d’inspection final au sein de différents services du SEAE et de la Commission, il convient de rappeler que l’article 7 de la Charte assure à toute personne le droit au respect de sa vie privée et que son article 8, paragraphe 1, prévoit, pour toute personne, le droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.

144    À cet égard, il convient de rejeter l’argumentation de la requérante relativement à la note confidentielle, en ce qu’il est constant que ladite note n’a été adressée qu’au directeur général.

145    S’agissant du rapport d’inspection final, ainsi qu’il ressort, en substance, des motifs retenus dans le cadre de l’appréciation du deuxième moyen, aux points 108 à 120 ci-dessus, ce rapport, largement diffusé au sein des services du SEAE et de la Commission, contenait des appréciations négatives sur les capacités de la requérante à assumer les fonctions de cheffe d’administration et, si ce document ne mentionnait pas nominativement la requérante, celle-ci était aisément identifiable par la référence à ses fonctions de cheffe d’administration au sein de la délégation, de sorte que cette diffusion a pu porter atteinte à sa réputation professionnelle, affectant ainsi sa vie privée par un traitement de données à caractère personnel.

146    Il a en effet été jugé que le respect du droit à la vie privée à l’égard du traitement des données à caractère personnel, reconnu par les articles 7 et 8 de la Charte, se rapporte à toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 52 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, point 170).

147    À cet égard, le fait que les données diffusées ont trait à des activités professionnelles, les termes « vie privée » ne devant pas être interprétés de façon restrictive et aucune raison de principe ne permettant d’exclure les activités professionnelles de la notion de « vie privée », demeure sans incidence (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 59).

148    Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la communication de données à caractère personnel constitue une ingérence dans le droit fondamental consacré à l’article 7 de la Charte, quelle que soit l’utilisation ultérieure des informations communiquées, et il importe peu que les informations relatives à la vie privée concernées présentent ou non un caractère sensible ou que les intéressés aient ou non subi d’éventuels inconvénients en raison de cette ingérence (voir, en ce sens, arrêts du 8 avril 2014, Digital Rights Ireland e.a., C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, points 33 à 35, et du 6 octobre 2015, Schrems, C‑362/14, EU:C:2015:650, point 87 ; voir également, par analogie, arrêt du 20 mai 2003, Österreichischer Rundfunk e.a., C‑465/00, C‑138/01 et C‑139/01, EU:C:2003:294, points 74 et 75).

149    En l’espèce, force est de constater que la diffusion du rapport d’inspection final au sein de différents services du SEAE et de la Commission a constitué un traitement de données à caractère personnel de la requérante, sans que celle-ci y ait consenti, portant ainsi atteinte aux droits consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte.

150    Toutefois, les droits consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte n’apparaissent pas comme étant des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération au regard de leur fonction dans la société (arrêt du 17 octobre 2013, Schwarz, C‑291/12, EU:C:2013:670, point 33).

151    Comme il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation à l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (arrêt du 12 septembre 2019, XI/Commission, T‑528/18, non publié, EU:T:2019:594, point 58).

152    Dans les circonstances de la présente affaire, il ne saurait être exclu, en principe, que les motifs invoqués par ailleurs par le SEAE et rapportés aux points 96 à 99 ci-dessus constituent des objectifs de nature à justifier le traitement de données personnelles figurant dans les documents établis par la mission d’inspection ad hoc.

153    Toutefois, le SEAE est resté en défaut d’établir que la poursuite des objectifs de la mission d’inspection ad hoc aurait rendu nécessaire la transmission du rapport d’inspection final à 27 destinataires du SEAE et de la Commission, sans qu’aucun tri n’ait été effectué, en fonction des différentes parties dudit rapport, afin de limiter le nombre de destinataires de celui-ci.

154    Partant, en diffusant largement le rapport d’inspection final au sein de différents services du SEAE et de la Commission, le SEAE a enfreint le droit au respect de la vie privée de la requérante à l’égard du traitement de données à caractère personnel.

155    Dès lors, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen, pour violation de l’article 7 et de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, et de constater que la première condition pour engager la responsabilité de l’Union, relative à l’illégalité du comportement d’une institution, est de nouveau satisfaite.

–       Sur le préjudice et sur le lien de causalité

156    Il ressort de l’examen des moyens présentés par la requérante au soutien de ses conclusions indemnitaires que celle-ci est fondée à soutenir que la transmission, par le SEAE, à différents services du SEAE et de la Commission, du rapport d’inspection final est constitutif d’illégalités susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union, conformément à la jurisprudence citée aux points 63 à 66 ci-dessus.

157    Or, la divulgation d’un tel rapport est directement à l’origine d’une atteinte à la réputation de la requérante et au droit au respect de sa vie privée à l’égard du traitement de données à caractère personnel, dès lors que de nombreux services du SEAE et de la Commission ont pu connaître les appréciations particulièrement négatives portées par la mission d’inspection sur la manière de servir de la requérante au sein de la délégation.

158    Ainsi, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono le montant du préjudice moral causé par le SEAE et résultant de l’atteinte à la réputation de la requérante et au droit au respect de sa vie privée à l’égard du traitement de données à caractère personnel à la somme de 10 000 euros.

 Sur les dépens

159    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

160    En l’espèce, il sera fait une juste appréciation de la cause en condamnant le SEAE à supporter ses propres dépens ainsi que la moitié de ceux de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) est condamné à verser la somme de 10 000 euros à OC au titre du préjudice moral subi.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le SEAE est condamné à supporter ses dépens ainsi que la moitié de ceux de OC.

da Silva Passos

Valančius

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.

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