Timchenko v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine - Judgment) French Text [2023] EUECJ T-361/22 (06 September 2023)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2023/T36122.html
Cite as: EU:T:2023:502, [2023] EUECJ T-361/22, ECLI:EU:T:2023:502

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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145/PESC – Notion d’“association” – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire T‑361/22,

Elena Petrovna Timchenko, demeurant à Genève (Suisse), représentée par Mes T. Bontinck, S. Bonifassi, E. Fedorova, A. Guillerme, L. Burguin, J. Goffin et J. Bastien, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes N. Rouam, M.-C. Cadilhac et D. Laurent, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. C. Giolito et Mme M. Carpus Carcea, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, V. Valančius et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment la lettre de la requérante en date du 27 avril 2023 jointe au dossier de la procédure,

à la suite de l’audience du 3 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, la requérante, Mme Elena Petrovna Timchenko demande, premièrement, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation , d’une part, de la décision (PESC) 2022/582 du Conseil, du 8 avril 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 55), et du règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, du 8 avril 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), et, d’autre part, l’annulation de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») la concernentet, deuxièmement, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi du fait de l’adoption de ces actes.

 Antécédents du litige

2        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).

3        Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

4        À la suite de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie, le Conseil a adopté, le 25 février 2022, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p.1), afin notamment d’adapter les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes peuvent être visés par les mesures restrictives en cause.

5        L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145 dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée ») se lit comme suit :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a) des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

b) des personnes physiques qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

d) des personnes physiques qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

e) des femmes et hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques qui leur sont associés, dont la liste figure en annexe. »

6        L’article 2, paragraphe 1, sous a), d), f) et g), de la décision 2014/145 modifiée prévoit le gel des fonds appartenant à des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), b), d) et e), de cette même décision.

7        Le 25 février 2022, le règlement 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L. 51, p. 1) a introduit dans le règlement no 269/2014 les mêmes critères que ceux mentionnés au point 5 ci-dessus.

8        Le 8 avril 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté les actes initiaux.

9        Par ces actes, le nom de la requérante a été ajouté, sous le numéro 903, à la liste annexée à la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et, sous ce même numéro, à celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 tel que modifié par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), pour les motifs suivants (ci-après la « motivation contestée ») :

« [Mme] Elena Timchenko est l’épouse du milliardaire Gennady Timchenko, inscrit sur la liste figurant dans la décision 2014/145/PESC. Elle participe à ses affaires publiques par l’intermédiaire de la Fondation Timchenko. Elle tire donc avantage de [M.] Gennady Timchenko qui est responsable du soutien apporté aux actions et politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, et tire avantage des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

10      Le 11 avril 2022, un avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 modifiée et par le règlement no 269/2014 modifié a été publié au Journal officiel de l’Union européenne(JO 2022, C 157, p. 11).

11      Par courriel du 14 avril 2022, la requérante a sollicité le Conseil aux fins de lui donner accès à l’ensemble du dossier la concernant, ce qui a été fait le 28 avril 2022 par transmission du document WK 5055/2022 (ci-après le « dossier WK »).

12      Le document de présentation du dossier WK se référait aux critères respectivement prévu par l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que par l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de cette décision. De plus, ce document contenait un projet de motivation qui indiquait que le mari de la requérante, M. Gennady Timchenko, était un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

13      Par lettre du 31 mai 2022, la requérante a adressé une demande de réexamen au Conseil.

14      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes de maintien, lesquels s’appuyaient sur une motivation identique à la motivation contestée figurant dans les actes initiaux.

15      Le 15 septembre 2022, le Conseil a notifié à la requérante les actes de maintien.

16      À cette occasion, le Conseil a, en substance, indiqué à la requérante ne pas avoir commis d’erreur d’appréciation, dès lors que les mesures restrictives dont elle faisait l’objet se fondaient sur l’application de la notion d’« association », prévue à la fin de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145. À cet égard, le Conseil a précisé que l’association de la requérante avec son mari résultait non seulement de leurs liens familiaux, mais aussi du rôle et des activités qu’elle exerçait dans la fondation Elena et Gennady Timchenko (ci-après la « fondation Timchenko »), ce qui la faisait participer aux activités publiques de son mari et lui permettait d’en tirer un bénéfice, en particulier en termes de position sociale.

 Procédure et conclusions des parties

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil à lui payer 1 000 000 d’euros « à titre provisionnel » au titre du préjudice moral ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

18      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation ;

–        rejeter le recours en indemnité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      À l’appui de son recours en annulation, la requérante a initialement invoqué quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit à la protection juridictionnelle effective et de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux et, le quatrième, d’une violation des traités.

20      Dans son mémoire en adaptation, la requérante a fait valoir un cinquième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu à l’occasion de l’adoption des actes de maintien.

21      Par lettre du 27 avril 2023, la requérante a indiqué se désister de son troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux et de son quatrième moyen, tiré d’une violation des traités, ce dont le Conseil a pris acte lors de l’audience.

22      Compte tenu de ce désistement, il n’y a lieu de traiter dans le présent arrêt que le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit à la protection juridictionnelle effective, le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, le cinquième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu à l’occasion de l’adoption des actes de maintien et, enfin, le recours indemnitaire.

 Sur la demande en annulation

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective

23      Par son premier moyen, la requérante fait, en substance, valoir que le Conseil ne lui a pas communiqué d’éléments suffisants lui permettant de connaître la base légale ainsi que les raisons individuelles, spécifiques et concrètes pour lesquelles cette institution considère que les actes attaqués sont justifiés.

24      À cet effet, elle fait valoir que la motivation et la base légale figurant dans le document original ne correspondent pas aux critères qui ont motivé les raisons pour lesquelles son mari a fait l’objet de mesures restrictives.

25      En outre, elle ajoute que la motivation des actes attaqués ne spécifie pas si elle participe aux affaires publiques de son mari en tant qu’épouse ou en tant que participante à la fondation Timchenko, tout comme les actes attaqués ne précisent pas le sens de la notion d’« avantage indu », pas plus que celle d’« affaires publiques » ou d’« homme public influent ».

26      Par ailleurs, elle souligne que les éléments de preuve qui figurent dans le dossier, composés uniquement d’articles de presse et de captures d’écrans d’ordinateurs, ne comportent pas de renseignements pas sur la manière dont elle bénéficierait indûment de sa relation avec son mari, ainsi que de sa position au sein de la fondation Timchenko.

27      En réponse aux arguments développés par le Conseil, la requérante fait valoir qu’il est difficilement admissible que le Conseil puisse s’appuyer sur des documents qui justifient l’application de deux critères, pour modifier ces deux critères moins de trois jours après, sur la base des mêmes documents.

28      En réponse, le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet de ce moyen.

29      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien-fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 60 et jurisprudence citée).

30      Il convient également de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 61 et jurisprudence citée).

31      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel des fonds doit permettre que soient identifiées les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles celui-ci considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 63 et jurisprudence citée).

32      Cependant, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 64 et juriprudence citée).

33      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 65 et jurisprudence citée).

34      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 66 et jurisprudence citée).

35      Enfin, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

36      En l’espèce, il y a d’emblée lieu de relever que la motivation sur laquelle reposent les actes de maintien est identique à celle contenue dans les actes initiaux et qui est mentionnée au point 9 ci-dessus.

37      De plus, la requérante critique, en substance, la motivation contestée sur la base de trois arguments, à savoir, premièrement, que les dispositions juridiques qui ont servi de fondement à l’inscription de son nom sur les listes en cause et qui figurent dans le dossier WK ne sont pas suffisamment déterminées, deuxièmement, que les éléments contenus dans la motivation sont insuffisants pour comprendre les raisons pour lesquelles le Conseil a considéré qu’elle était associée à son mari et, troisièmement, que les éléments de preuve qui figurent dans le dossier WK sont insuffisants pour considérer les critères prévus par l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2014/145 modifiée sont remplis.

38      À cet égard, il y a lieu de relever que, certes, la motivation figurant dans le dossier WK et mentionnée au point 12 ci-dessus, renvoyait aux dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, sous d) et e) de la décision 2014/145 modifiée.

39      Il demeure que cette motivation, qui figurait dans un document explicitement qualifié de projet de décision (draft statement of reasons for listing), reposait sur le fait que la requérante participait aux affaires publiques et tirait avantage de son mari, lequel était désigné dans ce document comme un homme d’affaires influent impliqué dans des secteurs d’activités fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

40      Or, ce projet de motivation a été substantiellement modifié dans les actes attaqués.

41      En effet, les critères sur lesquels reposent les actes attaqués correspondent à ceux pour lesquels M. Timchenko a fait l’objet de mesures restrictives, à savoir, d’une part, le critère relatif au soutien des actions et politiques compromettant l’indépendance de l’Ukraine et, d’autre part, celui relatif à l’avantage tiré des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, donc aux critères prévus à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2014/145 modifiée.

42      Ainsi, dans la mesure où la motivation contestée des actes initiaux diffère substantiellement de celle figurant dans le document préparatoire à ces actes, la requérante ne saurait se prévaloir de l’existence d’une équivoque en ce qui concerne les critères sur la base desquels elle a été considérée comme étant associée à son mari, alors même que la motivation contestée se réfère explicitement et sans ambigüité à ces critères.

43      De plus et dès lors que la motivation contestée, à la différence de celle figurant dans le document préparatoire, ne se réfère plus à la notion d’« homme d’affaires influent », l’argument de la requérante selon lequel le Conseil aurait utilisé cette notion en s’abstenant de la définir doit être rejeté comme étant inopérant.

44      Il y a en outre lieu de relever que la mention relative à la participation de la requérante aux affaires publiques de M. Timchenko par l’intermédiaire de la fondation Timchenko ainsi que l’allégation selon laquelle elle « tire avantage » de cette personne se réfèrent nécessairement à la notion d’« association », qui figure, en facteur commun, à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), in fine, de la décision 2014/145 modifiée.

45      D’ailleurs, la requérante ne s’y trompe pas, en ce que, au point 33 de la requête, elle admet que la motivation des actes attaqués s’appuie sur l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2014/145 modifiée et que, selon le Conseil, elle « est donc associée à une personne reprise sous les critères a) et b) de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145 modifiée par la décision 2022/329 et [sous] a) et d) de l’article 2 de cette même décision [...] ».

46      Quant aux allégations selon lesquelles la requérante ne comprendrait pas en quoi elle participerait, selon la motivation des actes attaqués, aux affaires publiques de M. Timchenko et en tirerait avantage, il suffit de relever que, ainsi que cela résulte des documents du dossier WK, notamment les documents nos 2 et 5, c’est bien l’activité de la requérante au sein de la fondation Timchenko qui a été relevée par le Conseil comme étant l’élément constitutif de cette participation et donc de son association avec lui.

47      Il résulte de ce qui est mentionné aux points 38 à 46 ci-dessus que les éléments contenus dans la motivation contestée étaient suffisants pour permettre à la requérante de comprendre que l’inscription de son nom sur les listes en cause était, en substance, motivée par le fait que le Conseil considérait que, en tant qu’épouse de M. Timchenko, et par l’intermédiaire de l’action qu’elle déployait au sein de la fondation Timchenko, elle participait aux affaires publiques de son mari, en tirait avantage et était ainsi associée à lui, dans des circonstances où, d’une part, cet homme était responsable du soutien apporté aux actions et politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, et où, d’autre part, il tirait avantage des décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, de sorte qu’elle pouvait faire l’objet de mesures restrictives sur la base du critère de l’association, notamment prévu par l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2014/145 modifiée.

48      S’agissant des arguments de la requérante selon lequel les motifs des actes attaqués s’appuient sur des éléments de preuve insuffisants, il suffit de relever que, pour les raisons mentionnées au point 35 ci-dessus, de tels arguments relèvent du fond de l’affaire, et non d’un moyen tiré de la violation d’une forme substantielle liée à une absence ou à une insuffisance de motivation.

49      De même et pour les raisons déjà mentionnées aux points 42 à 46 ci-dessus, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel elle serait dans l’obligation de rapporter des preuves négatives du fait des affirmations générales contenues dans la motivation.

50      Eu égard aux éléments mentionnés aux points 38 à 49 ci-dessus, il y a lieu de considérer que les actes attaqués étaient suffisants pour mettre en évidence, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de ces actes, ainsi que pour permettre à l’intéressée de connaître les justifications spécifiques et concrètes de la mesure prise et d’être en conséquence en mesure d’exercer un recours contre les actes attaqués, ce qu’elle a d’ailleurs fait.

51      Il s’ensuit qu’il convient de rejeter tant le grief tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation, que celui tiré de la violation du droit à la protection juridictionnelle effective et, en conséquence, le premier moyen dans son intégralité.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

52      Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’elle participait aux affaires publiques de son époux et que, tirant avantage de lui, elle lui était associée.

53      À cet égard, elle indique que l’inscription de M. Timchenko n’est pas justifiée, comme le prouve la demande d’annulation des mesures restrictives qu’il a formulée, et qu’elle est recevable à formuler cette contestation.

54      Elle affirme que le Conseil ne saurait lui infliger des mesures restrictives au seul motif qu’elle est l’épouse de M. Timchenko, alors même que la seule existence de liens familiaux n’est pas suffisante pour caractériser l’existence d’une association. De plus, la décision 2022/582 a expressément prévu que devait faire l’objet d’une mesure restrictive le membre de la famille qui tire indûment profit d’un autre membre de la famille faisant l’objet d’une telle mesure, ce que le Conseil ne prouverait pas en l’espèce.

55      S’agissant de son rôle au sein de la fondation Timchenko, la requérante souligne que, avec son mari, elle a créé cette fondation à but caritatif qui n’a pas pour objet de développer des activités de relations publiques ou des liens avec le gouvernement de la Fédération de Russie. Elle ajoute que, en tant que co-fondatrice de la fondation et membre de son conseil d’administration, elle ne l’a jamais gérée au profit de son mari, mais qu’elle en supervise les activités, en s’assurant que celle-ci poursuit son œuvre caritative.

56      Elle fait grief au Conseil d’avoir confondu la notion d’« association » avec celle d’« avantage tiré en termes de position sociale », ce que cette institution ne prouve au demeurant pas.

57      Par ailleurs, elle ajoute que le Conseil ne démontre pas le lien existant entre la mesure restrictive qu’elle conteste et l’objectif qu’il poursuit, qui est d’exercer une pression maximale sur le régime politique russe.

58      De même, le Conseil n’établirait aucun lien entre la requérante et les activités de M. Timchenko qui ont motivé qu’il fasse l’objet de mesures restrictives.

59      Ainsi, la seule expression d’un doute par le Conseil en ce qui concerne le lien existant entre l’activité de la fondation et celle du Volga Group, dont est propriétaire M. Timchenko, ne saurait à elle seule caractériser l’existence d’un tel lien. En effet, l’aide apportée à la Fédération de Russie par ce groupe l’aurait été dans les circonstances exceptionnelles de la pandémie de COVID-19.

60      Quant aux allégations du Conseil relatives au fait que l’article 4.2.7 de la charte de la fondation Timchenko lui permettrait de développer des activités caritatives directement au niveau de la Fédération de Russie, la requérante fait valoir que cet État n’est pas le seul destinataire des œuvres de cette fondation, lesquelles ne peuvent avoir, au demeurant qu’un objectif caritatif, donc sans lien avec l’invasion de l’Ukraine.

61      S’agissant de l’allégation du Conseil relative au fait que la présidente du conseil de surveillance de la fondation Timchenko serait membre d’un conseil gouvernemental russe à vocation sociale, et placée sous l’autorité du chef de l’État russe, la requérante fait valoir que cette activité est purement bénévole, consultative et destinée à fournir des conseils sur les approches permettant d’évaluer la mise en œuvre de la politique sociale au sein de la Fédération de Russie.

62      Quant aux arguments du Conseil relatifs aux liens économiques existant entre son mari et elle, ainsi qu’aux risques de contournement des mesures restrictives dont fait l’objet M. Timchenko, elle fait valoir que l’acquisition du bien immobilier mentionné dans le document no 3 du dossier WK se réfère à une opération normale de la vie d’un couple, intervenue, au demeurant, avant l’édiction de ces mesures restrictives. Elle souligne que, en tout état de cause, cette acquisition n’a pas été mentionnée dans la motivation contestée, de sorte que cet élément ne saurait être considéré comme pouvant être retenu comme étant constitutif d’un lien d’association avec M. Timchenko.

63      Enfin, elle souligne que la notion d’« association » en lien avec le contournement des mesures restrictives a été développée dans des circonstances très spécifiques qui sont sans lien avec celles de l’espèce.

64      Elle en conclut que ses activités au sein de la fondation Timchenko ne sauraient caractériser l’existence d’un quelconque lien d’association entre son mari et elle.

65      Dans son mémoire en adaptation, la requérante soulève à l’encontre des actes de maintien les mêmes objections que celles développées à l’encontre des actes initiaux.

66      En réponse, le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet de ce moyen.

67      À titre liminaire, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

68      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

69      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

70      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

71      C’est à l’aune de ces éléments qu’il convient de déterminer si le Conseil a considéré à bon droit que la requérante était associée à son mari, qui lui-même faisait l’objet de mesures restrictives.

72      En l’espèce, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il résulte de l’arrêt de ce jour, Timchenko/Conseil (T‑252/22, non publié), notamment de ses points 97 à 124, le recours introduit par M. Timchenko à l’encontre des mesures restrictives dont il fait l’objet a été rejeté notamment parce qu’il a été jugé que c’est sans erreur d’appréciation que le Conseil avait considéré que ce dernier remplissait, notamment, le critère prévu par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 et par l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette décision, en ce qu’il soutenait des actions ou des politiques qui menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

73      S’agissant spécifiquement de la requérante, cette dernière critique la manière dont le Conseil a interprété et appliqué la notion d’« association » telle qu’elle est notamment utilisée à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/145 modifiée.

74      À cet égard, il y a lieu de souligner que, bien que la notion d’« association » soit souvent employée dans les actes du Conseil relatifs aux mesures restrictives, elle n’est pas en tant que telle définie et sa signification dépend des contextes et des circonstances en cause. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être considérée comme visant des personnes physiques ou morales qui sont, de façon générale, liées par des intérêts communs sans pour autant nécessiter un lien par le biais d’une activité économique (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 93 et jurisprudence citée). La notion d’« association » prévue par les dispositions pertinentes de la décision 2014/145 modifiée et du règlement no 269/2014 modifié peut donc être interprétée en ce sens qu’elle vise toute personne physique ou morale ou toute entité qui présente un lien, allant au-delà d’une relation familiale, avec une personne qui fait l’objet de mesures restrictives au titre, comme en l’espèce, du soutien financier ou de l’avantage tiré de décideurs russes responsables de l’invasion de l’Ukraine ou du soutien d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

75      Une telle interprétation ne saurait être remise en cause par le considérant 7 de chacun des actes initiaux, dont se prévaut la requérante et selon lesquels les mesures restrictives doivent s’appliquer non seulement à l’égard des personnes qui font l’objet de mesures restrictives, mais également « aux personnes physiques qui leur sont associées, y compris les membres de leur famille qui [en] tirent indûment avantage ».

76      En effet, par ce considérant, le législateur a voulu expliciter que la notion d’« association » devait s’entendre non seulement dans son sens strict, c’est-à-dire comme désignant des personnes dont les intérêts étaient liés dans une structure juridique commune, mais aussi de manière plus large et s’agissant de personnes liées par un lien familial, lorsqu’était caractérisée l’existence objective d’une imbrication d’intérêts communs, qui n’était pas forcément formalisée dans une structure juridique créée à cet effet. De plus, en employant dans ce considérant l’adverbe « indûment », le législateur a voulu mettre en évidence que le membre de la famille concerné devait avoir conscience que l’avantage tiré provenait d’une personne remplissant l’un des critères justifiant qu’il fasse l’objet de mesures restrictives.

77      Or, en l’espèce, les documents nos 2 et 5 du dossier WK mettent en évidence que les époux Timchenko sont fondateurs de la fondation Timchenko, et sont directement liés aux activités opérationnelles qu’elle déploie. S’agissant de la requérante, cette implication est d’autant plus caractérisée qu’elle est aussi membre du conseil d’administration de cette fondation.

78      Ce rôle actif que jouent les deux époux au sein de la fondation Timchenko est confirmé par la charte de la fondation, jointe en annexe A 6 à la requête, laquelle met en évidence, que, notamment en vertu de son article 8 les membres fondateurs disposent de pouvoirs substantiels dans l’administration de la fondation en ce qu’il peuvent non seulement obtenir des informations sur les activités de la fondation et avoir accès à ses documents, mais aussi et surtout en ce qu’ils peuvent désigner et révoquer les membres du conseil de surveillance (supervisory board), lequel est défini par l’article 9 de cette charte comme étant « l’organe collégial suprême » de la fondation.

79      Au regard des éléments mentionnés aux points 77 et 78 ci-dessus, le Conseil a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que la requérante était, au sein de la fondation Timchenko, associée avec son mari, qui, lui-même, ainsi que cela résulte de l’arrêt de ce jour, Timchenko/Conseil (T‑252/22, non publié), remplissait notamment le critère prévu par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145, et édicter en conséquence des mesures restrictives à son égard.

80      Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par l’allégation de la requérante selon laquelle il n’y aurait, en l’espèce, aucun risque de contournement des mesures restrictives dont fait l’objet M. Timchenko.

81      En effet, la jurisprudence invoquée à cet égard est intervenue dans des circonstances très spécifiques, lesquelles, ainsi que la requérante le souligne dans ses écritures, ne sont pas similaires à celle de la présente espèce.

82      Quant à l’argument selon lequel ses activités au sein de la fondation Timchenko sont sans lien avec l’invasion de l’Ukraine, il suffit de relever que le critère prévu notamment par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée ne prévoit pas d’établir un tel lien, de sorte que cet argument doit être rejeté.

83      De même et dès lors que les mesures restrictives litigieuses s’appuient sur la base de faits objectifs, la requérante ne saurait faire valoir qu’elle est obligée d’apporter des preuves négatives et par là même qu’elle se trouve dans l’impossibilité de remettre en cause, d’un point de vue probatoire, les actes attaqués.

84      Enfin et dès lors que dans son mémoire en adaptation, la requérante se contente de réitérer l’ensemble des arguments et éléments développés dans la requête en annulation et dans la réplique, il y a lieu de considérer que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en adoptant les actes de maintien.

85      Il en résulte que le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation, doit être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu à l’occasion de l’adoption des actes de maintien

86      Par son cinquième moyen, la requérante fait grief au Conseil de ne pas lui avoir donné l’opportunité d’être entendue avant l’adoption des actes de maintien et de ne pas avoir apporté une réponse substantielle à un certain nombre d’arguments qu’elle a soulevés.

87      En réponse, le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet de ce moyen.

88      Le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2014, Boudjlida, C‑249/13, EU:C:2014:2431, points 34 et 36, et du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, points 65 et 67 et jurisprudence citée).

89      Dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont dispose cette autorité à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).

90      L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101 et jurisprudence citée). À cet égard, la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que les droits de la défense pouvaient être soumis à des limitations ou dérogations, et ce notamment dans le domaine des mesures restrictives adoptées dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 67 et jurisprudence citée).

91      En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée). Le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 54 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 33).

92      Or, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que ni la réglementation en cause ni le principe général du respect des droits de la défense ne confèrent aux intéressés le droit à une audition, la possibilité de présenter leurs observations par écrit étant suffisante (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 93, et du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 105).

93      Ainsi, lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 114).

94      De plus, il y a lieu de relever que le Conseil n’est pas tenu, dans le cadre des mesures de maintien dont les motifs sont inchangés, de répondre de manière exhaustive à l’ensemble des objections soulevées par celui qui conteste le bien-fondé d’un tel maintien.

95      Enfin, selon une jurisprudence constante, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de l’acte en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, à la supposer établie, la procédure administrative ayant précédé l’adoption de cet acte avait pu aboutir à un résultat différent, ce qu’il appartient à la personne qui se prévaut d’une telle violation de le démontrer (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2013, G. et R., C‑383/13 PPU, EU:C:2013:533, point 38 ; du 25 juin 2020, Vnesheconombank/Conseil, C‑731/18 P, non publié, EU:C:2020:500, point 73 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, Sberbank of Russia/Conseil, T‑732/14, EU:T:2018:541, point 125 et jurisprudence citée).

96      Il incombe au juge de l’Union de vérifier, lorsqu’il est en présence d’une prétendue irrégularité affectant le droit d’être entendu, que, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2013, G. et R., C‑383/13 PPU, EU:C:2013:533, point 40, et du 12 février 2020, Kibelisa Ngambasai/Conseil, T‑169/18, non publié, EU:T:2020:58, point 69 et jurisprudence citée).

97      En l’espèce, s’agissant des actes de maintien, le Conseil a publié un avis, le 11 avril 2022, à l’attention des personnes et entités concernées, par lequel elles ont été informées de la possibilité de présenter une demande de réexamen. Ainsi, la requérante a pu présenter sa demande de réexamen le 31 mai 2022 et a pu faire connaître son point de vue avant l’adoption des actes de maintien.

98      En effet, le Conseil n’était pas tenu, pour respecter le droit d’être entendu de la requérante, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge, dès lors que les actes de maintien ne contenaient aucun nouvel élément à son égard par rapport à ceux énoncés dans les actes initiaux.

99      De plus, il y a lieu de relever que, dans sa lettre du 15 septembre 2022, le Conseil s’est référé à la demande de réexamen de la requérante et lui a indiqué, notamment et en substance, que les preuves sur lesquelles il s’appuyait étaient suffisantes pour la considérer comme étant associée à son mari par le biais de la fondation Timchenko, de sorte que les mesures prises à son égard lui paraissaient nécessaires pour faire pression sur les autorités russes afin de mettre un terme aux opérations militaires en cours en Ukraine. Cela est de nature à mettre en évidence que les arguments qui étaient opposés au Conseil ne l’avaient pas convaincu, ce qui n’est pas constitutif d’une violation du droit d’être entendu.

100    Enfin et en tout état de cause, à supposer même que le Conseil aurait violé le droit d’être entendu, il y a lieu de relever qu’une telle violation n’aurait pas, pour les motifs mentionnés aux points 23 à 84 ci-dessus, amené le Conseil à adopter une décision différente de celle se rapportant aux actes de maintien, de sorte qu’une telle violation n’aurait pas entraîné l’annulation de ces actes.

101    Ainsi, dès lors qu’il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir violé le droit d’être entendu de la requérante, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.

 Sur la demande indemnitaire

102    Au soutien de cette demande, la requérante fait valoir que les actes attaqués lui ont causé un préjudice moral dont il demande l’indemnisation.

103    Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet de cette demande.

104    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait d’un comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Dans la mesure où ces trois conditions d’engagement de la responsabilité sont cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit pour rejeter un recours indemnitaire, sans qu’il soit dès lors nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 155 et jurisprudence citée).

105    S’agissant du préjudice prétendument subi en raison de l’adoption des actes attaqués, il ressort des constatations exposées en ce qui concerne les conclusions en annulation que l’inscription et le maintien du nom de la requérante sur les listes en cause ne sont pas entachés d’illégalité. Partant, l’une des conditions mentionnées au point 104 ci‑dessus faisant défaut, les conclusions en indemnité doivent être rejetées.

106    Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

107    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

108    De plus, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Commission supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté

2)      Mme Elena Petrovna Timchenko est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Spielmann

Valančius

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.

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